Décodeur n°40 : « Le Rapport Claeys-Leonetti sur la fin de vie »
19/12/2014

Le décryptage d’Alliance VITA sur l’actualité législative : « Le rapport Claeys-Leonetti sur la fin de vie »

 

L’EVENEMENT : remise du rapport Claeys-Leonetti sur la fin de vie

 

Les députés Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) ont remis le 12 décembre 2014 au président de la République un rapport et une proposition de loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Celui-ci a annoncé qu’un débat sans vote aurait lieu à l’Assemblée nationale – débat programmé au 21 janvier 2015 -, puis qu’une proposition de loi serait soumise au Parlement en vue d’un vote, à une date non encore déterminée.

L’objectif central et le fil conducteur de ces textes, c’est de renforcer l’autonomie de décision du patient, de donner priorité à sa volonté sur celle du médecin. Dans ce but, deux nouveaux droits sont proposés : celui de rendre les directives anticipées contraignantes, et celui de pouvoir exiger une « sédation profonde et continue jusqu’au décès ».

Le risque majeur de ces deux dispositifs, combinés au droit du patient d’exiger l’arrêt des traitements, serait d’aboutir à multiplier les pratiques d’« aide à mourir ». Dans ce contexte, provoquer volontairement et rapidement le décès de patients, y compris quand ils ne sont pas en fin de vie (notamment par une sédation précédée ou suivie d’un arrêt d’hydratation et d’alimentation) relève d’une intention euthanasique masquée mais bien réelle.
 

 

LE CHIFFRE

 

572 000 décès sont survenus en France en 2013, la plupart à la suite d’une maladie ou du grand âge. 60% des personnes meurent à l’hôpital, 28% à domicile, 12% en maison de retraite.

La question de la fin de vie et les conditions d’un « bien mourir » constituent donc un enjeu majeur pour toute la société, en particulier vis-à-vis des personnes les plus fragiles.

 

DES DIRECTIVES ANTICIPEES CONTRAIGNANTES

 

a)    La possibilité d’écrire des directives anticipées existe depuis 2005

 

  • La notion de directives anticipées a été introduite dans la loi Fin de vie du 22 avril 2005 et figure à l’article L1111-11 du Code de la santé publique : « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement ». Un décret du 6 février 2006 en précise les conditions d’élaboration et de validité.
  • Ce dispositif vise donc les cas où la personne n’est plus en état de s’exprimer, soit à la suite d’un accident grave, soit en phase finale de l’évolution d’une maladie ou d’un handicap. Il est complété par la possibilité de désigner une personne de confiance (article 1111-6 du Code de la santé publique) : cette personne a pour mission d’être le « porte-parole » de ce que le patient aurait souhaité s’il avait pu s’exprimer, face à telle ou telle situation concrète.
  • Les souhaits du patient ne lient pas formellement le médecin : il en tient compte dans la mesure où il le pense utile pour la santé du patient. Ce dispositif reste jusqu’à présent très peu utilisé : d’après une étude de l’INED de 2012, seules 2,5% des personnes décédées en avaient rédigées.

 

b)    Les directives anticipées deviendraient contraignantes pour le médecin

 

  • La proposition de loi rédigée par les deux députés introduit le principe que les directives s’imposeraient au médecin, sauf dans deux cas d’exception : en cas « d’urgence vitale », par exemple suite à un accident grave de la circulation, ou si ces directives « apparaissent manifestement inappropriées ».  Dans ce cas, le médecin devrait consulter au moins un confrère, motiver sa décision et l’inscrire dans le dossier médical. Le document écrit, actuellement valable trois ans, serait sans limite de durée et révisable à tout moment.
  • La portée de ces directives serait élargie à tous les actes médicaux (de prévention, d’investigation, de soins…), et pas seulement à la limitation ou à l’arrêt des traitements comme c’est le cas aujourd’hui. Pour faciliter la rédaction des directives et les rendre plus accessibles, un modèle serait rédigé par l’administration et proposé à tous les Français, et leur existence serait mentionnée sur la Carte Vitale. Le rapport propose également de créer « un lieu de centralisation informatisé et sécurisé des directives anticipées, comme il en existe pour les greffes d’organes ou pour les testaments ».
  • Ces propositions posent au moins deux types de questions. D’une part, ce dispositif ne doit pas aboutir à obliger un médecin à accomplir des actes contraires à sa déontologie professionnelle et à son éthique personnelle. D’autre part, une durée illimitée des directives ouvre de nouveaux dangers : les médecins savent bien qu’une fois confrontés à la maladie, la volonté du patient peut changer ; il peut souhaiter des soins ou accepter des situations dont il ne se serait pas cru capable lors de la rédaction de ses directives, surtout si elles sont anciennes.

