Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

Droits de l’homme et bioéthique : angles mort et pistes de progression

 

A l’occasion de la célébration du 10 décembre, journée internationale des droits de l’Homme, Alliance VITA est mobilisée contre les atteintes à la vie et pour la dignité de tous en matière bioéthique. L’association appelle à la vigilance pour progresser vers plus de justice et de solidarité.

Focus sur 5 enjeux.

 

I. Réduire les facteurs de stigmatisation des personnes handicapées 

En France, le dépistage prénatal a pour but de détecter in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière gravité. La loi bioéthique française, dans sa version actuelle, prévoit que le DPI n’est autorisé qu’à titre exceptionnel dans certaines situations attestées par un médecin[1]. Le diagnostic prénatal, s’il permet un meilleur suivi des grossesses pour accompagner la mère et l’enfant à naître, peut aussi être assorti de propositions d’interruption médicale de grossesse (IMG en cas d’affection d’une particulière gravité ), plus de 8000 sont pratiquées annuellement).

L’IMG peut intervenir légalement à tout moment pendant la grossesse sans restriction de délais. Beaucoup s’alarment d’une nouvelle forme d’eugénisme en France, qui stigmatise particulièrement les personnes porteuses de trisomie : 90% des diagnostics de trisomie conduisent à une IMG[2].

Ces pratiques favorisent une situation de discrimination grave à l’encontre des personnes handicapées, justement relevée parmi les recommandations faites à la France par l’ONU en 2018. Il lui avait été ainsi demandé de revoir sa politique de détection prénatale systématique de la trisomie, conformément aux principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des instruments internationaux[3]. Cette recommandation n’a toutefois pas été acceptée par l’État français qui l’a seulement notée. Plusieurs organes des Nations-Unies sonnent pourtant l’alerte sur cette situation : «

Sur les questions telles que le dépistage prénatal, l’avortement sélectif et le diagnostic génétique préimplantatoire, les militants des droits des personnes handicapées s’accordent à considérer que les analyses bioéthiques servent souvent de justification éthique à une nouvelle forme d’eugénisme, souvent qualifié de « libéral »[4] ».

Ces pratiques emportent de graves conséquences sociales pour les personnes handicapées, affectant leur droit à mener une vie pleine et décente dans des conditions qui garantissent leur dignité[5].

En 2021, la Défenseure des droits a regretté[6] que l’État français n’ait pas encore pleinement adopté la nouvelle approche du handicap telle qu’induite par la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Elle a indiqué que les discriminations à l’égard des personnes handicapées constituent le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination[7].

 

II. Généraliser les soins palliatifs pour tous

En France, selon un rapport de la cour des comptes, la moitié des patients qui devraient bénéficier d’une prise en charge en soins palliatifs n’y ont pas accès faute de moyens et un quart des départements ne dispose d’aucune unité de soins palliatifs.

En outre, une inquiétude croissante a été exprimée par les Nations-Unis concernant les conséquences des législations sur le suicide assisté et l’euthanasie dans la population : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie »[8]. Plusieurs rapporteurs et experts[9] insistent sur le fait que « l’aide médicale au suicide » – ou l’euthanasie –, même lorsqu’elle est limitée aux personnes en fin de vie ou en maladie terminale, peut conduire les personnes handicapées ou âgées à vouloir mettre fin à leur vie prématurément.

L’accès aux soins et en particulier aux palliatifs pour tous doit être une considération prioritaire de l’État français, d’autant plus dans le contexte où la protection sociale s’inscrit parmi les cibles de l’Objectif de développement durable des Nations-Unies (ODD) n°1[10] et de l’ODD n°10, qui inclut l’adoption de politiques publiques permettant de parvenir à une plus grande égalité[11].

 

III. Respecter le droit des enfants

Depuis l’adoption de la dernière loi bioéthique de 2021[12], le régime de l’assistance médicale à la procréation (« AMP », aussi appelée « PMA ») tel qu’il est envisagé en droit français porte des atteintes graves à des principes consacrés notamment par la Convention relative aux droits de l’enfant. L’abandon du critère d’infertilité dans l’accès aux techniques d’AMP avec tiers donneur méconnait le principe selon lequel « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement »[13].

