Décodeur n°35 – L’euthanasie en Belgique

Décodeur n°35 – L’euthanasie en Belgique

Le décryptage d’Alliance VITA sur l’actualité législative : « L’euthanasie en Belgique »

 

L’EVENEMENT

Le Sénat belge vient de franchir une étape importante en vue de légaliser l’euthanasie des mineurs, sans limite d’âge : ce mercredi 27 novembre 2013, les commissions réunies Justice et Affaires sociales du Sénat ont approuvé, par 13 voix contre 4, une proposition de loi qui vise à étendre aux mineurs la loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie.

Pour entrer en application, ce projet doit ensuite être voté en séance plénière au Sénat, puis être examiné et approuvé à la Chambre (équivalent de l’Assemblée nationale en France). Aucun calendrier n’est pour l’instant fixé.

D’autres propositions de loi pour étendre ou faciliter l’euthanasie sont en attente d’examen, en particulier pour légaliser l’euthanasie des « personnes atteintes d’une affection cérébrale incurable » (type maladie d’Alzheimer).

LE CHIFFRE

1432 déclarations d’euthanasie ont été comptabilisées en Belgique en 2012, en hausse de 25% par rapport à l’année précédente. Ce nombre officiel double tous les quatre ans.

Les euthanasies clandestines demeurent nombreuses, estimées à 27% du total des euthanasies réalisées en Flandre et à 42% en Wallonie (voir détail plus loin).

Des statistiques plus détaillées, notamment par région (plus de 80% des euthanasies ont lieu en Flandre), sont disponibles dans le rapport de la Commission fédérale de contrôle.

LA LEGISLATION ACTUELLE

Par une loi votée le 28 mai 2002, la pratique de l’euthanasie a été dépénalisée sous certaines conditions. Le texte exonère de toute responsabilité le médecin qui « met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci », si certaines conditions  de fond et de procédure sont réunies.  Les principales dispositions de la loi sont les suivantes :

  • Le médecin doit vérifier que le patient a formulé sa demande « de manière volontaire, réfléchie et répétée, et qu’elle ne résulte pas d’une pression extérieure ».
  • Le patient doit se trouver « dans une situation médicale sans issue et un état de souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable».
  • Le médecin doit consulter un second praticien qui vérifie que ces conditions sont remplies. Si le patient n’est pas en phase terminale, un troisième médecin doit être consulté, psychiatre ou spécialiste de la pathologie concernée, et un délai supplémentaire d’un mois doit être respecté.
  • A l’issue de l’euthanasie, le médecin remplit un formulaire destiné à vérifier la légalité de l’acte accompli. Les médecins qui ne souhaitent pas réaliser d’euthanasie bénéficient d’une clause de conscience.
  • Une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, composée de 16 membres, est chargée de vérifier à postériori la conformité de tous les actes d’euthanasie pratiqués en Belgique. Si elle estime que les conditions n’ont pas été respectées, elle doit saisir la justice. Elle transmet tous les deux ans un rapport au Parlement.

UNE INTERPRÉTATION EXTENSIVE DE LA LOI :

DE L’EUTHANASIE AU SUICIDE ASSISTE

La loi belge n’exige pas que la personne soit en phase terminale d’une maladie grave et incurable, objectivement évaluée par le corps médical. Pour les médecins concernés comme pour la Commission nationale de contrôle, la perception subjective de la souffrance devient donc progressivement le seul critère pris en compte. Ce qui laisse la porte ouverte à des interprétations de plus en plus larges et des dérives choquantes, au nom du respect de l’autonomie individuelle.

