Urgence pour l’hôpital

13/01/2023

Dégradation des hôpitaux français

A l’occasion des cérémonies de vœux, E. Macron s’est adressé dans un long discours aux personnels de santé depuis le Centre Hospitalier Sud-Francilien, à Corbeil-Essonnes. Le secteur de la santé, et en particulier de l’hôpital ne cesse d’inquiéter les Français. Les articles se succèdent sur les tensions à l’hôpital : crise des urgences, inquiétude sur la pédiatrie, crise prolongée pour la psychiatrie,  dont la misère est dénoncée depuis de nombreuses années…

La dégradation du service de l’hôpital n’est d’ailleurs pas seulement une question de capacité à soigner aujourd’hui, mais également pour demain. Une tribune avait alerté en novembre sur la réduction en euros réels (c’est-à-dire en tenant compte du niveau de l’inflation) pour le budget hospitalier 2023. En effet, la hausse prévue de 4.1% pour ce budget ne permet pas de compenser une inflation qui a augmenté de 5.9% sur 1 an, selon l‘INSEE. Les carences actuelles et l’attractivité des métiers du soin pour demain sont en jeu.

Une mesure phare : la fin de la tarification à l’acte ?

Dans ce contexte, les annonces du président de la République se déploient sur plusieurs axes. E Macron a annoncé d’ailleurs qu’il faudra une décennie pour parvenir à des changements en profondeur et qu’il faudra vivre “dans une situation qui va plutôt se dégrader en termes d’offre médicale” selon ses propres termes, dans les années à venir.

Mesure phare, la fin de la méthode de tarification, dite T2A serait actée dans le prochain PLFSS (le budget de la Sécurité Sociale voté par le Parlement), qui sera discuté à l’automne 2023.  Ce mode de tarification à l’acte pour les hôpitaux, instauré en 2004, s’est révélé à l’usage source de distorsions, par exemple, l’absence de prise en compte de la situation du patient (âge, précarité, maladies chroniques…). En 2018, déjà, l’Exécutif avait prévu de plafonner à 50% la part de la T2A dans le financement des établissements. Si elle a effectivement baissé, la part tarifée à l’activité n’est pas passée sous la barre des 50% : elle représentait 67,3% des financements des établissements de santé par l’Assurance maladie en 2021. Le discours de vœux mentionne qu’ “il faut qu’il y ait une part structurante de la rémunération qui repose sur des objectifs de santé publique qu’on négocie à l’échelle d’un territoire“. Le système dessiné dans ce grand trait devra être précisé plus tard.

Des “chantiers” seront ouverts. Ainsi, le redéploiement entre personnel administratif et de santé, l’embauche d’assistants médicaux, pour passer de 4000 à 10000, “d’ici la fin de l’année prochaine“. Pour les 600,000 patients souffrant de maladies chroniques sans médecin traitant, E Macron a évoqué un accès à une “équipe traitante” faite de ” coalitions d’acteurs qu’on aura identifiées et structurées à l’échelle d’un territoire et d’une équipe“.

Sur la question des moyens financiers, un “chantier” doit aussi s’ouvrir pour discuter de la rémunération du travail de nuit et des permanences. E Macron a  évoqué un “nouveau pacte” avec la médecine libérale pour assurer une permanence de la médecine de garde en ville. Par ailleurs, E Macron a également abordé la question de la prévention, soulignant le titre de François Braun : ministre de la Santé et de la Prévention. Le président a déclaré que “tout ce qu’on prévient, c’est évidemment ce qu’on évite de soigner ensuite. Et c’est un investissement rentable pour la Nation et rentable pour la santé collective. On a besoin d’avoir un système qui prévient mieux“.

La situation de l’hôpital en France a fait l’objet de beaucoup d’attention depuis la crise sanitaire traversée ces dernières années. Attention des médias, des politiques et de l’ensemble de la population française, au point qu’une question spécifique sur ce sujet était posée aux deux candidats à l’élection présidentielle lors du débat organisé mercredi 20 avril.

Récemment, le collège de la Haute Autorité de la Santé (HAS), un organe administratif créé en 2004, a publié une lettre ouverte à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements. Le Collège soulignait deux enjeux : les ressources humaines en raison de la pénurie importante de personnel de santé et l’organisation et le mode de financement du système de santé. Il appelait à des réponses urgentes : plus de moyens, développement des téléconsultations, délégation des décisions plus près du terrain…

Sortir des urgences“, c’est aussi le titre d’un épais – 313 pages- rapport du Sénat sur la situation de l’hôpital, publié suite à la demande du groupe LR d’établir une Commission d’enquête.

Cette radiographie de la situation des hôpitaux comporte des chiffres, des analyses et des recommandations. Sans être exhaustif, les éléments suivants méritent d’être partagés.

Les chiffres

La Drees (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’évaluation et des statistiques) décompte un peu plus de 3 000 établissements de santé en France en 2020 : 45% sont des établissements publics 22% sont  des établissements privés à but non lucratif  et 33% des établissements privés à but lucratif. La France comprend le plus grand nombre d’hôpitaux par million d’habitants (44,7) parmi les pays européens de taille comparable. En 2019, les effectifs hospitaliers sont supérieurs de 20,4 % à ce qu’ils étaient en 2000, avec cependant un net ralentissement des embauches après 2010. Le nombre de personnels hospitaliers en 2019 n’est supérieur que de 1,7 % à ce qu’il était en 2012. L’activité, elle, n’a pas cessé de croître. Un exemple frappant l’illustre : le nombre de passage aux urgences était de 10.1 millions en 1992, et est passé à 22 millions en 2019.