En institutionnalisant l’AMP avec donneur sans partenaire masculin, le Gouvernement français prive par avance de père les enfants ainsi nés. Il contrevient, ce faisant, à la Convention internationale des Droits de l’enfant qui dans son article 7 dispose que l’enfant, dans la mesure du possible, a le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

D’une façon générale, l’apport de gamètes extérieurs dans le processus de procréation cause une injustice à l’enfant. Ce dernier aurait accès à la connaissance de ses origines à sa majorité mais serait toujours privé de sa filiation biologique puisque son auteur n’a pas vocation à être son père et que le droit interdit même qu’il le soit. Or, détenir l’identité de son géniteur n’est pas équivalent au fait de le connaître et d’être élevé par lui. C’est l’apport extérieur de gamètes en lui-même qui fait échec aux droits de l’enfant.

 

IV. Lutter contre le trafic humain

En France, la gestation pour autrui (GPA) est strictement interdite dans son principe[14], mais l’évolution de la jurisprudence tend à accepter ses effets à l’égard de l’enfant quand elle est pratiquée à l’étranger. La GPA entraine la transcription d’actes de naissance d’enfants nés de GPA, qui sont délibérément non conformes à la réalité (la mère indiquée n’est pas celle qui a accouché par exemple) ce qui a été confirmée par deux jugements de la Cour de cassation en 2024 au moyen de transposition de filiation établie à l’étranger par exequatur.

En outre, du fait qu’elle est interdite en France, certains couples ou individus ont recours à la GPA dans d’autres pays et font appel à des mère-porteuses étrangères. Ce phénomène favorise ainsi le trafic humain en contradiction totale avec les efforts internationaux de lutte contre un tel trafic.

 

V. Soutenir une politique familiale

La dernière enquête de l’Union nationale des associations familiales (UNAF)[15] révèle que les Français souhaiteraient avoir en moyenne un enfant de plus. Parmi les facteurs bloquants, les difficultés matérielles et financières des familles. Or, les politiques publiques de prestations et de prélèvements s’avèrent de moins en moins avantageuses pour les parents, en plus d’une augmentation du budget pour le logement.

Des études récentes montrent également des liens entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesse à répétition[16]. En France, le lien entre violences et interruption volontaire de grossesse (IVG) demeure cependant peu exploré :  très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG[17]. Or, pour 40 % des 201 000 femmes concernées chaque année par les violences du conjoint, celles-ci ont débuté à la première grossesse[18].

Un sondage IFOP réalisé en octobre 2020[19] révèle que 92 % des Français jugent que l’avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes et 73 % estiment que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’interruption volontaire de grossesse.

 

[1] C’est le cas lorsque le couple, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter. Et à titre dérogatoire, le DPI peut être autorisé si le couple a donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique non héréditaire entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

[2] Agence de la biomédecine, 2017, https://rams.agence-biomedecine.fr/sites/default/files/pdf/2019-09/RAMS%202017%20DPN.pdf, Tableau DPN 11.

[3] A/HRC/38/4, p.24, Recommandation n°145.234 du Costa Rica.

[4] A/HRC/43/41, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Conseil des droits de l’homme, 43e session, 24 février-20 mars 2020, §21.

[5] Article 1er de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), Article 23 de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (1989).

[6] A l’occasion de l’examen de la France de son application de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

[7] https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/08/experts-committee-rights-persons-disabilities-raise-questions-about-medical

[8] Déclaration commune publiée le 25 janvier 2021, Haut-Commissariat aux Droits de l’homme des Nations-Unies.

[9] Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme et l’expert indépendant sur les droits des personnes âgées.

[10] ODD n°1, Lutte contre la pauvreté, cible Protection sociale : « 1.3 : Mettre en place des systèmes et mesures de protection sociale pour tous, adaptés au contexte national, y compris des socles de protection sociale, et faire en sorte que, d’ici à 2030, une part importante des pauvres et des personnes vulnérables en bénéficient ».

[11] ODD n°10, Réduction des inégalités, cible Politiques publiques ciblées au service de l’égalité : « 10.4 : Adopter des politiques, notamment sur les plans budgétaire, salarial et dans le domaine de la protection sociale, et parvenir progressivement à une plus grande égalité ».

[12] http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/bioethique_2.

[13] Article 18 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

[14] Article 227-12 du Code pénal et article 16-7 du Code civil.

