Les grandes tendances de la sexualité en France selon une enquête de l’Inserm

29/11/2024

Les grandes tendances de la sexualité en France selon une enquête de l’Inserm

Le 13 novembre 2024, ont été dévoilés les premiers résultats d’une enquête menée par l’INSERM sur la sexualité. Sa publication a bénéficié d’une grande couverture médiatique relayant des changements profonds dans les pratiques sexuelles des Français. Ces mutations révèleraient un paradoxe contemporain de la sexualité c’est-à-dire une diversification de l’activité sexuelle conjuguée à une moindre intensité.

Les résultats mêlent tout autant des déclarations de personnes interrogées que des analyses et des interprétations de chercheurs en sociologie, démographie, épidémiologie et économie.

Après la cartographie sociale des pratiques sexuelles dans une 1ère partie, la seconde moitié de l’enquête explore l’angle de la santé sexuelle. L’enjeu selon les auteurs est de s’inscrire « dans une dynamique de promotion des pratiques d’auto-soins ».

Y a-t-il une remise en question de plus en plus marquée de la norme hétérosexuelle dans les représentations et dans les pratiques ?

Censée démontrer, parmi d’autres critères, la diversité de l’activité sexuelle, l’orientation sexuelle renvoie selon les auteurs, « à plusieurs dimensions qui ne se recoupent pas toujours : l’attirance au cours de la vie, les pratiques au cours de la vie et l’identification sexuelle actuelle. »

  • Selon l’enquête, 13,4 % des femmes et 7,6 % des hommes de 18-89 ans déclarent avoir été attirés par des personnes de même sexe au cours de leur vie.
  • Par ailleurs, 8,4 % des femmes et 7,5 % des hommes de 18-89 ans déclarent avoir eu au moins un partenaire de même sexe et 0,4 % des femmes et 1,4 % des hommes uniquement des partenaires du même sexe.
  • Enfin, 1,3 % des femmes et 2,3 % des hommes de 18-89 ans définissent leur sexualité comme homosexuelle.

Insistant sur le pourcentage « remarquable » de jeunes femmes déclarant avoir eu au moins un partenaire du même sexe, (14,8% dont 1,3% n’ayant connu que des partenaires du même sexe), les auteurs présument que « ces jeunes femmes semblent s’orienter de plus en plus vers d’autres trajectoires sexuelles dans lesquelles les violences et inégalités sont moins prégnantes. »

L’enquête montre donc que les personnes ayant eu des rapports sexuels avec des personnes de même sexe sont plus exposées aux violences sexuelles.  En effet en population générale, ces chiffres sont inférieurs : 29,8 % des femmes et 8,7 % des hommes de 18-69 ans déclarent avoir subi un rapport forcé ou une tentative de rapport forcé. Chez les jeunes de 18-29 ans, 36,8 % des femmes et 12,4 % des hommes sont concernés par ces violences.

 

Progression des pratiques sexuelles en ligne

Sont regroupés sous le vocable « expérience sexuelle en ligne », le fait de s’être être connecté à un site de rencontre, avoir rencontré un ou une partenaire sexuel(le) en ligne, avoir échangé des images ou des vidéos intimes. On découvre ainsi que 33 % des femmes et 46,6 % des hommes ont eu une expérience sexuelle en ligne avec une autre personne (connexion à un site dédié, rencontre d’un partenaire, échange d’images intimes).

Concrètement, le fait d’avoir envoyé une image intime au cours de sa vie, si l’on peut éventuellement admettre que partager une image intime constitue une expérience sexuelle, concerne 13,8 % des femmes et 17,9 % des hommes de 18 à 89 ans. Mais ces pratiques sont beaucoup plus fréquentes chez les plus jeunes : 36,6 % des femmes et 39,6 % des hommes de 18-29 ans ont déjà envoyé une image intime et 47,8 % des femmes et 53,6 % des hommes de cet âge ont déjà reçu une image de ce type.

13,1 % des femmes et 12,8 % des hommes déclarent avoir vécu une expérience préjudiciable en ligne. Cette proportion atteint une femme sur 3 et un homme sur 4 chez les moins de 30 ans. Cela n’empêche pas les auteurs de trouver que « ces expériences sont pour la plupart positives ». Selon eux pour réduire les risques de situations préjudiciables et leurs effets sur la santé mentale, il faut « développer des politiques d’éducation » et prendre en charge les personnes confrontées aux violences sexuelles numériques.

 

Sur ce sujet de la sexualité numérique que l’enquête qualifie de révolution, à aucun moment n’est abordée la question de la fréquentation des sites pornographiques. La question aurait pourtant mérité d’être posée tant la diffusion de la pornographie pose aujourd’hui problème, pour les mineurs mais aussi pour les adultes qui ont une vision chosifiée de l’autre dans la relation sexuelle.

En septembre 2022, un rapport d’information du Sénat sur l’emprise de l’industrie pornographique et ses impacts néfastes, montrait combien la massification de la consommation à partir des années 2000, avait pu être un facteur dans l’apparition et le développement de contenus de plus en plus violents. Les effets sur la société y étaient également dénoncés : hyper sexualisation précoce, le développement des conduites à risques ou violentes, ainsi que des troubles psychiques. Il est troublant que l’enquête ne se soit pas penchée sur le sujet dans ce contexte.

 

L’âge du premier rapport sexuel recule mais qu’en est-il de l’entrée en sexualité ?

