Avortement : la surenchère permanente

13/04/2014

La future loi Santé a été votée le 14 avril à l’Assemblée nationale et ses 57 articles vont passer devant le Sénat. Mais bien peu ont relevé ce qui concerne l’avortement. Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, nous éclaire sur ce point.

Comment analysez-vous les dispositions de la loi Santé sur l’avortement ?

Tugdual Derville : D’une façon générale, le gouvernement a laissé la main libre aux parlementaires les plus idéologues de sa majorité, comme s’ils étaient abrités par le débat plus visible suscité par le tiers payant. Sous l’influence de Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes, le délai de réflexion d’une semaine prévu jusqu’ici avant de recourir à l’IVG a donc été supprimé.

La disposition a été officiellement votée contre l’avis du gouvernement, mais sans que Marisol Touraine ait vraiment résisté. L’exécutif soutenait en revanche d’autres dispositions votées : la possibilité d’une pratique de l’IVG instrumentale dans les centres de santé et l’accès sans condition à la prétendue « contraception d’urgence » pour les mineures. Rappelons qu’on occulte le caractère partiellement abortif de ces pilules du lendemain très répandues. Une mineure qui a besoin d’une signature parentale pour prendre un cachet d’aspirine peut donc obtenir un avortement précoce en tout anonymat. Pas facile dans ces conditions de demander aux parents d’exercer leur responsabilité ; et si leur fille décompense psychiquement, ils seront en première ligne, sans savoir la raison de sa détresse…

Quel est le mobile de telles évolutions ?

Toutes ces dispositions s’inscrivent dans l’obstination à « faciliter l’avortement » toujours davantage, en faisant peu à peu tomber toutes les limites, jusqu’à avoir même voté un amendement définissant pour les établissements de santé un « quota » d’IVG à réaliser dans l’année. Le Planning familial parvient à faire passer le même argument victimaire depuis plus de quarante ans, que démentent les statistiques : l’accès à l’IVG serait « un parcours du combattant pour les femmes ». Beaucoup seraient « encore condamnées à se rendre à l’étranger » ! Seul changement de cap : le Planning n’envisage plus que la contraception rende l’IVG « marginale » et refuse d’ailleurs désormais l’idée que le nombre d’avortements devrait baisser. Il affirme : « Les femmes avortent ; il ne faut pas en faire un drame. » Il faut dire que près de quatre Françaises sur dix en âge de procréer recourent au moins une fois à l’IVG…

La façon dont est considérée la loi dite Veil, tant dans les manuels d’histoire que par la classe politique, s’apparenterait presque à une entorse à la laïcité tant elle est sacralisée. C’est l’idole archétypale de notre démocratie qui l’encense comme un acte privé de salut public, étrange synthèse de la devise républicaine appliquée aux femmes. Mais le dispositif légal aujourd’hui en vigueur n’a plus grand-chose à voir avec celui qu’on promettait « équilibré » en 1975. Par glissements successifs, l’avortement est devenu la norme incontestable.

Que s’est-il passé pour les sages-femmes ?

Si le texte est voté en l’état, il entrera bientôt dans la profession des sages-femmes l’habilitation à délivrer les produits pour réaliser l’avortement médicamenteux. C’est un changement de paradigme car, jusqu’à aujourd’hui l’essence de ce métier est de prendre soin à la fois d’une femme enceinte et de son enfant jusqu’à sa naissance. Ces dernières années, le Conseil constitutionnel avait invalidé la même réforme votée par la majorité précédente, pour des raisons de forme.

Jusqu’où peut-on encore aller dans cette logique ?

C’est une politique des petits pas, qui va toujours aussi loin que possible, pour « avancer » sans braquer la société. La ministre de la Santé a avoué n’avoir renoncé à soutenir son option de rac-cour-cissement du délai légal à 48 heures que pour une raison alambiquée : ne pas donner l’impression de profiter de l’esprit du 11 Janvier pour faire passer des dispositions « difficiles à accepter pour certains » !