Voici quelques exemples de décès récents que l’on peut qualifier de « suicides assistés ». Ils sont aujourd’hui acceptés sans difficulté par la Commission de contrôle, alors qu’ils étaient exclus dans les débats à l’origine de la loi de 2002 :

  • Eddy et Marc Verbessem, deux frères jumeaux de 45 ans, nés sourds et atteints d’un glaucome qui devait les rendre progressivement aveugles, ont été euthanasiés le 14 décembre 2012 : la crainte de ne plus se voir a été considérée comme une « souffrance psychique insupportable », légitimant selon leur médecin l’accès à l’euthanasie légale.
  • Nathan Verhest, 44 ans, a « bénéficié » d’une euthanasie le 30 septembre 2013, après une opération de changement de sexe qui avait échoué. Née avec un sexe féminin, rejetée par ses parents qui souhaitaient un autre garçon après trois fils, cette personne rêvait depuis son adolescence de devenir un homme et avait suivi des traitements lourds pour y parvenir. Devant l’échec de la dernière opération, elle a affirmé « j’ai eu une aversion pour mon nouveau corps » et a fait état de ses souffrances psychiques pour obtenir d’être euthanasiée.
  • Ann G., 44 ans, souffrant d’anorexie depuis de nombreuses années et abusée sexuellement par son psychiatre, a été euthanasiée fin 2012 : elle disait « avoir un cancer dans la tête », lui causant une souffrance jugée suffisante pour entrer dans le cadre de la législation sur l’euthanasie.
  • L’euthanasie d’un détenu en prison, condamné à une lourde peine et très malade, a eu lieu pour la première fois en Belgique en septembre 2012. Actuellement, un autre détenu de 50 ans, condamné pour viol et meurtre, demande l’euthanasie alors qu’il n’a pas de maladie grave. « Je ne me sens plus un homme », aurait-il confié, ce qui a amené des psychiatres à affirmer qu’il souffrait mentalement de manière intenable. Une alternative existe, avec un transfert vers une clinique néerlandaise spécialisée, mais le ministère de la Justice n’est pas d’accord. On évoque désormais un retour à la peine de mort volontaire « pour motif humanitaire ». Une dizaine d’autres détenus auraient exprimé la même demande.
  • Le 4 mai 2013, le prix Nobel Christian de Duve décède par euthanasie. Ses proches expliquent qu’à 95 ans, ce grand scientifique s’était préparé sereinement à cette échéance après un malaise à son domicile. Il a mis à profit le mois précédent sa mort pour écrire à ses amis et anciens collègues, son dernier geste étant d’accorder une interview qui sera publiée à titre posthume dans un grand quotidien national. Son décès rappelle celui du grand écrivain belge Hugo Claus, qui avait organisé de manière similaire son euthanasie en mars 2008.

DÉRIVES LIÉES AU NON-RESPECT DES CONDITIONS FIXÉES PAR LA LOI

La Commission de contrôle et d’évaluation a examiné toutes les déclarations qui lui ont été soumises depuis la mise en œuvre de la loi en 2002. Aucune n’a fait l’objet d’un signalement au procureur, ce qui jette un sérieux doute sur l’impartialité de cet organisme composé pour une large part de partisans de l’euthanasie, dont la présidente de l’ADMD belge. Pourtant les motifs d’inquiétude sur le non-respect de la loi sont multiples.

A/ Des euthanasies sur des personnes ne remplissant pas les conditions

  • Cas de dépression : dès 2007, plusieurs cas d’euthanasie de patients souffrant de dépression majeure irréductible ont été dénoncés par une association travaillant dans ce domaine (« Netwerk Depressie Vlaanderen »), qui rappelle que la dépression ne peut être considérée comme une maladie incurable.
  • Cas des enfants : une étude publiée en 2009 dans la revue American Journal of Critical Care révèle que des médecins et des infirmières ont eu recours à l’euthanasie pour 25 enfants, alors que cette pratique est interdite pour les mineurs.