[15] https://www.unaf.fr/ressources/2023-bilan-demographique-les-familles-ont-moins-d-enfants-mais-en-desirent-toujours/ et https://www.unaf.fr/ressources/ideal-personnel-moyen-du-nombre-enfants-en-france/ Etude Kantar  parue le 11 janvier 2024,

[16] Pinton A. et al., « Existe-t-il un lien entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesses répétées ? », Gynécologie Obstétrique Fertilité & Sénologie, 2017/7-8, Volume 45, pages 416-420.

[17] Pelizzari Mélanie et al., « Interruptions volontaires de grossesse et violences : étude qualitative auprès de médecins généralistes d’Île-de-France », Cliniques méditerranéennes, 2013/2 n° 88, p.69-78.

[18] AFP (2014, 23 novembre). La grossesse, un moment clé pour détecter les violences conjugales. France 3 Hauts-de-France.

[19] https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-livg-2/

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[CP ] – Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

[CP ] – Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

Le gouvernement tombe, les urgences demeurent

 

Avec le vote de la motion de censure contre le gouvernement de Michel Barnier, l’examen du texte sur la fin de vie, annoncé début février, est certes suspendu mais pas les urgences pour le système de santé et les soins palliatifs et malheureusement pas non plus les revendications pro euthanasie. La proposition de loi portée par le député Falorni pourrait survivre à un remaniement gouvernemental.

A l’heure où l’instabilité politique domine, seules les préoccupations prioritaires des Français devraient mobiliser les parlementaires : réparer le système de santé et garantir l’accès aux soins, relever le défi du vieillissement de la population en adoptant une loi grand âge, autant de vrais enjeux que doivent saisir les politiques sans attendre.

Depuis le lancement de sa campagne « J’attends des soins, pas l’euthanasie ! », Alliance VITA a récolté des milliers de témoignages illustrant les embouteillages croissants dans les parcours de soins : « Après une attente trop longue pour avoir un rendez-vous et un diagnostic, le cancer de ma jumelle a évolué plus vite que les soins. À mon immense chagrin j’ai perdu ma sœur faute d’un diagnostic rapide et traitement avant que ce soit trop tard. »

Les législateurs auraient tort d’ignorer ces difficultés ; pire, ils commettraient l’irréparable en y répondant par la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie. Veut-on que des personnes en souffrance se tournent vers la mort provoquée par défaut d’accès aux soins ?

Alliance VITA demande que la priorité soit donnée aux besoins de nos concitoyens : les Français attendent des soins … Les politiques doivent répondre en urgence à ces attentes, et ne surtout pas voter une loi ultralibérale d’euthanasie.

Contact presse : Claire-Anne Brulé + 33(0)6 67 77 14 80 – contactpresse@alliancevita.org

 

Retrouvez tous nos articles sur l’euthanasie et le suicide assisté.

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Euthanasie : le handicap en première ligne

Euthanasie : le handicap en première ligne

Euthanasie : le handicap en première ligne

En France, la présentation du débat « pour ou contre l’euthanasie » a pu glisser vers celle d’un affrontement caricatural : d’un côté, il y aurait les citoyens (cf. la fameuse « convention citoyenne » qui aurait tranché le débat) ; de l’autre, il y aurait les soignants qu’on sait très majoritairement hostiles à la levée de l’interdit hippocratique et qui considèrent que tuer n’est pas un soin ! Mais où sont les personnes en situation de handicap ?

Ailleurs, en Grande-Bretagne notamment, ce sont elles qui s’expriment en première ligne contre l’euthanasie, en tant que citoyens s’estimant particulièrement vulnérables. En témoigne leur mouvement au titre percutant : « Not dead yet » (Pas encore mort). L’association qui a comme ligne de base « The Resistance » se présente comme « un groupe national de défense des droits des personnes handicapées qui s’oppose à la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie en tant que formes mortelles de discrimination. »

Ce mouvement fait écho à la dénonciation croissante, par certaines personnes porteuses de handicaps, du « validisme ». Ce mot entend stigmatiser un monde de valides voulant imposer leur prétendue « normalité » quitte à en exclure ceux qu’ils estiment hors norme. Il faut reconnaitre, les soignants le savent bien – que la revendication de l’euthanasie légale émane essentiellement de personnes valides et en bonne santé, qui considèrent – d’abord pour les autres, parfois pour un proche – qu’il vaut mieux mourir que de vivre en état de dépendance.

