L’épineux débat sur le statut de l’enfant in utero

L’épineux débat sur le statut de l’enfant in utero

L’épineux débat sur le statut du foetus, de l’enfant in utero

 

L’accident qui a impliqué Pierre Palmade le 10 février a créé une véritable onde de choc tant par sa violence, par ses conséquences dramatiques, que par ses circonstances. Une enquête a été ouverte pour blessures involontaires et homicide involontaire.

L’audience devant la chambre d’instruction de la Cour de Paris doit avoir lieu ce 25 février.

L’une des conséquences de cet accident est la perte d’une petite fille. En effet, une jeune femme enceinte de 6 mois a perdu le bébé qu’elle attendait à cause de l’accident. Une césarienne aurait été pratiquée en urgence. Mais l’enfant n’a pas survécu.

Il faut savoir qu’à 6 mois, la viabilité est atteinte, même si elle est fragile et qu’elle nécessite une prise en charge.

Avec cet événement douloureux, épineux débat sur le statut du foetus, de l’enfant in utero, cette question sensible: « l’enfant à naitre est-il une personne » a resurgi sur le devant de la scène.

 

Au-delà de cette affaire, que dit la loi sur le statut du foetus ?

L’article 221-6 du code pénal dispose que : « le fait de causer (…) par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité (..) la mort d’autrui constitue un homicide involontaire.

Tout le débat se focalise donc sur cette question : le foetus est-il « autrui » ?

La Cour de cassation refuse l’incrimination d’”homicide involontaire” prévue par le code pénal pour la mort accidentelle d’un fœtus, que ce soit par une erreur médicale ou par un accident. Cette jurisprudence a été dégagée à l’occasion de plusieurs arrêts et se fonde sur le principe d’interprétation stricte de la loi pénale énoncé à l’article 111-4 du code pénal. 

Pour elle « le principe de la légalité des délits et des peines qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du code pénal (réprimant l’homicide involontaire d’autrui) soit étendue au cas de l’enfant à naître. 

L’infraction d’homicide ne peut être étendue à l’enfant à naître dont le régime relèverait de textes particuliers. »

L’enfant à naître ne fait donc pas l’objet d’une protection spécifique en droit pénal. Seule l’atteinte à l’intégrité physique à la mère est incriminée.

Mais cette interprétation de la Cour de Cassation est contestable et d’ailleurs contestée. D’autres juridictions (tribunaux correctionnels, Cour d’appel) ont déjà posé d’autres jugements différents. Cette jurisprudence refusant la qualité de personne au fœtus a en effet été critiquée au point que certaines propositions de loi ont vu le jour pour pouvoir sanctionner pénalement celui qui, par accident, provoque le décès d’un enfant à naître.

 

Car en réalité, cette interprétation conduit à cumuler les contradictions. En effet, quand un enfant est né sans vie, quelle que soit le stade de la grossesse (mais pas avant 15 semaines d’aménorrhée), ou s’il est né vivant “non viable“ (avant 22 SA et de moins de 500 gr), les parents reçoivent un certificat médical d’accouchement établi par un médecin ou une sage-femme. Il permet d’obtenir un acte d’enfant sans vie. Si les parents le souhaitent, ils peuvent déclarer leur enfant à l’état civil, procéder à des obsèques et inscrire son prénom sur leur livret de famille.

Depuis une loi de 2021, il est possible aussi d’inscrire le nom de famille choisi pour l’enfant, bien que cela « n’emporte aucun effet juridique » comme le précise l’article 79-1 du code civil. Et la CAF (Caisse d’Allocation Familiale) attribue une allocation Décès enfant (ADE) en cas de décès intervenant à compter de la vingtième semaine de grossesse, sous réserve de la fourniture d’une déclaration de grossesse accompagnée d’un acte de décès ou d’un acte d’enfant sans vie.

Il y a donc une forme de contradiction lorsque la Cour de Cassation déclare qu’il n’y a pas d’homicide involontaire, puisqu’en cela elle nie qu’il y ait « autrui ».

