Audition d’Alliance VITA par la Commission spéciale du projet de loi fin de vie

26/04/2024

Audition d’Alliance VITA par la Commission spéciale du projet de loi fin de vie

 

La prétendue « aide à mourir » est une fraternité à l’envers

Le 25 avril 2024, Tugdual Derville et le docteur Olivier Trédan, respectivement porte-parole et conseiller médical d’Alliance VITA, ont été auditionnés à l’Assemblée nationale par la Commission spéciale chargée de la loi fin de vie. Sous la présidence d’Agnès Firmin Le Bodo, Olivier Falorni étant rapporteur général, quatre associations étaient auditionnées simultanément : deux favorables à l’euthanasie et au suicide assisté (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité et Le Choix) et deux opposées (Fondation Jérôme Lejeune et Alliance VITA).

Le texte qui suit n’est pas le relevé de l’ensemble des propos des représentants d’Alliance VITA répondant aux questions des parlementaires, mais celui des contributions préparées pour cette table-ronde.

 

Contribution de Tugdual Derville, porte-parole d’Alliance VITA :

 

I. Un projet de loi trompeur

Nous devons pour commencer éclairer ce qui se cache derrière un projet de loi et un débat qui nous semblent trompeurs à quatre titres.

D’abord, l’expression « aide à mourir » relève la dissimulation. Ce projet, c’est du suicide assisté articulé à de l’euthanasie, ni plus ni moins. Cette euphémisation criante n’est pas digne de la démocratie : comment vouloir légaliser des réalités aussi « sensibles » sans utiliser les mots correspondants, pire, en choisissant une expression positivement connotée, qui relève vite du chantage affectif. Peut-on être satisfait qu’on joue ainsi sur les mots alors qu’il s’agit de vie et de mort ?

Ensuite, deux des critères essentiels rendant éligible à cette prétendue « aide à mourir » sont à la fois larges et flous, en réalité indéfinissables et invérifiables. Le « pronostic vital engagé à moyen terme » et les « souffrances psychologiques insupportables ». Le docteur Trédan reviendra sur ce « moyen terme » qui oblige le médecin à la subjectivité. Quant aux « souffrances psychologiques insupportables » personne ne peut se permettre de les évaluer. Notre expérience d’écoute par notre service SOS fin de vie le confirme. Quand quelqu’un dit qu’il éprouve une souffrance psychique insupportable » ce serait un manque de respect que de prétendre le contester… On ouvre alors une boîte de Pandore.

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Tromperie également, malgré les effets d’annonce à propos des soins palliatifs dont ce projet de loi se permet de rabougrir singulièrement la définition en les réduisant à la lutte contre la douleur. Le développement satisfaisant qui ne cesse d’être promis n’aboutirait que bien après la mise en œuvre de cette loi. Cette promesse (celle qui était exigée par le CCNE) aura servi d’alibi et d’excipient à la prétendue « aide à mourir ». En réalité cette loi affaiblit, concurrence et dénature les soins palliatifs.

Enfin, on nous dit que cette loi pose des critères et des procédures stricts, garantis. Il n’en est rien. En faisant sauter le verrou, on impose à notre société un débat sans fin… Vous le mesurez certainement en entendant Monsieur Delfraissy (président du CCNE) parler de « loi d’étape » pour justifier que les mineurs soient – pour le moment – exclus de ce texte. Nous voulons quant à nous protéger l’interdit de tuer entre soignants et soignés.

Nous avons réuni, lors d’une rencontre internationale qui s’est tenue à Paris à la Maison de la Chimie le 28 février, des experts, soignants et témoins de 5 pays ayant légalisé suicide assisté ou euthanasie. Leur message est unanime : « N’ouvrez pas cette boite de pandore ! Il n’y a aucune raison que la France enraye l’effet domino que nous avons subi. »

II. La mise à mal de la prévention du suicide

 

Cette loi ruine la prévention du suicide. Nous sommes choqués qu’on désigne déjà des catégories de personnes comme éligibles au suicide ou à l’euthanasie (pour commencer les personnes atteintes de la maladie de Charcot, nous l’avons entendu chez plusieurs leaders politiques). C’est pour ces patients une discrimination injuste et violente, et également pour leurs proches et leurs soignants qui se battent à leurs côtés face au drame de cette maladie. Or, ce sont les plus fragiles et leurs proches qui ont le plus besoin d’être protégés de la désespérance.

Nous constatons déjà, à cause de ce débat, un effet Werther (contagion du suicide), un effet global ou institutionnel : notre service d’écoute et d’aide SOS fin de vie, reçoit des demandes de suicide de la part de personnes ayant uniquement des maladies psychiques. Elles croient qu’il est possible d’être suicidé !