Mais que devient l’avis de ces personnes quand elles se retrouvent handicapées ? Passés le choc et l’adaptation à cette nouvelle vie, elles affirment largement – même quand la mort approche – qu’elles ne voient plus les choses de la même façon. C’est le regard des autres qui remet en cause leur existence. Il faut être lucide : la discrimination vis-à-vis des personnes handicapées, leur harcèlement, leur exclusion mais aussi une forme de pitié qui s’apparente au rejet – sans parler de l’euthanasie anténatale – ne sont pas l’apanage des régimes totalitaires.

En démocratie, l’euthanasie pourrait devenir l’ultime façon de ne pas considérer les personnes porteuses de handicap comme pleinement dignes de vivre. Philippe Pozzo Di Borgo, tétraplégique dont l’histoire a inspiré Intouchables, avait mis en garde contre ce risque d’éliminer le « différent qui gêne » au point d’inciter les « valides » à mépriser leur propre vulnérabilité. Dans son élan – et celui du mouvement Soulager mais pas tuer – Caroline Brandicourt, atteinte d’une maladie neurodégénérative, a sillonné au printemps 2023 la France en tricycle pour sonner l’alerte : « On vit autrement, mais on peut bien vivre ».

En France, c’est surtout à l’occasion des affaires médiatisées d’euthanasie que certaines voix se sont élevées pour s’interroger sur ce que l’engouement médiatique pour tel ou tel passage à l’acte révélait de la « valeur » accordée à la vie d’une personne dépendante. Une association des parents et proches de personnes traumatisées crâniennes s’est mobilisée dès l’euthanasie de Vincent Humbert en 2003 pour redire le droit de vivre des patients concernés et la valeur de leur vie.

Si, en décembre 2008, Lyddie Debaine a été condamnée en appel à deux ans de prison avec sursis après un acquittement par une première cour d’assises, c’est parce que des associations de personnes handicapées s’étaient entre temps émues que le meurtre délibéré de sa fille, gravement handicapée, ait pu être exonéré de toute condamnation en raison du handicap de la victime. Sa vie était-elle indigne de protection ?

En 2014, en pleine affaire Lambert, France Traumatisme Crânien (l’association nationale des professionnels au service des traumatisés crâniens) mais aussi l’Union Nationale des Associations de Familles de Traumatisés crâniens et de Cérébrolésés ont alerté le Conseil d’Etat. Ils déclaraient : « L’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie, pour nous, des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique » et ajoutaient « Les patients en EVC/EPR [pour états pauci relationnel et neurovégétatif] ne sont pas en fin de vie (…). Ils sont des patients très lourdement handicapés, totalement dépendants ».

En 2017, l’association pour la recherche sur la SLA, qui regroupe des personnes atteintes de maladie de Charcot et des proches avait protesté à son tour contre la médiatisation de l’euthanasie en Belgique de la romancière Anne Bert. A l’époque, la directrice générale témoignait « avoir reçu beaucoup d’appels de malades et de leurs proches pour dire leur indignation ». Elle déclarait :

« Cela leur renvoie une image négative et ultime de la maladie alors que la grande majorité d’entre eux ne pense ni à l’euthanasie ni au suicide, qu’ils sont au contraire dans l’espoir et la vie, dans le combat, qu’ils profitent du présent et font tout pour compenser la perte d’autonomie ».

Hélas, selon l’adage « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse » on encense davantage le « courage » de ceux qui « réussissent leur sortie » en optant pour la mort provoquée que le courage de ceux qui vivent leur vie, malgré la dépendance, en étant accompagnés jusqu’au bout. Que dit ce deux poids deux mesures médiatique sur l’image du handicap ?

Le soutien des « valides » à l’euthanasie des « invalides » en situation de vulnérabilité, génère aussi de l’angoisse chez leurs proches. Surtout quand les « fragiles » auraient des difficultés à se défendre eux-mêmes.

En 2024, ce sont 75 parents de personnes porteuses de handicap mental qui ont publié une tribune : « Nous demandons l’interdiction explicite de l’euthanasie et du suicide assisté pour les personnes porteuses de handicap mental ». Tous craignent que leurs proches deviennent « les victimes d’une médecine tournée vers la performance où donner la mort sera l’arme suprême (et bon marché) pour éliminer la vulnérabilité. » Ce qui se passe au Canada, où le handicap est un critère d’accès à l’euthanasie, donne raison à pareille inquiétude. Plusieurs personnes en situation de handicap ont protesté contre la pression – parfois explicite – subie pour qu’ils recourent à l’AMM (aide médicale à mourir).