L’enfant à naître n’est donc pas « une personne » au regard du droit pénal puisque c’est sa naissance en vie qui conditionne sa protection à ce titre.

 

Mais ce n’est pas non plus une personne en droit civil puisque la personnalité juridique n’est accordée qu’aux enfants nés vivants et viables. En droit civil, l’enfant à naître ne fait l’objet que de dispositions disparates sans grandes cohérences entre elles. Comme l’explique le professeur Sophie Paricard,  le Conseil d’État indique que « les règles applicables à l’embryon sont téléologiques : elles varient en fonction de la vocation de l’embryon (selon qu’il est ou non destiné à s’inscrire dans un projet parental) ou de sa localisation (in vivo ou ex utero) ».

Le sort de l’embryon in vitro est, quant à lui, de plus en plus précaire. Selon le Conseil constitutionnel dans sa décision du 27 juillet 1994 « le législateur a estimé que le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’était pas applicable à l’embryon in vitro ». Certes, l’embryon encore porteur d’un projet parental est conservé tant que dure ce projet mais dès lors que le projet est abandonné, les embryons dits surnuméraires ont vocation à être détruits. Le législateur ne cesse par exemple, notamment par la dernière loi bioéthique du 2 août 2021, d’assouplir la recherche dont il peut faire l’objet.

Il est cependant difficile de conclure de cette absence de statut spécifique que l’enfant à naître est une chose comme une autre. Comme l’a relevé la CEDH dans l’affaire Parillo c/ Italie du 27 août 2015, il ne s’agit pas d’un bien ayant une valeur économique et patrimoniale sur lequel on peut revendiquer un droit de propriété. Cette question relative à la qualification de l’embryon interroge la “summa divisio” du droit qui dispose qu’en droit il y a d’un côté les choses, de l’autre, les personnes.

Quelle suite ?

L’ouverture de l’enquête préliminaire liée à cette affaire peut permettre de saisir à nouveau la Cour de cassation sur la qualification de l’enfant à naître, notamment s’il est démontré que dans ce cas, l’enfant n’est pas né vivant.

Pour le magistrat Georges Fenech qui connait bien ce sujet : « Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait attendre de savoir si l’enfant pouvait avoir respiré pour considérer qu’on a une perte de chance de vie et retenir l’homicide involontaire ».

 

Pour les parents endeuillés, et pour toute la société, laisser entendre qu’il ne s’est « rien » passé, que cela ne change rien dans une affaire qu’un enfant décède accidentellement in utero par la faute d’un tiers est violent. Cette négation de la vie et de la mort d’un enfant attendu ajoute de la douleur à la douleur.

Une nouvelle jurisprudence allant dans ce sens peut permettre au droit et à l’humanité de la justice de progresser.

Pour aller plus loin :

statut du foetus juridique pierre palmade enfant in utero

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Vote de la Convention citoyenne fin de vie : au-delà de l’effroi

Vote de la Convention citoyenne fin de vie : au-delà de l’effroi

Alliance VITA prend acte avec effroi des votes organisés le 19 février par la Convention citoyenne sur la fin de vie

 

Malgré l’opposition de solides minorités, ces votes montrent à quel point tout basculement législatif vers la prétendue « aide active à mourir » articulerait le suicide assisté et l’euthanasie, même pour des personnes incapables de le demander en conscience… à commencer par les enfants !

Pour Alliance VITA, de tels votes sur ces thèmes fragilisent la protection de la vie des personnes porteuses de maladies ou de handicap, d’autant plus qu’aucune véritable information sur le suicide n’a été proposée aux citoyens. Au contraire, l’heure est à l’explication et à l’information des Français sur les enjeux de l’accompagnement de la fin de vie.

