Une équipe internationale de chercheurs vient d’annoncer qu’elle a réussi à « cultiver » des embryons humains pendant 13 jours, alors que le précédent délai maximal atteint était de neuf jours. Ils ont pu être maintenus vivants, grâce notamment à un milieu nutritif artificiel riche et mimant celui présent dans l’utérus humain, au-delà du stade auquel ils se seraient naturellement implantés dans l’utérus maternel.
Ces travaux ont été publiés dans deux revues britanniques, Nature et Nature Cell Biology le 4 mai 2016. Pour le Professeur Zernicka-Goetz de l’université de Cambridge, ce nouveau délai « permet en fait de comprendre pour la première fois les premières étapes de notre développement au moment de l’implantation de l’embryon, au moment où il se réorganise pour former le futur corps humain ».
Puis ces embryons ont été volontairement détruits, afin d’arrêter l’expérience pour respecter la limite des 14 jours de recherche sur l’embryon actuellement en vigueur dans de nombreux pays. Cette limite de 14 jours est souvent retenue parce qu’elle marque le moment où l’individualité d’un embryon est assurée, car il ne peut plus se diviser en jumeaux. C’est également à ce stade que se forme la «ligne primitive», qui commence à distinguer la tête de l’embryon de sa queue.
Cette nouvelle a suscité de nombreuses réactions. La question de prolonger cette limite des 14 jours est posée, et d’ores et déjà débattue par la communauté scientifique. Prolonger de deux jours (soit 16 jours) la limite fixée au développement de l’embryon in vitro permettrait d’étudier la troisième étape de formation de l’embryon appelée «gastrulation». C’est la période du développement au cours de laquelle se mettent en place les 3 feuillets fondamentaux (ou primitifs) de l’embryon qui donneront l’ensemble des tissus et organes de ce nouvel être humain.
Pour le Professeur Zernicka-Goetz : « Cette nouvelle technique nous donne une opportunité unique de mieux comprendre notre propre développement pendant les stades cruciaux (tout premiers jours de la vie) et ce qui se passe par exemple lors d’une fausse-couche ». Mais cette responsable de la partie des travaux menée en Grande-Bretagne a précisé qu’ « il ne nous appartient pas de décider maintenant si nous devons le faire ou non. La réglementation est utile, nous devons y adhérer, elle devrait être fixée par la communauté, au sens large ».
Trois des chercheurs impliqués dans ces travaux, Insoo Hyun de la Case Western Reserve University dans l’Ohio, Amy Wilkerson de l’Université Rockefeller de New York, et Josephine Johnston au Centre Hastings à New York, ont appelé au réexamen de cette « règle » des 14 jours, et à des débats internationaux pour modifier les lois et les politiques de recherche.
Pour Allan Pacey, professeur à l’université britannique de Sheffield : « Cela pourrait révolutionner notre compréhension du développement de l’embryon à un stade précoce ». Robin Lovell-Badge de l’Institut britannique Francis Crick s’interroge : « Proposer de repousser la limite de 14 jours ouvrirait-il la boîte de Pandore ou serait-ce une mine d’informations? (…) Si la décision retenue est de ne pas allonger ce délai, je pourrai vivre avec ça, et je suppose que de nombreux scientifiques le pourront ». Par contre, pour Azim Surani, directeur de recherche de l’Institut Gurdon de Cambridge, en faveur du réexamen de la règle : « Pour moi, permettre la culture au-delà de 14 jours était justifié, même bien avant ces publications ».
Le Nuffield Council on Bioethics annonce vouloir organiser une réunion dans l’année pour discuter de cette possibilité de changer la limite. Considérant qu’une initiative pour modifier cette limite soulève d’importantes questions, son président Johnathon Montgomery a déclaré : « Le Conseil a l’intention de réunir des participants ayant différents points de vue sur la recherche sur l’embryon dans le but d’évaluer si, 25 ans après, il peut y avoir des raisons convaincantes pour ré-examiner cette limite légale, ou si les raisons ayant posé ce choix restent valides ».
Ces embryons se sont donc développés sans aucun contact avec des cellules maternelles. Or, après la fécondation, dans un processus naturel, l’œuf fécondé s’implante habituellement dans la paroi utérine maternelle vers le 6ème jour après la fécondation. Dans les centres de PMA, les embryons sont implantés avant le 7ème jour.
De nombreuses questions se posent, notamment celle-ci : ces embryons étudiés in vitro présentent-ils un développement parfaitement similaire à celui des embryons développés dans l’utérus d’une femme ? En effet, le processus « naturel » est freiné, car les embryons se sont développés sans pouvoir s’implanter et réaliser les interactions avec la muqueuse maternelle.
C’est pourquoi Henry Greely, professeur de génétique à l’école de médecine américaine, s’interroge sur l’intérêt de maintenir en vie plus longtemps des embryons in vitro pour obtenir « des précisions sur le développement humain précoce », alors que l’on n’a « pas d’informations détaillées » sur l’embryon dans l’utérus au tout début de la grossesse.« Nous pourrions peut-être (…) étudier les causes potentielles de l’autisme et trouver pourquoi des produits chimiques dans l’environnement peuvent affecter le développement de l’embryon », estime cependant le Dr Donovan de l’Université de Californie.
Ce travail de recherche concerne aussi le développement et l’utilisation des cellules souches embryonnaires.  Si les stades de développement in vitro s’allongent, il est possible d’imaginer modifier génétiquement des tissus plus différenciés (par exemple, en utilisant CRISPR-Cas9) sans rendre ces modifications héréditaires.
Cette première, en relançant le débat sur la limite au delà de laquelle l’expérimentation sur embryon est interdite, fait naître de nouvelles pressions pour étendre l’instrumentalisation de l’être humain conçu in-vitro hors du corps de la femme.