Un texte du Vatican sur la dignité humaine

12/04/2024

“Dignité infinie” : Un texte du Vatican sur la dignité humaine

 

Mardi 9 avril 2024, un « ministère du Vatican [1] a rendu publique une déclaration sur la dignité humaine, intitulée Dignitas infinita (en latin, dignité infinie). Conformément aux demandes du pape François qui a contribué à l’aboutissement de ce texte, il présente un panorama étendu des atteintes à la dignité humaine, avec des références à ses prédécesseurs et de multiples citations du pape actuel.

 

Dans un contexte où ce mot est l’objet de définitions contradictoires et de controverses, le texte réaffirme la primauté de la « dignité ontologique » de l’être humain : c’est l’attribut spécifique de tout être humain sans aucune exception, attribut que rien, ni personne, ni lui-même ne pourraient lui enlever. Le texte distingue cette dignité ontologique de trois autres formes de dignité.

  • D’abord la « dignité morale » qui peut être perdue quand un mal épouvantable est infligé à autrui, par un comportement « indigne », mais cela n’enlève pas la dignité ontologique.
  • Ensuite « la dignité sociale » qui « se réfère aux conditions dans lesquelles la personne vit » (par exemple dans des modalités matérielles ou sanitaires indignes d’un être humain).
  • Enfin une «dignité existentielle », plus subjective, exprime la perception qu’a la personne de sa propre vie. En raison de difficultés ou drames, elle peut « vivre sa condition de vie comme “indigne”, sans que sa dignité ontologique soit en rien effacée ».

Cette dignité ontologique inaliénable – et même « infinie » – est présentée comme la clé de voute de l’anthropologie chrétienne autant que comme « fondement des droits et des devoirs de l’homme ». C’est aussi « une référence objective pour l’exercice de la liberté humaine ». En raison du « caractère relationnel de la personne » le texte met en effet en garde contre « une liberté autoréférentielle et individualiste » dont le déploiement porte tôt ou tard atteinte à la dignité. C’est d’ailleurs notre commune dignité qui nous appelle au service d’autrui.

Le texte prend soin d’insister sur le caractère spécifiquement humain de la dignité. Si « chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres », « seul un “anthropocentrisme situé” est possible. » Car c’est notre dignité d’être humain qui nous incite à «prendre soin de l’environnement, en tenant compte en particulier de cette écologie humaine qui préserve son existence même.» Citant ici l’enseignement du pape François, le texte pointe l’importance d’une fraternité et d’un « ordre social » seuls capables de compenser le risque d’une « liberté » à sens unique, celle des forts et des riches s’exerçant au détriment des faibles et des pauvres, au mépris de leur dignité.

 

“Quelques violations graves de la dignité humaine”

Une fois posés ces enjeux généraux, suit, dans une plus longue dernière partie un panorama de “quelques violations graves de la dignité humaine”. Le texte ne prétend pas à l’exhaustivité, mais a le mérite d’inviter le lecteur à la cohérence.

  • Il commence par « le drame de la pauvreté », en fustigeant les écarts croissants entre riches et pauvres, « iniquité flagrante » dont « nous sommes tous responsables, à des degrés divers. »
  • Puis vient « la guerre », avec son cortège de drames et de deuils qui frappent les populations civiles. Le texte assume une prise de distance notable vis-à-vis du concept de « guerre juste » : « pour construire la paix, nous devons sortir de la logique de la légitimité de la guerre ».
  • Vient alors « le travail des migrants », dans un paragraphe qui se conclut par une citation du pape François : « les accueillir est une manière importante et significative de défendre la dignité inaliénable de chaque personne humaine indépendamment de son origine, de sa couleur ou de sa religion ».
  • On aborde alors « la traite des personnes » considérée comme « ignoble » sous toutes ses formes : commerce d’organes et de tissus humains, exploitation sexuelle d’enfants, travail d’esclave – y compris la prostitution –, trafic de drogues et d’armes, terrorisme et crime international organisé.

Un bref paragraphe insiste sur les « abus sexuels » que l’Eglise doit combattre « en commençant par elle-même ».

