Euthanasie au Canada : les inquiétudes justifiées de pente glissante

07/10/2022

Le chercheur Tom Koch, spécialiste en éthique, a analysé comment la situation de l’Aide médicale à mourir (AMM) qui recouvre euthanasie et suicide assisté avait évolué au Canada depuis sa légalisation en 2016. Son étude porte plus particulièrement sur la question de savoir si les inquiétudes des personnes opposées à la légalisation (les sceptiques) s’étaient avérées justes ou sans fondement. Son approche n’est pas philosophique mais basée sur des faits.

Il analyse deux types d’arguments :

  • l’effet probable de « pente glissante » qui verrait les conditions d’accès progressivement élargies et le nombre de décès augmenter;
  • la probabilité que l’euthanasie se substitue aux soins palliatifs, spécialement dans les lieux où ils n’étaient pas développés.
 Premier argument : Les critères d’éligibilité rapidement élargis et la croissance des décès

Le nombre annuel d’euthanasies a crû fortement en 5 ans passant de 1018 à 7589. L’auteur mentionnait que cette augmentation se poursuivait sur 2021. Le dernier rapport statistique, paru après cette étude, fait état de 10 064 décès en 2021 soit 3,3% des décès canadiens et une augmentation de 32% par rapport à l’année précédente.

La loi relative à « l’aide médicale à mourir » votée en 2016, fixe dès le début des critères d’admissibilité larges et subjectifs, d’autant que le médecin ou l’infirmier qui les invoque peut en avoir «une croyance erronée » sans pour autant qu’ils soient condamnables, selon l’article 227(3). Pour avoir accès à l’euthanasie ou au suicide assisté, la personne doit être majeure et « affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables ». Cette expression  signifie notamment que « sa maladie, son affection, son handicap ou le déclin avancé et irréversible de ses capacités lui cause des souffrances physiques ou psychologiques persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables », et que « sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale, sans pour autant qu’un pronostic ait été établi quant à son espérance de vie. » Outre l’avis d’un second médecin ou infirmier praticien, un délai de 10 jours est nécessaire entre la demande écrite d’une personne et la mise en œuvre de l’euthanasie ou du suicide assisté. Ce délai peut être raccourci, à la seule appréciation du personnel médical, si « la mort de la personne ou la perte de sa capacité à fournir un consentement éclairé est imminente ». En cas d’incapacité à dater et signer sa demande « un tiers qui est âgé d’au moins dix-huit ans et qui comprend la nature de la demande d’aide médicale à mourir peut le faire expressément à sa place, en sa présence et selon ses directives. »

En 2021, une nouvelle loi a été adoptée, la loi C 7  qui supprime le critère de fin de vie à brève échéance et le délai de mise en œuvre. En pratique, cet élargissement signifie qu’une personne physiquement handicapée ou atteinte d’une maladie chronique est désormais éligible à l’euthanasie. La loi prévoit qu’il est possible d’effectuer l’euthanasie sur un patient ne pouvant exprimer son consentement final (par exemple s’il est inconscient) et dont la mort est raisonnablement prévisible, dans le cas où celui-ci a fait une déclaration anticipée en ce sens, ou lorsque l’injection létale qu’il s’est lui-même administrée a échoué.

Et la possibilité d’élargir l’euthanasie aux atteintes d’une maladie mentale est actuellement débattue au Canada.

Depuis 2016, les critères d’éligibilité se sont tellement assouplis que les personnes qui ont simplement peur d’éventuelles maladies futures peuvent choisir de mettre fin à leurs jours. Le rapport fait état du cas d’un couple, médiatisé en 2018 : Georges et Shirley Brickendens (Grant, 2018) ont obtenu l’euthanasie non pas à cause de douleurs ou de détresse mais parce qu’ils craignaient une future maladie invalidante.

Dans un rapport récent de la Conférence mondiale sur le cancer du poumon[1], des chercheurs canadiens ont signalé qu’avec l’élargissement de l’accessibilité à l’AMM, “Les patients recherchent cette option malgré la disponibilité d’options de traitement plus efficaces et plus tolérables.».

Deuxième argument : l’euthanasie deviendrait-elle un substitut aux soins palliatifs ?

L’autre sujet d’inquiétude était que l’euthanasie devienne un substitut aux soins palliatifs et à d’autres services de soutien. Les soins palliatifs sont pris ici dans leur sens le plus large pour inclure non seulement la gestion de la douleur mais l’accompagnement des malades chroniques dans leur milieu de vie. Cela peut inclure des soins continus aux personnes atteintes de maladies chroniques (SLA, sclérose en plaques, etc.) qui, avec des soins médicaux et un soutien social appropriés, ne sont pas en fin de vie.

Selon l’auteur, au Canada, le problème pourrait être dû en partie à un manque de spécialistes susceptibles d’expliquer et d’offrir ces thérapies. En effet un rapport[2] de Santé Canada de 2020 sur les raisons invoquées par les patients demandant une AMM, indique que plus de 50 % des répondants ont signalé un contrôle insuffisant de la douleur ou s’inquiètent de la possibilité que leur douleur pourrait devenir incontrôlable ; plus de 50 % ont également donné comme raison le contrôle généralement insuffisant des autres symptômes. Et, enfin, plus de 35 % ont donné comme raison le sentiment d’être un fardeau pour la famille et les amis.

 

En général, le niveau de soins spécialisés et de services de soutien dans la plupart des Etats canadiens est insuffisant. En 2016, la Société canadienne des médecins de soins palliatifs[3] a rapporté que «seulement 15 % des patients qui nécessiteraient des soins palliatifs spécialisés en reçoivent, et que ces soins ne sont souvent reçus que pendant de courtes périodes avant le décès » Une étude ultérieure de 2018 a montré la disponibilité limitée des soins de santé palliatifs dans la plupart des Etats. L’Institut canadien d’information sur la santé (CIHI) a signalé[4] que, selon les données disponibles, « peu de fournisseurs de soins de santé au Canada se spécialisent ou pratiquent principalement les soins palliatifs… »

A l’évidence, les inquiétudes des « sceptiques » étaient justifiées. Tom Koch questionne ainsi la réalité de l’autonomie et de la liberté de choix revendiqués en l’absence d’accompagnement et de soins médicaux de qualité.

 

[1][1] Susman, E. 2021. Study sheds light on physician-assisted suicide in lung cancer patients. Medpage Today (Sept. 9). http:// www. medpa get0d ay. com/ meeti ngcov erage/ iaslc/ 94429.
[2][2][2] Health Canada. (2021). Second annual report on medical assistance in dying in Canada 2020. Ottawa:Health Canada. https:// www. canada. ca/ en/ health-​canada/ servi ces/ medic al-​assis tance-​dying/ annualreport-​2020.html.
[3] CSPC. (2016). How to improve palliative care in Canada: A call to action for federal, provincial, territorial,regional and local decision-makers. Ottawa: Canadian Society of Palliative Care Physicians. http://www. cspcp. ca/ wp-​conte nt/ uploa ds/ 2016/ 11/ Full-​Report-​How-​to-​Impro ve-​Palli ative-​Care-​in-​Canada-​FINAL-​Nov-​2016. pdf.
[4] CIHI. (2018). Access to palliative care in Canada. Canadian Institute for Health Information.

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