Précieuse altérité ?

13/03/2014

Chers amis (1),

Avant d’entamer le vif du sujet, je voudrais partager avec vous une petite réflexion préalable. Dans cette salle de la Mutualité, j’ai senti comme une impatience à l’approche des échéances électorales : nous voulons que les choses changent, et vite. Cette impatience, je la partage… Mais je me soigne. Depuis dix-huit mois, chers amis, nous avons duré, confrontés à la loi Taubira et à ses suites. Ensemble, nous avons tenu sans rien lâcher sur le fond, et sans rien abandonner de notre ton. C’est-à-dire en gardant notre sang-froid. Et je veux rendre hommage à Ludovine, Albéric et à tous nos porte-paroles depuis le début. Alors que certains commençaient à nous traiter de « bisounours » en constatant que les bonnets rouges avaient obtenu le retrait de l’écotaxe par la destruction de ses portiques électroniques, c’est bien notre ténacité paisible, c’est-à-dire non-violente, qui a fait plier le gouvernement le 3 février 2014. Les grandes foules défilant pacifiquement à Paris et à Lyon le 2 février ont légitimé nos 18 mois de lutte. Ce résultat appelle bien sûr toute notre vigilance. Et surtout notre engagement durable. Mais pourquoi allons-nous durer des années ? Parce que nous sommes engagés dans une mutation culturelle à long terme : celle du retour au réel.

En effet – et j’en arrive au sujet de l’altérité – si nous sommes descendus si nombreux dans la rue à tant de reprises, c’est pour contrer un grave mensonge anthropologique, qui est devenu, par le vote de la loi Taubira, un mensonge d’Etat. Il s’agit de la prétendue interchangeabilité entre père et mère. Voilà qu’on impose à certains enfants, par la procédure de l’adoption plénière, deux mères ou deux pères. C’est-à-dire une filiation impensable. Priver délibérément certains enfants de la précieuse altérité sexuelle à la source de tout engendrement, c’est faire fi des données intangibles qui fondent l’écosystème dans lequel l’enfant trouve son origine : la famille, père-mère-enfant.

Même si nombre d’entre nous n’en ont pas bénéficié pour grandir, cet écosystème reste à l’origine de toute vie humaine. Faut-il rappeler la donnée naturelle de base qui fonde l’altérité du couple de parents : la « dissymétrie des corps sexués » selon l’expression de Sylvianne Agacinski ? Je n’insisterai donc pas sur ce qu’enseignent encore les manuels de SVT à propos de la procréation humaine. La différence des sexes est une des clés de la biodiversité. L’être humain, homme ou femme, est incapable de prétendre à lui tout seul incarner l’humanité, de se reproduire seul ou avec « le même »… Lionel Jospin le souligne quand il rappelle – pour récuser le mariage entre personnes de même sexe et l’adoption homosexuelle – que « l’humanité se compose d’hommes et de femmes et non pas d’homosexuels et d’hétérosexuels ».

Que pouvons-nous faire de cette réalité universelle ? Je vois deux possibilités.

  1. Nous pouvons la contester, comme une dure limite à dépasser, effacer, éradiquer grâce à un mélange de technique, de loi et d’idéologie. C’est alors la confusion des genres. Et je pense au premier accouchement « paternel » de mars 2013, en Allemagne. Il s’agissait d’une personne transsexuelle. Considérée comme un homme par l’état civil allemand, bien qu’elle ait conservé son utérus, c’est en tant que « père » légal que cette personne a accouché à Berlin d’un enfant, enfant dont elle n’a d’ailleurs pas voulu révéler le sexe pour qu’il le choisisse ultérieurement… Derrière la souffrance de la transsexualité, nous voyons la gravité de la transgression que constitue l’effacement de la complémentarité père – mère, ici par une fiction juridique.
  2. Nous pouvons au contraire consentir à cette interdépendance, pour en creuser le sens, voire nous en émerveiller. Il s’agit de reconnaitre aux parents des rôles distincts et complémentaires, en partant d’un constat : « Tous enfantés d’une femme ! » Ce constat induit des spécificités multiples, par articulation entre le biologique et le culturel, à partir de la fusion originelle mère/enfant, avec l’irruption du rôle spécifique du père, notamment pour ouvrir l’enfant sur le monde… Mais pour reconnaitre tout cela il faut admettre être inachevé, incomplet, incapable d’incarner à soi seul l’humanité ; j’ai besoin d’une femme pour devenir père, et réciproquement…

