La pénurie de médicaments en France est une source d’inquiétude et a fait récemment l’objet d’un rapport détaillé du Sénat
Publié à la suite de la Commission d’enquête sur cette pénurie de médicaments et sur les choix de l’industrie pharmaceutique française, le rapport a pour but d’analyser la situation, les facteurs explicatifs, et proposer des solutions pour lutter contre ces pénuries de médicaments dans le cadre d’une politique volontariste de production sur le sol européen. Le rapport
« appelle à décloisonner les politiques du médicament, trop souvent menées en silos, à reconquérir une vision d’ensemble de la très complexe chaîne des produits de santé et à s’attaquer enfin aux causes profondes des pénuries« .
La pénurie de médicaments, un « phénomène en aggravation constante »
La crise sanitaire a révélé et peut-être accéléré ce phénomène de pénurie de médicaments. Le rapport cite un chiffre pour 2023 : 37% des Français déclarent avoir été confrontés à une pénurie. Ils étaient 29% en 2022. Le phénomène touche toutes les classes de médicaments, mais surtout les médicaments anciens : doliprane, amoxicilline par exemple.
Le Sénat estime que les pénuries de médicaments ont été multipliées par plus de 10 entre 2008 et 2017, et chiffre à 1602 le nombre de ruptures de stock signalées à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il faut y ajouter 2159 risques de ruptures, également signalés à l’ANSM. Le délai moyen des ruptures est de 2 mois, avec de grandes différences entre les produits.
Les raisons de ces ruptures d’après des données de l’ANSM sont d’abord l’insuffisance des capacités de production et l’augmentation des volumes de vente, pour 27% et 20% des cas. Dans presque 30% des cas, l’Agence ne peut indiquer de causes, ce qui limite la capacité d’action des pouvoirs publics.
Pénurie de médicaments : un phénomène mondial
Le rapport du Sénat ouvre les perspectives de cette situation au-delà des frontières françaises. Citant le vers fameux de La Fontaine « ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés« , les auteurs rappellent que le phénomène est d’ampleur mondiale. D’une part, 80% des principes actifs passés dans le domaine public sont fabriqués en Asie, « Chine et Inde en particulier« . Déjà en 2017, l’OMS avait publié un rapport sur le sujet : « Lutter contre la pénurie mondiale de médicaments et de vaccins et en favoriser l’accès ».
Aux Etats-Unis, « 56 % des hôpitaux américains avaient indiqué avoir modifié les soins aux patients, ou retardé une thérapie en raison de ruptures d’approvisionnement, et près de 37 % avoir reprogrammé ou reporté des soins« .
Pénurie de médicaments : des facteurs multiples
Le rapport structure son analyse des causes en trois grands axes :
- Premièrement, la production de médicaments est aujourd’hui insérée dans une chaîne de fabrication mondialisée, marquée par des délocalisations hors de France et de l’Europe, des concentrations géographiques d’usine, et une « financiarisation » dans les choix stratégiques des laboratoires.
- Ensuite, la consommation mondiale en forte hausse (+36% entre 2012 et 2022), aggravée au moment de la pandémie de la COVID-19, a « mis en tension » un appareil de production « vulnérable« . La pratique de la production « juste à temps » réduit les stocks des industriels. Le développement de la sous-traitance réduit aussi la visibilité dans la chaîne d’approvisionnement. Le haut degré de réglementation de cette industrie, nécessaire puisqu’il s’agit de santé humaine, a une incidence sur les coûts et la capacité à s’adapter aux aléas de production.
- Enfin, le rapport dénonce le déséquilibre dans le pouvoir de négociation entre les firmes pharmaceutiques, détentrices des brevets et des choix de recherche et d’innovation, et les pouvoirs publics. En 2017, la Cour des Comptes notait déjà que
« les entreprises pharmaceutiques ont aussi fait évoluer leurs stratégies en matière de prix. Dans la négociation, leurs objectifs se sont déplacés de la mise en avant d’un retour sur leurs dépenses investies en recherche et développement vers des demandes de prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs publics« .
L’objectif constant des pouvoirs publics de maîtrise des dépenses de santé conduit parfois à des baisses de prix de médicaments « matures« , dont la production est abandonnée ou délocalisée par des laboratoires quand la rentabilité devient faible.
Un double impact
Ce phénomène de pénurie de médicaments a un double impact négatif : pour les patients bien sûr, mais aussi pour les soignants qui sont touchés dans les conditions d’exercice de leur profession. L’impact direct pour les malades est difficile à mesurer avec des outils statistiques, mais bien réel. Le rapport cite des témoignages de soignants et quelques études. L’INSEE estime dans une note datant de juin 2023, « que l’épidémie de la covid-19 a pu entraîner depuis 2020 une hausse des décès en raison d’effets indirects, comme des reports d’opérations ainsi qu’une baisse du nombre des dépistages d’autres maladies« .
Un autre angle, moins visible et tout aussi réel, est l’impact pour les soignants dans l’exercice de leur mission. Ainsi, les pharmaciens consacreraient en moyenne une heure par jour à gérer les pénuries.
Le rapport consacre une partie importante à des propositions pour résoudre ce problème. A court terme, par une meilleure surveillance des niveaux de stocks et la circulation de l’information dans la chaîne de distribution ; à long terme, par des politiques plus incitatives de production sur le sol européen pour les médicaments dits critiques, entre autres. Au total, les auteurs ont émis 36 recommandations sur le sujet.
Ces pénuries de médicaments constituent une facette supplémentaire de la dégradation des services de soins en France, dégradation largement relayée dans les médias et sujet majeur de préoccupation des Français. Pour les pouvoirs publics, il s’agit d’une urgence de plus dans le domaine de la santé que les Français placent en tête de leurs priorités. L’urgence est à soigner plutôt qu’à « aider » à mourir.
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