Les dérapages du Sénat

11/04/2011

Si le texte de la loi bioéthique devait rester en l’état, après son passage au Sénat, on pourra parler de bérézina éthique avec l’autorisation explicite de la recherche sur l’embryon, la systématisation du diagnostic prénatal et – cerise sur le gâteau – un droit à l’assistance médicale à la procréation pour les personnes homosexuelles.

 

Ne plus exiger que l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) soit réservé aux couples composés d’un homme et d’une femme  : la proposition est venue de gauche. Dans un hémicycle clairsemé, les sénateurs l’ont votée. En France, cela reviendrait à cautionner la conception d’enfants sans père. Car, pour le moment, du fait du maintien de l’interdiction de la gestation pour autrui, ce sont les femmes et elles seules qui obtiendraient la capacité de «  procréer toutes seules  », via l’insémination artificielle avec un donneur de gamètes, anonyme.

 

Après un vif débat, le Sénat, a en effet tenu à maintenir l’anonymat de ce don, contrairement à l’avis de sa commission des affaires sociales. Pour des personnes ainsi privées du droit d’accéder à leurs origines biologiques, c’est une injustice supplémentaire. Elles se disent discriminées, et d’autant plus choquées qu’elles ont entendu des arguments étranges, à l’image de ceux de François Rebsamen. Le sénateur de Côte-d’Or estime que «  la levée de cet anonymat freinerait considérablement le don et aurait des conséquences désastreuses pour la recherche  ». C’est la confirmation que des souffrances liées à l’infertilité ou au handicap sont mises en paravent de revendications scientistes, sans rapport avec la justice…

 

Au petit jeu des transgressions, les dérives s’enchaînent logiquement  : ainsi, ce sont les hommes homosexuels qui pourraient crier à la discrimination si ce «  droit à l’AMP  » que le Sénat tente de reconnaître aux femmes homosexuelles était confirmé. Ils sont incapables d’engendrer sans gestation pour autrui, en attendant l’utérus artificiel. Ce dernier appartient encore à la science-fiction, mais il est prédit par le professeur Henri Atlan dans son livre éponyme.

 

Pour le moment, tout laisse à penser que la portée transgressive du texte voté au Sénat sera atténuée par l’Assemblée nationale. Et c’est d’ailleurs ce qu’a promis le gouvernement qui entend surtout maintenir le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et réserver aux infertilités médicalement avérées l’accès à l’assistance médicale à la procréation pour en exclure les «  infertilités sociales  ». L’expression désigne la stérilité attachée à la relation homosexuelle  ; elle tend à remplacer celle d’ «  AMP de convenance  » jugée péjorative.

 

L’AMP homosexuelle constitue donc le point de basculement majeur du nouveau texte. Sur ce sujet, le texte voté au Sénat et l’ensemble des débats donnent une idée des ruptures supplémentaires que pourrait entraîner une majorité parlementaire de gauche, dès 2012.

 

Sur l’autre point, celui de la re­cherche sur l’embryon, l’Assemblée nationale avait fait du principe d’interdiction un symbole sans grande portée pratique, un «  anesthésiant pour catho  » même selon le député Marc Le Fur puisqu’il était assorti de dérogations élargies. L’enjeu n’est pas de même nature, à partir du moment où l’embryon humain est déjà livré à la recherche, depuis 2004.

 

Comment expliquer que les sénateurs aient déjà pu détricoter avec tant d’entrain le texte voté en première lecture à l’Assemblée nationale fin janvier  ?

 

Vis-à-vis de l’exécutif, le temps est à l’émancipation. Plus encore au Sénat, quelques semaines après les dernières élections cantonales qui préfigurent un vraisemblable basculement à gauche de la Chambre haute. Elle est devenue la caisse de résonance parlementaire de la dérive libérale-libertaire, on l’a vu avec le récent débat sur l’euthanasie. D’autant que quelques sénateurs centristes ou UMP ont eu à cœur de montrer leur «  humanisme de progrès  », à l’image du rapporteur UMP du texte Alain Milon ou de la centriste Muguette Dini, présidente de la commission des Affaires sociales. À droite comme à gauche, serait-il plus tentant de montrer qu’on est le premier à épouser son époque, en suivant ses mœurs, que de s’attacher aux casse-tête que constituent la dette publique ou le défi environnemental  ?