B/  De nombreuses euthanasies clandestines

Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Bruxelles et de celle de Gand a été publiée dans Social Science & Medicine en juillet 2012. Il s’agit d’une enquête approfondie auprès d’un échantillon représentatif de 480 médecins de Flandre et 305 de Wallonie. Celle-ci révèle que les déclarations à la Commission de contrôle ne concernent seulement que 73% des euthanasies pratiquées par les médecins flamands et 58% pour les médecins wallons. Autrement dit, 10 ans après la mise en œuvre de la loi, 27% des euthanasies en Flandre et 42% en Wallonie ne seraient pas déclarées.

C/ Un manque de respect et de contrôle des procédures

L’étude de juillet 2012 citée ci-dessus met également en lumière que la consultation d’un second médecin (obligatoire légalement) n’a été réalisée que par 73% des médecins flamands et que par 50% des médecins wallons.

Une autre importante étude d’évaluation a été menée en 2009 par le professeur Raphaël Cohen-Almagor, de l’Université de Hull (Royaume-Uni). Publiée dans la revue  Issues in Law and Medicine, elle met en lumière plusieurs difficultés sérieuses. A titre d’exemple, concernant la nécessité légale de l’avis d’un second praticien, des cas sont signalés où le médecin consulté rend son avis par téléphone et n’examine pas la personne malade. Ces médecins feraient naturellement appel à des confrères, souvent les mêmes, connus pour leur ouverture à la pratique de l’euthanasie.

L’Institut Européen de Bioéthique (IEB), dans un important dossier consacré à cette question en 2012, souligne par ailleurs les dérives sur la fourniture  des « kits euthanasie » vendus en pharmacie. Le médecin qui pratique l’acte d’euthanasie à domicile est tenu de se rendre en personne à la pharmacie et d’y rapporter le surplus non utilisé. En réalité, les substances létales sont parfois délivrées à la famille, et aucun contrôle n’est réalisé sur le retour des surplus, laissant craindre des utilisations frauduleuses de ces produits.

D/ Vers un développement du don d’organes après euthanasie ?

Il s’agit ici d’un nouveau risque potentiel de dérive, même si les conditions légales sont respectées.  Pour augmenter le nombre de greffes d’organes, car le nombre de donneurs est insuffisant comme partout ailleurs, des chirurgiens belges souhaitent favoriser cette pratique parmi les personnes engagées dans un processus d’euthanasie. Un symposium sur le thème « Euthanasie et don d’organes » s’est tenu à Bruxelles le 28 septembre 2012, à l’initiative de la Société belge de transplantation, LEIF et l’association Maakbare Mens : s’appuyant sur le constat que 9 patients euthanasiés depuis 2005 avaient fait don de leurs organes, certains médecins veulent encourager cette démarche et estiment à environ 10 % le vivier de donneurs potentiels, parmi les candidats à l’euthanasie.

DE MULTIPLES PROPOSITIONS DE LOI POUR ÉLARGIR ET FACILITER LES EUTHANASIES

A/ Les principales demandes des partisans de l’euthanasie

Pas moins d’une vingtaine de propositions de loi ont été déposés au Parlement ces dernières années, la plupart en vue d’étendre la possibilité d’euthanasie à des nouvelles catégories de personnes ou de simplifier le processus légal. Actuellement, cinq d’entre elles expriment les principales demandes et sont au cœur des débats :

  • extension aux mineurs dotés de la capacité de discernement (sans limite d’âge) ;
  • extension aux personnes atteintes d’une affection cérébrale incurable (type Alzheimer) ;
  • suppression de la limite de cinq ans pour la validité des déclarations anticipées ;
  • procédures plus strictes à respecter par le médecin qui veut exercer sa clause de conscience ;
  • limitation de la clause de conscience dans les établissements de santé.

Ces propositions de loi sont examinées depuis janvier 2013 au sein des commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat, ainsi qu’à l’intérieur même des partis politiques. Les débats parlementaires pourraient aboutir dans les mois à venir au vote d’une partie de ces propositions.

