Débat sur la PMA et la GPA : Tugdual Derville, invité de Sud Radio

25/01/2018

Tugdual Derville était l’invité de Philippe David sur Sud Radio, le 23 janvier 2018, face à Martine Segalen, ethnologue et sociologue, et Pascal Neveu, psychanalyste, dans l’émission « Prenez la parole », pour débattre de la PMA et la GPA, alors que les Etats généraux de la bioéthique viennent de s’ouvrir.

Extraits de l’intervention de Tugdual Derville :

[En réponse au sondage paru dans La Croix le 3 janvier 2018, sur “Les Français et la bioéthique”]Les Français sont généreux, leur état d’esprit compassionnel ; lorsqu’on demande s’ils sont favorables à un droit, ils répondent oui ; lorsqu’on demande aux mêmes Français si un enfant né par PMA a le droit d’avoir un père et une mère (sondage Opinionway de septembre 2017), ils répondent oui à 72%. Ils sont perdus, car ils ne sont pas allés sur le terrain de ces sujets.

[La PMA] est une revendication extrêmement profonde, liée au désir d’enfant ; les désirs se font tellement forts que la conscience est comme anesthésiée. Nous disons pour les femmes et pour les enfants que la société s’honore d’avoir des lois qui protègent les faibles des forts.

Alliance Vita vient de lancer une pétition auprès du président de la République, pour demander que l’enfant soit protégé du grand marché mondialisé ou étatisé de la procréation. La France doit continuer à résister à la marchandisation du corps ; je ne vends pas mon sang, mon rein, même les gamètes, contrairement à ce qui peut se passer à l’étranger (comme on le voit avec la montée de la vente d’ovocytes en Espagne, avec la croissance de la misère, alors que c’est un prélèvement chirurgical lourd, voire dangereux pour les femmes).

Quand une femme qui porte un enfant pendant neuf mois, avec toutes les interactions si importantes [in utero] qu’on connaît maintenant, va devoir ne pas investir sa grossesse, et se séparer [de son bébé] ; que va-t-elle dire aux enfants qu’elle a déjà ?  Que celui-là, on va le donner ? On ne donne pas un enfant, un enfant n’est pas une chose, c’est une personne, il s’accueille inconditionnellement. La GPA ne peut pas être altruiste, elle est forcée par des conditionnements.

La société vient aider les familles en difficulté, les familles monoparentales, les enfants orphelins : il faut reconnaître leur souffrance et les accompagner. Mais c’est autre chose de créer de toute pièce la souffrance de cette séparation, cette rupture d’avec la moitié du patrimoine biologique, avec en plus des imbroglios juridiques très compliqués. On aboutit à un système d’éclatement de la procréation, entre donneurs, géniteurs, parents éducatifs… avec une multiplicité de parents.

Sur la PMA, j’ai ressorti cette affiche publiée par Act Up : “Je veux du sperme, pas d’un mec”. Je ne me sens pas, en tant qu’homme, respecté dans ce genre d’affiche ; on ne peut pas réduire un homme, une paternité, au sperme qu’on balancerait comme ça à droite et à gauche. (…) La revendication de la PMA pour les femmes s’exprime comme ça aujourd’hui ; au lieu d’accueillir la paternité, alors que la société souffre énormément de la rupture avec les pères, on va créer des enfants délibérément coupés de pères.

Il y a des interdits qui ne souffrent pas d’exception ; sinon ça ruine la règle même.

Le désir d’enfant, de transmission, de prolongement de toute sa vie, est un des désirs les plus beaux, les plus forts de l’humanité. Il faut respecter les désirs, les entendre. Pour autant, la loi est là pour réguler les désirs des plus forts pour protéger les faibles. C’est là que la question se pose. Est-ce qu’il est légitime, pour répondre à un désir, qu’un enfant soit privé d’un père ou d’une mère ?  À nos yeux non, car la parité dans l’engendrement est un principe d’écologie humaine. Nous sommes tous issus d’un père et d’une mère, sur le plan génétique ; c’est un des fondamentaux de notre identité d’hommes et de femmes.

Si nous décidons que nous nous affranchissons de cette règle, et cela va bien au-delà des demandes des personnes homosexuelles, si on dit qu’on peut avoir un bébé en demandant du sperme, comment l’Etat va-t-il organiser les choses ? On va faire des banques de sperme ? On va demander une “masturbation citoyenne” aux citoyens de sexe mâle, pour qu’ils puissent donner leur sperme aux femmes? Résultat : marché étatisé, on tombe dans du Orwell. L’état va prendre la main sur des stocks de gamètes, et au lieu de faire des bébés sous la couette, comme ils en ont le plus besoin, on va organiser un marché étatisé de la procréation ! Il faut au moins qu’on respecte la parité homme-femme dans l’engendrement, qui est vraiment la ligne rouge à ne pas franchir sous peine de basculer dans ce grand marché, c’est très “casse-gueule” pour l’humanité.

La France a des valeurs particulières, c’est le pays des Droits de l’Homme ; elle reconnaît la dignité de la personne. Elle sait lutter contre la prostitution. C’est ce qu’on demande au président Macron : d’affirmer que l’enfant est au cœur de sa politique. Aux Etats-Unis, il y a un marché d’occasion de l’enfant adopté ; si les enfants adoptés ne plaisent pas aux parents, ils peuvent les “refiler” sur internet… C’est quand même incroyable ! En France, c’est différent.

Nous considérons que cette rupture programmée [de la GPA] est en elle-même une injustice, quelles que soient les conditions et le supposé encadrement. L’enfant a besoin d’avoir une unité de la maternité, pas d’une maternité éclatée entre plusieurs femmes. C’est une atteinte grave à l’enfant que de le séparer de sa mère à la naissance. Il a envie de goûter le sein de sa mère ; il a besoin de l’odeur de sa mère : quid de l’allaitement, du peau à peau (parfois pratiqué avec les commanditaires) ? La maternité est un continuum, l’enfant naît dans un écosystème avec des interactions très fortes. Cette séparation est d’une violence inouïe. C’est une grande injustice pour l’enfant.

Attention, l’amour peut être un preneur d’otage ; on peut aimer beaucoup un enfant, s’en occuper très bien, mais si l’enfant n’a pas le droit de contester l’injustice qui lui a été faite, alors c’est une oppression qu’on lui fait subir. Moi j’attends de voir, à l’adolescence, ce que diront les enfants qui ont été privés de leur père ou de leur mère délibérément.

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