 

Pour Tugdual Derville, porte-parole de l’association et auteur de Docteur ai-je le droit de vivre encore un peu ? L’euthanasie et le suicide assisté démasqués : « S’il y avait une Convention citoyenne à conduire, c’est sur la place des personnes les plus vulnérables au cœur de la société. A partir du moment où une société affirme que des vies ne sont plus dignes d’être vécues, la dérive populiste est à craindre : l’auto-exclusion des faibles sous la pression des forts. C’est ce qui se profile avec ces votes.

En décidant de lancer un tel débat après avoir abandonné la loi Grand âge et autonomie, le président de la République a pris une lourde responsabilité : il a d’emblée donné un signal délétère en fragilisant le précieux interdit de tuer, qui est la condition sine qua non de la relation de confiance entre soignants et soignés.

 

Nous allons maintenant sillonner la France pour promouvoir une autre réponse que l’euthanasie ou le suicide assisté aux questions posées par la dépendance et la grave maladie. Cette réponse récuse l’acharnement thérapeutique et promeut des soins palliatifs de qualité pour tous ceux qui en ont besoin et un engagement contre la « mort sociale » par abandon de nos concitoyens âgés. C’est la seule option consensuelle et c’est la seule digne de l’humanité. »

Le mal-être des jeunes explose, surtout chez les filles

Le mal-être des jeunes explose, surtout chez les filles

A l’occasion de la Journée nationale de prévention du suicide du 5 février 2023, Santé publique France a rendu publics le 14 février 2023 des bulletins de santé régionaux dont émane une sérieuse alerte à propos de la détérioration de la santé mentale des jeunes depuis la crise sanitaire.

Alors que leurs hospitalisations pour tentatives de suicide baissaient depuis 2010, la situation s’est inversée depuis le dernier trimestre 2020. Le suivi des « conduites suicidaires » (idées suicidaires, tentatives de suicides et suicides) fait apparaitre à partir de cette année une augmentation des idées suicidaires et des tentatives de suicide« particulièrement chez les jeunes de 10 à 24 ans et de sexe féminin », sans que leur taux de mortalité par suicide ait toutefois augmenté de façon observable jusqu’au premier semestre 2021. De fortes disparités régionales sont signalées, mais, globalement, la proportion de jeunes ayant connu des épisodes de dépression a pratiquement doublé chez les 18-24 ans entre 2017 et 2021, passant de 11,7% à 20,8%. Cette hausse de 80% est nettement plus manifeste chez les jeunes femmes (26,5% ont connu un épisode dépressif en 2021) que chez les jeunes homme (15,2% sont concernés).

Ces graves signes d’altération de la santé mentale des jeunes ont débuté pendant l’année 2020, surtout à partir du second confinement, à l’automne, puis une « dégradation continue » a été observée depuis cette date, avec « accentuation » au premier semestre 2022. Le lien de cause à effet entre la crise sanitaire et cette détérioration n’est pas démontré, mais il est estimé « probable ». D’autres facteurs complémentaires sont envisagés : « les difficultés économiques, la situation internationale ou les problèmes environnementaux ».

Disposant d’éléments de comparaisons fiables, grâce aux baromètres précédents, les auteurs de ces notes déplorent « une altération persistante de la santé mentale » des jeunes. Ce mal-être appelle selon eux un surcroît de prévention des conduites suicidaires, à tous les âges de la vie. Sont notamment indiqués, en complément d’une stratégie plus large de promotion de la santé mentale :

Le dispositif VigilanS : veille et suivi des patients sortis de l’hôpital après une tentative de suicide ;

  • Le numéro national 3114, de prévention du suicide ;
  • L’espace dédié à la santé mentale sur le site internet de Santé Publique France ;
  • D’autres acteurs contribuant à l’écoute et à l’aide aux personnes en situation de mal-être.
 

Si l’évolution préoccupante de la santé mentale concerne les jeune, Santé publique France rappelle que la plupart des décès par suicide « concernent les adultes de plus de 40 ans, majoritairement des hommes », et que le taux de suicide reste le plus élevé chez les seniors des deux sexes. Une prévention du suicide à tous les âges de la vie – et n’excluant aucune catégorie de personne – reste un enjeu majeur de santé publique.