B/ Le symbole de l’euthanasie des mineurs

La question de l’euthanasie des mineurs cristallise les débats de société entre partisans et adversaires de la mesure : 16 pédiatres ont appelé à légaliser le plus vite possible, dans une lettre ouverte publiée dans deux journaux le 6 novembre (le même jour que l’appel des responsables religieux, vois ci-après). Un sondage diffusé début octobre 2013 laisse entendre que l’opinion publique est prête à accepter cette évolution.

Sous l’impulsion de partis formant une coalition différente de la majorité gouvernementale (Socialistes, Libéraux, Alliance néo-flamande, Verts), les partisans de l’euthanasie veulent rejoindre les Pays-Bas qui autorisent l’euthanasie des enfants à partir de 12 ans.

Par rapport à la loi de 2002 autorisant l’euthanasie des adultes, la proposition de loi actuellement en débat fixe des conditions considérées comme « plus restrictives » : limitation aux situations de souffrance physique, reconnaissance de la capacité de discernement du mineur et autorisation des parents, décès prévu à brève échéance.

UNE OPPOSITION CROISSANTE AUX DÉRIVES

Ces derniers mois paraissent marquer un tournant dans le débat au sein de la société belge. Depuis son introduction il y a dix ans, la pratique de l’euthanasie n’appelait pas de critique publique forte et semblait être « rentrée dans les mœurs ». Ces derniers mois, par contre, les initiatives se sont multipliées pour contester les dérives et refuser l’extension à de nouvelles catégories. A titre d’exemple :

  • Plus de 70 personnalités, principalement des professionnels de la santé, ont signé en juin 2012 un texte important à l’occasion des dix ans de la loi belge sur l’euthanasie. Leur appel souligne combien cette loi, en ouvrant la « boîte de Pandore » et en transgressant un interdit fondateur, a dégradé la confiance au sein de la société et a fragilisé les personnes les plus vulnérables.
  • Les principaux responsables religieux de Belgique ont diffusé le 6 novembre 2013 un communiqué historique. Marquant pour la première fois l’unité des trois grandes religions monothéistes, les représentants du christianisme (catholiques, protestants, orthodoxes), du judaïsme et de l’islam ont exprimé leur vive inquiétude face au risque de banalisation de l’euthanasie. Ils s’opposent à l’extension de la loi aux mineurs ou aux personnes démentes, car cela marquerait « une contradiction radicale de leur condition d’êtres humains », et concluent : « Nous ne pouvons dès lors entrer dans une logique qui conduit à détruire les fondements de la société ».
  • Le site internet www.euthanasiestop.be a été créé en mai 2013 par des médecins, professeurs et personnalités belges pour réagir sur les propositions de loi visant à élargir l’euthanasie. Ce lieu d’information et d’échanges connaît un succès croissant.
  • Le Pr Etienne Montero, doyen de la faculté de droit de Namur, a publié en septembre 2013 le livre Rendez-vous avec la mort : dix ans d’euthanasie légale en Belgique. Il dresse un bilan critique de la situation, souligne toutes les limites du contrôle d’une loi interprétée de façon extensive, et s’inquiète du phénomène de « pente glissante » : « Le problème est que, tant qu’on s’en tient aux seuls critères de « l’euthanasie sur base d’une volonté exprimée valablement », le dispositif législatif belge permet de justifier presque toutes les situations d’euthanasie. La souffrance est une notion subjective et la  notion de maladie grave est élastique ».
  • Plus globalement, L’Institut Européen de Bioéthique (IEB) analyse depuis 2001 les évolutions de la législation, des pratiques et des mentalités en Belgique. Réagissant à l’euthanasie des deux frères jumeaux en janvier 2013, un responsable de l’IEB a souligné combien l’euthanasie est en train de se banaliser dans la société belge. « La liste des maladies incurables est pratiquement infinie (…) ; la notion de souffrance psychologique est laissée à l’appréciation subjective de l’intéressé (….). Au total, le dispositif légal est pratiquement taillé sur mesure pour autoriser l’euthanasie sur simple demande volontaire et répétée de toute personne qui souffre de maux divers, de solitude ou de lassitude de vivre (…). Nous assistons déjà à une banalisation de l’acte euthanasique en Belgique ». Au sujet de l’extension aux mineurs et aux personnes démentes, il souligne que « la population est désormais prête à accepter ce qu’elle aurait réprouvé dix ans plus tôt. Difficile de nier que l’euthanasie et le suicide assisté se banalisent effectivement… Est-ce la manière dont la société entend rencontrer la détresse et la souffrance des personnes vieillissantes ou fragilisées par la maladie ou un handicap ? »

