Décodeur #2 : La commission spéciale élargit déjà le cadre de l’euthanasie et du suicide assisté

17/05/2024

Décodeur #2 : La commission spéciale élargit déjà le cadre de l’euthanasie et du suicide assisté

L’EVENEMENT

Du lundi 13 au vendredi 17 mai 2024, les députés membres de la commission spéciale ont examiné le projet de loi sur l’accompagnement des malades et la fin de vie. Ils ont modifié le premier volet de ce projet de loi qui concerne les « soins d’accompagnement » et les droits des malades pour tenter de garantir le développement des soins palliatifs, sans assurance cependant d’obtenir leur accessibilité à tous ceux qui en auront besoin. L’accès à « l’aide à mourir », l’euthanasie ou le suicide assisté, qui fait l’objet du second volet du projet de loi, a été considérablement élargi, notamment en supprimant la condition d’un pronostic vital engagé « à court ou à moyen terme ».

LE CHIFFRE

2012 amendements au total ont été déposés sur ce projet de loi, par des députés de tous bords.

RÉSUMÉ DES DÉBATS

  • GARANTIR UN ACCES EQUITABLE AUX SOINS PALLIATIFS

Par plusieurs amendements, les députés ont commencé par réintroduire les soins palliatifs dans le texte du projet de loi. La notion de « soins d’accompagnement », qui ne renvoie à aucune définition scientifique, a été largement contestée, considérée comme floue. Plusieurs députés ont fait valoir que les soins palliatifs constituaient déjà, par définition, une approche globale et pluridisciplinaire de la personne. Ainsi le terme « soins palliatifs » a été ajouté dans titre du premier volet du texte qui s’intitule désormais « Renforcer les soins d’accompagnement, les soins palliatifs et les droits des malades ».

Plusieurs amendements ont été adoptés contre l’avis du gouvernement pour garantir l’accès aux soins palliatifs, alors que seuls 50 % des Français qui en ont besoin n’y ont pas encore accès. L’adoption d’un amendement de Jérôme Guedj (PS) doit désormais garantir que les soins palliatifs et d’accompagnement soient équitablement répartis sur le territoire. Un autre amendement de Thibault Bazin (LR) crée un « droit opposable » à bénéficier de soins palliatifs.

Afin que des moyens soient alloués aux objectifs fixés, un amendement du député Renaissance Gilles Le Gendre inscrit dans la loi les crédits de paiements supplémentaire prévus par la stratégie décennale des soins d’accompagnement. D’autres amendements mettent en place des indicateurs et la remise d’un rapport annuel sur les soins d’accompagnement.

  • SYSTEMATISER LE RECOURS AUX DIRECTIVES ANTICIPEES

Plusieurs amendements ont été adoptés pour mieux faire connaître le dispositif des directives anticipées et de la personne de confiance. Ainsi, lors de l’élaboration ou la révision du « plan personnalisé d’accompagnement » prévu à l’article 3, il devra être proposé au patient de rédiger ou réviser des directives anticipées et de désigner une personne de confiance. Les directives anticipées seront systématiquement conservées dans le dossier médical partagé. Elles devront être abordées au cours des rendez-vous de prévention aux âges clés de la vie mis en place en 2022.

  • LE CADRE DE L’« AIDE A MOURIR » DEJA ELARGI

Mercredi 15 mai dans la soirée, les membres de la commission spéciale ont entamé l’examen du second volet du projet de loi instituant une « aide à mourir », à savoir le suicide assisté – ou l’euthanasie, dans les cas où le patient n’est pas en mesure de s’administrer lui-même la substance létale.

