Forum européen de bioéthique 2019 : intervention de Tugdual Derville

04/02/2019

Mon corps est-il à moi ? », Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA était l’un des intervenants de la table ronde sur l’interruption volontaire de grossesse. 

Verbatim extraits de l’intervention de Tugdual Derville :

Au sein d’Alliance VITA, nous accompagnons chaque année 2.500 femmes et couples confrontés aux problèmes de grossesse au sens large (deuils ante et post nataux, IVG, IMG, infertilité…) ; nous avons reçu plus de 10.000 témoignages de femmes sur la question de l’avortement.

Nous avons tous séjourné longtemps dans le corps d’une femme, émergé du corps d’une autre. Cet “emboîtement”, fait d’autonomie et d’interdépendance, dessine la problématique douloureuse de l’IVG. Quand suis-je devenu moi-même ? Nous devons tous la vie à un “oui” maternel, à un moment donné. Pas sur un “amas de cellules”, mais sur le début de notre corps, qui s’est développé jusqu’à maintenant sans que la science ne puisse dire qu’à aucun moment, il n’y ait eu une discontinuité.

Avec cette question de savoir si “mon corps m’appartient”, on a inventé une sorte de fiction (peut-être libératrice, déculpabilisante dans l’intention) considérant que l’embryon in utero, ce n’était pas un être humain pleinement digne de respect. Plutôt que de poursuivre cette fiction, on peut s’interroger : Pourquoi en est-on arrivé là ? À cause de la souffrance que sa venue peut provoquer.

Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, il faut regarder avec réalisme la place de l’IVG. La première question souvent posée aux femmes par le gynécologue est “Est-ce une grossesse désirée ?” Cela pousse les femmes à une réponse binaire, c’est violent, alors qu’on sait que c’est une période d’ambivalence naturelle des sentiments : on vit en même temps l’effroi et la joie, la peur et l’impatience, l’angoisse et le désir.”

Énormément de femmes que nous accompagnons subissent de puissantes pressions du compagnon, avec du chantage affectif et des menaces de séparation, alors que l’IVG est censée reposer sur le choix de la femme. Les hommes ne ressentent pas la grossesse dans leurs corps, ils ne se sentent pas devenir pères ; ils ont besoin de temps pour réaliser.”

Les femmes subissent également une pression liée aux conditions matérielles. Un rapport de la Halde avait montré que la pression de l’employeur rentre en ligne de compte dans leur choix de l’IVG. Elles n’osent pas annoncer leur grossesse dans le monde du travail, où on voit que la grossesse peut induire un jugement extérieur (grossesses trop rapprochées…) Les normes sociales comme l’âge pèsent aussi sur les femmes confrontées à une grosses imprévue.”

Notre société a projeté un idéal d’enfant programmé, comme dans cette publicité qui parle de “réussir son bébé” ; il doit être bien désiré, bien programmé, bien en bonne santé. Quand l’un ou l’autre de ces éléments n’est pas là, il est difficile de résister aux normes. Il pèse une forme d’injonction sociale, qui interdit le consentement à l’imprévu.

72 % des femmes qui vivent une IVG étaient sous contraception réputée fiable lorsqu’elles se sont retrouvées enceintes. C’est le fameux paradoxe contraceptif français : un fort taux de contraception et un fort taux d’IVG.

Selon un sondage IFOP, 91% des femmes françaises estiment qu’une IVG laisse des traces psychologiques difficiles à vivre ; et 72 % aimeraient que la société fasse davantage pour aider les femmes à éviter l’IVG.

Alliance VITA édite un guide recensant toutes les aides publiques destinées aux femmes enceintes, distribué par les travailleurs sociaux : il y a une place pour plus d’information, pour éviter aux femmes de recourir à l’IVG sous pression.”

Il manque 80 millions de femmes en Inde et en Chine, à cause du féminicide de l’avortement sexo-sélectif, qui provoque un grave déséquilibre démographique. Il faut regarder en face que quantitativement, ce sont les femmes qui sont les premières victimes d’une technique censée les émanciper.

Notre pays détient le triste record du monde de l’IMG de 96 % des fœtus atteints de trisomie 21 : comment peut-on dire à la fois aux personnes porteuses de handicap de prendre toute leur place dans la société, et tout faire pour les supprimer avant la naissance ?

L’IVG n’a rien d’anodin, la plupart des femmes souhaiteraient l’éviter. Faisons tout pour qu’aucune femme n’avorte à contre-cœur, poussée par une ambivalence de désir qui n’a pas été écoutée, par un compagnon qui a fait pression, par des raisons économiques ou des normes culturelles. L’enjeu est de réconcilier les femmes et les hommes avec la vie, que nous avons tous reçue, et qui est pleinement respectable.

 

 

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