Comme vous tous certainement, j’ai beaucoup réfléchi depuis le début de notre mouvement à la spécificité de l’homme et à celle de la femme. Au moins, la loi Taubira nous en a-t-elle donné l’opportunité. Que signifie donc la virilité ? Que signifie la féminité ? Ce qui paraissait évident, être homme ou femme, nous devons désormais en rendre compte. Mais comment reconnaitre ce qui reste d’essentiel lorsque nous avons discerné et écarté les stéréotypes sexistes qui ont pu polluer notre conception de la complémentarité homme-femme ? Avouons qu’il n’est pas facile d’objectiver l’altérité sexuelle à la source de la famille. Comment expliquer l’altérité sexuelle, alors que c’est largement elle qui nous explique ?

Il est donc plus facile, dans un premier temps, de mesurer l’absurdité de son effacement.

  1. Nous pouvons d’abord constater que notre société souffre de deux maux familiaux qui, a contrario, attestent de la complémentarité hommes-femmes : l’errance des pères, dont beaucoup se retrouvent « satellisés », qu’ils en soient ou non responsables (je ne veux jeter la pierre à personne) et la solitude des mères qui, trop souvent, portent tout. Les spécialistes de l’enfance savent que les mères seules peinent à canaliser la violence naturelle des enfants ou des adolescents.
  2. Nous voyons bien que la situation la plus favorable pour l’enfant est d’être élevé par ses deux parents biologiques ; il ne s’agit aucunement de stigmatiser les familles dites monoparentales, mais de dénoncer les tentatives d’affirmer comme « équivalentes » ces situations accidentelles où l’enfant se retrouve privé de son père ou de sa mère. Ce sont des situations moins favorables à son épanouissement « toutes choses égales par ailleurs » (avec des conséquences douloureuses pour les enfants concernés). Les parents idéaux n’existent pas, mais renoncer à encourager l’organisation familiale qui est la plus favorable à l’enfant, c’est tirer la société vers le bas. C’est par ailleurs nier que certaines familles où manque l’altérité homme/femme ont besoin d’aides spécifiques…
  3. Nous pouvons aussi ajouter que nier l’altérité homme/femme, en décrétant père et mère interchangeables, c’est ipso facto remettre en cause le fait qu’il y ait deux parents et deux seulement… La porte est alors ouverte à la coparentalité, ou à la multi-parentalité, systèmes artificiels qui font injonction aux enfants de dépendre du bon vouloir d’adultes qui se les partagent. Pourquoi pas trois, quatre, six parents etc. au gré des recompositions et accidents de vie ?
  4. La Gestation par autrui (GPA) est l’exemple type de la multiplication des parents… Ce procédé organise l’éclatement de la maternité en deux voire trois fonctions (génitrice, gestatrice, éducatrice). Et s’il s’effectue “au profit” de deux hommes, ce procédé escamote une mère au moins, biologique et gestatrice, qui est pourtant bien réelle.
  5. Enfin, en marge d’un débat que nous avions eu à la radio, Françoise Milewski, responsables des études de genre à Sciences-po Paris, m’a livré deux indices de l’idéologie sous-jacente à son militantisme. Selon elle, l’oppression sexiste est par essence à sens unique, des hommes contre les femmes. Et jamais inversement… Or, j’ai été témoin (et je pense ne pas être le seul dans cette salle) d’oppressions endurées par des hommes de la part de femmes… Par ailleurs, l’ultra-féminisme (qui ne correspond pas à notre féminisme) de Madame Milewski suppose l’absolue maîtrise par la femme de la maternité, condition sine qua non de sa libération, ce qui nécessite de nier toute humanité de l’être humain non encore né.

A partir de ces indices, je crois qu’il faut reprendre conscience d’une réalité anthropologique aussi étrange qu’évidente : tout être humain, homme ou femme, séjourne longuement dans le corps d’UNE autre, avant de naître. Etre longuement habité par le corps d’un autre, c’est une expérience unique, réservée aux femmes. Engendrer un être qui ne nous habitera pas, qui nous sera étranger pendant des mois, c’est une autre expérience, unique également, réservée aux hommes.

