Analyse des variations de la fécondité en France

Analyse des variations de la fécondité en France

Notexpert Analyse des variations de la fécondité en France

 

Les variations de la fécondité en France sont fréquentes et ont déjà eu lieu ces 30 dernières années. En effet, la baisse du taux de fécondité conjoncturel observée actuellement (-7% en tendance par rapport au niveau de 1,79 de 2022) nous ramène aux niveaux les plus bas observés il y a 30 ans (aux alentours de 1,6) au milieu des années 1990. Ce taux de fécondité était ensuite remonté jusqu’en 2007 pour atteindre et dépasser 2 enfants par femme avant de redescendre ensuite au niveau actuel. Analyser ces fortes variations annuelles implique d’adopter une vision à plus long terme sur plusieurs décennies.

Il convient également d’examiner les facteurs à l’origine de ces mouvements de balanciers et de fournir quelques indications sur la persistance de ces explications dans les années à venir.

Indicateurs de fécondité : comment mesurer la fécondité d’un pays ?

Il y a plusieurs moyens de mesurer la fécondité des femmes en France selon que l’on se place dans une perspective à court ou à long terme.

La première mesure est le taux de fécondité générale. Pour le calculer de manière simple, il suffit d’avoir le nombre de naissances (par exemple 722 000 en 2022) et le nombre de femmes en âge de procréer entre 15 et 50 ans en 2022 soit 14,418 millions. Ainsi, le taux de fécondité général est de 722000/14418000 soit 5 enfants pour 100 femmes en âge de procréer. Pour une femme de 15-50 ans, la probabilité annuelle de donner naissance est de 5% si l’on prend une femme de cette catégorie au hasard quel que soit son âge.

Afin de pouvoir produire un indicateur interprétable et accessible, les démographes ont préféré transformer cet indicateur en une projection sur le nombre d’enfants par femme à la fin de sa vie féconde. Ainsi, en première approximation, afin de pouvoir convertir cette probabilité annuelle à l’issue de sa vie féconde en probabilité finale d’avoir des enfants, on additionne ces probabilités sur les 35 ans de la vie féconde d’une femme soit dans le cas de 2022 : 5%*35=175% de chance d’avoir un enfant. Cette probabilité peut donc aussi se traduire en un nombre d’enfants par femme soit 1,75 enfants pour une femme à l’issue de sa vie féconde si le taux moyen de fécondité général est appliqué.

Cet indicateur s’appelle l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) qui représente une photo annuelle. Afin de raffiner cet indicateur, la réalité de la fécondité étant très différente selon les classes d’âge, le calcul de l’ICF est construit en additionnant les probabilités par classe d’âge. Ainsi, dans le tableau ci-dessous, en 2022, la décomposition par catégorie d’âge montre que la probabilité de donner naissance peut être beaucoup plus importante que 5% avec des taux oscillant entre 7,2 % et 12,4% pour les femmes âgées de 25 à 39 ans ou beaucoup plus faibles (entre 1 et 2%) pour les 15-24 ans et les 40-50 ans.

En considérant que les taux sont stables au sein des tranches d’âge (par exemple, le taux de 2% de naissances par femme est stable pour les 10 années de 15 à 24 ans), le calcul de l’ICF basé sur les classes d’âge en 2022 donne 2*10+10,1*5+12,4*5+7,2*5+1*10=178,5 naissances pour 100 femmes soit 1,785 enfants/femme.

figure 1 analyse de la baisse de la natalité

Lorsque la granularité des données est disponible par âge (et non plus par classe d’âge), l’indicateur conjoncturel de fécondité d’une année donnée peut être encore affiné en se basant sur le nombre d’enfants qu’ont eus les femmes de cet âge dans l’année. On additionne ensuite les taux observés à chaque âge de 15 à 50 ans. L’indicateur ainsi obtenu agrège en une valeur unique les comportements féconds relatifs à 35 générations différentes observés lors d’une année donnée.

Il indique le nombre total d’enfants qu’aurait un groupe de femmes ayant à chaque âge au fil de leur existence les taux observés cette année-là. Selon la définition de l’INSEE, l’indicateur conjoncturel de féconditésert donc uniquement à caractériser d’une façon synthétique la situation démographique au cours d’une année donnée, sans qu’on puisse en tirer des conclusions certaines sur l’avenir de la population.

A l’inverse, un indicateur structurel de la fécondité appelé aussi la descendance finale, ne s’applique pas à une année de calendrier, mais à une génération de femmes. La descendance finale de celles nées en 1969 (qui ont fêté leur 50e anniversaire en 2019), soit 2,00 enfants, est le nombre moyen d’enfants qu’elles ont eus au cours de leur existence féconde. Contrairement à l’indicateur conjoncturel de fécondité qui fait référence à une génération fictive, cette mesure s’applique à des femmes bien réelles. Elle a cependant l’inconvénient de ne pouvoir être mesurée que pour des générations ayant atteint ou dépassé l’âge de 50 ans.

figure 2 analyse des variations de la fécondité

Lorsqu’on observe l’historique de ces indicateurs sur le dernier siècle (cf. figure ci-dessus issue de [1]), on notera que l’ICF est bien plus fluctuant (car correspondant à une photo annuelle) que la descendance finale qui suit “des tendances de long terme de choix du nombre total d’enfants par femme à la fin de sa vie reproductive qui reste stable vers deux pour le moment (projection fiable pour les femmes nées en 1980).” [1]

 

Les signaux donnés par l’Indicateur Conjoncturel de Fécondité sont des signaux court terme qui sont à compléter et à mettre en perspective avec des tendances de long terme observables avec la descendance finale de nombreuses années après sur plusieurs décennies.  

