Infertilité et assistance médicale à la procréation : enjeux actuels et propositions
10/09/2019
infertilite

 

En légiférant sur l’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) en 1994, le Parlement français a voulu apporter une réponse aux couples confrontés à l’infertilité.

Cette réponse, qui ne consiste pas à soigner l’infertilité mais à la contourner, a produit progressivement des situations inédites soulevant des questions éthiques majeures, autour de la conservation des embryons surnuméraires et leur utilisation par la recherche ou de l’expression de souffrances d’enfants nés suite à un don anonyme de gamètes.

A la veille de la révision de la loi bioéthique de 2011, de nouvelles revendications minoritaires émergent portant sur l’extension de l’AMP à des femmes sans partenaire masculin, et également sur l’autoconservation ovocytaire dite de précaution pour des jeunes femmes sans pathologie d’infertilité.

Ce dossier vise à synthétiser les enjeux actuels autour de l’infertilité, à mettre en lumière les dangers du « tout PMA » et à présenter nos principales propositions. La véritable urgence est que le législateur donne priorité à la mise en oeuvre d’une véritable politique sanitaire de lutte contre l’infertilité.

 

I – L’infertilité, un enjeu sanitaire majeur

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’infertilité est définie par l’absence de grossesse après plus de 12 mois de rapports sexuels réguliers sans contraception.

Les observateurs de l’INSERM constatent que les consultations surviennent très vite. Les techniques de maitrise de la fécondité ont rendu les personnes plus anxieuses et impatientes quand l’enfant tarde à venir.

L’infertilité est devenue un enjeu sanitaire majeur. 1 couple sur 6 consulte (d’après une étude conduite en 2008 par les épidémiologistes et démographes Henri Léridon et Rémy Slama, Inserm) , et 1 sur 10 poursuit des traitements.

  • On observe une augmentation de l’infertilité masculine ces 50 dernières années. En un demi-siècle, la densité2 des spermatozoïdes aurait diminué de moitié chez les Occidentaux. Les scientifiques attribuent la croissance de l’infertilité à des facteurs environnementaux (pesticides et pollution) ou aux modes de vie (tabagisme, sédentarité, etc.).
  • Par ailleurs, l’âge de la maternité ne cesse de croître, ce qui a pour conséquence de majorer le nombre de consultations pour infertilité.
  •  

II – Les limites techniques de l’assistance médicale à la procréation (AMP)

La principale réponse à une infertilité médicalement constatée est aujourd’hui constituée par l’AMP, l’ensemble des traitements ou techniques permettant la procréation en dehors du processus naturel. Ils ne restaurent pas la fertilité mais visent à pallier l’infertilité des couples dans des situations d’infertilités médicalement constatées (que la cause soit identifiée ou non).

  • On peut distinguer 2 techniques principales : L’insémination artificielle (25% des enfants nés par AMP en France) : recueil du sperme du conjoint puis introduction par un médecin dans le col utérin de la femme. L’insémination avec tiers donneur est autorisée en France depuis la loi bioéthique de 1994.
  • La Fécondation In Vitro (FIV) (75% des enfants nés par AMP en France) : après stimulation ovarienne et ponction des ovocytes sous anesthésie, rapprochement in vitro, hors du corps de la femme, de l’ovocyte et de spermatozoïdes préalablement prélevés. Ovocyte et spermatozoïdes peuvent être ceux des conjoints, ou de donneurs. L’ICSI est l’injection d’un seul spermatozoïde dans le cytoplasme de l’ovocyte (à l’intérieur de l’ovule).
    •  

Ces techniques sont contraignantes physiquement et psychologiquement, pour la femme et le couple.

Près de la moitié des couples qui y ont recours n’auront pas d’enfant à l’issue.

 

III – Les principales questions éthiques et humaines actuelles

Disjonctions dans le processus de la procréation : de multiples questions éthiques

Les techniques d’AMP introduisent des « disjonctions » : elles rompent le continuum de la procréation en l’éclatant. Le Comité Consultatif National d’éthique a analysé les multiples questions éthiques soulevées à chaque étape de dissociation du processus de procréation.