Sexe « neutre » en France ? La Cour européenne des droits de l’homme dit non

Sexe « neutre » en France ? La Cour européenne des droits de l’homme dit non

L’État doit-il ouvrir la possibilité d’une mention « sexe neutre » ou « intersexe » sur les actes de naissance ? Dans un arrêt du 31 janvier, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a répondu par la négative. Une position moins « définitive » qu’il n’y paraît.

Certaines personnes – qu’on appelle « intersexes » présentent à la naissance une « ambiguïté sexuelle », une malformation des organes génitaux qui rend difficile l’établissement immédiat d’un acte civil les mentionnant comme garçon ou fille. Celui-ci est différé, pour permettre aux médecins de mener des examens complémentaires. Ces situations, rares et complexes, nécessitent une prise en charge particulière, aussi bien sur le plan médical que psychologique. Elles sont difficiles à vivre pour les familles et parfois, plus tard, pour les personnes concernées.

Un sexagénaire né intersexué avait demandé à la justice française de modifier son état civil pour y inscrire « sexe neutre ». Cette demande, d’abord acceptée, a ensuite été rejetée. Par son refus en 2017, la Cour de cassation, la plus haute juridiction avait rappelé que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l’état civil, l’indication d’un sexe autre que masculin ou féminin et que cette binarité poursuit un but légitime : elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur. La reconnaissance par le juge d’une troisième catégorie de sexe aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination.

Le requérant, alléguant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, a alors formé un recours devant la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme). Celle-ci vient donc de rejeter également sa demande et a décidé de ne pas contraindre la France à reconnaitre un « sexe neutre ».  Pour la CEDH, la France a correctement mis en balance l’intérêt général et les intérêts du requérant : la vie privée doit en effet être conciliée avec d’autres impératifs, à savoir ici l’indisponibilité de l’état des personnes (le principe légal selon lequel un individu ne peut disposer à sa guise des éléments permettant de l’identifier) et la nécessité de préserver la cohérence et la sécurité des actes de l’état civil ainsi que l’organisation sociale et juridique du système français » explique l’association Juristes pour l’enfance.

Mais les « mots » employés par la CEDH, les compétences qu’elle s’attribue et ses arrêts de plus en plus transgressifs n’ont rien de rassurant.

Nicolas Hervieu, juriste spécialiste du droit européen constate par exemple qu’elle « contredit la Cour de Cassation de manière cinglante, en lui indiquant qu’elle a eu tort de prendre en compte l’apparence physique et sociale masculine du requérant. L’instance européenne précise ainsi qu’ “élément de la vie privée, l’identité d’une personne ne saurait se réduire à l’apparence que cette personne revêt aux yeux des autres” ».

La CEDH conclut  par ailleurs qu’ « en l’absence de consensus européen en la matière, il convient donc de laisser à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, telles que le requérant, en matière d’état civil, en tenant dûment compte de la difficile situation dans laquelle elles se trouvent au regard du droit au respect de la vie privée en particulier du fait de l’inadéquation entre le cadre juridique et leur réalité biologique ». Ainsi, elle fonde son avis sur l’absence de consensus européen, ce qui n’est pas très solide et encore moins immuable. Pour la juriste Aude Mirkovic : « la CEDH écrit au fur et à mesure le contenu du texte qu’elle est chargée de faire respecter : point ici de séparation des pouvoirs, sans même parler de la légitimité démocratique de ce pouvoir que s’octroie la Cour sous couvert d’interprétation « dynamique », puisque ses juges ne sont pas élus et n’ont reçu du peuple aucun mandat pour édicter ainsi des règles contraignantes pour l’ensemble des États du Conseil de l’Europe. La Cour européenne laisse, aujourd’hui, la France fonder les mentions de l’état civil sur la dualité de sexes. Mais jusqu’à quand ? ».