Même crainte pour les personnes âgées. Lors de notre audition au cabinet de Mme Vautrin, sa conseillère a protesté que l’âge ne constituait aucunement un critère d’éligibilité. Mais M. Savignac, président de la MGEN et qui soutient l’ADMD, vient de déclarer : « Le taux de suicide des personnes âgées en France montre que la demande est déjà là ». Une telle déclaration émanant d’une personnalité mutualiste qui a de telles responsabilités dans le champ du financement de la santé a de quoi inquiéter. En réalité, c’est largement l’offre de suicide assisté (ou d’euthanasie) qui crée la demande…

 

III. Ce projet de loi est opposé à la liberté comme à la fraternité

 

A nos yeux, ce projet de loi est opposé à la liberté comme à la fraternité.

  • Le concept de l’aide à mourir (que nous considérons comme dissimulateur et piégé) est liberticide pour trois raisons.

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Nous entendons souvent qu’une telle loi n’enlèverait rien à personne et ne concernerait que ceux qui souhaiteraient suicide assisté ou euthanasie. En réalité, le concept « attractif » d’aide à mourir viendrait faire intrusion dans la vie de tous les patients et de leurs proches dans leurs moments de plus grande fragilité : « Suis-je de trop ? » devient la question. Tous, patients, proches et soignants seraient impactés.

Ensuite, quel est le sens d’une liberté exercée sous les inévitables pressions ? Nous les connaissons tous ; elles sont de deux ordres : pressions internes : une douleur mal apaisée, une souffrance psychologique mal accompagnée, de multiples peurs de ce qui pourrait advenir… Pressions externes : le regard des autres, le sentiment d’inutilité, la peur d’être un poids, de coûter… L’argument économique en période de crise budgétaire (y compris dans le domaine de la santé) est incontestable.

On joue avec le feu, car l’interdit de tuer protège les soignants de leur propre toute puissance, depuis le serment d’Hippocrate : « Je ne donnerai à quiconque du poison, même si on m’en fait la demande ».

Notons le grand paradoxe de l’autonomie avec cette loi qui s’en réclame : elle demande à un médecin de décider si, oui ou non, il va prescrire de quoi donner la mort à son patient. Le grand risque, quand on voit l’état de notre système de santé, c’est la décision suicidaire, prise à contrecœur, par défaut de prise en charge adaptée, comme on le voit Canada : des personnes en situation de handicap y optent pour l’ « aide médicale à mourir » (l’euthanasie), non parce qu’elles veulent mourir mais parce qu’elles n’ont pas de prise en charge adaptée.

Il faut enfin réaliser qu‘administrer la mort prive de moments imprévisibles, qui s’avèrent bien souvent plus essentiels qu’on ne le croit : nous en avons maints exemples. Cette mort sur ordonnance s’impose à toute une configuration familiale, et aux équipes médicales… Le deuil après suicide, quelle qu’en soit la modalité, est très lourd : au lieu de « consentir à l’imprévisible » on a fixé l’échéance, sans jamais savoir ce qu’on a, en réalité « volé » à la personne et à ses proches de sa vie…

  • Ce projet contredit enfin cette fraternité dont il se réclame.

Il y a au mieux une immense naïveté à penser que la fraternité conduit à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie. Pensez au regard que tant de bien portants portent déjà sur les personnes en situation de handicap ou sur les personnes âgées dépendantes (qui souffrent de ce regard) : « plutôt mourir que d’être comme elles ! » Philippe Pozzo Di Borgo avait remercié ses soignants qu’ils ne l’ont pas au mot de sa désespérance quand, devenu tétraplégique, il voulait se suicider.

Nous ne sommes pas des îles d’auto-détermination : la culture nous influence. Or, une pensée dominante de dévalorisation et de mépris des faibles et de la fragilité contamine ce débat. En valorisant le fort contre le faible, elle pousse le faible à l’auto-exclusion, au nom d’une autonomie mal-comprise. Cette culture a quelque chose de fratricide.

L’expression « secourisme à l’envers » est apparue dans une version du texte de loi pour décrire l’action des soignants venant achever un patient qui aurait « raté » son suicide assisté. Elle était bien trouvée : nous estimons que cette loi instaurerait une fraternité à l’envers. Plutôt que pousser à mourir (qui serait à nos yeux une expression plus fidèle à ce que ce projet contient), nous estimons que le devoir de fraternité nous incite à aider à vivre, sans acharnement thérapeutique, ni euthanasie, ni incitation au suicide.