Surproduction d’embryons : toujours plus

La fécondation in vitro entraîne la surproduction d’embryons dits surnuméraires et leur congélation. Aujourd’hui 223 836 embryons surnuméraires sont stockés congelés, dont un tiers ne font plus l’objet d’un « projet parental ». Cette situation interroge sur le respect de l’embryon humain et place les parents devant des choix difficiles, souvent non anticipés sur le devenir de leurs embryons. Ces embryons peuvent être donnés à la recherche, donnés à un autre couple ou détruits au bout de cinq ans de conservation. Le procédé de congélation des embryons n’est pas sans incidence sur l’ordre des générations ; il bouleverse le temps. Des embryons créés en même temps peuvent finalement naître à des dizaines d’années de différence.

Le nombre d’embryons congelés ne cesse d’augmenter (+20% depuis 2011), alors que la loi de bioéthique prévoyait de limiter le nombre d’embryons conservés.
Impact du don de gamètes : la levée de l’anonymat en question

L’assistance médicale à la procréation pose également la question du don de gamètes, qui prive délibérément l’enfant de la moitié de ses origines biologiques. Environ 1 300 enfants naissent chaque année par don de gamètes (ovocytes ou sperme). Les gamètes sont porteurs de patrimoine génétique.

L’anonymat du don, garanti en France, entre en contradiction avec le principe d’indisponibilité du corps et le droit à connaître ses parents. Compte tenu des enjeux éthiques et humains, la loi exige des parents qui recourent au don de gamètes de produire un consentement devant le notaire pour garantir à l’enfant ainsi né d’avoir un père et une mère.

Les débats sur la levée de l’anonymat en matière de procréation artificielle changent de nature avec le développement des méga-bases de données médicales. Un Français de 34 ans, né par insémination avec donneur, a retrouvé son père biologique en utilisant un test génétique effectué auprès d’une société américaine, rendant la levée de l’anonymat rétroactive.

La levée de l’anonymat ne supprime cependant pas l’injustice d’une filiation confuse et éclatée.

Autoconservation des ovocytes : nouvelles pressions sur les femmes

La congélation de ses propres ovocytes, pour une femme, est actuellement possible dans deux situations :

      • en cas de traitement lourd pouvant altérer la fertilité (exemple : cancer),
      • dans le cadre d’un don volontaire.

Réaliser une ponction ovarienne n’est en effet pas dénué de risques pour la santé, et des effets secondaires légers (8 à 14%) ou graves (0,7%) sont à déplorer.

Des professionnels de la procréation, principalement, revendiquent la possibilité pour des femmes jeunes de pouvoir congeler leurs ovocytes « par précaution », sans pathologie liée à l’infertilité, pour être assurées d’avoir des enfants plus tard.

Cette pratique est en réalité une fausse bonne idée : ce n’est pas une assurance maternité et elle aboutirait à de nouvelles pressions sur les femmes.

Pression accrue vers la médicalisation du corps féminin

Le CCNE avait donné un avis défavorable en 2017 en soulignant que « les ovocytes prélevés « jeunes » seraient intégrés après leur fécondation dans un corps qui, lui, aurait vieilli », sans assurance de poursuite d’une grossesse sachant qu’après l’âge de 40 ans les possibilités de grossesse par AMP sont très réduites.

Le volte-face du Comité dans l’avis 129 en septembre 2018 n’a rien d’éthique : il a provoqué des positions divergentes en son sein. Par cette mesure, contrairement à ce qu’avance ce Comité, les femmes perdraient leur autonomie procréative en devenant toujours plus tributaires de la technique.

Ce que cache cette mesure, c’est la volonté de générer des stocks d’ovocytes qui vont continuer d’alimenter des espoirs bien souvent illusoires de grossesses tardives, sachant que le don d’ovocytes n’est pas sans risque pour la donneuse et la receveuse. Le risque de pré-éclampsie, qui est un risque obstétrique majeur pour la mère et pour l’enfant, est multiplié en cas de grossesse tardive. Il l’est encore plus en cas de don d’ovocytes, et encore plus en cas de double don. Les grossesses avec don d’ovocytes ne sont pas des grossesses standards au regard des problèmes immunologiques qu’elles suscitent, qui ne sont pas sans risque pour la femme.