Choqué qu’un directeur d’hôpital lui ait proposé l’euthanasie à l’exclusion de tout traitement, Roger Foley, atteint d’ataxie cérébrale, l’a vigoureusement dénoncé dans une vidéo qui a fait grand bruit :

« J’ai été déshumanisé, menacé, attaqué et trompé, et ma vie a été totalement dévaluée, simplement parce que je suis une personne en situation de handicap. On accorde plus de valeur à l’accès à l’AMM qu’aux alternatives qui pourraient soulager les patients de leurs souffrances intolérables. L’AMM est présentée aux patients comme une option de traitement privilégiée plutôt que comme le tout dernier recours une fois que toutes les autres voies ont été épuisées. »

Depuis, plusieurs patients canadiens porteurs de handicap ont malheureusement réclamé l’AMM en précisant que c’était en désespoir de cause, parce qu’ils n’avaient pas accès aux soutiens appropriés. En 2023 la loi prévoyait carrément d’élargir l’accès à l’AMM aux personnes atteintes d’une affection mentale.

Alors qu’en France le système de santé est en crise multiforme, le coût comparé de l’euthanasie et du maintien en vie aurait de quoi inquiéter ceux qui – aux yeux d’une bonne partie de l’opinion – ont des vies indignes d’être vécues. Les joyeux visages des concurrents des jeux paralympiques n’ont-ils pas délivré un tout autre message ?

euthanasie : le handicap en première ligne

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« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

« Affaire Palmade » : le deuil entravé de l’enfant né sans vie

Vingt-et un mois après avoir causé, sous l’emprise de la drogue, un grave accident de la circulation qui a notamment fait perdre à une femme enceinte son bébé à six mois de grossesse, l’humoriste Pierre Palmade a été condamné le 20 novembre 2024 à deux ans de prison ferme pour « blessures involontaires » et non pas « homicide involontaire ». L’affaire relance le débat sur la personnalité juridique du fœtus.

Le procès de Pierre Palmade souligne l’injustice, voire l’inhumanité d’un artifice de notre droit qui interdit de qualifier d’homicide le fait d’avoir provoqué la mort d’un être humain avant sa naissance, que cet homicide soit involontaire ou délibéré. C’est cet artifice qui a conduit les magistrats à se limiter à qualifier de « blessures » ce qu’avait subi une femme enceinte de six mois dont le bébé a perdu la vie lors de l’accident.

La jeune maman a donné naissance à un autre enfant depuis l’accouchement. Venue témoigner de cette perte devant les magistrats, elle a évoqué dans les sanglots la mort de sa petite Solin, née sans vie :

« Il a tué ma fille, elle était entière, j’ai compté ses doigts, elle m’a montré ses yeux. Elle est partie seule » (…) « Quand elle est née, j’étais dans un déni total. Pour moi, je venais d’accoucher. Solin, je l’avais portée dans les bras. Pour moi, elle était en train de dormir (…) Je pensais qu’on allait en prendre soin. Elle était morte. »

Et la jeune femme d’expliquer que ce traumatisme l’empêche aujourd’hui de prendre dans ses bras sa seconde petite fille, conçue après l’accident.

Deux logiques inconciliables s’affrontent :

  • Première logique : on ne peut qualifier d’homicide l’avortement légal, dont les délais légaux vont, dès la loi de 1975, jusqu’au terme de la grossesse en cas de suspicion de handicap d’une gravité particulière (précisément quand il « existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic »). Après avoir admis un temps la qualification d’homicide involontaire pour la perte d’un fœtus, la cour de Cassation refuse depuis 2001 toute reconnaissance juridique de l’enfant à naître.
    Seconde logique : on ne peut nier le deuil subi par des parents qui perdent leur enfant avant sa naissance, ni le préjudice qu’ils subissent lorsque ce décès est consécutif à une faute, voire à un acte délibéré. Progressivement, le droit a certes tenté de reconnaitre ce deuil, en renforçant les signes de l’existence pleine et entière de celui ou celle qui n’a pas respiré.