Concernant la part de personnel administratif, le rapport note que des chiffres du ministère de la Santé estiment sa proportion à 25% du personnel total, mais un rapport de l’OCDE avançait un chiffre de 33.6%. Cacophonie des chiffres qui illustre, selon le rapport, un premier souci : la situation exacte n’est pas bien connue, ce qui ne facilite ni le diagnostic ni la recherche de solutions. Les pénuries de personnel semblent multiples. 5 à10% des postes infirmiers seraient vacants, un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont non pourvus dans l’hôpital public. Il manquerait 13% d’aide soignants dans les Ehpad et un tiers de ceux-ci sont sans médecin coordinateur. La baisse du nombre de lits, un indicateur qui a retenu l’attention du public depuis la crise de la Covid, s’expliquerait par des durées raccourcies d’hospitalisation et une situation française plus haute au départ, comparée à la moyenne européenne. Le développement de la chirurgie ambulatoire et la mise en place d’une tarification à l’activité – et non à la durée du séjour- seraient les facteurs contribuant à ces séjours plus courts en hôpital. Ainsi le taux de chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire sans nuit passée à l’hôpital, est passé de 43,3 % en 2010 à 59,4 % en 2020. Un objectif de 70 % avait été fixé pour 2022 mais a été repoussé en raison de la crise sanitaire.

Elément crucial, la perception des soignants sur la situation est fortement dégradée et le Ségur de la Santé ne semble pas avoir, pour le moment, renversé la situation. De nombreuses enquêtes ont détaillé le mal-être voire le “ras-le-bol” des soignants. La commission d’enquête a “entendu beaucoup d’acteurs hospitaliers s’alarmer d’un véritable cercle vicieux : les conditions de travail et le sentiment de perte de sens du métier alimentent des départs, les vacances de postes de soignants augmentent, elles-mêmes accentuant la pression sur les équipes en place et renforçant les raisons de quitter l’hôpital”.

Les analyses

La Commission s’est penchée sur les multiples facteurs contribuant à cette situation dégradée.

Concernant la rémunération, le rapport note qu’en 2006 la rémunération des infirmiers était en France équivalente au salaire moyen dans l’ensemble de l’économie. Elle lui était inférieure de 6 % en 2015. Perte de pouvoir d’achat relatif donc et sentiment pour les infirmiers que leur travail n’est pas reconnu. En comparaison, au niveau de l’OCDE, la rémunération des infirmiers était, à la même date, supérieure de 14 % au salaire moyen de la population.

La facturation à l’activité, nommée T2A, fut un élément clé de la réforme du financement de l’hôpital en 2004. Très souvent désignée comme un point négatif majeur, le rapport nuance la critique. Il reconnaît l’intérêt de cette tarification pour allouer à chaque hôpital un financement cohérent avec son activité mais la Commission pointe les limites de la méthode dès lors que le tarif s’éloigne des coûts réels d’une activité, exemples concrets à l’appui. La pédiatrie hospitalière, la prise en charge de patients vieillissants seraient, selon une médecin interrogée, « assurées par le secteur public car non rémunératrices ».

Un autre mécanisme de financement est en revanche clairement mis en cause par la Commission d’enquête. L’ONDAM (Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie) hospitalier, un élément du dispositif de financement voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la Plfss(loi de financement de la Sécurité Sociale), a servi de variable d’ajustement par rapport à l’ONDAM “soin de villes” afin que l’objectif de plafond de la hausse des dépenses totale soit réalisé. La Cour des Comptes avait déjà dénoncé ce point dans un rapport de 2018.

Les recommandations

Le rapport consacre de nombreuses pages à la situation démographique des professions de santé et détaille des recommandations pour les rendre plus attractives. Revalorisations salariales à poursuivre, formation continue, prise en compte des contraintes fortes pesant sur les soignants en hôpital : permanence jour et nuit, continuité du service… L’intensité du travail dans le secteur hospitalier demeure supérieure à celle observée pour l’ensemble des salariés : « 60 % des salariés du secteur hospitalier rapportent devoir toujours ou souvent se dépêcher, contre 45 % de l’ensemble des salariés ». Un chiffre parmi d’autres : l’indemnité compensatrice du travail de nuit des personnels non médicaux de la FPH depuis 2001 est fixée à 1.07 euro de l’heure.

La Commission souhaite aussi que les visites à domicile pour des soins non programmés soient de nouveau développées.  Le nombre de visites à domicile a été divisé par trois en 20 ans : 71 440 000 visites à domicile recensées en 1997, 24 443 000 seulement en 2016. Une tarification inadaptée pèse en défaveur de ces visites à domicile de la part des médecins.

Enfin, l’Hospitalisation à domicile (HAD) est aussi un secteur à favoriser pour désengorger le secteur hospitalier. Portée par près de 300 structures, mais peu connue, elle s’est développée ces dernières années, représentant plus de 5 % des capacités d’hospitalisation. Elle semble bien adaptée à certaines situations, comme les soins palliatifs ou des soins à des patients lourdement dépendants.

Les rapports, les articles se sont multipliés sur la “crise de l’hôpital” depuis plusieurs années, et la crise sanitaire a servi de détonateur pour desserrer un carcan budgétaire et administratif pesant sur les hôpitaux. Mais les difficultés demeurent en bonne partie et le vieillissement attendu de la population pourrait aggraver les tensions faute de décisions fortes. La santé et un bon système de soins constituent une attente top-prioritaire des Français pour le quinquennat qui va s’ouvrir prochainement.

 

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