 

Pour aller plus loin :

  1. Mineurs belges bientôt euthanasiés ? Fil d’actus VITA, 20 novembre 2013.
  2. Euthanasie : 10 ans d’application de la loi en Belgique. Dossier de l’IEB, avril 2012. Un dossier très complet sur la législation et les pratiques, concluant à l’absence de contrôle effectif de l’application de la loi.
  3.  Avis n° 121 du CCNE sur la fin de vie, 1er juillet 2013. Annexe 2 sur le bilan des expériences étrangères sur le suicide assisté et l’euthanasie : analyse du Bénélux pages 73 à 77.
  4. Rapport 2012 de la commission fédérale de contrôle, Juin 2012. Bilan statistique détaillé des euthanasies réalisées en 2010 et 2011.

Estrela : la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres confirme

La commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen a approuvé de nouveau, ce 26 novembre 2013, le rapport Estrela sur « la santé et les droits sexuels et génésiques » qui avait été repoussé en session plénière le 22 octobre dernier. Ce jour-là, contre toute attente, une majorité de députés européens avait contesté le contenu du texte et demandé à la commission compétente « de revoir sa copie ».

Les promoteurs du rapport avaient alors vivement réagi, en déclarant qu’ils représenteraient le texte à l’identique en commission dans des délais rapides, en étant assurés d’avoir une majorité dans cette instance qui regroupe environ 10% des 766 députés européens.

Le rôle d’une commission, au sein du Parlement européen, est d’étudier les textes proposés, de faire des rapports, de proposer des amendements et de préparer le vote en séance plénière (à ne pas confondre avec la Commission européenne, instance exécutive qui pilote toutes les actions au sein de l’Union européenne).

Le rapport et la proposition de résolution associée, pratiquement sans modification par rapport à la version initiale, pourraient être à nouveau présentés au vote de l’ensemble des parlementaires le 10 décembre prochain.

Alliance VITA avait alerté sur les dangers de ces textes, dans une note expliquant pourquoi ils devaient être refusés. Après le vote du 22 octobre, elle a diffusé un communiqué de presse, en a décrypté les enjeux éthiques et a analysé la portée symbolique de cette décision.

Pour ou contre l’avortement – Radio Lorraine

Pour ou contre l’avortement – Radio Lorraine

Caroline Roux, secrétaire générale d’Alliance VITA, était l’invitée de Radio Lorraine, le 20 novembre 2013, dans l’émission “Pour ou Contre” l’avortement, en présence d’un médecin gynécologue et de la responsable de la CADAC (Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception).

Extrait de l’émission : “Ce que nous constatons c’est que l’IVG demeure un événement difficile pour beaucoup de femmes (…) ; l’avortement s’est banalisé (…) ; les propositions d’allégement qui sont faites sont en profond décalage avec la réalité que les femmes vivent ; 2/3 des femmes qui avortent disent suivre une contraception (…).  En enfermant l’IVG dans la sphère des femmes, on a déresponsabilisé les hommes (…). Il y a un certain nombre de pressions aujourd’hui face à des grossesses qui ne seraient pas planifiées : pressions de l’homme “si tu le gardes, je pars” ; pressions de l’employeur ; pressions des parents pour les femmes  jeunes (…). Une grossesse sur 5 se termine par un avortement. Il y a un non-dit, un tabou dans notre société sur la détresse par rapport à l’IVG (…).  Un récent sondage d’Opinion Way dit que 85 % des femmes déclarent avoir ressenti une souffrance physique au moment de l’IVG et 82 % ont ressenti une souffrance morale”.