En 2023, l’âge médian au premier rapport est de 18,2 ans pour les femmes et 17,7 ans pour les hommes. Depuis la fin des années 2010, l’âge médian au premier rapport sexuel aurait augmenté pour les deux sexes. L’activité sexuelle diminuerait elle aussi au fil du temps, pour les deux sexes et dans tous les groupes d’âge, qu’il s’agisse de l’activité sexuelle dans les 12 derniers mois et de la fréquence des rapports dans les 4 dernières semaines.

 

Augmentation du nombre de partenaires, baisse de l’usage de la contraception et propagation des IST

Le nombre de partenaires sexuels au cours de la vie a augmenté tant chez les femmes (de 4,5 partenaires en moyenne en 2006 à 7,9 en 2023) que chez les hommes (de 11,9 partenaires en moyenne en 2006 à 16,4 en 2023). Le fait d’avoir eu plusieurs partenaires sexuels dans la dernière année, grandit lui aussi, en particulier chez les jeunes de 18 à 29 ans, passant de 19,3 % en 2006 à 23,9 % en 2023 pour les femmes, et de 29,0 % en 2006 à 32,3 % en 2023 pour les hommes.

Tandis que le nombre de partenaires augmente, on apprend que lors du premier rapport sexuel l’utilisation de contraceptifs comme l’usage du préservatif diminue.  Et la moitié des femmes (49,4 %) et des hommes (52,6%) indique avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport avec un nouveau partenaire dans les 12 derniers mois. Des données publiées en décembre 2023 par Santé publique France, révélaient une hausse marquée des IST bactériennes en France entre 2020 et 2022.

En complément l’enquête de l’Inserm montre que la prévalence de l’infection à Chlamydia Trachomatis est plus élevée chez les personnes ayant plus d’un partenaire dans les 12 derniers mois que chez celles ne déclarant qu’un seul partenaire (1,5 % v/s 0,9% pour les femmes et 2,9 % v/s 0,6% pour les hommes de 18-59 ans).

L’augmentation du pourcentage de femmes sans contraception illustre aussi ce décalage entre les politiques qui tendent à faciliter l’accès à la contraception par nombre de dispositifs et sa moindre utilisation. Quand une politique suivie depuis longtemps ne produit pas les effets souhaités, la sagesse pourrait être de mieux comprendre les raisons de cet échec. Albert Einstein disait avec humour que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ».

 

Grossesses non souhaitées

Selon l’enquête, le pourcentage de femmes ayant eu une grossesse non souhaitée dans les 5 dernières années aurait augmenté entre 2006 et 2023. Comme les formulations utilisées n’étaient pas les mêmes en 2006, et pour fiabiliser la comparaison des données, les auteurs ont englobé dans les grossesses non souhaitées plusieurs options : la grossesse n’était pas souhaitée du tout, la grossesse était souhaitée plus tard, ou la femme ne se posait pas la question.

Le fait de ne pas s’être posé la question signifie-t-il nécessairement ne pas avoir souhaité une grossesse ? Il est permis d’en douter d’autant que le pourcentage de femmes dont la grossesse n’était pas du tout souhaitée n’a quasiment pas bougé entre 2006 et 2023 : 14,3% en 2006 et 14,4% en 2023. Ce qui a progressé en revanche en 17 ans c’est le pourcentage des femmes dont la grossesse était souhaitée plus tard (de 9.3% en 2006 à 12.4% en 2023) et qui est cohérent avec l’entrée plus tardive des femmes dans la natalité.

La catégorie « ne se posait pas la question » progresse elle aussi de 5,3% à 7,2% comme si sexualité et procréation était toujours plus décorrélées. Pour les chercheurs, l’augmentation des grossesses non souhaitées concordent avec les chiffres des IVG dont le taux de recours atteint un niveau record en 2023 avec 16.8 avortements pour mille femmes. Est-ce à dire que les grossesses non souhaitées conduisent toutes ou pour la plupart à une IVG ? Cela demanderait une étude plus approfondie.

 

Démédicalisation de la santé sexuelle

Nouveau canal de déploiement de la sexualité et des pratiques sexuelles, les plateformes numériques sont pour les auteurs de l’enquête un outil contribuant à accélérer le processus de démédicalisation dans la droite ligne de la « dynamique de promotion des pratiques d’auto-soins, préconisée par l’OMS ».

Si le numérique représente une source majeure d’information (pour 75,0 % des femmes et 69,7 % des hommes), l’acceptation sociale des soins dits « de santé sexuelle et reproductive » (avortement, contraception, traitement IST etc) en ligne sans prescription médicale reste modeste. L’acceptabilité vis-à-vis de l’avortement médicamenteux plafonne ainsi à 10.1%. Pour inverser la tendance, les auteurs veulent que soient promues des solutions en ligne, tel que l’accès sans prescription en pharmacie, à la pilule contraceptive par exemple comme cela existe dans d’autres pays.

A l’heure où l’accès aux soins en général se dégrade en France et alors que de nombreux Français regrettent la déshumanisation produite par la numérisation des services, il y fort à craindre du développement de l’auto-soin par le numérique en matière de santé sexuelle.

 

Des nouvelles normes à interroger

Largement relayé dans les médias, ce rapport prétend constituer une photographie des déclarations des Français sur leur vie sexuelle et contient aussi un discours aux accents parfois normatifs. Les auteurs n’évitent pas non plus quelques contradictions relevées plus haut. Les normes actuelles, à la fois dans les discours et les pratiques, ont installé une coupure importante entre sexualité et procréation. Plusieurs signaux, comme l’envahissement de la pornographie à l’école, la hausse des IST (infections sexuellement transmissibles), le nombre record d’avortement, viennent questionner cette « nouvelle » norme.

 
 
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