Note d’analyse – Avortement dans la constitution
25/11/2022

Note d’analyse

Constitutionnaliser le « droit à l’interruption volontaire de grossesse » : un non-sens

 

Depuis le début de cette législature, l’idée selon laquelle il faudrait inscrire l’avortement dans la Constitution s’est répandue dans notre pays, en écho à la décision de la Cour Suprême des États-Unis le 24 juin 2022 dans l’affaire Dobbs v. Jackson women’s health organisation.

Constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse est une procédure à la fois inutile, aléatoire et risquée (I). A plus forte raison, l’accès à l’avortement n’est pas entravé en France (II) alors même qu’une vraie politique de prévention de l’avortement fait défaut et s’avère plus que jamais nécessaire (III).

I – La constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse : une procédure inutile, aléatoire et risquée

  • Une situation différente aux États-Unis et en France

La situation en France est radicalement différente de celle des États-Unis. En France comme dans de nombreux autres pays, l’avortement est régulé par une loi votée par le Parlement. La loi du 17 janvier 1975 légalise et encadre l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et l’interruption médicale de grossesse (IMG).

Aux États-Unis le Congrès, constitué du Sénat (100 sièges) et de la Chambre des représentants (435 sièges) n’a pas voté de loi régulant ou bannissant l’accès à l’avortement. La pratique de l’avortement s’appuie sur deux arrêts de la Cour suprême : l’arrêt Roe vs Wade et l’arrêt de 1992 Planned Parenthood vs Casey. Ce dernier consolidait l’arrêt Roe vs Wade de 1973 tout en modifiant les critères selon lesquels un État américain peut encadrer l’avortement.

C’est cette jurisprudence qui a été renversée par la décision de la Cour suprême du 24 juin. Cette décision revient à ne plus considérer l’avortement comme un droit garanti par la Constitution fédérale, dans la mesure où « la Constitution ne fait aucune référence à l’avortement et aucun de ses articles ne protège implicitement ce droit ».

Par cette décision, la Cour suprême américaine a jugé que la législation sur l’avortement devait relever des États fédérés. Comme le souligne le constitutionnaliste Bertrand Mathieu, cette décision n’est absolument pas transposable puisque la France est un pays unitaire[1].

  • Une procédure très aléatoire

Comme l’ont écrit les Professeurs Stéphane Mouton et Sophie Paricard, constitutionnaliser l’avortement relève de la « fausse bonne idée »[2] tant du point de vue de la procédure que du droit.

Depuis 1958, il a été procédé au total à vingt-quatre révisions constitutionnelles d’importance inégale. À l’exception des deux premières, les révisions ont été opérées en application de l’article 89 de la Constitution. Vingt-et-une ont été approuvées par le Congrès et une seule en 2000, par référendum, concernant la réduction à cinq ans du mandat présidentiel.

La révision de la Constitution peut avoir lieu soit à l’initiative du président de la République soit à l’initiative du Parlement.

Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté, dans les mêmes termes, par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Le texte est définitivement adopté soit par référendum, soit par un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles.

L’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 fixe les règles de révision de la Constitution. Depuis son entrée en vigueur cette procédure a abouti à vingt-deux reprises.

La procédure prévue par l’article 89 présente la caractéristique de requérir l’existence d’un consensus au sein de l’exécutif et l’accord des deux assemblées. L’opposition du président de la République, du Premier ministre ou de l’une des deux assemblées suffirait, en effet, à empêcher la révision d’aboutir.

  • Un droit qui ne serait pas « intouchable »

Il ressort de l’analyse des auteurs précités que « dans notre système de protection constitutionnelle des droits et libertés, la constitutionnalisation d’un droit ne revient pas à l’insérer dans un patrimoine juridique constitutionnel où il deviendrait dès lors intouchable par le législateur ».

C’est en effet la loi qui fait vivre les droits constitutionnels. « C’est elle qui les reconnaît, les organise, en fixe les bornes, même en présence d’un contrôle de constitutionnalité efficace ».

Qui plus est, constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse n’aurait de sens – à savoir garantir son accès – que s’il s’agissait d’ériger un droit de pleine portée, c’est-à-dire un droit subjectif qui serait alors assimilable à un « droit à », impliquant un créancier et un débiteur.