 

UN DROIT A LA « SEDATION PROFONDE ET CONTINUE JUSQU’AU DECES »

 

a)    Qu’est-ce que la sédation en soins palliatifs ?

 

–  La sédation consiste à endormir une personne pour supprimer la perception de souffrance. Selon la définition médicale la plus courante, « la sédation est la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté. »

Dans son principe, elle est réversible, temporaire ou définitive, mais on ne meurt pas d’une sédation en tant que telle.

  • L’expression « sédation en phase terminale » concerne la sédation dans les derniers jours ou les dernières semaines de la vie, sans volonté de provoquer la mort, même si les produits utilisés peuvent avoir comme conséquence indirecte un décès plus rapide (mais dans un délai impossible à mesurer précisément). Les recommandations de bonne pratique de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs), qui ont reçu le label de la HAS (Haute Autorité de Santé), se situent dans ce cadre.
  • L’expression « sédation terminale » est par contre utilisée pour exprimer la volonté non seulement d’endormir, mais aussi d’accélérer la survenue de la mort dans un délai rapide, ce qui pose de graves problèmes éthiques. L’Ordre national des médecins, dans un communiqué du 8 février 2013, préconisait ainsi qu’il soit possible de réaliser « une sédation adaptée, profonde et terminale », avec la mise en place d’une clause de conscience.

Ce qui avait entrainé la réaction suivante de l’Académie de Médecine, dès le 28 février 2013 : « dès lors que l’on parle de sédation terminale, le but n’est plus de soulager et d’accompagner le patient, mais de lui donner la mort ».

 

b)    Les risques euthanasiques d’un « droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès »

 

  • Le rapport propose de transformer la possibilité actuelle de sédation (mise en œuvre à la seule initiative du médecin quand les autres moyens de soulagement sont inopérants) en un véritable droit opposable que le patient peut exiger dans certains cas. L’expression « sédation terminale » n’est plus utilisée, mais plusieurs hypothèses évoquées dans le rapport y ressemblent fortement. Cette sédation profonde et continue jusqu’au décès deviendrait en effet obligatoire pour le médecin dans trois cas précis :
  • 1er cas : « A la demande du patient en phase terminale qui présente un syndrome réfractaire pour lequel il demande à ne plus souffrir ». Il s’agit ici d’une personne en fin de vie dont le pronostic vital est engagé à court terme (mais il n’existe pas de définition précise du court terme : quelques heures, quelques jours ? ou plus ?), et les médicaments n’arrivent pas à soulager des souffrances considérées comme insupportables.

Cette situation, en principe exceptionnelle, correspond à l’usage actuel de la sédation en phase terminale, elle ne pose donc pas de problème éthique.

  • 2e cas : « A la demande du patient d’arrêter tout traitement et de ce fait entrant en phase terminale ». Dans cette hypothèse, le patient n’est pas en fin de vie au départ. Il bénéficie de « traitements qui le maintiennent en vie » (M. Leonetti parle de « traitements de survie ») : on peut imaginer par exemple une dialyse pour insuffisance rénale, une chimiothérapie lourde, une alimentation par gastrostomie (alimentation injectée dans l’estomac), une hydratation par perfusion, etc.

Le patient demanderait alors l’arrêt de ces traitements ; en première conséquence de cette décision, son pronostic vital deviendrait engagé à court terme ; en seconde conséquence, le droit lui serait accordé à cette sédation définitive « pour éviter toute souffrance et ne pas prolonger inutilement sa vie » (article 3 de la proposition de loi). L’intention première de ces décisions en cascade est bien de mettre fin à la vie d’une personne, ce qui peut tout à fait relever d’une logique d’euthanasie ou de suicide assisté.

  • 3e cas : « Lorsque la personne est hors d’état de s’exprimer et dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable ». Le rapport vise expressément les personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel (environ 1700 personnes en France). Il propose que « sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient et selon une procédure collégiale », le médecin ait l’obligation de suspendre ou de ne pas entreprendre les traitements qui « n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » (article 2 de la proposition de loi).

