“C’est quoi le problème ?“. Telle est la question qu’une vieille dame de 78 ans, Michi Kakutani, se pose. Elle s’escrime devant un écran qui lui renvoie immanquablement un message “il n’y a pas d’offre d’emploi“. Autour d’elle, d’autres chercheurs d’emploi, chacun devant son écran. Cette séquence au milieu du film japonais “Plan 75” ramasse en quelques secondes deux fils majeurs du drame : la solitude, et la sourde pression sociale envoyant aux personnes âgées le message “vous n’avez plus de place“.
Message reçu 5 sur 5 à la première séquence, qui débute sur une scène d’horreur puis l’annonce que le parlement vote le “plan 75”. Ouvert au plus de 75 ans, ce plan géré par une administration leur permet de demander une euthanasie. Prime de 100000 yens (700 euros), entretien pour l’inscription pour répondre aux questions des « bénéficiaires », accès à un service d’écoute téléphonique, les avantages du plan sont tangibles pour ces personnes âgées isolées et socialement défavorisées.
Filmé sur un rythme lent, celui des personnes âgées, “Plan 75” nous fait sentir leur solitude ordinaire, et le cloisonnement de la société. Ce même cloisonnement qui répartit les tâches des employés du plan pour que le process se déroule sans accrocs, et sans question. Une dystopie qui s’enracine dans la banalité de nos quotidiens, et d’autant plus glaçante qu’elle ne semble séparée de nos sociétés que par une mince cloison de papier. Le papier qu’il faut pour voter ou refuser une loi légalisant l’euthanasie. Quelques grains de sable se glissent dans l’engrenage pour secouer les consciences : une belle rencontre, interdite par la hiérarchie, entre Michi et sa jeune écoutante, la tentative d’un jeune professionnel du plan d’inhumer dignement un oncle perdu de vue.
“Vous pouvez vous rétracter quand vous voulez“. Ce refrain présenté aux potentiels “bénéficiaires” est démenti par les faits. Pression insidieuse, et illustration du fameux “nudge“, concept marketing qui consiste à changer la présentation pour inciter la personne à faire “le bon choix”, le plan 75 est conçu pour produire des résultats.
Tout est parfaitement huilé dans le “plan 75”. Les entretiens sont minutés : 30 minutes pour l’inscription, 15 minutes pour les temps d’écoute où Michi peut enfin parler et sortir du silence de son petit appartement. Les kakemonos du plan sont présents à la soupe populaire où Michi, sans ressource, se résout à aller. L’euthanasie a l’apparence de la solution à ses problèmes. Lors du dernier entretien, l’écoutante lui rappelle la possibilité de se rétracter, et lui dit de ne pas oublier de laisser la clé sur la porte, pour que les services du plan puissent clore son bail derrière elle. A l’arrivée dans le lieu de l’euthanasie le lendemain matin, une professionnelle lui prend la pression artérielle, lui donne un cachet contre les nausées, lui explique la procédure et lui conseille de se détendre !
Face à ce rouleau compresseur du plan 75, la petite musique de la vie s’obstine et se fait entendre par cette vieille dame de 78 ans. Michi Kakutani incarne le courage de vivre malgré les incertitudes et les difficultés, avec une économie de mots et une grâce des gestes. La fin du film donne à espérer. La dignité est là, fragile mais debout, loin des tapages médiatiques et politiques. Entre les nuages noirs, les rayons du soleil percent malgré tout.
Un film en clair-obscur, qui laisse au spectateur le souhait que la lumière finisse par gagner grâce à ces piliers d’humanité.