Plusieurs députés de tous bords ont tenté de clarifier les termes du projet de loi en introduisant les termes « suicide assisté » et « euthanasie », totalement absents du texte, mais leurs amendements ont été rejetés. Plusieurs amendements, également rejetés, visaient à empêcher qu’un médecin, un infirmier ou une personne volontaire puisse administrer la substance létale. Finalement, un amendement de la rapporteure a été adopté pour préciser que la tierce personne désignée pour administrer la substance létale doit être majeure et qu’elle « ne peut percevoir aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit en contrepartie de sa désignation. »

Reprenant une revendication de l’ADMD, la députée Danielle Simonnet (LFI) a proposé que la demande d’« aide à mourir » puisse être exprimée dans les directives anticipées, lorsque la personne n’est plus en capacité de s’exprimer. La ministre Catherine Vautrin a alors rappelé qu’une des lignes directrices du projet de loi était que « le patient doit être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée non seulement au moment de la demande d’aide à mourir mais doit être en capacité de réitérer, donc de confirmer tout au long de la procédure jusqu’au moment de l’administration de la substance létale. Il doit toujours être en mesure de renoncer. »

L’amendement a été rejeté. Néanmoins, un amendement avait été adopté la veille à l’article 4, contre l’avis de la ministre et du rapporteur, ajoutant dans la loi que, « dans le cadre des directives anticipées, la personne peut indiquer son choix individuel du type d’accompagnement pour une aide à mourir lorsque la situation ne permet pas une expression réitérée en pleine conscience. »

Puis les députés ont longuement débattu des conditions d’accès à l’« aide à mourir », contenues dans l’article 6. Un amendement de la députée écologiste Julie Laernoes proposait d’ouvrir l’« aide à mourir » aux mineurs, quel que soit leur âge. La ministre a émis un avis défavorable, expliquant que « le discernement d’un enfant progresse avec son âge, et la faculté d’expression d’une liberté libre et éclairée suppose une maturité et un discernement plein et entier. » La rapporteure Laurence Cristol a aussi plaidé d’espoirs de guérison plus probables quand on est jeune. Cet amendement a été rejeté.

En revanche, la condition d’un « pronostic vital engagé à court ou moyen terme » a été supprimée par l’adoption de l’amendement du député socialiste Stéphane Delautrette, qui remplace la condition d’une « affection grave et incurable engageant son pronostic à court ou à moyen terme », par une « affection grave et incurable en phase avancée ou terminale. » Cet amendement a été adopté contre l’avis du gouvernement et de la présidente de la commission spéciale.

Maintes fois dénoncé, le critère de moyen terme était jugé trop flou, impossible à définir. Sollicitée sur le sujet, la Haute Autorité de Santé ne pourrait transmettre ses recommandations qu’en 2025. Néanmoins, cela signifie que la notion même de pronostic vital engagé est supprimée, ouvrant encore plus largement l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie.

Par un amendement d’Agnès Firmin Le Bodo, la souffrance psychologique doit désormais être subordonnée à la souffrance physique. La ministre a précisé qu’« une souffrance psychologique préexistante au diagnostic de la maladie, ne serait pas suffisante pour avoir accès à l’aide à mourir. »

A l’article 8 qui détaille la procédure de mise en œuvre de « l’aide à mourir », les députés ont adopté un amendement contre l’avis de la rapporteure pour introduire la possibilité de réduire le délai de réflexion de deux jours donné au patient pour confirmer sa demande d’aide à mourir, « si le médecin estime que cela est de nature à préserver la dignité de ce dernier telle que celui-ci la conçoit. »

A l’article 9, le patient dispose désormais d’un an à partir de l’autorisation donnée par le médecin pour fixer la date de l’administration de la substance létale, plutôt que trois mois prévus initialement.

A l’article 11, les députés ont adopté un amendement déposé par des députés Renaissance pour que la personne puisse choisir l’euthanasie plutôt que le suicide assisté, indépendamment de sa condition physique. Néanmoins, cet amendement entre en contradiction avec l’article 5 du projet de loi qui maintient l’administration par un tiers de la substance létale lorsque la personne « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ».

Enfin, les députés ont ajouté dans le projet de loi un délit d’entrave à « l’aide à mourir » : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen ». En revanche, des amendements pour pénaliser l’incitation ou la provocation à « l’aide à mourir » ont été rejetés.

 

NOTRE ANALYSE

Par divers amendements, des députés de droite comme de gauche ont voulu renforcer et garantir l’accès aux soins palliatifs sur tout le territoire. Face à la notion floue de « soins d’accompagnement » il était nécessaire de réintroduire la notion de soins palliatifs, dont l’approche est universellement connue et partagée. Il paraît également pertinent d’inscrire dans la loi les moyens prévus par la stratégie décennale des soins d’accompagnement et d’engager ainsi les pouvoirs publics.