Explication des évolutions de l’ICF sur les 30 dernières années

analyse des variations de la fécondité en france

Source : INSEE Bilan démographique 2022 provisoire  +  Âge moyen de la mère à l’accouchement Données annuelles de 1994 à 2022, Janvier 2023

 

Lors des 30 dernières années, le niveau de l’ICF, relativement bas au milieu des années 1990 (1,66), venait d’un mouvement de retard des maternités selon G. Pinson et S. Dauphin [1]:

les femmes des générations les plus âgées avaient déjà eu leurs enfants et elles n’en mettaient plus au monde et les générations plus jeunes attendaient pour avoir les leurs (le nombre de descendance finale étant le même que la génération précédente)”.

Il en a résulté un nombre de naissances relativement faible durant cette période. Ce mouvement de retard des maternités a été ensuite rattrapé par les générations de femmes qui avaient différé leur projet de naissance entraînant une hausse de l’indicateur conjoncturel de fécondité au-dessus de 2 entre les années 2007 et 2011. On observe ce mouvement de rattrapage de 1994 à 2012 sur la figure ci-dessous du taux de fécondité par classe d’âge.

Entre 1994 et 2012, les augmentations majeures concernent les mères âgées de 30-34 ans (+39%) concomitamment aux 35-39 ans (+74%) tandis que le taux reste élevé chez les 25-29 ans.

 

figure 4 analyse des variations de la fécondité en france

Sources : INSEE La situation démographique en 2012 État civil et estimations de population – Insee Résultats-Juin 2014 + Bilan démographique 2022 provisoire (Janvier 2023)

 

Ensuite, sur la période 2012-2022, alors que les taux de fécondité entre 30 et 39 ans se sont stabilisés (respectivement autour de 13 chez les 30-34 ans et de 7 chez les 35-39 ans), celui des 15-24 est passé de 3 à 2 (-33%). Le taux de fécondité des 25-29 ans n’a fait que descendre de 12,5 à 10 enfants par femme (-25%) de cette tranche d’âge.

Cette baisse significative d’un des moteurs principaux de la fécondité (les femmes âgées de 25 à 29 ans) en France n’a pas pu être compensée par la hausse des 40-50 ans : si cette hausse, en valeur relative, est significative (+25%), elle n’est que très faible en contribution absolue avec 1 enfant par femme pour cette tranche d’âge.

D’après les démographes Gilles Pinson et Sandrine Dauphin [1], la baisse débutée en 2012 est liée à la montée du chômage qui a rendu le futur plus incertain.

Ce mouvement a perduré même la crise passée, signe qu’une nouvelle tendance non liée à la conjoncture économique est peut-être également à l’œuvre. Il reste en effet à savoir si les jeunes générations, qui ont aujourd’hui moins de 30 ans, suivront le même schéma et rattraperont elles-aussi leur retard, ou adopteront un autre chemin avec une descendance finale nettement moindre, comme on l’observe dans beaucoup d’autres pays développés ?”

En effet, comme l’indique la figure ci-dessous issue de l’OCDE représentant l’évolution de la descendance finale (Completed Cohort fertility en anglais), la France n’a pas subi de baisse de sa descendance finale à l’instar de la Suède, la Norvège, la Finlande, les Etats Unis pour les femmes nées en 1950, 60 et 70. A l’inverse les autres pays développés ont tous observé une baisse plus ou moins forte de cette descendance finale. Par exemple, les descendances finales des pays comme l’Espagne, l’Italie, le Japon ou l’Allemagne ont chuté à des niveaux très bas aux alentours de 1,4 / 1,5.

analyse des variations de la fécondité en france

Evolution de la descendance finale pour les pays de l’OCDE (source OCDE) 

 

Cette analyse permet de comprendre les dynamiques expliquant la hausse de l’ICF entre 1994 et 2012 principalement liée à une entrée en maternité plus tardive comprise entre 30 et 40 ans tout en maintenant un flux de naissance significatif pour les mères de 25 à 29 ans.

La baisse des dix dernières années 2012-2022 provient principalement de la baisse significative de la fécondité des moins de 30 ans.

Est-ce que la descendance finale de cette génération née entre 1983 et 1997 se maintiendra à 2 ou baissera comme dans de nombreux pays ? Nous ne pourrons le savoir qu’entre 2023 et 2037 au plus tôt une fois qu’elles auront atteint leurs 40 ans.

Naissance et fécondité : à quoi s’attendre demain ?

 

Le retard des maternités va-t-il se poursuivre ?

L’âge moyen à la maternité continue de croître régulièrement : il atteint pour le premier enfant 31 ans en 2022, alors qu’il était de 30,7 ans en 2019, de 29,3 ans vingt ans plus tôt et de 24-25 ans en 1977. Le report de l’âge des maternités continue de progresser. D’après l’INED [1], il n’est pas exclu que l’âge moyen à la maternité atteigne voire dépasse 32 ans, comme c’est déjà le cas en Espagne (32,2 ans en 2018). Mais il est peu probable qu’il augmente jusqu’à 35 ou 40 ans. La raison en est d’abord biologique :

À trop attendre pour devenir mères, les femmes risquent de ne plus pouvoir enfanter quand elles le décident.”

