Une table ronde internationale militante au lancement de la Convention citoyenne sur la fin de vie

16/12/2022

Réunie pour sa première session d’installation du 9 au 11 décembre 2022, la Convention citoyenne sur la fin de vie a commencé ses travaux en accueillant des personnalités hautement militantes pour présenter des expériences à l’étranger. Il devait pourtant s’agir d’un débat contradictoire où tous les points de vue seraient étudiés, suivant des principes d’équilibre et de neutralité.

Annoncée par le Président de la République en septembre dernier, la Convention citoyenne sur la fin de vie a commencé ses travaux vendredi 9 décembre. Organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), elle a pour mission de répondre à la question suivante : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Pour cela, 185 citoyens tirés au sort et représentatifs de la société française dans sa diversité se réunissent au Palais d’Iéna, siège du CESE, pendant neuf sessions de trois jours jusqu’au 19 mars.

Selon la lettre de saisine de la Première Ministre Elisabeth Borne, il appartient au CESE de veiller à ce que la gouvernance des travaux de la convention citoyenne « illustre les principes d’équilibre et de neutralité indispensable à l’expression de sa méthode.

Il était prévu que les deux premières sessions, en décembre, soient consacrées à la montée en compétence des citoyens, qui doivent s’approprier leur mandat, en leur donnant un état des lieux de la fin de vie, sans apporter de point de vue. Ainsi, au deuxième jour de cette première session, Alain Claeys, co-auteur avec Jean Leonetti de la loi de 2016 ouvrant de nouveaux droits aux personnes malades ou en fin de vie, est venu présenter à la Convention citoyenne le cadre légal de la fin de vie en France.

Au matin du troisième jour, des binômes de rapporteurs ont exposé les points de consensus et de dissension au sein de leurs groupes. L’euthanasie est apparue comme une question qui divise au sein de tous les groupes, très loin du prétendu « consensus » établi par certains sondages auprès des Français.

La dernière conférence de cette première session était consacrée à une table ronde accueillant des représentants d’autres pays pour présenter la façon dont leurs pays avaient légiféré sur la fin de vie. Et là, surprise, les deux seuls pays représentés étaient la Belgique et la Suisse, c’est-à-dire des pays qui ont soit légalisé l’euthanasie pour la Belgique, soit admis juridiquement le suicide assisté pour la Suisse. Tout aussi surprenant, le choix des personnes invitées pour donner un état des lieux « factuel » de la législation dans leur pays. Pour la Belgique, il s’agissait de Corinne Vaysse-Van Oost, médecin pratiquant l’euthanasie et membre de la commission de contrôle, mais aussi auteur de plusieurs ouvrages qui promeuvent la pratique de l’euthanasie. Pour la Suisse, c’est l’association Dignitas qui était présente, association qui fournit une assistance au suicide à des malades suisses ou étrangers. Dès les premières secondes de son intervention, cette association précise qu’elle milite « au plan national mais aussi international pour la liberté de choix et l’autodétermination jusqu’au dernier moment ».

Le docteur Vaysse-Van Oost commence par exposer le cadre législatif de l’euthanasie en Belgique. Elle rappelle les conditions d’accès : le patient doit se trouver dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance « physique ou psychique constante et insupportable » qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection « grave et incurable ».

Le médecin donne ensuite quelques chiffres. Selon elle, « Nous sommes toujours au même chiffre depuis à peu près dix ans. Les euthanasies ont augmenté en nombre mais c’est un nombre absolu, parce que le nombre de décès augmente. Nous sommes toujours à 2,5% des décès. Il n’y a aucune dérive ». Etonnante affirmation si l’on regarde les chiffres du dernier rapport de la commission de contrôle. En 2021, la commission a enregistré 2 700 euthanasies, soit 2,4% du nombre total de décès. Dix ans plus tôt, ce nombre s’élevait à 1 133, représentant environ 1,1% de tous les décès. En dix ans, le pourcentage d’euthanasies sur le nombre total de décès a donc plus que doublé en augmentant régulièrement d’année en année. Le médecin belge conclut son intervention par un bilan de la loi belge : « Vingt ans après, nous constatons différentes évolutions, et qui pour moi sont positives. »