Or, comme le rappelle la doctrine[3], « l’IVG n’a en ce sens jamais constitué un droit subjectif », la loi ayant organisé une tolérance par rapport au comportement modèle qu’est la protection de la vie du fœtus. Et de rappeler aussi que le législateur de 1975 organisait la prévention, la dissuasion et le contrôle des interruptions volontaires de grossesse. Ainsi le professeur Bertrand Mathieu précise que, sans être une personne titulaire de droits, le fœtus bénéficie d’une protection constitutionnelle. Même si la législation a évolué, elle a toujours pris en compte la protection de la vie du fœtus.[4]

L’interruption volontaire de grossesse n’est donc ni un droit subjectif, ni un droit absolu qui permette de s’abstraire de toute condition, la seule volonté de la femme devant alors garantir son effectivité. Comme l’explique le professeur Bertrand Mathieu, « si on reconnaissait un véritable droit à l’avortement, cela aboutirait à reconnaître à la femme un droit absolu sur la vie du fœtus, en excluant la prise en compte de ce qui reste de protection de ce dernier. »[5]

Si l’on va plus loin, c’est tout le cadre législatif de l’avortement en France qui devrait tomber. Il deviendrait possible d’exiger une interruption volontaire de grossesse jusqu’à son terme ou en raison du sexe de l’embryon/du fœtus. La loi bioéthique de 2021 qui encadre l’interruption médicale partielle de grossesse multiple, réaffirme l’interdiction d’avorter selon des critères relatifs « aux caractéristiques des embryons ou des fœtus, y compris leur sexe. »

L’avortement selon le sexe fait l’objet de plusieurs condamnations au niveau international. Ainsi, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté en 2011 une résolution (1829) condamnant « la pratique de la sélection prénatale en fonction du sexe ».

Le texte souligne que « la pression sociale et familiale exercée sur les femmes afin qu’elles ne poursuivent pas leur grossesse en raison du sexe de l’embryon/fœtus doit être considérée comme une forme de violence psychologique et que la pratique des avortements forcés doit être criminalisée ». Au sein de l’ONU, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) milite contre ce phénomène depuis plus de 20 ans.

Cet organisme international a sonné l’alarme concernant la préférence envers les garçons et aide les réseaux communautaires à lutter contre la sélection prénatale procédant d’un préjugé sexiste[6]. Le Fonds a collaboré avec l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en vue d’élaborer et de publier, en 2010, la toute première déclaration interinstitutions des Nations Unies sur cette question.

En mars 2017, l’UNFPA, avec un financement de l’Union européenne, a lancé le Programme mondial pour prévenir la préférence pour les fils et la sélection basée sur le sexe, le premier effort mondial de ce type.

Ainsi, il appartient au législateur d’établir les règles régissant le droit à l’interruption volontaire de grossesse, ce qu’il a fait à plusieurs reprises depuis 1975 (cf. annexe).

II – L’accès à l’avortement n’est pas entravé : le nombre d’IVG à un niveau élevé

223 300 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été enregistrées en France en 2021. Le nombre d’IVG est stable par rapport à 2020[7]. Selon l’étude de la DREES, « alors que le nombre d’IVG oscille depuis le milieu des années 2000 autour de 225 000 par an, le taux global de recours à l’IVG tend à augmenter, dans un contexte où le nombre de femmes en âge de procréer baisse ».

En 2021, il s’établit à 15,5 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans. Si les plus forts taux d’avortement demeurent dans la tranche des 20-29 ans (24,8 pour 1000 pour les 20-24 ans et 27,2 pour 1000 pour les 25-29 ans), l’étude constate une légère tendance à la hausse au-delà de 30 ans.

Le nombre élevé des IVG pratiquées démontre que l’accès à l’avortement n’est pas entravé. En comparaison, le taux français d’IVG représente plus du double de celui de l’Allemagne.

Par contre l’avortement peut s’avérer un marqueur d’inégalité sociale qui doit alerter les pouvoirs publics. En 2020, les données sur l’IVG ont été appariées avec des données fiscales pour l’année 2016, démontrant ainsi une corrélation nette entre niveau de vie et IVG. Il en ressort que les femmes aux revenus les plus faibles y ont davantage recours[8].

La dernière enquête de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), parue le 14 janvier 2021, révèle que les Français souhaiteraient avoir en moyenne un enfant de plus. Parmi les facteurs bloquant cette réalisation du désir d’enfant, il y aurait les difficultés matérielles et financières des familles ne leur permettant pas de s’agrandir (enjeu de trouver un emploi stable, un logement fixe et décent, etc.).

Il y a également l’équilibre difficile entre la vie privée et professionnelle, avec un emploi du temps peu aménageable. Enfin, les politiques publiques de prestations et de prélèvements s’avèrent de moins en moins avantageuses pour les parents, avec des coupes budgétaires importantes et une augmentation du budget pour le logement.

Des études récentes montrent également des liens entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesse à répétition[9]. En France, le lien entre IVG et violences demeure cependant peu exploré :  très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG[10]. Or, on sait que pour 40 % des 201 000 femmes concernées chaque année par les violences du conjoint, celles-ci ont débuté à la première grossesse[11].

Pourtant, les révisions successives de la loi sur l’avortement n’ont conduit à aucune évaluation, ni étude épidémiologique sur les causes et les conséquences de l’IVG, pourtant considérée comme un acte qui n’est pas anodin. Et elles n’ont pas plus conduit à une évaluation quant à leur impact sur la vie des femmes. 

