La Gestation pour autrui : pourquoi s’opposer à la légalisation ?
24/10/2011

Contexte général

Depuis quelques années, ces questions ont été importées en France par des adultes ayant eu recours à des mères porteuses à l’étranger dans le cadre de Gestation Pour Autrui (GPA) et principalement le couple Mennesson. Ils posent la question du statut des enfants (état civil, filiation).

Les interrogations posées par ce procédé de procréation sont nombreuses. A titre d’exemple, le journal canadien National Post du 6 octobre 2010 rapportait le cas d’un couple canadien ayant eu recours à une mère porteuse. Après la découverte que l’enfant était porteur d’une trisomie 21, le couple a demandé l’avortement, ce que la mère porteuse a refusé. L’article souligne que cette situation a suscité des questions épineuses au sujet du contrat qu’ils avaient passé.

Dès lors, la gestation pour autrui peut-elle être considérée comme un procédé permettant de répondre aux souffrances de couples infertiles ? Ou bien constitue-t-elle une nouvelle forme d’aliénation et de marchandisation du corps humain ?

Définition

La gestation pour autrui, ou recours à une mère porteuse, est un procédé dans lequel une femme porte un enfant « pour le compte d’autrui », et s’engage à remettre l’enfant au couple demandeur à l’issue de la grossesse.

Trois types de situations différentes

1. Fécondation in vitro avec les ovocytes de la femme demandeuse et le sperme du conjoint du couple demandeur, puis implantation de l’embryon chez la mère porteuse. (L’enfant aura ainsi deux « mères » : sa mère gestatrice + sa mère biologique et éducatrice).

2. Insémination artificielle de la mère porteuse avec le sperme du conjoint de la femme demandeuse stérile. (L’enfant aura également deux « mères » : la mère biologique et gestatrice + la mère éducatrice).

3. Fécondation in vitro avec les ovocytes d’une donneuse d’ovocyte fécondé avec le sperme du conjoint, puis implantation de l’embryon chez la mère porteuse. (L’enfant aura ainsi trois « mères » : la mère biologique + la mère gestatrice + la mère éducatrice).

A quels cas pourraient s’appliquer la gestation pour autrui ?

1- La gestation pour autrui est principalement envisagée pour des cas de stérilité féminine liée à des dysfonctionnements de l’utérus :

• Le syndrome MRKH est une pathologie qui se définit par une absence congénitale d’utérus, avec des trompes et des ovaires qui peuvent fonctionner.

• D’autres pathologies de l’utérus, comme par exemple le syndrome d’Asherman, consistent en des cicatrices utérines (synéchies) développées à l’issue d’un curetage en suite de couches, après la naissance d’un enfant (suspicion de rétention placentaire, hystérectomie, exposition au distilbène).

2- Cette pratique est aussi revendiquée par des hommes homosexuels pour avoir un enfant en utilisant les services d’une mère porteuse.

 

Législation actuelle

La première loi bioéthique française (n° 94-653 du 29 juillet 1994) définit plusieurs principes fondateurs garantissant le respect dû au corps humain. Inviolable, le corps ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial, conformément à l’article 16-1 du code civil. Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain ou à ses éléments sont nulles.

En 1994, le Conseil Constitutionnel rappelle que les principes du code civil « au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine (…) tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».1

Par ailleurs, comme le rappelle le Rapport d’information de la mission parlementaire, « la situation des enfants nés d’une GPA, s’agissant de leur filiation comme de l’exercice de l’autorité parentale, est donc régie par la loi comme s’il n’y avait pas eu de convention de maternité de substitution. L’ordre public français ne peut être contourné par le recours à une mère porteuse étrangère, quand bien même cette pratique serait autorisée dans les pays concernés ».2

Dans le cas de procréation ou de gestation pour le compte d’autrui, des sanctions pénales sont encourues par la gestatrice, le couple commanditaire et les intermédiaires.

Dans sa lettre de mission du 11 février 2008 pour la révision des lois de bioéthique, le Premier ministre demande au Conseil d’État de procéder à l’examen de la question suivante : « La contrariété à l’ordre public des conventions de mères porteuses et la nullité de tous les actes qui en découlent pourraient-elles, dans certaines hypothèses exceptionnelles, faire l’objet de tempéraments ? »

Le Conseil d’État ainsi que les citoyens membres des panels des États généraux de la bioéthique se prononcent pour le maintien de la prohibition de la maternité pour autrui. Ils adoptent la position prise le 20 novembre 2008par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et par l’Académie de médecine le 10 mars 2009.