En conséquence de cette décision, le droit à une sédation profonde et continue serait reconnu. Ainsi, une personne gravement handicapée mais qui n’est pas en fin de vie pourrait rapidement décéder, ce qui relève de la même logique euthanasique que dans le cas précédent.

 

LA LIGNE ROUGE DE L’INTERDIT DE TUER SERA-T-ELLE FRANCHIE ?

 

« Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » (article 38 du Code de déontologie médicale). Cet interdit de tuer constitue une véritable ligne de crête pour la confiance entre soignants et soignés, il exprime une valeur fondamentale de tout le système de santé français. Il n’est en principe pas remis en cause, ni dans le rapport, ni dans la proposition de loi en annexe.

Pourtant, ces textes restent particulièrement ambigus sur ce point fondamental. Quelle est l’intention réelle de leurs auteurs ? Jean Leonetti affirme se limiter à répondre à la demande de nos concitoyens, qui est « de vivre la fin de leur existence  de manière apaisée et sans souffrance », considérant que l’euthanasie et le suicide assisté ont été exclus de sa lettre de mission.

Par contre, Alain Claeys a récemment insisté sur le fait que « pour la première fois, nous parlons d’une aide à mourir, et non plus seulement du laisser mourir » ; les partisans de l’euthanasie peuvent tout à fait se reconnaître dans son refus d’entrer dans le débat philosophique de l’intention de donner la mort ou pas, et dans la suppression la notion du double effet (double action d’un médicament dont le but principal est de soulager, mais qui peut secondairement accélérer la venue de la mort).

En réalité, comme l’analyse le philosophe Damien Le Guay, il y a deux lectures possibles du rapport, aussi différentes que l’intention des deux parlementaires : soit dans l’esprit des soins palliatifs, qui s’interdit de provoquer la mort tout en accompagnant le mieux possible le patient ; soit dans une vision où l’individu doit pouvoir se donner la mort, s’il le décide et quand il le décide. Car le même acte technique peut avoir des significations éthiques profondément différentes, comme le rappelle le Professeur Olivier Jonquet : « prescrire une sédation, un traitement antalgique peut avoir pour finalité soit de tuer, soit de soulager ».

Et il s’inquiète : « la finalité que semble exprimer le texte n’est pas seulement de soulager mais d’aller jusqu’à la mort pour évacuer la peur de la mort en évacuant le mal-mourir. En d’autres termes, et de façon brutale, éradiquer le patient pour éradiquer l’angoisse et la douleur ».

On touche ici des enjeux éthiques majeurs : le communiqué de l’Elysée, suite à la remise du rapport le 12 décembre, affirme que « l’objectif de cette sédation profonde est d’atteindre une altération totale de la conscience, prévenant toute souffrance, y compris celle résultant de se voir mourir ». Cette tendance croissante, constatée dans certains services y compris de soins palliatifs, à privilégier le « confort » du patient au détriment de sa « lucidité » pose la question de la liberté et de la conscience  de l’homme acceptant ou refusant d’accueillir sa finitude.

De façon plus précise, de multiples indices dans la rédaction de la proposition de loi (PPL) ouvrent la possibilité d’une interprétation euthanasique des nouveaux droits envisagés. Par exemple :

–  Le changement d’un titre dans le Code de la santé publique (article 7 de la PPL) : au lieu de « Expression de la volonté des malades en fin de vie », le titre deviendrait « Expression de la volonté des malades refusant un traitement et des malades en fin de vie ». Ce qui prouve bien la volonté d’élargir les dispositifs à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, mais à qui on veut pouvoir appliquer la sédation profonde et continue.

–  L’insistance à mentionner à plusieurs reprises la condition du « pronostic vital engagé à court terme » (article 3 de la PPL), alors que les médecins savent que cette notion est très aléatoire et impossible à évaluer précisément, chaque cas étant particulier. Et donc que cela donnera lieu à des interprétations qui seront autant de portes ouvertes pour accélérer la survenue du décès.

–  Qui va définir les « traitements qui n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie » (article 2 de la PPL) ? Quantité de traitements médicaux contribuent à maintenir en vie, mais est-ce pour autant un « maintien artificiel » ? En inscrivant dans ce même article que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement », va-t-on considérer celles-ci comme une obstination déraisonnable à laquelle il faut mettre fin ? Cette interprétation extensive de la loi de 2005 a toujours été contestée par Alliance VITA.