Néanmoins, il faut rappeler que la loi prévoit un droit aux soins palliatifs de « toute personne malade dont l’état le requiert » depuis 1999. Ce projet de loi devra donc aussi s’accompagner d’une volonté réelle et de moyens conséquents pour garantir un accès à tous les Français aux soins palliatifs. Avec un budget supplémentaire de 1,1 Md €uros dans dix ans, les moyens prévus par la stratégie décennale ne seront pas suffisants.

Dans ces conditions, plusieurs députés (à droite et à gauche) ont signalé le danger que le suicide assisté soit une option par défaut de soins, comme on le constate dans certains pays, le Canada notamment.

Les débats sur l’autorisation d’une « aide à mourir » ont révélé la difficulté à encadrer l’euthanasie ou le suicide assisté. Si l’ouverture aux mineurs a été écartée, plusieurs députés l’ont envisagée comme une prochaine étape. La levée du pronostic vital engagé élargit considérablement le champ d’application de la loi, faisant craindre la possibilité d’un recours pour des personnes handicapées. La notion de « phase avancée » est particulièrement floue.

La présidente de la commission spéciale voit dans ce changement la rupture de « l’équilibre de la loi ». Néanmoins, la notion de moyen terme était en elle-même porteuse de dérives puisqu’impossible à établir avec certitude, comme l’avaient exprimé de nombreux professionnels lors des auditions. Tugdual Derville, porte-parole, avait également dénoncé le caractère flou et subjectif de ce critère lors de l’audition d’Alliance VITA.

Avec la suppression du pronostic vital et la suppression du délai de réflexion, deux garde-fous importants sont tombés. Il est particulièrement préoccupant que des conditions d’accès soient réécrites dès l’examen en commission spéciale. On le voit, à partir du moment où le suicide assisté ou l’euthanasie sont autorisés, les digues peuvent rapidement se fissurer. La ministre comme les rapporteurs ont bien spécifié que le suicide assisté et l’euthanasie devraient être accessibles en tous lieux où se trouvent le demandeur, y compris dans les maisons d’accompagnement et de soins palliatifs.

Par ailleurs, le texte voté en commission comporte plusieurs contradictions :

  • Il est possible d’indiquer son souhait d’aide à mourir dans les directives anticipées, mais, au moment de la demande, la personne doit « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. ». Le jour de l’administration de la substance létale, le médecin doit vérifier que « la personne confirme qu’elle veut procéder à l’administration. »
  • Il y a une incohérence entre l’article 5 qui précise que l’administration de la substance létale est faite par un tiers lorsque la personne « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder » et l’article 11 qui donne le libre choix au patient entre suicide assisté et euthanasie.

Le texte ainsi voté en commission, qui résulte de différents rapports de force au fil de l’examen des nombreux amendements, manque ainsi de cohérence et paraît largement inabouti. Ces incohérences feront probablement l’objet de nouveaux amendements en séance, mais la direction dans lequel le texte va évoluer est loin d’être évidente.

Enfin, l’introduction d’un délai d’entrave à l’aide à mourir est très inquiétante, dans la mesure où elle pourrait remettre en cause tout le travail de prévention du suicide et risque fortement d’insécuriser tout le personnel soignant. Avec le rejet des amendements proposant de pénaliser l’incitation à « l’aide à mourir », ce projet de loi franchit toutes les lignes rouges et crée une rupture anthropologique majeure.

NOTRE COUP DE COEUR 

Contre l’avis du rapporteur, un amendement de Thibault Bazin a été adopté avec le soutien de voix de gauche pour créer un « droit opposable » à bénéficier de soins palliatifs et rendre les agences régionales de santé responsables de garantir l’effectivité de ce droit.

NOTRE COUP DE GUEULE

Par son amendement, Julie Laernoes a proposé d’ouvrir le recours à « l’aide à mourir » aux mineurs, quel que soit leur âge. Ainsi, de jeunes enfants auraient pu accéder au suicide assisté ou à l’euthanasie, avec l’autorisation de leurs parents.

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