Le 6 avril 2011, la Cour de Cassation doit rendre un jugement sur l’annulation d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris de mars 2010 au sujet de l’affaire Mennesson. Ce dernier confirmait la filiation des fillettes nées aux Etats-Unis par GPA vis-à-vis de leurs parents français, mais refusait d’inscrire leurs actes de naissance à l’état civil français.

 

Arguments avancés en faveur de la légalisation de la GPA

Certains évoquent tout d’abord l’absence de réponse médicale aux infertilités d’origine utérine. En effet, il n’y a pas, aujourd’hui, de réponse thérapeutique à certaines formes de stérilité et donc pas d’alternative possible à la GPA.

L’infertilité est en outre une situation ressentie comme une injustice par les couples concernés.

Enfin, certains arguent du primat du biologique sur l’éducatif, préférant ainsi le recours à la GPA plutôt qu’à l’adoption.

Par ailleurs, pour contourner l’interdiction de la maternité pour autrui en France, certains couples se rendent dans des pays étrangers où celle-ci est autorisée. Ainsi, selon Laure Camborieux, psychologue clinicienne, « l’interdiction actuelle est délétère. Les dérives existent déjà en France : en tapant « mère porteuse en France » sur Google, vous voyez apparaître les agences des pays de l’Est et les endroits où trouver des annonces. (…) Pour qu’une interdiction soit respectée, il faut qu’elle soit juste, justifiée et efficace. Aujourd’hui, l’interdiction de la GPA ne remplit pas ces critères ».3

Les couples ayant eu recours à une GPA à l’étranger se prévalent donc de l’argument du « fait accompli ».

Enfin, la légalisation de la GPA permettrait de prévenir certaines dérives et de permettre l’expression d’un acte de générosité. Ainsi, Mme Micoud, coprésidente de l’association des parents gays et lesbiens, a souhaité que « la GPA soit autorisée pour toute personne seule ou tout couple porteur d’un projet parental, qu’elle soit organisée et strictement encadrée pour éviter toute dérive marchande, garantir la dignité de tous les protagonistes et permettre un consentement libre et éclairé de la femme qui accepte de porter un enfant pour autrui, et que les personnes qui mettent en œuvre une maternité pour autrui puissent bénéficier de conseils juridiques et d’un suivi médical et psychologique approprié ». Ainsi encadrée, la pratique de la GPA serait plus sûre et permettrait d’éviter la situation d’inégalité et de discrimination sociale entre couples aisés et couples moins favorisés.

 

Les risques encourus par la gestatrice et par l’enfant à naître

La femme est exposée aux risques et contraintes inhérents à toute grossesse (poussée hypertensive, hémorragie, grossesse extra-utérine, douleurs et suites de l’accouchement…).

Les répercussions psychologiques d’une GPA sur la mère porteuse ne sont en outre pas négligeables. Selon les termes d’une mère porteuse, la mère a l’impression d’avoir été utilisée comme « un sac » et les dépressions post partum sont nombreuses.

En outre, il ne faut pas sous-estimer l’importance des relations entre la mère gestatrice et l’enfant. Le docteur Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre, souligne le risque pour l’enfant de « la rupture imposée. Il ne s’agit pas d’un abandon, mais d’une rupture programmée, délibérée de ce que l’enfant a vécu pendant la grossesse. Une telle rupture a toujours des conséquences psychiques. » Faute de retrouver « la continuité sensorielle avec la peau, les odeurs, la nourriture, la voix, la rythmicité de la mère, (…) le bébé s’agrippera à d’autres objets, mais il s’agira d’une organisation défensive secondaire, après la faillite de l’environnement primaire à valeur organisatrice ». Le parallèle établi parfois entre GPA et adoption semble ici erroné, puisque « l’adoption est instituée dans l’intérêt de l’enfant pour pallier un accident de la vie, tandis que le GPA impose, d’une certaine manière, cet accident de la vie à un enfant ».

Une grossesse vécue sans attachement affectif ne peut être concevable d’un point de vue psychologique et anthropologique.