–  En cas de demande de sédation liée à un arrêt de traitement, pour une personne qui n’est pas en fin de vie, quelle sera la marge de manœuvre du médecin ? Le rapport insiste : « Le médecin sera tenu d’accomplir les actes médicaux nécessaires à partir du moment où les conditions légales sont réunies ». Aucune clause de conscience n’est envisagée, alors qu’il sera demandé au médecin un geste qui pourrait s’opposer à ses convictions éthiques.

 

Beaucoup de questions méritent donc d’être approfondies avec les professionnels de santé, en particulier ceux travaillant dans des services de soins palliatifs. Avant tout débat législatif, il est nécessaire que les définitions évoquées soient clarifiées, à partir de situations médicales concrètes, en expliquant ce qui deviendrait possible et ce qui resterait interdit. D’autant qu’en ouvrant la boîte de Pandore de la discussion parlementaire, le président de la République prend un risque important : celui qu’une majorité de circonstance vote des amendements validant explicitement l’euthanasie ou le suicide assisté.

En réalité, il n’est pas indispensable de modifier la loi fin de vie pour améliorer la prise en charge médicale et l’accompagnement des patients en fin de vie. Deux types de mesures seraient suffisantes : d’une part, un nouveau plan de développement des soins palliatifs, tel qu’annoncé par le président de la République (promis depuis juillet 2012, mais jamais mis en œuvre jusqu’à présent) ; d’autre part, l’actualisation de certaines « recommandations de bonne pratique », ces normes établies par la Haute Autorité de Santé qui aident les professions médicales à bien remplir leurs missions.

 

NOTRE COUP DE COEUR

 

En réponse au risque de voir l’euthanasie et/ou le suicide assisté introduits en France, le Collectif « Soulager mais pas tuer » s’est créé en novembre 2014. Il rassemble des professionnels et des usagers de la santé, notamment des médecins, des acteurs des soins palliatifs, des personnes handicapées, etc. Alliance VITA en est un des principaux partenaires.

Parrainé par Philippe Pozzo di Borgo, qui a inspiré le film Intouchables, le mouvement a déjà réalisé plus de 60 rassemblements dans toute la France, dont celui de Paris sur le Parvis des Droits de l’Homme le 10 décembre dernier avec plus de 500 personnes.

Une importante pétition alerte nos concitoyens et les invite à s’unir autour de l’objectif suivant : la France doit s’engager à accompagner les personnes malades, dépendantes ou en fin de vie dans le respect de leur dignité, en maintenant l’interdiction de toute forme d’euthanasie et de suicide assisté.

 

NOTRE COUP DE GUEULE

 

Le Premier ministre a bien résumé, le 16 décembre dernier devant les députés socialistes, la stratégie du gouvernement sur la question de la fin de vie : « l’important est qu’on avance », quitte à le faire « par paliers progressifs » et en surmontant les « conservatismes ». Le risque est grand, en effet, de diviser à nouveau profondément les Français sur ce sujet très sensible. Avec le président de la République, Manuel Valls affiche donc une volonté de consensus et refuse d’utiliser les mots « qui fâchent », comme euthanasie et suicide assisté.

L’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) s’en offusque dans les médias, mais en réalité elle dispose des relais puissants au Gouvernement et au Parlement pour continuer à faire avancer ses idées.

La détermination de Manuel Valls sur cette question, il faut en être convaincu, n’a pas changé ces dernières années. Elle était manifeste lors de la présentation d’une proposition de loi du Parti Socialiste visant à légaliser l’euthanasie, le 19 novembre 2009, alors qu’il déclarait en tant que rapporteur de la commission des affaires sociales sur ce texte : « Plutôt que de chercher un consensus impossible, les signataires du présent texte préfèrent revendiquer leur différence en affirmant le principe d’un droit général à l’euthanasie, d’une véritable aide à mourir. »

Alliance VITA met en garde contre cette volonté de faire passer l’euthanasie progressivement, par étapes successives et sans le dire clairement. Mélanger, dans une même expression, des pratiques légitimes et d’autres euthanasiques induit une confusion lourde de conséquences. La sédation profonde et continue constitue bien une « euthanasie masquée » si l’intention est de provoquer la mort du patient. Elle correspondrait alors à une première étape vers la légalisation plus explicite de l’euthanasie ou du suicide assisté en France.

loi leonetti mission claeys-leonetti sur la fin de vie