L’épineux débat sur le statut de l’enfant in utero

24/02/2023

L’épineux débat sur le statut du foetus, de l’enfant in utero

 

L’accident qui a impliqué Pierre Palmade le 10 février a créé une véritable onde de choc tant par sa violence, par ses conséquences dramatiques, que par ses circonstances. Une enquête a été ouverte pour blessures involontaires et homicide involontaire.

L’audience devant la chambre d’instruction de la Cour de Paris doit avoir lieu ce 25 février.

L’une des conséquences de cet accident est la perte d’une petite fille. En effet, une jeune femme enceinte de 6 mois a perdu le bébé qu’elle attendait à cause de l’accident. Une césarienne aurait été pratiquée en urgence. Mais l’enfant n’a pas survécu.

Il faut savoir qu’à 6 mois, la viabilité est atteinte, même si elle est fragile et qu’elle nécessite une prise en charge.

Avec cet événement douloureux, épineux débat sur le statut du foetus, de l’enfant in utero, cette question sensible: « l’enfant à naitre est-il une personne » a resurgi sur le devant de la scène.

 

Au-delà de cette affaire, que dit la loi sur le statut du foetus ?

L’article 221-6 du code pénal dispose que : « le fait de causer (…) par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité (..) la mort d’autrui constitue un homicide involontaire.

Tout le débat se focalise donc sur cette question : le foetus est-il « autrui » ?

La Cour de cassation refuse l’incrimination d’”homicide involontaire” prévue par le code pénal pour la mort accidentelle d’un fœtus, que ce soit par une erreur médicale ou par un accident. Cette jurisprudence a été dégagée à l’occasion de plusieurs arrêts et se fonde sur le principe d’interprétation stricte de la loi pénale énoncé à l’article 111-4 du code pénal. 

Pour elle « le principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du code pénal (réprimant l’homicide involontaire d’autrui) soit étendue au cas de l’enfant à naître. 

L’infraction d’homicide ne peut être étendue à l’enfant à naître dont le régime relèverait de textes particuliers. »

L’enfant à naître ne fait donc pas l’objet d’une protection spécifique en droit pénal. Seule l’atteinte à l’intégrité physique à la mère est incriminée.

Mais cette interprétation de la Cour de Cassation est contestable et d’ailleurs contestée. D’autres juridictions (tribunaux correctionnels, Cour d’appel) ont déjà posé d’autres jugements différents. Cette jurisprudence refusant la qualité de personne au fœtus a en effet été critiquée au point que certaines propositions de loi ont vu le jour pour pouvoir sanctionner pénalement celui qui, par accident, provoque le décès d’un enfant à naître.

 

Car en réalité, cette interprétation conduit à cumuler les contradictions. En effet, quand un enfant est né sans vie, quelle que soit le stade de la grossesse (mais pas avant 15 semaines d’aménorrhée), ou s’il est né vivant “non viable“ (avant 22 SA et de moins de 500 gr), les parents reçoivent un certificat médical d’accouchement établi par un médecin ou une sage-femme. Il permet d’obtenir un acte d’enfant sans vie. Si les parents le souhaitent, ils peuvent déclarer leur enfant à l’état civil, procéder à des obsèques et inscrire son prénom sur leur livret de famille.

Depuis une loi de 2021, il est possible aussi d’inscrire le nom de famille choisi pour l’enfant, bien que cela « n’emporte aucun effet juridique » comme le précise l’article 79-1 du code civil. Et la CAF (Caisse d’Allocation Familiale) attribue une allocation Décès enfant (ADE) en cas de décès intervenant à compter de la vingtième semaine de grossesse, sous réserve de la fourniture d’une déclaration de grossesse accompagnée d’un acte de décès ou d’un acte d’enfant sans vie.

Il y a donc une forme de contradiction lorsque la Cour de Cassation déclare qu’il n’y a pas d’homicide involontaire, puisqu’en cela elle nie qu’il y ait « autrui ».

L’enfant à naître n’est donc pas « une personne » au regard du droit pénal puisque c’est sa naissance en vie qui conditionne sa protection à ce titre.

 

Mais ce n’est pas non plus une personne en droit civil puisque la personnalité juridique n’est accordée qu’aux enfants nés vivants et viables. En droit civil, l’enfant à naître ne fait l’objet que de dispositions disparates sans grandes cohérences entre elles. Comme l’explique le professeur Sophie Paricard,  le Conseil d’État indique que « les règles applicables à l’embryon sont téléologiques : elles varient en fonction de la vocation de l’embryon (selon qu’il est ou non destiné à s’inscrire dans un projet parental) ou de sa localisation (in vivo ou ex utero) ».

Le sort de l’embryon in vitro est, quant à lui, de plus en plus précaire. Selon le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994 « le législateur a estimé que le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’était pas applicable à l’embryon in vitro ». Certes, l’embryon encore porteur d’un projet parental est conservé tant que dure ce projet mais dès lors que le projet est abandonné, les embryons dits surnuméraires ont vocation à être détruits. Le législateur ne cesse par exemple, notamment par la dernière loi bioéthique du 2 août 2021, d’assouplir la recherche dont il peut faire l’objet.

Il est cependant difficile de conclure de cette absence de statut spécifique que l’enfant à naître est une chose comme une autre. Comme l’a relevé la CEDH dans l’affaire Parillo c/ Italie du 27 août 2015, il ne s’agit pas d’un bien ayant une valeur économique et patrimoniale sur lequel on peut revendiquer un droit de propriété. Cette question relative à la qualification de l’embryon interroge la “summa divisio” du droit qui dispose qu’en droit il y a d’un côté les choses, de l’autre, les personnes.

Quelle suite ?

L’ouverture de l’enquête préliminaire liée à cette affaire peut permettre de saisir à nouveau la Cour de cassation sur la qualification de l’enfant à naître, notamment s’il est démontré que dans ce cas, l’enfant n’est pas né vivant.

Pour le magistrat Georges Fenech qui connait bien ce sujet : « Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait attendre de savoir si l’enfant pouvait avoir respiré pour considérer qu’on a une perte de chance de vie et retenir l’homicide involontaire ».

 

Pour les parents endeuillés, et pour toute la société, laisser entendre qu’il ne s’est « rien » passé, que cela ne change rien dans une affaire qu’un enfant décède accidentellement in utero par la faute d’un tiers est violent. Cette négation de la vie et de la mort d’un enfant attendu ajoute de la douleur à la douleur.

Une nouvelle jurisprudence allant dans ce sens peut permettre au droit et à l’humanité de la justice de progresser.

Pour aller plus loin :

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