Décodeur n°38 – «Le procès en assises du Docteur Bonnemaison»

11/06/2014

Le décryptage d’Alliance VITA sur l’actualité judiciaire : « Le procès en assises du Docteur Bonnemaison »

 

L’EVENEMENT 

Le procès du Dr Nicolas Bonnemaison s’ouvre ce mercredi 11 juin 2014 à la cour d’assises de Pau. Ce médecin urgentiste de Bayonne est poursuivi pour « empoisonnement sur personnes particulièrement vulnérables », des patients âgés proches de la fin de vie. Le procès pourrait durer plus de deux semaines.

 

LE CHIFFRE

Sept cas sont au cœur de la procédure : cinq femmes et deux hommes. Hospitalisées dans une unité du service des urgences de l’hôpital de Bayonne où le Dr Bonnemaison travaillait, ces personnes sont décédées peu après leur admission, entre mars 2010 et juillet 2011.

 

LE DEROULEMENT DE L’INSTRUCTION

 

1)    La mise en examen en août 2011

–        Le 11 août 2011, en pleine période estivale, une dépêche AFP annonce qu’un « médecin du centre hospitalier de Bayonne a été placé en garde à vue », avec ouverture d’une information préliminaire pour « homicide volontaire avec préméditation ». Ce médecin est soupçonné d’avoir euthanasié au moins quatre patients âgés, considérés comme proches de la fin de vie, au cours des cinq mois précédents dans le service des urgences de l’hôpital. « Ces faits ont été signalés par des agents de ce service à leur hiérarchie, qui a pris la décision d’alerter la police ». Une cellule d’appui psychologique a été mise en place pour ces membres du personnel.

–        Le même jour, le ministère de la Santé annonce parallèlement l’ouverture d’une enquête administrative de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) « sur les conditions du décès de personnes hospitalisées à Bayonne », avec un rapport attendu dans les deux mois.

–        Le 12 août, le Dr Bonnemaison, âgé de 50 ans et qui a reconnu les faits, est mis en examen pour « empoisonnement commis sur des personnes particulièrement vulnérables ». Cette nouvelle qualification des faits permet de préciser la nature des actes commis, mais ne modifie pas leur gravité puisqu’il s’agit de « crime passible de la réclusion criminelle à perpétuité ».

Le Dr Bonnemaison est laissé en liberté sous contrôle judiciaire, assorti de plusieurs conditions dont l’interdiction d’exercer sa profession, l’interdiction de communiquer avec les parties concernées  et le changement de résidence hors du département des Pyrénées-Atlantiques.

 

2)    Des réactions passionnées et contradictoires dans les jours qui suivent

a)  Une affaire « extrêmement grave » pour certains

–        L’hôpital de Bayonne annonce immédiatement  avoir « pris contact avec les familles des personnes décédées » et souligne que « la direction, la communauté médicale et l’ensemble du personnel [sont] bouleversés par cette situation ».

–        Pour le procureur-adjoint de Bayonne, « les faits sont d’une extrême gravité » et ne se situent « absolument pas » dans le cadre de la loi Leonetti de 2005 sur la fin de vie.

–        Réagissant à cette affaire, qu’il qualifie « d’extrêmement grave », le président de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF), Patrick Pelloux, se félicite de l’ouverture de l’enquête de l’IGAS, car « le corps médical a besoin de comprendre ce qui s’est passé ». Il ajoute que « tout le monde a été sidéré par cette annonce, et le personnel a eu raison d’alerter sa hiérarchie car la médecine n’est pas au-dessus des lois ». Il s’inquiète du retentissement de l’affaire : « il faut faire attention à ne pas s’engager dans des réactions émotionnelles qui reviendraient à demander la légalisation d’un ‘permis de tuer’  toute personne âgée arrivant dans un service d’urgence ».

b)  Une affaire « qui justifie de légaliser l’euthanasie » pour d’autres

–        L’avocat du Dr Bonnemaison, Me Arnaud Dupin, lance d’emblée de son côté le débat sur l’euthanasie : il affirme que son client « a abrégé les souffrances de patients, conformément au serment qu’il a prêté », et que « son geste est hors la loi car jamais le législateur n’est allé au fond des choses ».

–        Jean-Luc Romero, le président de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), réagit dans le même sens : « cette affaire montre, une nouvelle fois, l’urgence d’une loi légalisant l’euthanasie ».

–        Outre une manifestation de solidarité organisée par une partie du personnel devant l’hôpital, une pétition au ministère de la Santé est lancée sur internet visant à apporter un « soutien inconditionnel » au médecin. Elle va recueillir près de 50 000 signatures en quelques semaines. De même, un groupe Facebook est ouvert sous le titre « Soutien à Nicolas Bonnemaison ».

