Le suicide assisté en Suisse
10/07/2011

Le Suicide assisté en Suisse

 

1. Législation actuelle

L’article 115 du code pénal suisse, datant de 1899 et revu en 2002, est formulé ainsi : « Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire ».

L’euthanasie active directe ainsi que le meurtre sur demande de la victime sont aussi punissables, alors que, à contrario, l’assistance désintéressée au suicide n’est pas une infraction pénale en droit suisse. « Ce dernier point est particulièrement sensible. Il constitue aussi la principale originalité de la législation suisse, qui distingue ainsi le meurtre sur la demande de la victime (art. 114 du code pénal) de l’incitation et de l’assistance au suicide (art. 115) ». Concrètement, le médecin peut préparer la substance qui donnera la mort, mais la personne doit la porter à ses lèvres.

D’un point de vue légal, plusieurs conditions doivent être respectées : discernement de la personne, demande sérieuse et répétée dans le temps, maladie incurable, souffrances physiques ou psychologiques importantes, et pronostic vital engagé ou invalidité définitive.

La réglementation suisse permet donc à des associations de proposer en toute légalité une aide au suicide pour des motifs désintéressés. Quatre associations ont vu le jour dans ce cadre. Les deux principales sont Exit et Dignitas, cette dernière acceptant de répondre à des demandes d’étrangers.

Récemment, les autorités sanitaires ont imposé deux rendez-vous médicaux avant le recours au suicide assisté, le second rendez-vous permettant de délivrer une ordonnance de pentobarbital.

2. Bilan quantitatif

Comparaison des statistiques de 2003 et de 2007 [1. Rapport sur «l’assistance organisée au suicide », Département Fédéral de Justice et Police, 15 mai 2009]

 

  2003 En % de tous les décès En % de tous les suicides 2007 En % de tous les décès En % de tous les suicides
Décès 63 070     61 089    
Suicides 1 400 2,22%   1 360 2,23%  
Dont : suicides accompagnés par une organisation en Suisse 272 0,43% 19,43%   0,65% 29,41%
Environ400
Dont : suicides de personnes non domiciliées en Suisse, accompagnées par Dignitas 91 0,14% 6,50% 132 0,22% 9,70%

 

D’après Dignitas, 860 étrangers ont eu recours aux services de l’association depuis sa création en 1998, dont 80 Français.

3. Dérives constatées

A) Des pratiques douteuses

En 2007, les voisins de la HLM où œuvre l’association Dignitas à Zurich ont obtenu son départ, après 8 ans d’activité. Ils se sont plaints des désagréments occasionnés : cadavres dans leur housse mortuaire, debout dans l’ascenseur de l’immeuble ; mise en bière sur le trottoir devant l’immeuble ; circulation des cercueils dans l’immeuble et à ses abords.

Depuis, l’association a été chassée d’un second appartement. Pour mener ses activités, elle a eu recours à des hôtels, hangars de zone industrielle, et des parkings.

Dignitas utilise les barbituriques (pentobarbital), à avaler avec de l’eau, et désormais également l’étouffement avec un sac en plastique rempli d’hélium, afin de contourner l’exigence de prescription médicale d’un barbiturique par un médecin.

En mai 2010, plusieurs dizaines d’urnes funéraires ont été retrouvées au fond du lac de Zurich. Or, en décembre 2008, le gouvernement du canton de Zurich avait indiqué que l’utilisation du lac comme lieu de dernier repos n’était pas possible pour des raisons éthiques et sociales. L’association Dignitas a reconnu avoir déposé une urne dans le lac, à la demande d’une patiente. La presse suisse s’est faite l’écho des soupçons pesant sur le responsable de Dignitas au sujet des autres urnes retrouvées.

B) Des suicides assistés pour des personnes qui n’étaient pas en fin de vie

Des scandales ont éclaté avec l’euthanasie de personnes dépressives ou que l’on pouvait guérir. Une étude parue dans le Journal of Medical Ethics en 2008 révèle que 34% des personnes qui avaient eu recours au suicide assisté, dont des jeunes de moins de 30 ans, par l’intermédiaire d’une de ces associations, ne souffraient pas d’une maladie mortelle.

Dignitas a accepté en 2002, de « suicider » deux Français, frère et sœur, de 29 et 32 ans. Plus tard, un jeune homme de 25 ans. En 2003, un couple de Britanniques, de 53 et 59 ans, souffrant de diabète et d’épilepsie, mais non en fin de vie. Leur famille, ignorant leurs intentions, ont été particulièrement choqués à l’annonce de la mort.

C) Des enjeux financiers

En 2009, le département fédéral de justice et police rendait un rapport qui s’inquiétait des évolutions de la pratique des organisations d’assistance au suicide : 272 cas en 2003 et environ 400, cas en 2007, soit une augmentation de 47% en quatre ans. Le rapport alerte en outre sur les conditions financières du suicide assisté (6000 euros en moyenne par personne en 2008 pour Dignitas).

D) Le développement d’un « tourisme de la mort »

Le suicide assisté ouvert à des étrangers constitue un point délicat, puisqu’il entraine ce que qu’on appelle le « tourisme du suicide », ou le « tourisme de la mort ». Le Gouvernement fédéral s’est inquiété de cette mauvaise image de marque pour la Suisse et cherche à éviter les abus les plus visibles.

 

Devant ces dérives, un débat national a eu lieu à la demande du Conseil fédéral entre 2008 et 2010, pour étudier une révision éventuelle de la législation. A l’issue de ses travaux, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que modifier la loi entraînerait divers inconvénients. Il a donc décidé, fin juin 2011, de ne pas proposer une nouvelle loi, tout en réaffirmant sa volonté de promouvoir la prévention du suicide et la médecine palliative dans le but de diminuer le nombre de suicides.

 

Juillet 2011