Par ailleurs, le taux d’infertilité naturel augmente vite avec l’âge : 4 % à 20 ans, 14 % à 35 ans, 35 % à 40 ans et près de 80 % à 45 ans selon le site de la sécurité sociale :

De plus, selon ce même site, l’âge de la mère n’est pas le seul facteur de la baisse de la fécondité :  l’âge du père et du couple sont aussi des facteurs déterminants.

En effet, d’une part, “le génome des spermatozoïdes s’altère avec l’âge par fragmentation de son ADN, source de plus de difficulté à concevoir, augmentation des fausses couches, des risques génétiques dans la descendance”, d’autre part, “il existe un effet cumulatif de l’âge des deux partenaires : par exemple, la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes n’est plus réparable par les facteurs ovocytaires de la femme âgée et le taux de fausses couches est multiplié par 6,7 si l’homme a plus de 40 ans et la femme plus de 35 ans.”.

La figure ci-dessous illustre la hausse continue de l’âge des pères à la naissance de leurs enfants.

figure 6 baisse de la natalité fécondité en france

Source : INSEE La situation démographique en 2021 État civil et estimations de population – Insee Résultats – Juin 2023

L’aide médicale à la procréation (AMP) s’est beaucoup développée récemment. Selon l’agence de la biomédecine, en France, en 2021, 27 609 enfants sont nés suite à une AMP réalisée en soit près d’un enfant sur 27. Selon l’INED [1], elle laisse espérer une solution aux couples qui ont des difficultés de conception.

Toutefois la médecine reste souvent impuissante après 40 ans. Les enfants nés de mère de 40 ans ou plus ne représentent qu’une fraction minime des naissances (5 % en France en 2019). Même en hausse, elles ne devraient pas représenter une part importante des naissances, sauf à utiliser d’autres moyens de procréation comme la Gestation Par Autrui ou des innovations technologiques telles que les greffes d’utérus, l’ectogenèse (dit utérus artificiel…), une perspective qui relève pour l’instant de la “démographie-fiction” selon les démographes Gilles Pinson et Sandrine Dauphin [1].

 

Les couples auront-ils le nombre d’enfants souhaités ?

 

Selon des enquêtes menées par l’UNAF sur plusieurs années, le nombre souhaité d’enfants est de manière persistante à 2,39 enfants soit 0,56 au-dessus de l’ICF 2020 (année de l’enquête). Les raisons invoquées pour renoncer à ce nombre d’enfants sont principalement :  avoir un logement adapté pour accueillir un enfant (60%) et qu’un des membres du couple (36%) ou les deux (43%) bénéficie(nt) d’un travail stable.

Un sondage récent de 2023 pour l’IFOP précise et confirme ces raisons économiques en demandant aux personnes qui ont renoncé à avoir un enfant ou un enfant supplémentaire : 44% des répondants mentionnent en effet des difficultés financières ou d’emploi, 27% le coût des modes de garde et 21% des difficultés à loger cet enfant.

D’après G. Pinson, et S. Dauphin [1], “les situations de précarité professionnelle conduisent à abandonner le projet d’enfant.” Le projet initial peut être revu à la baisse pour différentes raisons : âge, problèmes de fertilité, situation de couple, nombre d’enfants déjà nés, mais aussi situation professionnelle des conjoints.

Le projet de fécondité a d’autant plus de chances d’avoir été concrétisé que la femme occupe un emploi stable. A l’inverse, une situation de chômage – particulièrement des femmes – compromet la réalisation des projets initiaux de fécondité et peut conduire à un report de naissance, voire à un renoncement.”

En effet, le report des naissances ne réduit pas seulement le nombre désiré d’enfants mais également la probabilité d’avoir les enfants souhaités. Ainsi, à partir de 35 ans, la majorité des intentions non réalisées se soldent par un renoncement.

 

Les politiques familiales influencent-elles les comportements en matière de fécondité ?

 

Il existe trois leviers de politiques familiales liées à la natalité :

  • L’octroi de congé lié à une naissance,
  • Les prestations financières (incluant le quotient familial)
  • L’offre de services pour la petite enfance.

Toutes les formes d’aide exercent un effet positif sur la fécondité, toutes choses étant égales par ailleurs, suggérant ainsi qu’une combinaison de ces aides est susceptible de favoriser la fécondité. Toutefois, selon l’INED [1], l’effet de la durée du congé et des dépenses associées apparaît, en moyenne, particulièrement faible par rapport à l’effet du taux de couverture des services d’accueil pour les enfants de moins de 3 ans. Ainsi, les études existantes tendent à montrer que l’impact des incitations financières est très limité tandis que l’existence de services d’accueil de la petite enfance facilite la possibilité pour les couples d’avoir le nombre d’enfants souhaités.

La durabilité de ces structures d’accueil permet aux futurs parents de se projeter pour accueillir un enfant.

Paradoxalement, les mesures introduites avec un objectif explicite de soutien à la fécondité ont un effet assez limité, alors que celles qui soutiennent la “conciliation entre travail et vie familiale ou qui améliorent les conditions de vie – sans faire du soutien à la fécondité leur objectif premier – semblent avoir un effet plus tangible sur la fécondité.”

 

La tendance lourde de recul de l’âge de la maternité (alimenté notamment par l’insécurité matérielle, économique et par manque de structures d’accueil de l’enfant) atteint une limite biologique qui ne pourra pas être surmontée par les promesses des technologies de procréation. Cette confrontation au “mur biologique” pour les femmes (combiné au recul de l’âge de la paternité et des couples) entrainera probablement des renoncements aux projets d’enfants qui auront un impact à la baisse sur la natalité.