 

Il faut aussi compter avec le lobby homosexuel, de plus en plus revendicatif, comme on a pu le mesurer par l’intensité des débats sur le don de sang. Le PS a bataillé pour que les personnes homosexuelles ne puissent plus être «  exclues  » de ce don, en raison de la prévalence du VIH, une exclusion jugée discriminatoire pour les uns et, au contraire, conforme à la santé publique pour le gouvernement. À ses yeux, ménager la susceptibilité d’un groupe de citoyens ne légitime pas qu’on mette en danger la vie des transfusés.

 

Le Sénat s’est également montré sensible à quelques coups médiatiques. Celui des époux Mennesson a échoué. L’histoire de leurs jumelles obtenues en Californie d’une mère porteuse et dont ils réclament la régularisation en France est marquée par trois femmes  : la génitrice («  une amie  ») qui a donné ses ovocytes, l’Américaine «  gestatrice  » qui a porté et enfanté les jumelles contre un dédommagement de 12 000 dollars, et Madame Mennesson qui les élève avec son mari après les avoir amenées en France. Monsieur Mennesson en est, lui, le géniteur. Désavouant le ministère public, la cour de Cassation a débouté le couple le 6 avril, en jugeant que les enfants nés de mères porteuses à l’étranger ne devaient pas être inscrits à l’état civil français. Au Sénat, le sénateur Milon qui a bataillé pour la gestation pour autrui, a été contredit à son tour par ses collègues. Un coup d’arrêt conforme à la tradition française de non-marchandisation du corps. Le Conseil d’État, dans un rapport préparatoire à l’actuelle révision, avait, sur ce point, incité la France à ne pas à s’aligner sur le «  moins-disant éthique  ».

 

De même, le Sénat est revenu sur l’autorisation des dons de gamètes par des personnes n’ayant pas procréé. Une autre avancée éthique, très légère, doit être notée, avec l’ajout au dispositif du bébé-médicament de la mention «  sous réserve d’avoir épuisé toutes les possibilités offertes  ».

 

Est-ce par le succès des recherches alternatives que certaines transgressions pourraient finir par tomber en désuétude  ? On ne parle pratiquement plus du clonage depuis la découverte des cellules IPS qu’on peut reprogrammer, et vers lesquelles le «  père  » de Dolly, premier mammifère cloné, s’est réorienté. Malgré la nouvelle annonce du professeur Peschanski, sur les perspectives de la recherche sur l’embryon humain, lancée à l’ouverture des débats au Sénat pour, de son propre aveu, influer sur la loi bioéthique, certains de ses collègues commencent à réagir. Deux chercheurs, Alexandra Henrion et Alain Privat, ont publié dans Le Figaro du 9 avril une tribune intitulée «  Alerte à la conscience scientifique  ». Ils y notent que «  les cellules souches embryonnaires humaines (ES) ne constituent pas un outil unique et irremplaçable  » et ajoutent que «  la libéralisation de leur utilisation signifie de facto la création d’organismes ‘chimériques’ ». Cette dérive, Marie-Thérèse Hermange a réussi à la contrer en faisant adopter un amendement interdisant clairement l’hybridation homme-animal. Très en pointe dans ce débat, la sénatrice de Paris s’est battue jusqu’au bout pour le respect de la dignité de l’embryon humain. Louée par ses collègues pour sa «  cohérence  », elle a même été soutenue sur un point  : son amendement réinstaurant la révision périodique de la loi de bioéthique a été voté. Pourquoi déléguerait-on ce thème crucial à des instances spécialisées, vulnérables aux conflits d’intérêts  ?

 

Il est finalement probable que l’Assemblée nationale — qui aura le dernier mot — redonnera son économie générale au texte.

 

Sauf, peut-être, sur un point  : le main­tien d’une liberté de prescription des médecins, en matière de dépistage du handicap, et spécialement de la trisomie 21. À l’Assemblée nationale, le rapporteur Jean Leonetti avait fait ajouter au nouveau texte de loi la mention «  lorsque les conditions médicales le nécessitent  ». Elle exonérait les médecins de l’obligation de systématiser la proposition des examens prénataux, en les laissant juges de cette opportunité. Le Sénat a effacé cette mention. Entre-temps, les dirigeants du syndicat des gynécologues-obstétriciens s’étaient mobilisés, prenant à contre-pied une partie de leur base, réunie au sein du Collectif pour sauver la médecine prénatale. Soucieux de ne pas participer à un eugénisme d’État, ce collectif s’alarme de l’abandon de la liberté de prescription qui est attachée au statut du médecin. Si le texte reste en l’état, ils seront tenus de proposer à «  toutes les femmes enceintes  », les examens de dépistage, spécialement ceux de la trisomie 21. Que fera l’Assemblée sur ce point sensible  ? Jean Leonetti semble prêt à hésiter.

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