De même que l’idéologie de l’indifférenciation passe par l’éradication de la maternité, jusque dans le vocabulaire (classes maternelles, langues maternelles, et pourquoi pas lait maternel…), il est utile de partir de la maternité pour prendre conscience de la spécificité de l’altérité sexuelle. Chacun se construit à partir d’une origine. L’origine du monde, pour chaque homo sapiens, c’est le corps d’une femme. Il n’y a pas de quoi s’en plaindre. Maternité physiologique mais aussi psychique, sociale, politique et spirituelle en découlent. Et pourquoi devrions-nous balayer l’apport des courants de pensées des sciences sociales qui ont contribué à découvrir la richesse des apports spécifiques du père et de la mère (je pense à la façon dont Freud nous a ouvert à leurs rôles distincts) ? Le docteur Rouyer nous a montré qu’on ne les escamote pas impunément. De même les incessants progrès de la biologie nous aideront à articuler nature et culture humaines : comme cette récente et surprenante découverte de la spécificité du lait maternel selon le sexe de l’enfant.

Ultimement, savez-vous que c’est la matrice artificielle qui se profile dans le prolongement de la loi Taubira, comme l’a parfaitement explicité Jacques Attali dans sa tribune de Slate.fr du mois de janvier 2013 ? Mécaniser la gestation pour aller « vers une humanité unisexe » (c’est le titre de cette tribune) n’est-ce pas jouer avec le feu ? C’est comme tester le feu nucléaire contre l’homme.

Bien loin de corroborer le fantasme de l’indifférenciation homme-femme, les services d’écoute d’Alliance VITA constatent chaque jour leurs différences. Nous aidons les couples à comprendre et accueillir ces différences, notamment dans les appréhensions réciproques de la paternité et de la maternité. En effet, la magnifique différence psychologique entre hommes et femmes creuse régulièrement entre eux un abîme d’incompréhension.

Gertrud von Le Fort, dans son livre La Femme éternelle, ose méditer sur les deux destins distincts, quoique d’égale dignité, de la femme et de l’homme. Pour elle, la femme tend à s’offrir, à se donner dans la transmission, quitte à s’effacer. Elle privilégie le temps… C’est une passeuse de vie, et de culture. L’homme, quant à lui, a tendance à se consumer dans sa “mission”, à vivre dans l’instant présent, quitte à se mettre en avant exagérément. Attribuer aux femmes une propension à la générosité, déduite de l’expérience maternelle, hérisse le poil des ultra-féministes. Serait-il indécent de rendre hommage, en ce 8 mars, au cadeau de la vie que nous ont fait les femmes ? Et s’il y avait deux générosités réciproquement fécondes ? L’une masculine, l’autre féminine. Avec, pour chacune le revers de la médaille. L’homme risque de se défigurer en tombant dans un nombrilisme narcissique ; la femme peut la perdre en sombrant dans une dérive sacrificielle. L’un et l’autre ont besoin de l’autre sexe pour découvrir leur identité spécifique.

Et l’enfant dans tout ça ? Il a besoin des deux. Et le sait parfaitement. L’an dernier, nous avons organisé des « groupes quali » pour mieux comprendre l’appréhension que les jeunes avaient de la différence sexuelle. Ils furent composés de jeunes de 17 à 24 ans issus de toutes les configurations familiales. Ce qui m’a le plus frappé fut d’entendre ces jeunes, interviewés de façon neutre, qualifier les mots « mère » et « père » (même quand ils n’avaient pas connu les leurs) de façon complètement complémentaire. Autrement dit, les champs lexicaux de la paternité et de la maternité sont extraordinairement typiques et différents. Tous nés d’un père et d’une mère : faut-il être coupé du réel, voire du bon sens, pour avoir à démontrer désormais que l’enfant a besoin de leur complémentarité ! Elle est simplement précieuse. Non pas sur le mode de la guerre des sexes, mais de leur harmonie, et – osons un gros mot – de leur amour.

(1)Texte complet à partir duquel Tugdual Derville est intervenu le 8 mars 2014, à la Mutualité à Paris, dans le cadre des conclusions du Grenelle de la Famille

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