Les relations entre la gestatrice et l’enfant soulèvent également des interrogations sur le long terme. Ainsi, le professeur Jean-François Mattéi se demande : « Quel rapport l’enfant établira-t-il avec la gestatrice non anonyme ? Voudra-t-il la rencontrer, par curiosité ou par désir de savoir ? »

Une étude canadienne fait état de déclarations spontanées sur le blog de jeunes ayant été conçus par GPA. Elle révèle une grande souffrance, et ce qui est présenté comme un don est perçu comme un abandon.

Par ailleurs, selon le professeur René Frydman, la GPA ne revient-elle pas, « sous couvert d’intentions louables, à faire courir des risques, physiques et psychologiques, non négligeables à certaines femmes mais aussi à leur famille, car elles ont souvent un conjoint et des enfants » ?

En effet, les répercussions sur l’entourage de la mère porteuse sont également à prendre en compte. Le docteur Pierre Lévy-Soussan fait part de ses inquiétudes concernant les «problèmes psychiques de la mère porteuse, de son mari et de leurs enfants, qui devront intégrer le fait de voir leur mère enceinte et qu’elle donne un enfant à un autre, avec toutes les angoisses que cela suppose ».

 

Les risques pour le couple éducateur et pour l’enfant une fois né

La GPA n’est pas exempte de risques pour le couple qui souhaite y recourir.

Le couple doit être préparé à accueillir un enfant atteint d’une maladie ou d’une malformation grave. En outre, la psychanalyste Sophie Marinopoulos exprime ses « doutes concernant la fabrication d’un matériel psychique à partir d’un élément biologique provenant d’une tierce personne ». Enfin, le couple peut avoir à faire face à une ingérence de la mère porteuse dans sa vie privée, voire à un chantage financier.

Il faut également évoquer les dangers d’une parenté fragmentée. Dans le cadre d’une AMP avec tiers donneur, l’enfant peut avoir jusqu’à cinq parents ou géniteurs (le donneur de sperme, la donneuse d’ovocytes, la gestatrice, le père et la mère éducateurs). Cette fragmentation de la parenté a été dénoncée par Jean-Pierre Foucault, président de la Commission de santé publique et de bioéthique du Grand Orient de France. Il fait valoir que «trop d’acteurs interviennent dans l’acte de procréer (…). La mère porteuse pourra revendiquer un lien de filiation avec l’enfant. Qui peut alors prétendre être le père et la mère de l’enfant ? »

Enfin, l’enfant devra s’accommoder d’avoir été l’objet d’un contrat, puisque la GPA s’inscrit le plus souvent dans le cadre d’un marché.

 

Le principe d’indisponibilité du corps humain est toujours d’actualité

Par l’arrêt n° 90-20105 du 31 mai 1991, la Cour de Cassation condamne la convention par laquelle une femme s’engage, « fut-ce à titre gratuit », à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance, en ce qu’elle constitue un détournement de l’institution de l’adoption et qu’ « elle contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes ».

Le Rapport d’information de la mission parlementaire rappelle que « le corps n’est pas seulement le support matériel de la personne ; il ne peut dès lors être qualifié de chose car il ne peut pas être envisagé en soi, isolément de l’être humain qui l’habite. Le corps n’est pas de l’ordre de l’avoir mais de l’être ».

En outre, la philosophe Sylviane Agascinsky note que « demander à une femme d’enfanter à la place d’une autre signifie qu’elle doit vivre neuf mois, et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en faisant abstraction de sa propre existence corporelle et morale. Elle doit transformer son corps en instrument biologique du désir d’autrui, bref elle doit vivre au service d’autrui, en coupant son existence de toute signification pour elle-même ».

A titre d’exemple, aux États-Unis, les contrats passés avec les parents intentionnels ou éducateurs prévoient, dans ses moindres détails, la vie de la mère porteuse : son alimentation, ses activités, son hygiène et, bien sûr, lorsqu’ il y a insémination, sa vie sexuelle. Ce contrôle de la vie intime est pire que celui exercé jadis sur les nourrices, puisque c’est l’existence organique d’une femme qui est substituée à celle d’une autre femme. Or, personne ne dispose de plusieurs corps et de plusieurs vies. Et nul n’est libre d’installer une cloison étanche entre son corps organique et sa vie psychique.