 

 

Conclusions et Perspectives

La remontée de l’indice conjoncturel de fécondité du début des années 2000 avait été imputable à un rattrapage du mouvement de retard observé sur la période précédente pour atteindre une descendance finale de 2 pour les générations de femmes concernées. Cette nouvelle baisse initiée depuis 2012 sera-t-elle uniquement conjoncturelle ou plus structurelle ? Plusieurs facteurs déjà identifiés dans le passé vont continuer à jouer un rôle dans l’évolution de la fécondité :

  • Les normes procréatives (l’arrivée d’un enfant est soumise à des critères comme le fait d’être installé dans la vie, avec des diplômes, un emploi stable, un logement et une vie de couple stable) ont joué un rôle conjoncturel très important dans le recul de l’âge pour procréer. Dans le futur, elles pourraient avoir un rôle structurel accru sur la descendance finale des femmes car la capacité à étendre l’âge de la procréation est limitée par les contraintes biologiques au risque de renoncer aux projets d’enfants.
  • Les conditions matérielles et économiques dégradées, en particulier la précarité des emplois des femmes ont et auront un impact direct réduisant la concrétisation des projets d’enfants.
  • L’axe de la politique familiale visant à étendre la couverture de services d’accueil de la petite enfance jouera un rôle essentiel sur la décision des couples d’avoir le nombre d’enfants souhaités (plus important que les aides financières et les congés natalité). Il s’agit d’inscrire l’accueil de l’enfant au centre du projet de la société française.
 

De nouvelles tendances sociétales pourraient avoir un impact (sans pouvoir en estimer la prévalence) telles que :

  • L’éco-anxiété qui pousse les jeunes générations et plus particulièrement les “child free” à remettre en question l’arrivée d’êtres humains supplémentaires sur la planète.
  • Certains sondages évoquent aussi les difficultés d’engagement durable dans une société qui privilégie la liberté, l’épanouissement personnel et le non-attachement.
  • Les évolutions des normes, exigences et injonctions parentales / éducatives qui pèsent sur les potentiels parents.
  • Les promesses des technologies de procréations (congélation des gamètes, stimulation ovarienne…)

 

Pour Alliance VITA, toutes ces analyses soulignent les efforts indispensables pour donner la pleine capacité aux familles d’accueillir des enfants.

 

 

Référence principale

[1] Gilles Pison et Sandrine Dauphin, Enjeux et perspectives démographiques en France 2020-2050. Un état des connaissances, Paris, INED, Document de travail, 259, Novembre 2020 https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/30829/dt.259.2020.projections.demographiques.france2.fr.pd

Et si l’euthanasie était une régression sociale ?

Et si l’euthanasie était une régression sociale ?

Et si l’euthanasie était une régression sociale ?

Partie I

 

La légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté pourrait masquer une régression sociale. C’est le message dérangeant d’un livre d’arguments très étayés et publié récemment. Ecrits à deux mains par une médecin et une psychologue clinicienne, il s’intitule : L’euthanasie, un progrès social ?. Les auteurs parlent d’expérience, travaillant dans les soins palliatifs depuis de nombreuses années dans le département de la Seine Saint Denis (93).

En quatrième de couverture est imprimée une question centrale souvent occultée dans les débats et évitée par les partisans de la légalisation: “Quel projet voulons-nous collectivement pour les plus vulnérables ?”.

Déconstruisant le slogan “c’est un progrès social”, les auteurs dénoncent un discours convenu dont la visée est essentiellement individualiste. En toile de fond des revendications d’euthanasie, il y a une conception étroite de la liberté, qui résiderait dans le maximum de choix individuels que la société est chargée de fournir. Derrière l’image lisse d’un choix libre et volontaire, “éclairé” comme le disent les promoteurs de la mort médicalement provoquée, les questions à se poser abondent :

Comment parvenir à un consentement libre sous le poids de la souffrance : si elle est mal soulagée ? Si le malade est isolé, dépourvu de perspectives et de soutien ?

Comment les équipes médicales prennent-elles en charge la dimension psychologique et relationnelle de la maladie, au-delà des aspects techniques ?

Et crucialement aujourd’hui, ces équipes ont-elles les moyens d’un accompagnement fidèle au serment d’Hippocrate ? La crise actuelle du système de santé étend une sombre perspective sur ce point.

Dès les procès de Nuremberg, un doute s’est glissé quant à la moralité de la science…on ne peut plus faire l’économie d’une réflexion morale sur les expérimentations scientifiques ni même sur les thérapeutiques proposées“.

Et en effet, l’euthanasie a un lien avec les avancées techniques. Les auteurs rappellent que certains médecins néonatologistes ont réclamé la légalisation de l’euthanasie de trop grands prématurés en disant “il faut pouvoir défaire ce que l’on a fait”. Ainsi, l’euthanasie est souvent l’autre face de l’obstination déraisonnable, le geste qui supprimerait le patient après l’avoir traité, non comme une personne, mais un cas.

Derrière les demandes d’euthanasie, les peurs de l’individu contemporain : souffrance et indignité.