C’est ensuite au tour de l’association Dignitas de présenter la situation en Suisse. Claudia Magri, chargée de la communication de Dignitas, présente l’activité de l’association, qui réalise environ 15% des assistances au suicide en Suisse en 2021. Puis elle présente le cadre législatif de cette pratique, et décrit ensuite les différentes étapes d’un suicide assisté. Dans la foulée, Irène Ta, présentée comme une « accompagnatrice », apporte son témoignage du déroulement d’un suicide assisté, d’une voie douce : « Ce qui est important, c’est de créer un espace où toutes les personnes présentes soient assurées que cette procédure va finir bien. […] Nous créons, et je pense que nous réussissons pratiquement toujours, à créer cet espace pour que tout puisse se passer dans une ambiance tranquille, apaisée et rassurée de la famille et de la personne même. […] A la fin nous recevons souvent des commentaires comme : merci beaucoup ! Nous n’aurions jamais pensé qu’à la fin d’une journée comme ça, on pourrait sentir cette gratitude, la délivrance et ce soulagement. »

Vient ensuite un temps de questions-réponses. Un participant demande si les intervenantes voient des limites au cadre législatif qui prévaut dans leur pays. Pour Corinne Vaysse-Van Oost, mis à part le manque d’indépendance de la commission de contrôle pointé par la CEDH, et qui devrait se résoudre par une nouvelle loi, le problème est que la loi n’autorise pas l’euthanasie des personnes démentes, en particulier les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Quelques instants plus tard, elle dira que c’est la principale tension qui existe sur la loi actuelle. « On pousse à élargir la loi dans ce sens-là, les médecins freinent. » A la question d’un éventuel accompagnement des soignants qui pratiquent l’euthanasie, le médecin belge répond : « Il faut progressivement que tout médecin, tout soignant se confronte au fait que la mort fait partie de la vie et qu’à terme, on aimerait que les soins palliatifs disparaissent pour que tout soignant soit formé à « l’accompagnement de la fin de vie ». Elle poursuit en souhaitant que plus personne « ne pousse de hurlement » quand une personne dit qu’elle en a marre de vivre parce qu’elle a 90 ans et n’entend ni ne voit plusNous sommes pourtant loin de la situation de « souffrance insupportable » résultant d’une affection « grave et incurable » qui est inscrite dans la loi.

On peut s’étonner que, pour poser le cadre de la fin de vie à l’étranger, la parole n’ait été donnée qu’à des personnalités aussi militantes, qui ont présenté un bilan sans nuance de la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté. Cela est d’autant plus étonnant que la présidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne, Claire Thoury, avait introduit cette table ronde en précisant que l’objectif était « d’avoir une présentation la plus factuelle possible de ce qui se passe dans ces pays-là ». Comment peut-on être factuel quand on pratique soi-même l’euthanasie ou le suicide assisté ?

On peut aussi se demander, comme l’a fait l’un des binômes de rapporteurs, pourquoi les organisateurs n’ont pas convié à cette table ronde le représentant d’un troisième pays ayant légiféré différemment. Claire Thoury a argué en introduction d’un manque de temps…Nous verrons si une autre expérience étrangère sera présentée en janvier comme elle l’annonce. Nous verrons également si les citoyens membres de la Convention auront la possibilité d’entendre d’autres voix venant de Belgique ou de Suisse, celles de patients et de leurs familles, ou, en Belgique, de soignants qui accompagnent différemment leurs patients, par exemple.

Aussi louables soient les intentions affichées de neutralité et d’équilibre, on a comme l’impression, au lendemain de cette première session, que les organisateurs n’ont pas vraiment respecté les consignes…au risque de discréditer la Convention.

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