Pression économique

Les sociétés Apple et Google ont provoqué une forte réprobation en France à l’annonce de leur décision de rembourser cette congélation à leurs employées américaines pour procréer plus tard, et ainsi se servir de leur force de travail alors qu’elles étaient encore jeunes.

Cette pratique nous met devant un enjeu majeur d’entrave à la maternité par la pression socio-économique.

La ministre de la Santé elle-même s’alarme d’une telle proposition qui mettrait une pression sur toutes les femmes qui pour la plupart pourront avoir des enfants naturellement le moment venu.

Comme Alliance VITA l’a déjà préconisé lors de la révision de la loi bioéthique en 2011, il est nécessaire de faire des campagnes d’information auprès des jeunes filles et garçons, les alertant sur l’importance de connaître l’horloge biologique et le fait d’avoir des enfants dans leur période de fertilité, relativement jeune. La prévention de l’infertilité passe par une information réaliste sur la fertilité et un réel engagement politique pour favoriser les conditions sociales qui permettent aux femmes jeunes de concilier études plus ou moins longues, entrée dans la vie professionnelle et maternité.

 

IV – Les questions liées aux revendications de recours à l’AMP hors infertilité médicale

Le principe de précaution s’impose par rapport aux revendications actuelles de légaliser l’insémination ou la FIV avec donneur hors infertilité pour des femmes sans partenaire masculin, qu’elles soient seules ou à deux. Les conséquences préoccupantes d’une telle évolution sont en effet multiples.

Suppression de la condition actuelle d’infertilité

Une des conséquences immédiates, si la loi était modifiée dans ce sens, n’a pas été assez étudiée jusqu’à présent : l’AMP devrait alors devenir accessible à tout adulte sans restriction, puisqu’il n’y aurait plus aucune raison de maintenir la cause d’infertilité médicale pour les couples composés d’un homme et d’une femme. Au nom de l’égalité « par ricochet », on ne voit pas en effet pourquoi les conditions resteraient plus restrictives pour ces couples, qui devraient ainsi pouvoir exiger une AMP « pour convenance personnelle ».

Effacement de la paternité

Institutionnaliser l’AMP avec donneur sans partenaire masculin conduit à priver par avance de père les enfants ainsi nés.

Pour 93% des Français, les pères ont un rôle essentiel à jouer pour les enfants selon le sondage IFOP sur les Français et la paternité (juin 2018). Pour 61% des personnes interrogées, « il faut privilégier le besoin de chaque enfant d’avoir un père en réservant la PMA aux couples homme femme ayant un problème d’infertilité ».

On constate donc que la référence aux origines paternelles, non seulement dans l’engendrement mais aussi dans l’éducation, demeure le désir profond des Français pour leurs enfants. Vivre sans l’un des parents qui l’ont conçu (parent absent, décédé, séparation…) n’est pas anodin pour un enfant. C’est la raison pour laquelle la solidarité nationale s’exerce quand un des parents est manquant.

D’une façon générale, il ne faut ni stigmatiser, ni banaliser les situations où les enfants ne bénéficient pas de la complémentarité père/mère.

Basculement vers un marché de la procréation

Sortir l’AMP du contexte médical conduit de façon inéluctable à un basculement vers un « droit à l’enfant » et un marché de la procréation, qu’il soit étatique ou ultralibéral, avec à la clé le risque de marchandisation accrue pour obtenir des gamètes. En Belgique où cette pratique est autorisée et le don est comme en France gratuit, les banques de sperme sont en manque de dons : elles doivent se fournir auprès de banques de sperme payantes danoises pour 80 % des demandes.