Modèles familiaux : si tout se vaut, rien ne vaut.

Depuis qu’elle est ministre de la Famille, Mme Bertinotti a fondé toute sa politique sur une conviction : la société a beaucoup évolué ; à côté des familles dites classiques, il existe maintenant des familles monoparentales, recomposées, homoparentales… Elle considère que les Français « choisissent leur modèle familial » (c’est son expression), et donc peu importe la façon de « faire famille » : l’Etat doit prendre en compte cette diversité et traiter de la même façon, au nom de l’égalité des droits, tous les « modèles familiaux ».

C’est cette vision de la société qu’elle n’a cessé de promouvoir pendant les mois de débat sur le mariage homosexuel et l’homoparentalité. C’est la même conviction qui l’habite pour préparer le projet de loi sur la famille prévu pour début 2014.

Bien sûr, il faut aider et protéger toutes les familles, quels que soient leur forme et les accidents de la vie à leur origine. Des mesures pour améliorer leur vie au quotidien sont toujours nécessaires. Mais est-ce légitime de considérer comme des « modèles » familiaux toutes les formes d’organisation de vie en famille, en les mettant sur le même plan, sans en valoriser aucune ?

Cela renvoie à une question-clé : qu’est-ce qu’un modèle ? N’est-ce pas ce qui est montré en exemple ? Un modèle possède des qualités supérieures qui en font une référence à imiter, un standard à reproduire, un idéal à atteindre. Le modèle, dans l’industrie comme dans les arts, l’économie ou la politique, c’est la forme la plus parfaite ou achevée d’une réalité donnée.

Le modèle pour vivre en famille, l’histoire et le bon sens en donnent la description : il est fondé sur la complémentarité des sexes, la filiation et l’éducation des enfants par leurs parents, et pour cela l’engagement stable et public de ces parents (mariage civil). Cette « recette » n’est pas une garantie de réussite, loin s’en faut, mais s’en éloigner multiplie les difficultés et les risques d’échec.

Croit-on vraiment que les Français érigent en modèle, en exemple à suivre, les organisations familiales qui visent à réparer ou compenser l’échec d’une union précédente ? Croit-on que beaucoup de personnes souhaitent à priori, comme « modèle choisi », vivre dans une famille monoparentale, recomposée ou homoparentale ? Il est clair que non, surtout si on se place du point de vue de l’enfant.Trois enfants sur quatre vivent avec leurs deux parents : n’est-ce pas la situation que l’on peut souhaiter pour tous ?

Aucun adulte n’aspire à se séparer de l’être qu’il aime, il suffit de voir les drames conjugaux, les violences et les suicides à longueur de faits divers. Quelle femme aspirerait à élever seule un enfant ? Elle sait trop bien la somme de difficultés quotidiennes, matérielles et éducatives, qu’elle va rencontrer. Et si l’on « recompose » une famille avec un beau-père ou une belle-mère, des demi-frères et des demi-sœurs, n’est-ce pas justement pour chercher à reconstituer le modèle « père-mère-enfants » ?

De même, aucun enfant n’aspire à voir ses parents se déchirer et se séparer : les dégâts psychologiques, éducatifs, scolaires chez nombre d’entre eux après un divorce sont désormais attestés (voir par exemple le livre d’Agathe Fourgnaud, Le jour où mes parents ont divorcé : des adultes témoignent). Tout enfant adoptable, quand on l’interroge, n’aspire-t-il pas à être confié à un père et une mère, et non pas à un couple composé de deux hommes ou deux femmes ?