En ce qui concerne les aggravations encore envisageables, ce n’est pas à moi de donner de nouvelles idées au lobby libertaire. L’exemple de certaines législations encore plus transgressives que la nôtre (anglaise, américaine…) est pour lui une source suffisante d’inspiration. Ce qui est triste, c’est que cette soif libertaire est d’autant plus inextinguible qu’elle ne peut produire d’apaisement… Elle est donc vouée à l’échec. L’acte irrémédiable qui scelle le destin d’un être humain en provoquant sa mort prématurée aura beau être noyé sous toutes sortes de justifications, il ne sera jamais source de paix intérieure et de vraie liberté pour les femmes. La France ne se libérera d’un tel déni que par une prise de conscience…

Comment Alliance VITA peut-elle y contribuer ?

En libérant la parole des femmes, sans jamais les juger. Tout l’enjeu, pour nous qui avons déjà accompagné plus de dix mille femmes concernées par ce sujet de l’avortement, c’est que cette prise de conscience ne soit pas source de désespérance mais d’une vraie consolation.

Car ce qui nous préoccupe, c’est la fatalité qui pèse sur de nombreuses femmes qui se découvrent enceintes de façon imprévue. Et également sur beaucoup de celles qui ont déjà l’expérience de l’IVG. Les femmes enceintes nous disent de plus en plus : « J’ai honte de ne pas savoir ce que je dois décider ! » ; et beaucoup de celles qui ont vécu l’IVG nous confient : « J’ai honte de souffrir ! » C’est dire l’injonction d’aller bien qui pèse sur toutes. La société leur dit en substance  « Avorte et tais-toi ! »

En leur refusant le droit à l’hésitation, on nie la complexité des émotions liées à la grossesse ; on occulte l’ambivalence naturelle face aux bouleversements de l’existence qu’on sait pourtant reconnaître pour des actes bien plus anodins de la vie courante… Ultimement, en niant leur souffrance, on les condamne à souffrir en silence. C’est très violent. Pour paraître affranchies, les femmes doivent renoncer à leur identité, dans le domaine où elle est la plus spécifique : la maternité. Vous parlez d’une libération !

Qu’attendez-vous d’une alternance politique sur ce sujet ?

Du courage mais surtout de la lucidité politique… Il faut encore un certain courage pour prendre à contre-pied le lobby encore très médiatisé qui monopolise ce qu’il proclame être « la cause des femmes », et tétanise encore la classe dirigeante.

Mais il suffirait aux leaders politiques d’un zeste de lucidité pour comprendre qu’un autre discours politique est possible pour rejoindre les Français et plus encore les Françaises. Elles sont majoritaires — nous l’avons vérifié dans plusieurs sondages d’opinion — à attendre que les pouvoirs publics les aident à éviter l’IVG. Je l’ai dit à Nathalie Kosciusko-Morizet : son analyse sur ce sujet m’avait paru indigente, comme si, dans un pareil domaine, on devait faire coexister des convictions privées et publiques antinomiques. Comme si, par ailleurs, le débat sur l’avortement était l’apanage des religions. Aurait-on idée d’avancer la même chose sur la peine de mort ? Quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur les intentions de Simone Veil, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que la brèche ouverte par sa loi s’est révélée incontrôlable : l’argument de l’exception pour détresse fut un leurre. Jusqu’à maintenant, les gouvernements de droite — je pense à Roselyne Bachelot lors du précédent quinquennat — se sont d’ailleurs largement inféodés à la doctrine du Planning familial, alors que ce dernier appelle systématiquement à voter pour la gauche…

Nous faisons avec Alliance VITA un important travail social d’aide aux femmes enceintes et à celles qui ont besoin d’écoute à cause d’un avortement qui les trouble. La diffusion de notre guide Je suis enceinte est une mission de service public que nous réalisons en lieu et place des gouvernements successifs qui ont abandonné cette mission.

Nous comptons bien convaincre les politiques de mettre enfin en œuvre une vraie politique de prévention de l’IVG. Cela passe à nouveau par une libération vis-à-vis des carcans de la pensée unique. Du côté du gouvernement actuel, on en est très loin. C’est plutôt la surenchère. La légalisation — heureusement controversée — des salles de consommation de drogue relève de la même logique libertaire…

Propos recueillis par Frédéric Aimard

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