Ce marché se nourrit de l’industrialisation des modes de procréation. Il considère les femmes et les hommes comme des fournisseurs de matières premières – ovocytes, sperme, utérus – pour fabriquer des enfants sur commande, voire sur mesure. Avec des exigences croissantes de qualité et la sélection via les outils de diagnostic prénatal et préimplantatoire, la procréation soumise au « marché » ne laisse aucun espoir à la vulnérabilité et l’accueil de personnes handicapées.

L’inéluctable engrenage vers la Gestation pour autrui (GPA) et des mères porteuses

Par effet domino, étendre l’AMP à « toutes les femmes » conduit vers la revendication d’hommes d’accéder à la Gestation pour autrui et le recours à des « mères porteuses », au nom de la non-discrimination entre les femmes et les hommes. Avec la GPA, l’enfant abandonné dès la naissance devient l’objet d’un contrat entre la mère porteuse et les commanditaires, avec toutes les conséquences négatives soulignées par de multiples organismes et personnalités.

Les femmes sont utilisées uniquement pour leurs capacités reproductives, ce qui heurte gravement les principes fondamentaux de non disponibilité et non marchandisation du corps humain.

 

V – Quelles politiques pour demain ?

Les recherches sur l’infertilité et les alternatives au recours à l’AMP sont insuffisantes. Il convient de s’interroger sur les causes de l’explosion de l’infertilité dans nos pays et sur la quasi absence de politique de prévention. Un rapport prévu par la loi bioéthique de 2011 sur les causes de l’infertilité a été rendu en 2012, sans que cela ne soit suivi d’une politique sanitaire volontariste.

  • Renforcer les recherches médicales contre l’infertilité, notamment celles induites par nos modes de vie ou des questions environnementales et celles pour trouver des traitements qui visent à restaurer la fertilité. De nouvelles approches émergent, à partir de l’observation des corps et de leurs rythmes, telles que les naprotechnologies qui pourraient offrir des alternatives à l’AMP et préserver l’autonomie procréative des couples.
    Dans ce but, l’Agence de la biomédecine devrait fournir annuellement un recensement des causes de demandes d’AMP pour orienter la recherche et évaluer des alternatives à l’AMP.
  • Assurer une meilleure information par des campagnes auprès des jeunes
    Comme le recommande le CCNE, « l’information sur la chute de la fertilité des femmes avec l’âge devrait être accessible très tôt à l’ensemble des jeunes », ainsi que « sur les risques d’une grossesse tardive, pour les femmes elles-mêmes et pour l’enfant à naître, sur la diminution du taux de succès des AMP tardives et l’incertitude sur le devenir des enfants nés d’une AMP tardive ».
  • Améliorer les conditions de vie et de travail pour que les couples puissent procréer à un âge plus jeune, comme le recommandent le CCNE et le Comité d’orientation de l’Agence de la Biomédecine. De telles mesures devraient faire l’objet d’un travail approfondi avec les pouvoirs publics, les collectivités locales, les instances médicales et les partenaires sociaux.
  • Préserver la définition originelle de l’AMP : une réponse médicale à une infertilité médicalement constatée. Comme l’a souligné un rapport du Sénat en 2016, supprimer l’exigence de l’infertilité médicale et de l’altérité sexuelle bouleverserait « la conception française de la PMA, en ouvrant la voie à un « droit à l’enfant » et à une procréation de convenance ».
  • Obtenir l’interdiction universelle de la GPA, car il n’existe pas de GPA « éthique ». La France des droits de l’homme doit promouvoir cette initiative au niveau européen, puis mondial, au nom de la non-marchandisation du corps de la femme et du respect de la dignité de l’enfant, qui ne peut être considéré comme une marchandise que l’on pourrait donner ou vendre.

La France n’a pas à s’aligner sur le « moins-disant éthique » : L’idée d’un « droit à l’enfant » est antinomique de la tradition éthique française de non-marchandisation du corps humain et de protection des enfants. Comme avait conclu le Conseil d’État en 2009, la France n’a pas à s’aligner sur le « moins-disant éthique ». La défense du droit de l’enfant est un impératif d’écologie humaine qui transcende tous les clivages. L’État doit assurer la protection du plus fragile contre la loi du plus fort.