Dans la deuxième partie du livre, les auteurs affrontent deux motifs fréquemment invoqués pour légaliser la mort médicalement administrée : la souffrance et le sentiment d’indignité. Dénonçant aux passages la manipulation de certains sondages, et s’appuyant sur leurs pratiques, elles interrogent les représentations convoquées dans ces figures de malades pour lesquels on ne pourrait plus rien faire. S’appuyant sur nos vécus communs, elles rappellent que “la souffrance, comme le bonheur, la joie, la douleur et la peine sont constitutifs de l’expérience humaines. On voit mal pourquoi la fin de vie ne fonctionnerait pas, banalement, comme ce qui la précède“.

Par ailleurs, citant la théorie du double effet, les auteurs affirment que la loi permet déjà de soulager les douleurs physiques jusqu’à la perte de conscience, quand c’est nécessaire. Cependant, toute souffrance a une dimension existentielle qui peut aussi signifier le refus d’abandonner une lutte contre la maladie, de se résigner à la mort. Citant deux jeunes hommes atteints de cancer en phase terminale, les auteurs écrivent que leur refus de se laisser “apaiser” pouvait être “un accomplissement subjectif… La souffrance qu’on dit rebelle peut aussi parfois être une résistance“.

Mesurer la souffrance, établir une limite au-delà de laquelle il serait permis de déclencher une mort médicalement administrée n’a pas de sens :

” Les pays voisins nous donnent un aperçu de l’impossibilité de tracer une ligne et les raisons qui permettent de demander l’euthanasie ressemblent de plus en plus à un recensement de toutes les pathologies et souffrances, psychiques ou physiques que l’être humain peut expérimenter“.

Par ailleurs, le livre souligne la difficulté du message double, voire duplice, sur le suicide assisté : “comment légitimer l’accès à la mort sans pour autant faire l’apologie du suicide ?“. Qu’adviendra-t-il de l’appel à assister une personne en danger ? Et le livre rappelle : ” le sujet est loin d’être anecdotique : chaque année entre 85, 000 et 90, 000 personnes sont hospitalisées à la suite d’une tentative de suicide“.

La douleur peut se traiter, la souffrance a une dimension existentielle complexe qui rend la légalisation de l’euthanasie problématique. Plus encore, les auteurs braquent le projecteur sur les conditions de vie et de soins qui peuvent conduire à des demandes d’en finir. “Plusieurs cas canadiens nous montrent que l’euthanasie peut être aussi la solution à la misère sociale“.

Ecoutant la revendication de “mourir dans la dignité”, Isabelle Marin et Sara Piazza font ressortir un point majeur. Sous ce terme de dignité, c’est la représentation “d’un être érigé comme performant et valide, individu indépendant et autonome“. On est ici au cœur ici de la question de l’accueil de la dépendance, de la vulnérabilité, de la finitude, dont aucune vie ne peut prétendre s’affranchir sans s’illusionner. Avec une pointe d’humour, les auteurs rappellent que “ chez certains, la dépendance et la vulnérabilité peuvent être tolérées : un être humain que l’on doit nourrir et changer, qui bave et fait ses besoins sur lui peut susciter admiration et valorisation, s’il a moins de 18 mois“.

La question du regard est centrale, pour chacun et pour toute la société. L’espace éthique Île-de-France rappelle d’ailleurs que  “mettre en cause la valeur et la dignité de l’existence de la personne la fragilise davantage, compromet tout investissement des proches et des soignants…”.

Enfin, les auteurs abordent la délicate question de l’agonie. Assimilée dans les représentations communes à un temps de souffrance inutile, elles rappellent que, dès lors que les moyens sont donnés pour soulager les douleurs et l’angoisse, “l’agonie n’est pas pathologique en tant que telle mais témoigne du temps que parfois un sujet peut prendre pour mourir“.

L’absence de maîtrise de ce temps par les soignants et les proches “signe parfois l’expérience subjective même du sujet, quand bien même il serait inconscient“. Même en toute fin de vie, il est bon que la personne reste sujet de sa vie et échappe à la maîtrise, voire l’emprise, des autres. L’interdit de tuer se révèle ici protecteur.

Et si l’euthanasie était une régression sociale ?

Partie II

 

Derrière le masque de l’autonomie et l’égalité, la mainmise d’un “biopouvoir”.

 

La volonté de maîtrise totale, pourtant illusoire, est à l’œuvre dans une grande partie des revendications de légaliser l’euthanasie.

Une forte contradiction fissure le discours des partisans de la légalisation de l’euthanasie. Ceux-ci prétendent reprendre le contrôle sur leur vie, et sur leur mort. Ils dénoncent le pouvoir médical sur les malades, tout en exigeant que la capacité décisionnaire et d’action soit accomplie par des représentants du pouvoir médical.

En effet, c’est bien des médecins qui examinent le dossier, prescrivent, et dans l’euthanasie, administrent le produit létal. En l’état actuel de la loi, les médecins n’ont pas de droit de mort sur les patients. Mais cela se produira en cas de légalisation : “l’illusion d’être dans une utilisation du pouvoir de la médecine et du médecin pour décider soi-même de sa mort bute sur le pouvoir, in fine, décisionnaire du médecin“. Ce pouvoir du médecin est tout aussi réel dans le cadre d’un suicide assisté.”

A un moment ou à un autre, la demande est bien faite d’être aidé par la médecine (sa compétence à produire une substance) qui passe par une validation de celle-ci (autorisation) et par une prescription“. Ainsi, contrairement à l’apparence ou au discours sur l’euthanasie comme une reprise de contrôle du patient face au pouvoir de la médecine, la légalisation signe au contraire la remise de soi à un pouvoir médical accru.

