Une réflexion nouvelle

28/01/2013

Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA et porte-parole de la”Manif pour tous”, explique pourquoi  la mobilisation du 13 janvier n’est pas un succès éphémère, mais le début d’un sursaut anthropologique majeur, dans un esprit de non-violence intérieure.

Que répondez-vous à ceux qui, comme Pascale Clark sur France Inter au lendemain de la « Manif pour tous » du 13 janvier, ironisaient sur votre « manif pour rien » ?

Qu’ils n’ont encore rien vu. Et, surtout, pas encore compris ! Nous savons que nos adversaires misent sur le découragement ou la division de notre mouvement… Dès le samedi 2 février prochain, dans les centres-villes de tous les départements, les Français vont se rassembler à nouveau pour montrer qu’ils sont plus que jamais mobilisés contre ce projet de loi injuste. Notre mouvement est en plein essor, et pas seulement à court terme, car il est animé par un ressort intime. C’est un sursaut historique qu’il nous faut accompagner.

Ne craignez-vous pas l’usure ? Ne craignez-vous pas aussi de diviser les Français ?

à nous de tenir dans la durée, ce qui suppose une organisation plus solide, une stratégie davantage planifiée, le renouvellement et la diversification des porte-parole… Nous y travaillons. J’aimerais par exemple entendre davantage la voix des parents adoptifs ou des professionnels de l’enfance. Déjà, grâce à l’élan du 13 janvier, des langues se délient, de nouvelles catégories de personnes s’engagent, de nouveaux experts sortent du silence… C’est un mouvement de fond. à nos yeux — et la manifestation aux slogans parfois très durs ou provocateurs du 27 janvier pro- « mariage pour tous » l’a confirmé — c’est le projet de loi gouvernemental qui divise les Français, et non pas notre résistance. François Hollande se mord peut-être les doigts de s’être laissé entraîner sur cette pente, où il n’a rien à gagner politiquement. C’est pourquoi nous ne devons rien lâcher. C’est même le meilleur service à rendre au président de tous les Français. Il a les cartes en main…

Le débat est pourtant bien à l’Assemblée nationale. N’est-ce pas un signe pour vous d’une défaite annoncée ?

Aucunement. Tout va se jouer à moyen ou long terme. D’avoir obtenu en commission que demeurent (symboliquement) les termes de père et mère dans le texte, au prix de l’artifice d’un alinéa « balai » est déjà une victoire morale qui donne crédit à tout notre engagement et nous encourage à intensifier nos actions… Car le processus reste long avant la promulgation d’une éventuelle loi…

Qu’attendez-vous des parlementaires ?

Beaucoup. Que les opposants s’opposent avec intelligence et fermeté. C’est l’honneur de notre démocratie que des voix s’élèvent contre l’injustice. Et que les consciences des députés de gauche se libèrent. Ce sujet de « métapolitique » mérite d’être ex­plicité sans tabou. Cela donnera des forces aux sénateurs, le moment venu, pour agir à leur tour en conscience. Déjà des parlementaires de gauche nous font comprendre qu’ils seront, le jour du vote, vraisemblablement pris d’un besoin pressant à l’heure du scrutin… pour ne pas être dans l’Hémicycle. C’est un début.

Vous semblez davantage tabler sur le long terme ?

Oui. Le temps joue en notre faveur. Déjà, les promoteurs du projet les plus virulents, comme Pierre Bergé, se désolent que le gouvernement ne soit pas passé en force (et en catimini) pendant le bref « état de grâce » de la majorité. Au fond, ce projet de loi agit comme un révélateur, pour beaucoup de gens. Et alimente notre dynamisme.

Que voulez-vous dire ?

C’est dans l’adversité que se révèlent les cœurs. Or, le cœur du peuple est soudain saisi devant la toute-puissance d’un projet qui entend redéfinir le repère anthropologique le plus universel, incontestable et précieux. Du coup monte une réflexion nouvelle, à mesure que des questions qu’on ne se posait pas émergent. Qu’est-ce qu’un homme, qu’un père ? Qu’est-ce qu’une femme, une mère ? Quel est le sens de l’enfantement ou de l’engendrement ? De quoi un être humain a-t-il besoin pour s’épanouir ? Peut-on encourager l’amour durable, l’engagement ? Et même peut-on apprendre à aimer ?

En marge de mon récent débat public avec Nicolas Gougain, porte-parole de la LGBT pour lequel j’éprouve un grand respect, j’ai eu de belles discussions avec de jeunes adultes dont les parents se sont séparés, parfois dans de grandes violences. Le débat avait fait naître en eux des interrogations : que faire quand on aspire au grand amour et qu’on ne croit plus en l’engagement ?

J’ai bien vu qu’une posture de bienveillance ouvrait des cœurs. C’est l’occasion de plaider pour la famille stable sans stigmatiser aucunement ceux qui en ont manqué.

Cette bienveillance est-elle réellement efficace ?

La bienveillance est extraordinairement féconde. La non-violence intérieure est l’arme de construction massive de la paix sociale. Elle a la puissance absolue de la faiblesse.

Et c’est pourquoi, plutôt que d’alimenter à l’excès une querelle de chiffres qui risquerait de générer chez les manifestants l’idée désabusée qu’ils sont piétinés par le pouvoir, j’aimerais leur redire qu’ils peuvent être heureux de ce qu’ils ont fait naître et qui n’est pas près de s’éteindre.

Georgina Dufoix, qui fut ministre des Affaires sociales de François Mitterrand et qui manifestait avec nous le 13 janvier, m’a appelé le lendemain pour me demander de l’écrire aux manifestants, pour qu’ils soient conscients et fiers de l’élan irrépressible qui les anime. Les soubresauts du calendrier parlementaire ne sont rien à côté du sens de l’Histoire.

Que pensez-vous des slogans provocateurs ou antichrétiens de la manifestation du 27 janvier ?

Il faudrait s’interroger sur la culture d’autodérision propre à certains milieux désenchantés. Elle conduit à des slogans révélateurs d’un malaise existentiel. Cette surenchère de virulence renvoie au désir d’abattre toute limite, assimilée à une injonction liberticide. Que ces slogans — dont le pendant n’existe pas dans nos manifestations — puissent foisonner sans faire scandale constitue une forme d’hommage à notre propre posture paisible. Quant à l’Église catholique, il lui est reproché d’avoir libéré la parole de beaucoup. L’Institution qui rappelle les limites inhérentes à la vie en société devient natu­rellement un bouc émissaire. Peut-être est-ce parce qu’elle est entendue ? Les parents témoignent de l’ambivalence de l’écoute de leurs adolescents frondeurs…

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