 

3)    Une instruction qui a duré trois ans

–       Le 6 septembre 2011, le parquet de Bayonne prend un réquisitoire supplétif sur trois autres cas « d’empoisonnements criminels » à l’encontre du Dr Bonnemaison, à la suite des auditions menées par la police judiciaire. En octobre, un nouveau cas d’euthanasie présumée est mis en lumière, ce qui porte à huit le total de décès suspects.

–       Au cours de ce même mois de septembre, l’Ordre des médecins des Pyrénées-Atlantiques refuse de porter plainte contre le Dr Bonnemaison, contre l’avis de son président qui démissionne. Par contre, le Conseil national de l’Ordre des médecins dépose plainte devant sa juridiction régionale compétente, la chambre disciplinaire de l’Aquitaine.

–       Fin septembre 2011, la famille d’une patiente de 86 ans, décédée en avril, se porte partie civile contre le Dr Bonnemaison (le fils d’une autre victime le fera également, juste avant le début du procès).

–        En novembre 2011, le ministre de la Santé engage une procédure disciplinaire et prononce à titre conservatoire la suspension immédiate du Dr Bonnemaison ; il rend compte par ailleurs des conclusions du rapport de l’IGAS : celui-ci évoque un neuvième décès suspect (qui ne sera finalement pas retenu) et mentionne « des dysfonctionnements organisationnels » au sein du service des urgences, « mais qui ne présentent pas de liens avec les évènements » concernant la procédure judiciaire.

–        En janvier 2013, le Dr Bonnemaison est radié de l’ordre des médecins, par décision de la chambre disciplinaire de l’Ordre régional des médecins d’Aquitaine. La sanction, la plus grave possible, est prononcée en raison de « la gravité et du caractère répété » des manquements déontologiques relevés. Près de 250 médecins écrivent alors une lettre ouverte à l’Ordre des médecins et au Président de la République, dans laquelle ils réclament la suspension de la radiation. Cette radiation est confirmée en appel en avril 2014, au niveau national de l’Ordre des médecins.

–        En août 2013, le procureur de la République de Bayonne (le « parquet ») remet son réquisitoire définitif et demande le renvoi en assises pour huit cas d’empoisonnement.

–        En octobre 2013, les deux juges d’instruction chargés de l’affaire rendent leur ordonnance de règlement : ils renvoient officiellement le Dr Bonnemaison devant la cour d’assises des Pyrénées-Atlantiques pour l’empoissonnement de sept patients en fin de vie, estimant finalement que pour une des huit personnes décédées, « l’infraction n’était pas caractérisée ».

 

LE DEROULEMENT PREVU POUR LE PROCES

Le procès de Pau, comme tout procès en assises, est organisé selon les règles établies par le code de procédure pénale. Compte tenu du nombre de cas examinés et de la complexité de l’affaire, le procès pourrait durer plus de deux semaines. Les principales étapes devraient être en principe les suivantes :

–        Après l’appel du jury, des témoins et des experts, les faits à l’origine du procès seront exposés. Puis le rapport sur la personnalité du Dr Bonnemaison sera lu, et il sera procédé à son interrogatoire sur ces faits.

–        Suivra l’examen des conditions de chaque décès et du rôle du Dr Bonnemaison dans leur survenue : pour chaque personne décédée, seront entendus les témoignages du personnel de l’hôpital et ceux d’un ou plusieurs membres de la famille concernée

–        Puis auront lieu de nombreuses auditions de médecins urgentistes, d’experts ou de spécialistes pouvant éclairer le tribunal sur la portée des actes commis, sur les « bonnes pratiques » dans les services d’urgence des hôpitaux, sur l’environnement médical et social des personnes âgées en fin de vie, etc.

–        Plusieurs personnalités nationales ont été annoncées, appelées à témoigner à la demande de l’une ou l’autre des parties. Compte tenu des prises de position déjà exprimées dans les médias ces derniers mois, on peut s’attendre à des débats importants sur le thème « pour ou contre la légalisation de l’euthanasie en France ». Sont notamment attendus :

  • Jean Leonetti, député et auteur de la loi de 2005 sur la fin de vie qui est au cœur des enjeux de ce procès ;
  • Didier Sicard, auteur du rapport sur la fin de vie remis au Président de la République fin 2012 ;
  • Jean-Claude Ameisen, président du Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), qui a également rédigé un avis sur cette question mi-2013 ;
  • Bernard Kouchner, ancien ministre de la santé ;
  • Michèle Delaunay, députée et ancienne ministre des personnes âgées.

–        Viendront enfin les plaidoiries finales de la partie civile, du parquet et de la défense, avant que le jury se réunisse à huis clos pour délibérer et rendre son jugement.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

 

  1. Communiqué de presse d’Alliance VITA, 11 juin 2014.
  2. La Bataille de l’euthanasie, Tugdual Derville, Editions Salvator, 2012 (pages 17-20)

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