Le livre examine ensuite la notion d’autonomie sous d’autres angles que le rapport patient/médecin. Dans leur pratique, elles entendent régulièrement, non pas des demandes d’euthanasie, mais l’expression de sentiment d’inutilité, d’isolement, la crainte d’être un poids pour ses proches, sa famille, les soignants… Les injonctions, directes ou insidieuses, les pressions économiques, financières sont déjà présentes.

Qu’arrivera-t-il si la mort administrée est légalisée ? Selon la phrase de Claire Fourcade, présidente de la SFAP, “ça n’oblige personne à le faire, mais ça oblige tout le monde à l’envisager”. Comment demander des meilleures conditions de vie, comment mobiliser les énergies pour l’accompagnement des personnes âgées, si une “sortie” existe, et plus grave encore, si elle est proposée et organisée par la société ?

Quant aux réclamations de légalisation pour éviter que seuls les “riches”, partant à l’étranger, accèdent à l’euthanasie, les auteurs revendiquent une position “radicalement différente“. Il s’agit d’assurer à tous une égalité d’accès aux soins palliatifs, et aux soins en général. Dans la crise du système de santé qui s’étend aujourd’hui, le risque est grand d’une rupture du lien de confiance entre les soignants et les patients, ceux-ci pouvant se demander si l’arrêt des soins est lié à une question de coût. L’alternative n’est pas plus de liberté et d’égalité contre moins actuellement, mais “fausse promesse d’émancipation d’un côté contre un vrai risque d’injonction de l’autre“.

Derrière le discours très construit en faveur de la mort médicalement administrée, derrière la promotion de l’autonomie, c’est la figure de l’individu performant, utile à soi ou à l’économie qui est érigée en modèle.

L’euthanasie n’est pas un “soin comme les autres”, ni le “soin ultime”. D’ailleurs que soigne le geste létal ? Dans un chapitre consacré à leur expérience en soins palliatifs, les auteurs expliquent la démarche palliative en parallèle de la médecine curative : approche plus globale de la personne, pratique multidisciplinaire où toute l’équipe soignante est mobilisée. Réclamer l’euthanasie comme un soin, c’est voir le soin comme un bien de consommation – le dernier- qu’on peut réclamer individuellement. Pourtant le soin est “une affaire relationnelle, une alliance thérapeutique“. Dans le contexte actuel “proposer en même temps les soins palliatifs et l’euthanasie est une pure hypocrisie : en effet l’inégalité devant les soins s’accroit de plus en plus et la question de l’accès aux soins devient très préoccupante“.

Dans une culture où l’économisme domine, le marché devient l’instance régulatrice. Qui dit offre, dit demande. L’offre d’euthanasie créera de la demande. Il faut rappeler que les études sur cette question de la demande d’ne finir ont révélé un très faible taux chez les patients en fin de vie.

 

En conclusion, la question de la fin de vie est donc éminemment politique : “une société solidaire doit-elle proposer la sortie à ses citoyens ou tout faire pour améliore leur vie ?“. Peut-on demander aux soignants de déroger à un interdit fondamental, celui de tuer ? Que deviendra notre société si le message aux plus vulnérables est que la sortie est possible, voire bonne ?

Dans leur conclusion, les auteurs écrivent : “nous attendons une proposition sociale où la question n’est plus celle de la mort digne, mais celle de la vie digne“.

[CP] Suicide : toujours secourir, jamais “aider” à mourir !

[CP] Suicide : toujours secourir, jamais “aider” à mourir !

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Mobilisation contre le suicide assisté

Toujours secourir, jamais “aider” à mourir !

 

D’ici la fin de l’année, le gouvernement veut présenter un projet de loi qui viserait à légaliser le suicide assisté.

Le samedi 2 décembre, Alliance VITA fait retentir dans toute la France un cri de protestation contre la légalisation du suicide assisté.

Dans une cinquantaine de villes en France, des milliers de personnes portant un masque et encadrant leur visage de leurs deux mains, représentent le célèbre « Cri » peint par Edvard Munch en 1893. Tout suicide est un drame qui frappe de nombreuses personnes et qui met en échec la société.

La prévention du suicide est par principe universelle. Légaliser le suicide assisté revient à désigner des personnes comme éligibles au suicide et à saper toute politique de prévention du suicide.

 

Face à ce projet de loi dangereux, cinq cris s’élèvent partout en France :

  • UN CRI D’EFFROI à l’idée que les personnes les plus fragiles soient ainsi exclues de la prévention du suicide comme si leur vie ne valait plus la peine d’être vécue.
  • UN CRI DE COLÈRE avec les personnes déjà douloureusement endeuillées par le suicide d’un proche et qui savent et endurent la violence de ce drame.
  • UN CRI DE RÉVOLTE devant l’implication exigée de soignants pour valider les demandes, fournir les produits létaux et participer à leur administration.
  • UN CRI DE MISE EN GARDE sur le risque d’avoir un poison mortel à domicile.
  • UN CRI D’ALERTE face à l’impact de la légalisation du suicide sur les personnes souffrant de dépression.

 

Alors que le système de santé connaît une crise majeure qui affecte tous les Français, alors qu’on attend toujours une loi grand âge qui prenne en compte le vieillissement de la population, comment comprendre cet agenda qui prévoit la présentation d’un projet de loi avant la fin de l’année ?