La loi de 2008 avait franchi une première étape en instaurant un « acte d’enfant sans vie » (second alinéa de l’article 79-1 du code civil). Concrètement un officier de l’état civil le dresse sur production d’un certificat médical en mentionnant les heure, jour et lieu de l’accouchement et les noms et le domicile des parents.

La loi du 6 décembre 2021 a renforcé cette reconnaissance en permettant que figure aussi sur cet acte « à la demande des père et mère, le ou les prénoms de l’enfant ainsi qu’un nom qui peut être soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux. » Nommer, c’est reconnaitre l’existence et – par-là – le deuil.

Le souci d’humanité qui préside à cette disposition est attesté par son exceptionnel caractère rétroactif, rarissime en droit : si les parents le souhaitent, les actes d’enfants nés sans vie établis antérieurement à la loi de 2021 peuvent en effet être complétés par la mention du nom et des prénoms de l’enfant. Toutefois, précise le texte, pour toutes ces situations passées ou avenir, « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. » Humanité et droit s’entrechoquent.

Les débats sur la personnalité juridique du fœtus sont anciens. Dès l’antiquité s’est posée la question du droit à l’héritage pour un enfant non né, en cas de mort du père avant sa naissance. Et c’est la vie qui l’a emporté. Une célèbre formule rend compte du raisonnement élaboré pour la reconnaitre, en toute justice, dans l’intérêt de l’enfant : Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (L’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage).

Cette « tradition » est à rapprocher de la possibilité offerte par notre droit d’une « reconnaissance anticipée de l’enfant », formalité facultative ouverte aux couples non mariés, et plus particulièrement aux pères. Etablir la filiation avant la naissance lui permet de transmettre son nom, d’asseoir son autorité parentale et de léguer en cas de décès… L’enfant à naître est ici protégé.

Lors du procès de Pierre Palmade, Maitre Battikh, l’avocat de la jeune maman, avait demandé la requalification de ses « blessures involontaires » en « homicide involontaire aggravé ». Me Céline Lasek, avocate de Pierre Palmade  avait aussitôt rétorqué « Le fœtus n’a pas respiré à sa naissance (…), je m’y oppose ! ». Appelé à la barre, Pierre Palmade, à la question du président « Acceptez-vous que cette prévention soit rajoutée aux mentions précédentes ? » a confirmé ce refus d’un mot : « Non ». Maître Battikh, tout en se défendant de vouloir contester le droit à l’IVG, a ensuite regretté l’absence de protection de la vie in utero.

Le même avocat a dénoncé dans les médias une « décision absurde » : « Aujourd’hui en France, les animaux domestiques ont un statut juridique ; les œufs de certains oiseaux sont mieux protégés que les fœtus ! C’est scandaleux, on ne peut pas poursuivre avec ce no man’s land, ce vide juridique ».

En effet, l’article L. 415-3 du code de l’environnement prévoit une peine trois ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour la destruction des œufs des espèces animales protégées. Cela peut être des oiseaux, des reptiles, des batraciens voire des insectes. Certes, ce n’est pas – pour le moment – l’intérêt de l’animal en question qui est ici reconnu et protégé, ni même celui de son espèce. Il s’agit de l’intérêt de l’humanité présente et future, attachée à la biodiversité et à la préservation de la nature. Frappante, la comparaison a donc ses limites.

Qu’un être humain soit digne de respect dès le début de son existence est le genre d’évidence que seul un flagrant déni peut tenter d’étouffer. Mais jusqu’à quand ? A mesure que la viabilité des grands prématurés s’améliore, l’absurdité de l’artifice juridique et son inhumanité sont de plus en plus évidents.

 

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Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

Urgence à l’hôpital : les difficultés vont perdurer selon la Cour des Comptes

La Cour des Comptes vient de publier un rapport sur l’accueil et le traitement des urgences à l’hôpital. En juin 2018, déjà, des mesures étaient annoncées pour un « Pacte de refondation des urgences« . L’objectif était de déployer « de nouvelles actions pour désengorger les urgences, améliorer la prise en charge des patients et soutenir les équipes soignantes« . La Cour des Comptes a mené une mission pour évaluer l’efficacité de ce plan, alors que le système de santé traverse une crise profonde.

