Peut-on programmer la mort ?

08/12/2023

« Peut-on programmer la mort ? »

 

C’est la question qui se pose à notre société, alors que certains rêvent de maîtriser le jour et les modalités de leur mort, via l’euthanasie ou le suicide assisté. Dans le cadre d’une série d’enquêtes, le journaliste Pierre Jova s’est rendu à plusieurs reprises en Belgique pour suivre le forum militant End of Life entre décembre 2022 et avril 2023, soit la même période que la Convention citoyenne sur la fin de vie organisée en France.

Il en tire un court essai publié au Seuil dans la collection Libelle, dont l’objectif est d’alerter, informer, questionner. Son ambition est d’offrir au lecteur « des faits pour éclairer sa réflexion » sur ce délicat sujet de la fin de vie. Cet ouvrage fait donc la part belle aux témoignages directs : s’expriment ainsi des proches de personnes euthanasiées, des soignants, des militants pro-euthanasie. Son propos s’appuie principalement sur des exemples belges, mais il cite également quelques cas marquants venus de Suisse et du Canada.

L’euthanasie en Belgique : consensus ou tabou ?

La loi sur l’euthanasie ferait, nous dit-on, consensus, nos voisins belges s’enorgueillissant d’un art du compromis. Mais en réalité, la complexité institutionnelle et linguistique de la Belgique, associée à une culture du débat bien moins développée qu’en France, laissent à penser que cette pseudo unanimité pourrait plutôt s’apparenter à un tabou collectif. Certains chiffres interpellent… Ainsi, le 13 février 2014, l’euthanasie des mineurs est votée à la Chambre des représentants après seulement deux demi-journées de débat ; la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde entre Flamands et francophones, elle, aura été discutée dix ans !

Il est intéressant également de se rappeler que l’euthanasie est déclarée par les médecins « mort naturelle », occultant la spécificité évidente de la mort administrée médicalement. Puisque c’est légal, il devient très compliqué d’émettre des doutes, de remettre en cause certaines pratiques, ou encore d’exprimer que le deuil peut être particulièrement difficile : « derrière la normalisation, l’euthanasie laisse des traces indélébiles dans les familles. Certaines taisent un malaise diffus, précisément à cause du discours ambiant », avance Pierre Jova. La loi n’oblige pas à consulter l’entourage, ce qui peut mener à des situations dramatiques : ainsi cet homme qui apprend que sa mère de 88 ans a été euthanasiée dans sa maison de repos sans que la famille ni le personnel n’aient été avertis…

L’exemple belge, une mise en garde pour la France 

Rapidement, les souffrances psychiques se sont ajoutées aux souffrances physiques dans les critères donnant accès à l’euthanasie. Pierre Jova attire l’attention sur cette notion, souvent invoquée, d’« incurabilité » : peut-on réellement abandonner tout espoir de guérison dans le cas d’un mal-être existentiel, d’une souffrance psychique ? Il donne l’exemple marquant d’une personne en souffrance, qui avait réussi à reprendre goût à la vie grâce à son thérapeute, mais qui, encore fragile, s’est retrouvé “coincée” dans sa décision passée d’avoir recours à une euthanasie, et n’a pas pu se rétracter dès lors qu’on lui a proposé une date. « La liberté est illusoire quand l’esprit est captif d’un processus morbide. » 

L’argument, souvent avancé, d’un encadrement strict de la pratique euthanasique peut lui aussi être largement remis en question quand on sait que les euthanasies sont déclarées a posteriori à la commission de contrôle, elle-même composée en grande partie de militants pro-euthanasie et de médecins qui la pratiquent. Or s’il est un acte « médical » irréversible, c’est bien celui-ci ! De très nombreuses euthanasies sont par ailleurs effectuées dans la clandestinité, et passent au travers des mailles du filet…

Aide à mourir ou aide à vivre ? 

L’euthanasie, votée en Belgique le même jour que la loi faisant des soins palliatifs un droit, relève pourtant d’une logique parfaitement contraire. Quel plus grand paternalisme médical en effet que de d’administrer la mort à son patient ? En mars 2023, un Québécois du nom de Robert Corbeil témoigne : il n’est pas éligible aux soins palliatifs à domicile mais en revanche, une infirmière l’informe qu’il pourrait avoir accès à l’aide médicale à mourir (nom de l’euthanasie au Canada) !

En France, le débat sur l’euthanasie a lieu en même temps que le débat… sur les retraites ! Des militants LFI s’opposent à une réunion publique sur l’euthanasie en argumentant : « avant la fin de leur vie, les personnes ne souhaitent-elles pas surtout une retraite heureuse et être soignés en temps et en heure dans un hôpital public de proximité ? »

Cette perspective est d’ailleurs corroborée par ce que Pierre Jova a pu constater dans ses différents échanges, à savoir l’omniprésence des motifs sociaux dans les demandes d’euthanasie. Peur de peser financièrement sur ses proches, voire pression de la part des héritiers : ainsi cet homme qui a obtenu la validation d’un médecin suisse pour accéder au suicide assisté en raison d’une « qualité de vie significativement restreinte par une dégénérescence maculaire liée à l’âge », mais qui était surtout veuf et ruiné, vivant dans une maison dont il n’était pas propriétaire. Le frère de cet homme, sidéré, avance : « Je suppose qu’il s’était engagé auprès des enfants de sa compagne à libérer la maison. »

Plutôt que programmer la mort, remettre la fraternité au cœur de nos sociétés 

En Belgique, il est désormais courant d’avoir dans sa famille quelqu’un qui s’est fait euthanasier. Amélie, habitante de Liège, ne cache pas son émotion à l’auteur en lui montrant le faire-part reçu un jour dans sa boîte aux lettres : son beau-frère et sa belle-sœur y annoncent la date de leur euthanasie prochaine. Mais fixer le jour pour formaliser les adieux n’est pas la solution, avance Pierre Jova, pour qui « aucune mise en scène ne remplace l’épreuve de vérité qui réside dans l’imprévisibilité ». Il propose une éthique de la fraternité, qui mette la relation et le lien entre les générations au cœur de notre société.

L’auteur conclut en rappelant que la dignité « ne se confond pas avec les apparences » et que c’est à nous de le manifester aux plus fragiles par « l’énergie consacrée à leur rappeler chaque jour l’infinie valeur de leur présence ».

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