IVG et délit d’entrave numérique

23/09/2016

internet

La ministre Laurence Rossignol a affirmé, le 17 septembre sur France Info, qu’elle annoncerait le mercredi 28 septembre une série de mesures que le gouvernement prendrait avant la fin de la législature à l’encontre de certains sites Internet qui pratiquent, selon elle, « un délit d’entrave numérique » à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

La ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes considère que certains sites Internet, qui se présentent comme des sites d’information, visent en fait à décourager les jeunes femmes de recourir à l’IVG. « Il faut dénoncer la duplicité et la pointer ; de mon point de vue c’est un délit d’entrave numérique (…). Etre hostile à l’IVG c’est la liberté d’opinion, mais tromper des jeunes filles, c’est un délit », a déclaré la ministre sur France Info.

Le gouvernement a lancé en 2013 son propre site d’information sur l’IVG. Une polémique a éclaté en 2015 sur la partialité des informations qui y sont publiées : dans une vidéo mise en ligne sur le site du gouvernement qui prétend informer les femmes sur l’avortement, un gynécologue obstétricien affirmait que l’IVG n’entraîne pas de séquelles psychologiques à long terme, parlant d’études sur le sujet sans les citer. Pourtant, selon un sondage OpinionWay pour Nordic Pharma en mars 2013, 85% des femmes déclarent avoir ressenti une souffrance au moment de l’IVG médicamenteuse, y compris une souffrance morale pour 82% d’entre elles, ou physique pour 67%. Il confirme un précédent sondage effectué par l’IFOP en 2010 sur les femmes et l’IVG : 83% des femmes pensent que l’IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre.

Le juriste Bertrand Mathieu, interrogé par La Croix, s’inquiète : « Il est pourtant difficile de considérer qu’une information, présentée de façon même tendancieuse, puisse constituer un délit d’entrave. Instaurer un contrôle de l’objectivité de l’information sur le Web est très dangereux. » Pour ce professeur de droit public, il y a un  risque d’anti-constitutionnalité : « Il me semble qu’une telle mesure aurait toutes les chances d’être jugée anticonstitutionnelle. Elle me semblerait clairement dépasser le contrôle que l’État peut exercer sur la liberté d’expression. On ne peut pas réserver un traitement spécifique à l’IVG sans que cela ait des conséquences beaucoup plus larges. À mon sens, pour qu’un site Internet tombe sous le coup de la loi pénale, sur la question précise de l’IVG, il faudrait par exemple qu’il exprime une incitation à faire obstruction à l’IVG, en appelant à une occupation de centres qui le pratiquent. »

Pour Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA :

« Nous ignorons jusqu’où madame Rossignol entend contrôler l’information faite aux femmes ou aux hommes concernés, mais le fantasme d’une information officielle ne trompera personne. Pour notre part, nous constatons à quel point les femmes, mais aussi les couples, ont besoin, à tous les âges, d’être éclairés sur la réalité de l’avortement. Trop  souvent, nous les entendons nous dire après coup « On ne m’avait pas dit… ». Alliance VITA ne se sent pas visée par les menaces ministérielles. Elles donnent plutôt l’impression d’une gesticulation, quand on sait combien Internet résiste à la censure. Mais nous demandons au gouvernement de garantir, sur son propre site, une information équilibrée, objective, plutôt que biaisée. Pourquoi dissimuler que, l’IVG interrompant une vie, cet acte ne saurait être banal ? Les femmes sont très majoritaires à vouloir l’éviter. Faut-il attendre l’alternance pour voir enfin des responsables politiques s’engager en faveur de la promotion sans complexe des alternatives à l’avortement ? C’est le service que la plupart attendent depuis trop longtemps. »

Caroline Roux, coordinatrice des services d’écoute d’Alliance VITA, le confirme:

« Ces successions de polémiques ne respectent pas ce que vivent les femmes jeunes et moins jeunes, confrontées à des grossesses inattendues. La sacralisation d’un « droit à l’avortement » rend plus difficile de regarder objectivement la réalité de l’IVG ; ce sont des vies humaines qui sont en jeu et les femmes sont bien souvent soumises à des questionnements existentiels dans la solitude. On attend des pouvoirs publics qu’ils mènent des politiques de prévention pour éviter aux femmes l’IVG qui n’est pas anodine. Nous avons constaté une détérioration de l’information sur l’IVG de la part des pouvoirs publics depuis une quinzaine d’années. La loi de 2001 a supprimé la présentation des aides financières et sociales aux femmes pour poursuivre une grossesse inattendue. Les femmes se retrouvent trop souvent confrontées dans la précipitation à une information uniquement technique sur la pratique de l’IVG. Alors que c’est un moment où elles sont soumises à des conflits intérieurs et extérieurs, les aides et le soutien pour poursuivre une grossesse sont bien plus difficilement accessibles. »

Alliance VITA rappelle avec insistance l’urgence d’une véritable politique de prévention de l’avortement. Permettre aux femmes dont la grossesse est imprévue ou difficile l’accès à une information complète  sur les aides auxquelles elles ont droit, serait pourtant essentiel pour que l’avortement ne soit pas une fatalité.

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