  • Plus inédit, suit un développement charpenté titré « Les violences contre les femmes ». Ce « scandale mondial » est présenté de façon détaillée, intégrant la nécessité d’une « égalité effective » incluant « la parité des salaires pour un travail égal, la protection des mères qui travaillent, un juste avancement dans la carrière, l’égalité des époux dans le droit de la famille, la reconnaissance de tout ce qui est lié aux droits et aux devoirs du citoyen dans un régime démocratique » (la citation est du pape Jean-Paul II !).
  • S’y ajoute la condamnation des violences sexuelles, auxquelles deux réalités sont rattachées : « la contrainte à l’avortement, qui touche aussi bien la mère que l’enfant, si souvent pour satisfaire l’égoïsme des hommes » et « la polygamie » qui est « contraire à l’égale dignité de la femme et de l’homme et est également contraire « à l’amour conjugal qui est unique et exclusif » ».
  • Vient enfin un paragraphe entier sur « le phénomène du féminicide » qui « ne sera jamais assez condamné », qualifié plus loin de « fléau » avec « de nombreuses situations de violence qui sont étouffées derrière tant de murs. » Une culture du respect de toutes doit se développer, avec « des attitudes de reconnaissance et de gratitude envers la femme, envers nos mères et nos grands-mères qui sont un rempart dans la vie de nos cités. »
  • Il n’est pas anodin que vienne juste après le sujet des violences faites aux femmes le paragraphe titré « l’avortement » puis celui qui traite de « la gestation pour autrui ». Le texte est ferme contre ces deux atteintes à la dignité.

L’avortement est proscrit au nom de la dignité de l’enfant humain à naitre, « en toute phase de son développement », dès la conception. Le texte dénonce les ambiguïtés de vocabulaire, en appelant, à propos d’avortement, à « appeler les choses par leur nom », et l’inversion des valeurs : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal !» Il précise que la « défense de la vie à naître » ne peut être distinguée de celle de l’ensemble des droits humains, qu’il faut protéger des « puissants du moment », et ajoute : « La seule raison est suffisante pour reconnaître la valeur inviolable de toute vie humaine ».

Ce n’est donc pas une question de religion, mais de justice universelle, même si la foi peut contribuer à l’engagement, comme celui de mère Teresa de Calcutta, qui est donné en exemple pour sa « défense de toute vie conçue ».

Même contestation de la GPA qui « traite l’enfant en simple objet » et « lèse gravement la dignité de la femme et de l’enfant. » C’est « en vertu de sa dignité inaliénable » que l’enfant a en effet le droit « d’avoir une origine pleinement humaine et non artificielle et de recevoir le don d’une vie qui manifeste en même temps la dignité de celui qui la donne et de celui qui la reçoit. »

Quant à la femme, elle ne saurait être « un moyen asservi au profit ou au désir arbitraire d’autrui ». C’est contraire à sa dignité, qu’elle soit contrainte à la GPA où qu’elle « décide librement de s’y soumettre ».

  • Les paragraphes qui suivent évoquent « L’euthanasie et le suicide assisté » qui ont « la particularité d’utiliser une conception erronée de la dignité humaine pour la retourner contre la vie elle-même. » Or, « il faut réaffirmer avec force que la souffrance ne fait pas perdre à la personne malade la dignité qui lui est propre de manière intrinsèque et inaliénable ». Il faut donc prendre soin, « en évitant tout acharnement thérapeutique ou toute intervention disproportionnée » mais en répondant aux besoins de la personne : « besoins d’assistance, soulagement de la douleur, besoins émotionnels, affectifs et spirituels ». La texte rappelle qu’« il n’y a pas de conditions sans lesquelles la vie humaine cesse d’être digne et peut donc être supprimée ».

 

Dans cette logique, « aider la personne suicidaire à mettre fin à ses jours est donc une atteinte objective à la dignité de la personne qui le demande, même s’il s’agit de réaliser son souhait. » Au contraire chacun a « le droit aux soins et aux traitements » en s’attachant à ce que « les plus faibles, notamment les personnes âgées et les malades, ne soient jamais écartés ». En effet, poursuit le texte qui cite ici encore le pape François : « la vie est un droit, non la mort, celle-ci doit être accueillie, non administrée. Et ce principe éthique concerne tout le monde, pas seulement les chrétiens ou les croyants ».

Suit un titre original, « La mise au rebut des personnes handicapées » menacées par « une culture du déchet » alors que « la façon dont sont traités les plus défavorisés » est un critère clé pour mesurer le respect de la dignité humaine par une société. Il faut être capable de « prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité » Bref, « tout doit être fait pour sauvegarder le statut et la dignité de la personne humaine ».

