Nouvel avis du CCNE : Repenser le système de soins sur un fondement éthique

10/11/2022

Après la publication en septembre d’un avis ouvrant la porte à une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, le CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique) vient de rendre un nouvel avis, sous le numéro 140, intitulé “Repenser le système de soins sur un fondement éthique”. Adopté à l’unanimité des membres présents en séance plénière du 20 octobre 2022, cet avis entend proposer des repères solides face à la crise profonde que traverse le système de soins en France.

La pandémie, un détonateur d’une crise déjà présente

Le sous-titre de l’avis “Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives” illustre leur démarche. La crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID 19 a été un révélateur à grande échelle des tensions, et un accélérateur des tendances, qui pèsent négativement sur le système de soins, et plus largement sur le système de santé en France.

Le CCNE définit les deux termes dès le début de son avis. Le système de soins inclut toutes les formes d’organisation et de coordination de la médecine. Le système de santé inclut le système de soins dans “une perspective large, étendue au champ social et aux facteurs déterminants de la santé“.

La crise du système de soins est largement documentée et analysée. Les rapports officiels se sont multipliés, comme celui du Sénat “Hôpital : sortir des urgences“. Elle est également dans les préoccupations principales des Français, qui ont pu en voir des illustrations dramatiques avec des grèves des services des urgences hospitalières cette année.

Le système de soins est “fragilisé” selon l’expression du CCNE. Tout en saluant le travail remarquable des soignants, en particulier pendant la pandémie”, le CCNE livre son diagnostic sur une crise “systémique” et “profonde“.

Les facteurs de la crise selon le CCNE

Le document répertorie un certain nombre de facteurs ayant contribué à la crise. Les réflexions du CCNE rejoignent celle de nombreux analystes. L’espérance de vie en France a augmenté “de façon significative” sur les 30 dernières années, entrainant une hausse des besoins. Le vieillissement de la population entraine par ailleurs des besoins supplémentaires spécifiques, liés par exemple aux maladies chroniques, ainsi que l’indiquait l’étude annuelle de la DREES. La démographie médicale est allée à contre-courant. Ainsi, entre 1977 et 1997, le nombre de places ouvertes dans les études de médecine (numerus clausus) était passé de 8671 à 3576. Un redressement a eu lieu pour retrouver un chiffre équivalent à 1977 en 2018 (8205 places). Cette évolution va de pair avec une approche mettant l’accent sur la maîtrise des coûts. Le CCNE estime que “cette nouvelle forme de gouvernance a voulu appliquer à la santé des concepts et méthodes issus du monde de l’industrie (concept « d’hôpital-entreprise »). Il en a résulté une transformation de la fonction du soin au profit d’une logique purement économique par le biais d’incitations et d’indicateurs…“. Cette approche, avec par exemple une tarification à l’acte, couplée aux progrès indéniables des techniques médicales et pharmaceutiques, a favorisé une culture du soin entendu comme traitement en vue d’une guérison au détriment d’une approche intégrant davantage la relation avec les patients, alors qu’elle est centrale dans la motivation de beaucoup de soignants à choisir leur métier. Le temps passé auprès des patients par les soignants s’est trouvé comprimé dans les temps techniques au détriment de l’écoute. Des cloisonnements dans le système de soins : médecine de ville versus hôpital, soignants versus administratifs, contribuent également à des inefficacités.

Les conséquences de la crise

Première conséquence:

Des inégalités d’accès qui se creusent au détriment des personnes les plus vulnérables, inégalités que la crise de la Covid 19 a illustrées de façon dramatique.

Deuxième conséquence :

Une “crise de confiance” à la fois dans la population et chez les soignants vis-à-vis des autorités, confiance déjà entamée par une série d’affaires (sang contaminé, Mediator…), accentuée par une gestion centralisée de la crise sanitaire.

Troisième conséquence :

Des situations de souffrance pour tous les acteurs du système de soins. Souffrance de patients de ne pas accéder aux soins, de ne pas être écoutés dans leurs besoins. Souffrance des soignants, allant jusqu’à la perte de sens et au désinvestissement produisant des souffrances psychiques. Le CCNE écrit ainsi que “la dégradation des conditions de travail à l’hôpital est à l’origine d’une souffrance éthique résultant de la confrontation des soignants et des autres professionnels du secteur à des dilemmes éthiques souvent tus“. La souffrance éthique “apparait lorsque les professionnels de santé sont contraints d’agir en opposition avec leurs valeurs sociales, professionnelles ou personnelles, sans qu’elles puissent s’exprimer ouvertement sur ces tensions et les sentiments qu’elles génèrent.”

Les propositions du CCNE

Tous ces constats et signaux d’alerte conduisent le CCNE à lancer un appel pour “remettre l’éthique au cœur de la santé”. Partant de l’exigence que “l’accès pour tous aux soins et à la santé est le signe le plus fort de la solidarité nationale face aux aléas de la maladie, de la dépendance et du mal-être“, le CCNE avance 4 axes de travail.

Premier axe: Intégrer et déployer la culture éthique dans les pratiques professionnelles.

Cet axe inclut par exemple de favoriser une culture du dialogue entre soignants, le souci de ne pas cantonner les réflexions éthiques à des comités, la formation et la valorisation des réflexions éthiques dans les équipes.

Deuxième axe : garantir la justice sociale dans l’accès à la santé.

La France fait partie des pays où le reste à charge des ménages est le plus faible concernant les dépenses de santé, mais ce constat global cache de nombreuses disparités. Le CCNE écrit que “le modèle économique doit être profondément revisité et inclure l’ensemble des activités et services en prenant en compte les spécificités des territoires“. Qualifié de “véritable colonne vertébrale du système de soins“, le service public en santé doit faire l’objet d’une grande vigilance.

Troisième axe : faire vivre la notion d’une éthique du respect des parties prenantes.

Derrière ces mots, le CCNE propose plus concrètement que le temps de la relation soignant-patient soit valorisé, et que les métiers soignants soient aussi revalorisés financièrement et dans la qualité de vie au travail. Les instances de démocratie en santé sont une pièce du puzzle à ne pas négliger selon le CCNE.

Quatrième axe : rétablir la confiance par le partage de la connaissance et l’éducation aux enjeux.

Si la confiance entre la population et les soignants reste forte malgré les tensions du système, le CCNE reprend la proposition de son avis 137 de “mise en œuvre des états généraux pour une éthique de la santé publique, qui pourrait se faire en coordination avec les instances de santé publique nationales ou régionales et avec les Espaces de réflexion éthique régionaux“.

En conclusion

Le CCNE appelle de ses vœux une “rénovation profonde” dans 3 directions :

Assurer l’égalité d’accès au système de santé, incluant les soins,

Redonner du sens aux métiers de soignants,

Ecouter tous les acteurs du système.

Le “modèle français qui a pris en compte jusqu’ici ces grandes valeurs éthiques est aujourd’hui fragilisé” déclare le CCNE.

Des tendances lourdes traversent la société qui mettent à mal ce “modèle français” : le primat de la volonté individuelle, la marchandisation du vivant, l’exigence de performance.

Acteur récent d’un revirement sur la question de l’euthanasie et du suicide assisté au nom de l’autonomie individuelle, le Comité peut-il appeler à une solidarité tout en privilégiant cette autonomie dans ses récentes décisions ?

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