Alliance VITA invite à agir pour une société qui prend soin des plus vulnérables :

  • en réaffirmant le refus de l’euthanasie et du suicide assisté comme de l’acharnement thérapeutique ;
  • en demandant que l’accès aux soins palliatifs soit garanti sur tout le territoire.

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Légaliser le suicide assisté et l’euthanasie : transgression et régression

Légaliser le suicide assisté et l’euthanasie : transgression et régression

Légaliser le suicide assisté et l’euthanasie : des conséquences insoupçonnées

 

Dans une société déjà secouée par la violence, envisager la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté serait « un changement de paradigme anthropologique et sociétal majeur qui peut avoir des conséquences insoupçonnées ».

Ces mots très forts émanent d’une tribune collective publiée par La Croix ce 23 novembre 2023 et cosignée par des médecins, gériatres, médecins en soins palliatifs, avocats, professeurs de droit… Ils viennent alourdir d’un argument essentiel le poids déjà important de ce projet de loi du gouvernement de légaliser le suicide assisté et l’euthanasie, camouflés derrière l’euphémisme « d’aide active à mourir ».

Un texte qui pourrait être présenté en Conseil des ministres avant la fin de l’année et dont on déplore les transgressions qu’il envisage et les régressions qu’il induirait.

 

Une transgression : une extension du domaine de la violence légitime

Alors que l’évolution des démocraties est de tout faire pour limiter la violence légitime, « en autorisant un médecin à supprimer une vie (ou à y contribuer dans le suicide assisté), l’État réaliserait alors une extension du domaine de la violence légitime » s’insurgent les cosignataires de la tribune.

La force légitime, dans un État de droit, est très encadrée. Elle est réservée à certaines professions : armée, police. Les professions de santé n’en font pas partie, bien qu’elles aient pourtant une action directe sur le corps humain, qu’elles peuvent toucher, modifier voire mutiler sans encourir de sanctions.

« Cette transgression n’est cependant autorisée que sous conditions strictes : son but doit être le rétablissement de la santé des personnes, les moyens employés doivent être proportionnés, leur efficacité validée et bien sûr le malade doit être consentant ».

Ces professions sont très réglementées, et ces encadrements – qui ont été patiemment mis en place depuis Hippocrate – constituent un progrès et une nécessité, pour les soignants, pour les malades et pour toute la société.

Une régression : un retour en arrière

Déjà, Hippocrate (460-377 avant J.-C.), père de la médecine moderne, savait qu’il fallait protéger les malades des éventuelles pulsions inconscientes, agressives ou pulsions de mort des médecins et limiter leur toute-puissance. Il a mis au point une méthode clinique et son fameux serment qui constituent des référence éthiques fondamentales. « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément » proclament les étudiants le jour de leur thèse.

« Après la Seconde Guerre mondiale, la Shoah et les horreurs de la médecine nazie, rappellent les cosignataires de la tribune, la prise de conscience de ce que peut faire une médecine sans borne et sans norme a marqué l’évolution de la déontologie médicale avec la publication du code de Nuremberg. Depuis, de nombreux textes nationaux et internationaux sont venus compléter et encadrer les devoirs des médecins et les droits des malades. »

L’affirmation d’une éthique du soin est tellement importante que les professions médicales se sont dotées, au fur et à mesure, de codes de déontologie. Celui du métier d’infirmier, consigné comme celui des médecins dans le code de santé publique, affirme aussi que « l’infirmier ne doit pas provoquer délibérément la mort ».

Tous ces textes et réglementations de l’éthique du soin visent toujours l’humanisation de l’autre. Et plus la médecine est efficace et technique, plus les garde-fous doivent être importants.

Ce projet de légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui constituerait une brèche dans cette éthique médicale fondamentale patiemment établie serait un véritable retour en arrière. Pour tous.

Adoption de la PPL “Bien vieillir”, 1e étape avant une loi “Grand âge”

Adoption de la PPL “Bien vieillir”, 1e étape avant une loi “Grand âge”

Jeudi 23 novembre, l’Assemblée nationale a adopté à une large majorité la proposition de loi pour bâtir la société du bien vieillir. Considérablement enrichie pendant les débats, cette proposition de loi est une première étape, la Première ministre ayant annoncé une loi de programmation sur le grand âge pour 2024.

 

Après plusieurs reports, l’Assemblée nationale a repris cette semaine l’examen de la proposition de loi « Bien vieillir »  qui avait commencé en avril. Cette proposition de loi contient plusieurs mesures pour prévenir la perte d’autonomie, lutter contre la maltraitance des personnes âgées et leur garantir un hébergement de qualité.

Si cette proposition de loi a été fortement contestée lors des premiers débats en avril pour son manque d’ambition, l’annonce faite mercredi 22 novembre par la Première ministre d’une loi de programmation sur le grand âge qui sera présentée « d’ici l’été pour un examen et une adoption au second semestre 2024 » a rassuré les parlementaires.

Cette loi doit répondre à « quatre grandes questions : quels sont nos besoins ? Comment les financer ? Comment disposer des compétences et des personnels nécessaires ? »

A l’origine, cette loi de programmation avait été instaurée dans la proposition de loi (article 2 bis B) par un amendement adopté contre l’avis défavorable du gouvernement. Finalement, un amendement déposé par le gouvernement a permis une nouvelle délibération ce jeudi 23 novembre et a inscrit dans la proposition de loi que la loi de programmation sur le grand âge devait être adoptée avant le 31 décembre 2024.