Les services d’urgence, par leur fonction, concentrent et rendent plus visibles des dysfonctionnements et dégradations du système de soins français. Les médias se font l’écho, en particulier durant les étés, de services qui ne sont plus capables d’assurer un fonctionnement adapté aux besoins. Comme le note le rapport :

« les urgences sont redevenues le réceptacle de la plupart des débordements du système de santé. Dernier dispositif de recours, les structures d’urgence sont elles-mêmes mises en difficulté car sollicitées, outre les cas de réelle urgence, par les patients qui ne parviennent pas à obtenir de rendez-vous rapidement chez un médecin ou par des patients atteints de maladies chroniques non suivis par un médecin-traitant. Arrivent enfin aux urgences des personnes dont l’état de santé nécessite une hospitalisation mais qui n’ont pu être admises dans le service hospitalier correspondant à leur pathologie« .

 

Comment est définie la médecine d’urgence ?

Selon le rapport, « sur le plan médical, la médecine d’urgence dispense les soins des premières 24 heures à un malade ou à un blessé et n’a pas vocation à garder les patients au-delà de cette durée« . Il rappelle aussi que trois types de structures interviennent pour exercer cette médecine :

  • Les SAMU « services d’aide médicale urgente » gèrent et régulent les appels,
  • Les SMUR, « structures mobiles d’urgence et de réanimation » (Smur), assurent la prise en charge et le transport, sur demande du Samu, des personnes accidentées ou en détresse sanitaire,
  • Enfin les « structures de médecine d’urgence » accueillent les patients et les prennent en charge dans un établissement de santé.

 

Deux nouvelles structures ont été créées par le Pacte de refondation des urgences :

  • Des Services d’accès aux soins (Saas), centres d’appel pour répondre aux demandes de soins non programmés en médecine de ville,
  • Des antennes de médecine d’urgence, structures locales autorisées à ne fonctionner qu’une partie de la journée.

 

Quelle activité dans les services d’urgence ?

Le rapport recense « 694 structures, dont 467 établissements publics (75 % des structures des urgences), 35 privés à but non lucratif (5 %) et 122 privés à but lucratif (20 %), auxquels étaient rattachés 100 centres d’appel (Samu) et 388 Smur« . En 2022, ces services ont enregistré 20.9 millions de passage, plus qu’en 2021 mais un peu moins qu’en 2019.

Le rapport produit une estimation du coût des urgences, autour de 5.3 milliards d’euros, soit 5.1% du budget global alloué aux soins en établissements de santé l’année dernière.

 

 

Comment expliquer la saturation des services d’urgence ?

Selon la Cour des Comptes, « deux phénomènes majeurs qui ne faiblissent pas, qui se conjuguent et vont s’intensifier au cours des prochaines années, sont à l’origine de ces difficultés : la diminution de l’accessibilité des médecins sur une grande partie du territoire national et l’accroissement de la demande de soins en relation avec l’augmentation et le vieillissement de la population« .

Le rapport note aussi que les pouvoirs publics ne doivent pas se contenter de « réguler » les entrées pour soulager les services d’urgence. En effet, les débordements des urgences viennent aussi des difficultés à assurer une sortie des urgences vers d’autres services.

« La fluidité des sorties – tout particulièrement pour les patients âgés – est en effet, désormais, la préoccupation dominante. L’accent doit donc être mis sur le juste soin à prodiguer aux patients âgés : généralisation des dispositifs contribuant à éviter les hospitalisations à temps plein qui ont fait leurs preuves (comme l’hospitalisation à domicile, concernant aussi les Ehpad) et organisation de l’admission directe en hospitalisation non programmée plutôt que recours aux urgences, en cas d’aggravation soudaine de l’état d’un patient« .

C’est donc toute la chaine de soins qui est impliquée, les services d’urgence représentant l’épicentre des tensions sur toute cette chaîne. La Cour des Comptes liste plusieurs recommandations pour une meilleure coordination des ressources – néanmoins insuffisantes – et la poursuite d’accès à des soins de premier recours pour éviter un passage aux urgences.

Ce rapport s’ajoute à d’autres pour décrire une situation vraiment dégradée pour le système de santé. « J’attends des soins, pas l’euthanasie » la campagne récemment lancée par Alliance VITA, est une occasion de rappeler la priorité aux soins alors que le débat sur l’euthanasie pourrait être relancé au Parlement.

 
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