 

Les risques de marchandisation du corps humain sont bien réels

Certaines personnalités, parmi lesquelles les membres du groupe de travail sénatorial sur la maternité pour autrui, considèrent que la GPA pourrait être légalisée en tant que moyen au service de la lutte contre l’infertilité, au même titre que les autres techniques d’AMP.

A l’inverse de cette argumentation, la ministre Roselyne Bachelot pense qu’une légalisation de la GPA «fait courir aux plus fragiles le risque d’une instrumentalisation aliénante de leur corps et de leur psyché » et fait « reconnaître le primat du génétique tout en admettant que la mère puisse être celle qui élève et non celle qui porte et accouche ».

En effet, la grossesse engage l’ensemble du corps et le psychisme de la femme. Sylviane Agacinski fait valoir que « la grossesse constitue une série de transformations très profondes et très longues. Elle bouleverse l’ensemble de l’existence d’une femme sur le plan physiologique, mais aussi sur le plan psychologique et moral. Considérer qu’une femme pourrait faire abstraction du processus d’enfantement qu’elle vit, c’est lui demander un clivage entre ce qui se passe dans son corps et le sens qu’elle donne à sa vie, comme si les aspects biologiques et biographiques pouvaient être scindés. Bref, c’est réduire son corps à une machine ou à un animal. (…) Instrumentaliser ainsi les organes d’une femme, ce qui revient à la traiter comme une chose et à faire d’elle un outil vivant, est contraire au principe d’inviolabilité du corps ».

La grossesse engage davantage que le seul utérus, ce que démontrent les clauses prévues dans les contrats américains des mères porteuses. Comme le note Catherine Labrusse-Riou, professeur de droit à Paris I, « les contrats américains d’inspiration libérale sont fascinants par la servitude totale qu’ils organisent. La servitude volontaire est la pire qui soit ».

Il en résulte une différence de nature et non de degré entre les dons d’éléments du corps humain et la GPA, dès lors que celle-ci suppose la mise à disposition de l’ensemble du corps de la femme et de sa personne.

De plus, comme le note le Rapport d’information de la mission parlementaire, « la GPA ne peut être comparée à une activité professionnelle, notamment parce qu’il n’y a plus dans ce cas de distinction entre le temps de travail et celui de la vie personnelle ».

Il faut également évoquer le risque d’exploitation des femmes les plus vulnérables. Le développement du « body shopping » et du « baby business » attire en effet les femmes en situation précaire. On peut dès lors craindre une forme d’esclavage moderne.

 

La position d’Alliance VITA : maintenir l’interdiction de la GPA

Dangereuse pour la gestatrice, néfaste pour le couple éducateur et l’enfant, la GPA représente une instrumentalisation et une marchandisation du corps humain, qu’une autorisation encadrée ne suffit pas à contenir. Il faut maintenir la prohibition de la gestation pour autrui.

– Alliance VITA considère que la programmation d’un enfant qui sera séparé – par contrat – de celle qui l’aura porté et enfanté ne respecte pas le droit de l’enfant. Une maternité éclatée entre deux voire trois femmes (génitrice, gestatrice et éducatrice) est une injustice pour lui.

– C’est également une injustice pour les femmes porteuses dont le travail s’apparente à de l’esclavage, incompatible avec leur dignité (cf. le contrat détaillé qu’elles doivent signer et auquel elles doivent se soumettre).

– La maternité pour autrui est par ailleurs inégalitaire. Elle susciterait une fracture entre deux groupes de personnes : les couples ayant les moyens de financer une mère porteuse, et les femmes démunies qui loueraient leur utérus ou vendraient leurs ovocytes.

– Ceux qui imposent le débat en France en ayant eu recours à cette technique à l’étranger devraient être poursuivis par la justice, sans qu’on nie pour autant l’intérêt des enfants concernés à avoir un état civil clair, ne cachant rien de leur histoire chahutée.

– Pas plus que pour la peine de mort ou d’autres faits contraires aux Droits de l’Homme, la France n’a pas à se caler sur des législations transgressives et sur le « moins disant » éthique.

 
  1.  Décision n° 94-343 du 27 juillet 1994 concernant la loi relative au respect du corps humain 
  2.  Rapport d’information de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, 20 janvier 2010 
  3.  Les citations contenues dans cette note sont issues des auditions réalisées par la Mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. Elles sont extraites du Rapport d’information de la Mission parlementaire du 20 janvier 2010, p.119 et suivantes.