Délit d’entrave IVG : le Conseil constitutionnel défend la liberté d’expression
11/04/2017

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La loi du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG a été validée par le Conseil constitutionnel, mais avec d’importantes réserves qui donnent a posteriori raison à ceux qui contestaient le texte au nom de la liberté d’expression et d’information.

L’Assemblée nationale avait voté le 16 février 2017 la version définitive de la loi, dans le cadre d’une procédure accélérée engagée par le gouvernement qui voulait absolument aboutir avant la fin de la législature (fixée à fin février, compte tenu de l’élection présidentielle).

Le contenu de la proposition de loi initiale, les premiers débats, ainsi que les enjeux juridiques et éthiques posés par ce texte font l’objet du Décodeur n° 48 du 6 décembre 2016 « IVG : les députés votent le délit d’entrave numérique ».

 

L’essentiel de la nouvelle loi (en bleu italique, les ajouts finalement votés)

L’article L. 2223-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables prévus par les articles L. 2212-3 à L. 2212-8 par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse :

« 1° Soit en perturbant l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ;

« 2° Soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »

 

Les deux réserves du Conseil constitutionnel, contenues dans sa décision du 16 mars 2017, portent essentiellement sur les risques d’atteinte à la liberté d’expression et de communication.

Elles visent un point clé recherché par le nouveau texte, à savoir l’extension considérable du champ d’application du délit d’entrave. Auparavant, les pressions, menaces ou actes d’intimidation devaient s’exercer dans les lieux où peuvent se réaliser des IVG. Désormais, le délit peut être constitué à l’égard de « toute personne cherchant à s’informer sur une IVG, quels que soient l’interlocuteur sollicité, le lieu de délivrance de cette information et son support ».

La 1ère réserve du Conseil constitutionnel est la suivante : « la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation ».

Les sites internet, qui constituaient la cible principale du gouvernement, ne pourront donc pas être attaqués en justice pour les informations qu’ils contiennent, puisque personne n’est obligé de consulter un site internet pour y chercher des informations.

La 2ème réserve concerne le fond du dispositif mis en place : « le délit d’entrave (…) ne saurait être constitué qu’à deux conditions : que soit sollicitée une information, et non une opinion ; que cette information porte sur les conditions dans lesquelles une IVG est pratiquée ou sur ses conséquences et qu’elle soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière. »

Pour que l’on puisse prouver ce nouveau délit, il faudrait que chacun de ces termes soit clairement défini et qu’il existe un référentiel. Or ce n’est pas le cas, spécialement pour les conséquences de l’IVG.

De multiples questions se posent. Comment faire la juste différence entre une information et une opinion ? Quand, par exemple, la ministre de la santé Madame Rossignol affirme devant les députés que l’IVG n’interrompt pas une vie, est-ce une information ou une opinion ? Le juge sera-t-il l’arbitre de l’importance des conséquences physiques ou psychologiques d’une IVG ? Et comment déterminer le niveau de compétence à partir duquel une personne sera considérée comme pouvant être condamnée ? Qui va établir que cette personne détenait une forme d’autorité pouvant conduire à une pression ?

Il faut donc s’attendre soit à l’inapplication de cette loi, soit à des procès qui inévitablement mettront en cause la liberté d’expression et de communication.

Pour mémoire, Alliance VITA a déposé le 17 février 2017 une requête devant le tribunal administratif de Paris contre le ministère de la Santé concernant les informations inexactes ou non objectives sur l’avortement qui figurent sur le site officiel dédié à l’IVG.