En réalité, Mme Bertinotti fait une confusion dramatique entre les personnes d’une part, et les formes d’organisations familiales d’autre part. Toutes les personnes se valent, elles ont une égale dignité, et il n’y a pas de hiérarchie à établir entre elles. Il faut d’ailleurs saluer le mérite et le courage des parents – bien souvent des femmes seules – qui éduquent des enfants avec efficacité sans bénéficier de la structure idéale.

Par contre, toutes les organisations familiales ne sont pas équivalentes : elles ne favorisent pas toutes de la même manière l’épanouissement et le bonheur de ses membres. Si le « modèle classique » n’est pas une garantie de succès conjugal et de bonheur familial, les autres formes d’organisations familiales le sont encore moins.

Si tout se vaut, rien ne vaut. Si la société n’a plus de « modèle de vie en famille », si les lois de l’Etat mettent tout sur le même plan, ce sont les adultes et les enfants les plus faibles qui en subissent les conséquences ; car ce sont eux qui souffrent le plus du manque de stabilité, de filiation clairement établie, d’équilibre familial et éducatif.

Le seul problème, c’est qu’on ne le mesurera vraiment que dans plusieurs générations…

Mineurs belges bientôt euthanasiés?

Mineurs belges bientôt euthanasiés?

Hier 19 novembre 2013, un accord a été trouvé au Sénat belge pour parvenir à faire voter une loi autorisant l’euthanasie des mineurs sous certaines conditions. Ce compromis a été établi au sein des Commissions de la Justice et des Affaires sociales du Sénat, qui travaillent sur cet objectif depuis le début de l’année 2013 et qui pourraient le voter formellement la semaine prochaine.

Les partis favorables à ce texte (socialistes, libéraux, alliance néo-flamande) constituent une majorité alternative à celle de la coalition gouvernementale actuelle, où figurent notamment les démocrates-chrétiens.

Par rapport à la loi de 2002 autorisant l’euthanasie des adultes, des conditions considérées comme « plus restrictives » seraient établies :

– Seule la souffrance physique intolérable pourrait justifier l’euthanasie, et pas la souffrance psychique (qui est source d’interprétations de plus en plus larges) ;

L’accord des parents serait indispensable, quel que soit l’âge du mineur.  En effet, aucune limite d’âge ne serait prévue, le critère étant « la capacité de discernement » de l’enfant ou du jeune ;

– L’euthanasie ne serait possible que si le décès est susceptible d’intervenir à brève échéance (pour un adulte, si ce n’est pas le cas, l’euthanasie reste possible en consultant un médecin supplémentaire et en respectant un délai d’un mois).

L’élargissement de l’euthanasie aux mineurs suscite un large débat de société en Belgique. Le 6 novembre dernier, un groupe de 16 pédiatres belges a appelé à cette extension le plus vite possible, au nom de la liberté de choix « de mineurs qui développent très rapidement une très grande maturité » et de la conviction que « leur devoir est d’aider le patient, de préférence de la manière la plus humaine et responsable possible ». Ce même jour, sept responsables religieux représentant les trois grandes religions monothéistes (chrétiens, juifs musulmans) en Belgique s’y opposaient fermement en considérant que « l’euthanasie des personnes fragiles, enfants ou personnes démentes, est une contradiction radicale de leur condition d’êtres humains. Nous ne pouvons entrer dans une logique qui conduit à détruire les fondements de la société ».

Déjà en juin 2012, plus de 70 personnalités, principalement des professionnels de la santé, avaient signé un texte important à l’occasion des dix ans de la loi belge sur l’euthanasie. Leur appel soulignait combien cette loi, en ouvrant la « boîte de Pandore » et en transgressant un interdit fondateur, a dégradé la confiance au sein de la société et a fragilisé les personnes les plus vulnérables. Ces personnalités concluaient : « A fortiori, les nombreuses propositions d’assouplissement ou d’élargissement de la loi actuelle, en particulier aux mineurs d’âge et aux déments, suscitent notre plus vive inquiétude. Comme il était prévisible, une fois l’interdit levé, nous marchons à grands pas vers une banalisation du geste euthanasique. »