 

Théorie du genre et Changement de sexe

Viennent deux séries de paragraphes articulés titrés « Théorie du genre » puis « Changement de sexe ». Commençant par « réaffirmer que chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect », le texte dénonce « toute marque de discrimination injuste », « toute forme d’agression et de violence », et notamment « le fait que, dans certains endroits, de nombreuses personnes soient emprisonnées, torturées et même privées du bien de la vie uniquement en raison de leur orientation sexuelle », ce qui est « contraire à la dignité humaine ».

En revanche, est assimilé « à la tentation séculaire de l’être humain » de se faire Dieu le fait de « vouloir disposer de soi, comme le prescrit la théorie du genre, sans tenir compte de cette vérité fondamentale de la vie humaine comme don ».

Par ailleurs, cette théorie « cherche à nier la plus grande différence possible entre les êtres vivants : la différence sexuelle », qui est « fondatrice », « la plus grande » mais aussi « la plus belle et la plus puissante » que l’on « puisse imaginer ». En réalité, « le sexe biologique (sex) et le rôle socioculturel du sexe (gender), peuvent être distingués, mais non séparés », d’où le rejet de « toutes les tentatives visant à masquer la référence à la différence sexuelle inéliminable entre l’homme et la femme. »

Pour aborder le changement de sexe, le texte commence par affirmer que « La dignité du corps ne peut être considérée comme inférieure à celle de la personne en tant que telle. » Or, « le corps humain participe à la dignité de la personne, dans la mesure où il est doté de significations personnelles, en particulier dans sa condition sexuée. » Par conséquent « Toute intervention de changement de sexe risque, en règle générale, de menacer la dignité unique qu’une personne a reçue dès le moment de la conception. »

Pour autant, le texte « n’exclut pas la possibilité qu’une personne présentant des anomalies génitales qui sont déjà évidentes à la naissance ou qui se développent plus tard, choisisse de recevoir une assistance médicale afin de résoudre ces anomalies. » Une telle intervention ne saurait être assimilée à un changement de sexe.

 

Violence numérique

Enfin, les deux derniers paragraphes intitulés : « Violence numérique » mettent sévèrement en garde contre les conséquences des « progrès des technologies numériques ». Certes, ils peuvent permettre de « promouvoir la dignité humaine » mais tendent aussi « de plus en plus à créer un monde dans lequel se développent l’exploitation, l’exclusion et la violence, qui peuvent aller jusqu’à porter atteinte à la dignité de la personne humaine. » Et d’évoquer la prolifération des « fausses nouvelles et des calomnies. »

Par ailleurs, comme l’écrit le pape François : « le monde numérique est aussi un espace de solitude, de manipulation, d’exploitation et de violence, jusqu’au cas extrême du dark web. » Et le texte de souligner le « risque de dépendance, d’isolement et de perte progressive de contact avec la réalité concrète » mais aussi « le cyber bizutage », la pornographie, et des « jeux de hasard » aboutissant à l’exploitation de la personne sans pudeur.

Résultat : « Le respect de l’autre a volé en éclats ». Ressort de cette dénonciation de la « face sombre du progrès numérique » un appel à ce qu’internet offre « plus de possibilités de rencontre et de solidarité entre tous » et à la « construction du bien commun ».

En conclusion, l’Eglise demande en effet que « le respect de la dignité de la personne humaine, en toutes circonstances, soit placé au centre de l’engagement pour le bien commun et de tout système juridique. »

 

La lecture de ce texte encouragera ses lecteurs dans leur engagement spontané à défendre la dignité humaine contre de multiples injustices : ils y trouveront l’argument-clé de la dignité ontologique de toute personne humaine. Certains découvriront à cette occasion que ce même argument vaut pour d’autres injustices, qu’ils ignorent ou négligent. Le grand mérite d’un tel panorama est bien cet appel à la cohérence. Le « tout est lié » cher au pape François sous-tend la publication de Dignitas infinita. Universelle autant qu’infinie, la dignité n’est-elle pas le trésor qui nous relie tous et nous invite à faire preuve d’humanité ?

 

[1] Le « Dicastère pour la doctrine de la foi »

 

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