Cette situation est d’autant plus alarmante que la nécessité est plus que jamais à la prévention de l’avortement.

III – Pour une vraie politique de prévention de l’avortement

L’urgence est à la protection des femmes contre toute violence, spécialement celles que constituent les pressions – souvent masculines –  mais aussi sociales pour les femmes les plus vulnérables qui les poussent trop souvent à avorter à contrecœur.

La priorité est la mise en place d’une véritable politique de prévention de l’avortement qui contribuerait à résoudre un grand nombre de drames personnels, en présentant aux femmes des perspectives autres que l’avortement.

Un sondage IFOP (octobre 2020) révèle que 92 % des Français jugent que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes et 73 % estiment que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’interruption volontaire de grossesse[12].

C’est pourquoi Alliance VITA demande :

  • la conduite d’une étude épidémiologique sur les 20 dernières années qui analyse les causes, les conditions et les conséquences de l’avortement,
  • la mise en place d’une véritable politique de prévention de l’avortement par en priorité :
    • une information sur l’efficacité réelle de la contraception et ses échecs potentiels : 72% des femmes qui avortent utilisaient un moyen de contraception lorsqu’elles ont découvert leur grossesse,
    • le soutien et l’accompagnement personnalisé des femmes enceintes en difficulté,
    • la protection des femmes face aux pressions et aux violences qu’elles peuvent subir pour les conduire à avorter,
    • la formation des personnels de santé et des acteurs sociaux aux pressions qui peuvent s’exercer sur les femmes enceintes,
    • la délivrance d’une information complète lors des consultations d’IVG sur les aides et droits spécifiques aux femmes enceintes,
    • la revalorisation de la politique familiale, incluant des mesures adaptées qui permettent aux jeunes femmes de concilier vie familiale, études et entrée dans la vie professionnelle,
    • un soutien particulier pour les jeunes femmes étudiantes alors que 85% des grossesses imprévues survenant pendant les études se terminent par une IVG et que les 20-29 ans concentrent les plus forts taux d’IVG :
      • un soutien financier pour continuer leurs études,
      • des solutions de logement,
      • des solutions de garde d’enfant et des aménagements concrets de leurs études adaptés à leur situation de femmes enceintes et de jeunes parents,
      • l’élargissement du RSA au couples étudiants qui attendent un enfant et/ou qui sont jeunes parents,
      • le déploiement d’un service d’accompagnement et de soutien adapté comme le Samely pour les lycéennes.

Novembre 2022

[1] Mathieu B. (2022, 27 juin). L’avortement n’est pas un droit fondamental, mais une liberté fondamentale. La Croix. Extrait de https://www.la-croix.com/Debats/Lavortement-nest-pas-droit-fondamental-liberte-fondamentale-2022-06-27-1201222238

[2] Mouton Stéphane, Paricard Sophie. La constitutionnalisation de l’avortement : une fausse bonne idée. Recueil Dalloz, 1er septembre 2022, n° 29, p. 1475.

[3] Ibid., p. 1476

[4] Mathieu B. (2022, 27 juin). L’avortement n’est pas un droit fondamental, mais une liberté fondamentale. La Croix. Extrait de https://www.la-croix.com/Debats/Lavortement-nest-pas-droit-fondamental-liberte-fondamentale-2022-06-27-1201222238

[5] Ibid.

[6] UNFPA. Sélection prénatale du sexe. Unfpa.org. Extrait de https://www.unfpa.org/fr/s%C3%A9lection-pr%C3%A9natale-du-sexe#readmore-expand

[7] DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : la baisse des taux de recours se poursuit chez les plus jeunes en 2021 », Etudes et Résultats, 2022/09, n°1241, p.1. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/er1241.pdf

[8]  DREES, « Interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 », Etudes & Résultats, 2020/9 n°1163, p.1. Extrait de https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/ER%201163.pdf

[9] Pinton A. et al., « Existe-t-il un lien entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesses répétées ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie, 2017/7-8, Volume 45, pages 416-420. Extrait de : https://www.em-consulte.com/article/1135904/existe-t-il-un-lien-entre-les-violences-conjugales

[10] Pelizzari Mélanie et al., « Interruptions volontaires de grossesse et violences : étude qualitative auprès de médecins généralistes d’Île-de-France », Cliniques méditerranéennes, 2013/2 n° 88, p. 69-78.

[11] AFP (2014, 23 novembre). La grossesse, un moment clé pour détecter les violences conjugales. France 3 Hauts-de-France. Extrait de https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/2014/11/23/la-grossesse-un-moment-cle-pour-detecter-les-violences-conjugales-598208.html

[12] Ifop pour Alliance VITA, « Les Français et l’IVG », Ifop.com, 2020/10. Extrait de https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/10/117639-Rapport-01.10.2020-V2.pdf

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