Cette bataille juridique cache d’autres ambitions. Non pas la création de nouvelles catégories, mais bien la disparition de toute distinction des deux sexes au profit d’un concept aussi invraisemblable qu’impossible : celui de “l’autodétermination”.

« Notre but final, en tant que mouvement, est bien l’abrogation totale des catégories sexuées sur les documents d’identité, et non la création pérenne d’une troisième catégorie de sexe à l’état civil», explique depuis longtemps un collectif militant.

 

La Cour d’Appel d’Orléans rejette une demande de « sexe neutre » à l’Etat civil. 1er avril 2016.

Sexe « neutre » ? La Cour de cassation dit non, 5 mai 2017.

Intelligence Artificielle (IA) : ChatGPT, le robot qui écrit et fait parler de lui (2)

Intelligence Artificielle (IA) : ChatGPT, le robot qui écrit et fait parler de lui (2)

Au-delà des enjeux techniques et économiques, ChatGPT, le robot conversationnel, peut modifier en profondeur le quotidien et la vision des utilisateurs.

 

De nombreux secteurs impactés par l’IA

La phénoménale accélération de l’IA ces dernières années va modifier la vie quotidienne dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la défense, des transports, du management …

Ainsi, en Chine, un leader du jeu vidéo NetDragon Websoft a “nommé” un robot PDG d’une de ses filiales. Le personnage virtuel de Tang Yu travaille en continu. Pour la société mère, qui dans les faits garde le contrôle de la gestion de sa filiale, il s’agit aussi de montrer son savoir-faire en IA, comme l’analyse un article de Francetvinfo.  ​

  • Dans le secteur de la justice, l’apport d’une IA est à double tranchant. D’une part, une IA pourrait, en comparant des milliers de jugements, montrer des traitements différents pour des cas proches dans un territoire soumis aux mêmes lois. D’autre part une standardisation des jugements produite par une machine pose la question d’une norme déshumanisante.
  • Dans le secteur universitaire, l’utilisation de ChatGPT a été interdite par l’IEP (Institut d’Etudes Politiques) de Paris à ses étudiants “sous peine d’exclusion”, car le recours à ChatGPT ne respecte pas “les exigences académiques d’une formation dans l’enseignement supérieur”. Le journal Le Progrès a relaté la découverte par un enseignant de l’Université de Lyon de copies étrangement proches.
  • Enfin, le secteur des métiers créatifs est également concerné, Dall-E, autre logiciel produit par OpenAI, est capable de produire des images sur commande, « à la façon de ».

Selon les mots de Laurence Devillers, dans une tribune du Monde, il faut “saluer l’avancée technologique, mais comprendre les limites de ce type de système”.

 

Un changement de format dans l’interaction humain-machine

ChatGPT répond sous forme de dialogue aux questions posées par les utilisateurs tandis que dans les moteurs de recherche actuels, Google ou de Microsoft (Bing), l’utilisateur humain choisit parmi les centaines de liens proposés celui qu’il va consulter et il peut en connaitre la source (qui a écrit, quand…).

Puisque le robot ChatGPT rédige des textes (dissertation, poèmes, réflexions…), on peut se poser la question des sources, des méthodes, des critères de classement, d’acceptation ou de rejet des informations stockées dans la base qu’il utilise pour produire ses réponses.

Le robot va-t-il privilégier certaines informations ou visions du monde au détriment d’autres ? Va-t-il introduire des asymétries ou de la censure dans les informations qu’il propose ? Jusqu’à quel point le robot, même quand il répond en français, est influencé par la vision américaine du monde ?

Deux exemples tirés de l’actualité illustrent ce point. Un récent article du Figaro rapporte que le robot répond différemment quand on le sollicite pour écrire des scénarios de politique fiction sur les présidentielles américaines, selon qu’il s’agit d’Hillary Clinton en 2016 (le robot accepte d’écrire une fiction où elle gagne l’élection) ou de Donald Trump en 2020 (le robot refuse d’écrire une fiction à partir d’une victoire).