Contribution du docteur, Olivier Trédan, cancérologue, conseiller médical d’Alliance VITA.

En tant que cancérologue, mon métier consiste à mettre en œuvre, quotidiennement, un accompagnement des patients et des patientes dans trois périodes successives de la maladie : au moment du diagnostic du cancer, lors de la longue phase d’évolution du cancer et, lorsque cela s’avère nécessaire, dans la période de la fin de vie du patient. Je voudrais souligner deux points positifs dans l’évolution récente de la médecine en générale et de la cancérologie en particulier :

  • Premièrement : l’accompagnement des patients atteints d’une maladie jugée incurable doit intégrer le plus précocement possible des soins de support. Il est bien établi maintenant que la précocité de la mise en œuvre de cet accompagnement améliore la qualité de vie et la survie des patients ;
  • Deuxièmement : de nouvelles stratégies diagnostiques et thérapeutiques apparaissent régulièrement, améliorant l’espérance de vie des patients avec une rapidité jamais observée.

 

I. Une régression importante

 

Dans ce contexte, nous sommes nombreux à penser que le projet de loi actuel induirait une régression importante, en particulier dans l’alliance thérapeutique qui s’instaure de plus en plus entre les équipes soignantes et les malades.

Le développement de la médecine intégrative et multidisciplinaire pour une prise en charge globale des patients serait limité, voire contrecarré à tout moment par une possibilité d’ « aide à mourir » dans le parcours du patient. En effet, le pacte de confiance entre les soignants et le malade ne doit pas être abimé par une réponse immédiate et irréversible à une demande d’en finir. De mon point de vue, la dynamique vertueuse de l’amélioration de la confiance mutuelle, qui est toujours bénéfique pour les patients et leurs proches, s’arrêtera avec les demandes croissantes d’aide à mourir.

C’est le corps social tout entier qui en pâtirait.

II. Ce projet de loi induit de graves confusions

Aucun des médecins de mon entourage ne pourra être précis dans l’appréciation d’un « risque de décès à moyen terme ». En prenant en compte l’évolution ultra-rapide des innovations thérapeutiques et les fluctuations habituelles de l’état de santé des patients, comment pourrait-on prédire une date de décès dans une période de quelques semaines ou quelques mois ?  Combien de fois avons-nous été surpris de constater une survie prolongée chez un patient considéré comme au-delà de tout recours thérapeutique ?

De plus, ajouter le terme de souffrances « insupportables » en plus du terme « réfractaire » ajoute l’ambiguïté à l’ambiguïté. Quels critères médicaux objectifs poseront le diagnostic de douleur impossible à supporter ? Ce que je constate dans ma pratique, c’est que les souffrances les plus importantes des patients sont souvent liées à des situations de grandes fragilités sociales ou familiales.

Les réponses que les soignants peuvent apporter à cette souffrance sont pour l’instant insuffisante à cause des limites de notre système de santé, particulièrement en termes d’aide aux personnes. Il faudrait plus de moyens et d’engagement pour lutter contre l’isolement et l’abandon des personnes en fin de vie et les risques de suicide associés.

Enfin, il n’est pas réaliste de considérer qu’un patient fragilisé par une maladie incurable pourrait être « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairé ». Quelle est la capacité de jugement d’un patient soumis depuis de longs mois à des traitements lourds ? Je vous rappelle que la plupart des affections graves altèrent, par elles-mêmes, les capacités cognitives, elles induisent des syndromes anxio-dépressifs réactionnaires et, le plus souvent, les traitements administrés ont des répercussions métaboliques et neuropsychiques.

J’observe par ailleurs un décalage entre la volonté affichée par le législateur de mettre au cœur des décisions médicales des procédures collégiales et ce projet qui ne propose qu’un seul soignant extérieur pour confirmer une demande de mort dans un contexte de souffrance morale importante.

Pour conclure, je suis persuadé que l’évolution que cette loi veut induire dans nos pratiques casserait la dynamique enclenchée il y a quelques années qui vise à améliorer la confiance entre soignants et malades. Elle pourrait induire un engrenage délétère avec des soignants qui douteront à nouveau et plus en plus de leur capacité à donner des soins proportionnés et adaptés à chaque patient. Nous voulions lutter contre la toute-puissance des médecins qui décidaient auparavant de la vie et de la mort des patients.

Un risque nouveau advient pour les patients : lorsque dans des périodes de détresse, ils demanderont à mourir, un processus expéditif pourrait s’enclencher pour aboutir en quelques jours à une mort provoquée, avec une possibilité d’abus de confiance et d’autorité.

 

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