Par ailleurs, l’examen de la proposition de loi « Bien vieillir » en séance publique a permis d’y ajouter plusieurs dispositions pour garantir les droits des personnes âgées et lutter contre la maltraitance en EHPAD :

  • Par un amendement des Républicains, le droit de visite dans les établissements sociaux et médico-sociaux a été renforcé.
  • Un autre amendement du groupe Les Républicains instaure de nouveaux indicateurs pour évaluer la qualité des EHPAD, comme le nombre de douches hebdomadaires ou la durée moyenne des repas.
  • Un amendement du groupe socialiste permet la prise en compte de « l’intégrité psychique » des résidents.
  • Un amendement défendu par le gouvernement oblige les EHPAD privés lucratifs à consacrer une fraction des bénéfices réalisés au financement d’actions en faveur de l’amélioration du bien-être des résidents.

 

Droit de visite dans les EHPAD

Parmi les avancées majeures du texte, l’instauration d’un droit de visite dans les EHPAD répond à la revendication du collectif Tenir ta main créé au moment de la crise du Covid-19. Mardi 14 novembre, Laurent Frémont, cofondateur du collectif, a remis un rapport au gouvernement. Ce rapport, intitulé « Liens entravés, adieux interdits », préconise d’instaurer « un droit absolu de recevoir » pour les résidents, sans limite horaire.

 

Suppression de l’obligation alimentaire pour les petits-enfants

Une disposition plus contestée du texte, à l’article 9, supprime l’obligation alimentaire pour les petits-enfants s’agissant de l’aide sociale à l’hébergement (ASH) : les petits-enfants ne seront plus tenus de financer l’hébergement d’un grand-parent dans un EHPAD, si celui-ci est bénéficiaire de l’ASH.

Comme l’ont souligné des députés Les Républicains, cette suppression entraîne une rupture de réciprocité « puisqu’aucune exonération n’est prévue pour les ascendants. Concrètement, les grands-parents seront donc toujours tenus d’aider leurs petits-enfants mais ces derniers n’auront plus d’obligations en retour. »

Par ailleurs, puisque cette disposition dispense d’obligation alimentaire uniquement les petits-enfants des personnes hébergées dans un établissement médical ou médico-social, elle introduit aussi une rupture d’égalité entre ces petits-enfants et ceux des personnes maintenues à domicile.

La nécessité d’une loi de programmation

Si les députés ont majoritairement voté pour cette proposition de loi « Bien vieillir », à l’exception des Républicains, qui se sont abstenus et des groupes LFI et GDR qui ont voté contre, ils ont à maintes reprises exprimé la nécessité d’aller plus loin.

Tous attendent la loi de programmation du grand âge, qui doit répondre aux besoins de financement immenses, alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), examiné juste avant, suscite bien des inquiétudes. En ligne de mire, la situation délicate des EHPAD, alors que le député GDR Yannick Monnet a rappelé que 85% d’entre eux étaient déficitaires fin 2022.

Ceux-ci doivent accueillir des personnes de plus en plus dépendantes : selon un rapport du Sénat de 2022, plus de la moitié des résidents est désormais très dépendante (GIR 1 ou 2). Face à ce cela, les EHPAD manquent aujourd’hui de personnel et la création de 6 000 postes dans le PLFSS en 2024 est bien insuffisante au regard d’un besoin estimé à 20 000 postes par an.

Le manque de personnel se fait également sentir dans les services d’aide à domicile où se pose également la question de l’attractivité et de la revalorisation des salaires, pour des emplois bien souvent précaires et à temps partiels.

Dans ce contexte, les professionnels du grand âge ont pour la plupart salué l’annonce d’une loi de programmation du grand âge. L’Association des Directeurs au service des Personnes Âgées (AD-PA) a néanmoins précisé dans un communiqué que « l’association a la mémoire longue et se souvient des promesses de nombreux Présidents et Premiers Ministres qui n’ont jamais abouti », en référence aux multiples annonces d’une loi grand âge et autonomie qui avait finalement été abandonnée.

L’association demande « à l’Etat de respecter ses engagements pour que cesse la maltraitance systémique des personnes âgées vulnérables et des professionnels qui les accompagnent. »

Stratégie « Bien Vieillir »

Les acteurs du grand âge ont également salué la présentation de la stratégie « Bien Vieillir » pour « préparer et adapter notre société à cette grande transition démographique » le 17 novembre. Cette feuille de route interministérielle propose un ensemble de mesures autour de quatre axes :

  • Prendre en compte de nouveaux besoins et reconnaître la place des seniors
  • Donner le choix de vieillir où l’on souhaite
  • Accompagner les solidarités entre générations
  • Garantir les droits et la participation des citoyens âgés

Si de nombreuses mesures de cette stratégie étaient déjà connues, plusieurs fédérations se sont réjouies de la volonté de concertation entre l’Etat et les fédérations employeurs pour faciliter les recrutements à travers un protocole pluriannuel.

En attendant l’examen de la proposition de loi « Bien Vieillir » au Sénat, la ministre des solidarités, Aurore Bergé, va pouvoir débuter son travail de concertation avec les parlementaires, les conseils départementaux et les professionnels du secteur afin d’écrire la loi de programmation sur le grand âge, comme l’en a chargé la Première ministre. Il reste à souhaiter que cette loi puisse répondre aux défis majeurs du financement et des personnels. Comme on le voit, les attentes sont immenses.