Dans un débat sur France Inter le 3 février, l’économiste Thomas Piketty, connu pour ses travaux sur les inégalités et classé à gauche politiquement, pointait que ChatGPT classait le journal les Echos comme un journal neutre et impartial sur la question des retraites débattues en France en ce moment.

Recevoir des réponses de la part d’un robot comporte le risque de penser que ce qu’il produit est neutre, alors que nous savons qu’un humain nous parle à partir de son histoire, de ses valeurs, de ses buts … En effet, les systèmes de langage en IA se nourrissent d’un corpus de documents existants avec des schémas de logiques préétablies.

 

Derrière la prise de parole par la machine, une prise de contrôle inacceptable ?

Dans une interview en format vidéo au Figaro, le philosophe Eric Sadin note que tous les produits utilisant l’IA tendent à effacer la distance humain/machine, à rendre flou la frontière entre les deux. Il pointe deux risques :

  • D’une part, quand la machine nous parle (sur un simple GPS ou via un robot plus sophistiqué), elle pourrait tendre à décider pour nous. Et la technique qui nous parle, ce sont les intérêts économiques et politiques qui parlent à notre place, qui s’imposent à nous. La rupture anthropologique dénoncée est ainsi que des systèmes nous privent de notre réponse en “je”. Responsabilité vient du verbe répondre, de qui la machine répond-elle quand elle nous parle ?
  • D’autre part, Eric Sadin souligne la misanthropie à l’œuvre dans certains milieux du numérique. Dans leur vision du monde, “l’homme est lacunaire et pétri de défauts”. Les liens entre Google et le mouvement trans-humaniste sont bien documentés (ici et ici, parmi des centaines d’articles). Dans cette situation, le philosophe estime que le franchissement de seuil dans la prise de pouvoir par l’IA est à surveiller. De plus, la notion d’encadrement se réduit souvent à un “vague pare-feu réglementaire”. Devons-nous, au niveau individuel et collectif, nous détourner de certaines technologies qui nous poussent à “évacuer, renier ou étouffer nos propres facultés à des fins marchandes” ?

 

Choisir le bien reste une compétence fondamentalement humaine

De nombreuses réflexions sont en cours pour classer les différents systèmes d’intelligence artificielle en fonction du niveau de risque qu’elles font courir à l’homme qui a besoin d’être éduqué et averti lors de son interaction homme-machine pour discerner et choisir le bien. Les réflexions développées en 2021 dans l’AI Act de l’Union Européenne  permettent de classer les systèmes d’IA :

  • les systèmes à risques minimaux (par exemple les filtres de spams),
  • les systèmes interdits en raison de risques inacceptables (tels que le scoring social ou les systèmes abusant de personnes porteuses de handicaps physiques ou mentaux),
  • les systèmes autorisés avec des risques limités incluant les chatbot dont les utilisateurs doivent être informés qu’ils interagissent avec un robot.

Au niveau français, La CNIL s’est emparée du sujet très récemment (23 Janvier 2023) en créant un service de l’intelligence artificielle pour renforcer son expertise sur ces systèmes et sa compréhension des risques pour la vie privée, tout en préparant l’entrée en application du règlement européen sur l’IA. Par ailleurs, elle proposera des premières recommandations sur le sujet des bases de données d’apprentissage dans les prochaines semaines. Face au progrès de la technologie, cet effort de régulation au niveau national et européen manifeste l’importance de mettre l’humain « dans la boucle », à tous les niveaux : personnel, collectif, national…

Contre la misanthropie de l’approche trans-humaniste, accepter notre propre vulnérabilité est un défi à relever. Lors de son intervention à l’Université de la Vie, Philippe Dewost rappelait qu’une machine ne remplacera jamais la présence humaine auprès d’une personne qui souffre. Et dans cette présence offerte, ce lien tissé dévoile notre compétence fondamentale d’humains, celle de choisir le bien.

NB: Cet article a été écrit par un humain.