Session #2 : La Convention citoyenne sur la fin de vie à l’écoute des acteurs de terrain

22/12/2022

Après une table ronde consacrée aux représentants des cultes, les membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie ont assisté, au deuxième jour de cette session 2, à des tables rondes de soignants et bénévoles qui ont témoigné de leur expérience de terrain auprès des malades. Ils ont pu être interrogés sur les problématiques concrètes auxquelles ils sont confrontés dans l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Médecins, psychologues, infirmiers, bénévoles en soins palliatifs…Au total, au cours de plusieurs tables rondes, 22 soignants ont répondu tour à tour aux questions des citoyens qui se réunissaient pour le deuxième et ultime week-end de la phase d’appropriation.

Le cadre législatif de la fin de vie parait satisfaisant mais les moyens sont insuffisants

Les questions portaient sur l’état de la loi actuelle. « Les soignants ont-ils été confrontés à des lacunes ou à des limites de la loi ? » demande Françoise. Pour le Docteur Clément Gakuba, spécialiste en neuroréanimation et membre du centre d’éthique du CHU de Caen, le cadre législatif permet de gérer les situations rencontrées. Il comporte déjà des notions importantes : ne pas abandonner le patient, ne pas le laisser souffrir…Les autres soignants sont d’accord avec lui. Christophe Roman, infirmier, fait état des avancées de la loi. Il témoigne des cocktails lytiques qu’on faisait « sous le manteau » il y a vingt ans. « Il y a une lyse à faire » était l’expression employée. Selon lui, la loi est venue apporter un cadre et des garde-fous à toutes ces pratiques.

La loi est donc satisfaisante, mais ce qui manque, selon le Professeur Djilali Annane, médecin réanimateur, c’est le temps « pour bien faire les choses ». La part de temps non liée à des actes de soin a été très contractée. « Ce qui me manque, c’est du temps pour accompagner correctement les personnes. » Au-delà du temps « horaire », précise-t-il plus tard, il faut aussi avoir l’esprit disponible. « C’est ça qui manque », poursuit-il, évoquant la souffrance des soignants, qu’il faut prendre en compte. Le temps…ce luxe, selon les mots de la psychologue Emilie Quillien, et qui semble manquer à tous les soignants.

Outre le temps, les soignants s’accordent pour dire que la loi Claeys-Leonetti est mal connue à la fois par les citoyens et les professionnels. Marie-Christine Grach, médecin en soins palliatifs à la retraite à Caen, évoque une enquête auprès de médecins généralistes en Normandie, révélant une très mauvaise connaissance de la loi.

La formation est également un enjeu prioritaire des soignants. Le Professeur Djilali Annane dénonce le déficit actuel des médecins dans l’accompagnement des personnes en fin de vie. Elodie Cailbaut, infirmière en soins palliatifs, se réjouit de l’introduction de modules en soins palliatifs dans les études de médecine, et qui semblent déjà porter des fruits. Selon Emilie Quillien,  la formation manque aussi cruellement aux soignants des EHPAD pour anticiper la fin de vie des résidents.

Sont aussi dénoncées par les soignants des insuffisances actuelles des soins palliatifs. Elodie Cailbaut déplore que, même à Paris, on ne puisse pas permettre aux personnes de terminer leur vie chez elles, par manque de soignants. Selon Olivier de Margerie, président de la Fédération JALMAV, il faudrait multiplier par dix le budget du plan de développement des soins palliatifs lancé l’an dernier pour pouvoir faire quelque chose. Marie-Thérèse Leblanc-Briot, bénévole dans cette fédération, dénonce des « mesurettes qui donnent bonne conscience » mais sont insuffisantes.

Pour les maladies chroniques comme la SLA (maladie de Charcot), la mise en place de moyens suffisants est tout aussi importante pour Sigolène Gautier, psychologue en soins palliatifs à Lyon. Ainsi, selon elle, dans les centres SLA, il n’y a parfois qu’un psychologue pour 100 patients, voire plus. Or, non seulement les patients, mais aussi leurs familles, nécessitent d’être accompagnés, et cela « suffisamment tôt », alors que la maladie dure plusieurs années.

Les directives anticipées : oui, mais…

Une question des citoyens portait sur les directives anticipées : « Comment avez-vous connaissance des directives anticipées ? » demande Nathalie. Même si le Professeur Annane constate que de plus en plus de personnes ont sur elles leurs directives anticipées, les médecins réanimateurs sont confrontés, la plupart du temps dans les cas de pathologies brutales (accidents de la route, AVC…), à une absence de directives anticipées. Les soignants relèvent la difficulté de formuler des directives anticipées quand on est bonne santé. Même malade, le patient est souvent bien en difficulté pour s’exprimer sur des décisions médicales et préfère souvent faire confiance au médecin, relève le Professeur Annane. Heureusement, les directives anticipées sont « recontextualisées ». Le Professeur Annane constate aussi que les avis des patients peuvent évoluer en fonction des circonstances de leur vie, évoquant le mariage d’un enfant, par exemple.

Un refus partagé du « faire mourir »

Les citoyens ont également interrogé les soignants sur une légalisation possible d’une « aide active à mourir », expression utilisée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pour désigner l’euthanasie ou le suicide assisté. A cette question, les soignants ont exprimé un consensus sur l’incompatibilité du « faire mourir » avec leur métier de soignants. Pour Sigolène Gautier, « quand un patient demande à mourir, il implique aussi l’autre. Si je peux activer la mort, comment puis-je continuer à accompagner la vie ? » Il y aurait, selon ses mots, quelque chose de « schizophrénique ».  Marie-Thérèse Leblanc-Briot évoque les graves conséquences « pour une majorité de personnes âgées et fragiles » d’une évolution de la loi dans ce sens : « Le message envoyé, ce serait : « finalement c’est votre choix, que vous viviez ou que vous mourriez, on n’en a rien à faire, c’est votre choix à vous tout seul ». Et finalement peut-être que dans ce cas-là , votre vie n’a pas tant de valeur que ça, ou qu’elle ne compte pas tant que ça pour la société ».

Cette accompagnante évoque le questionnement de la majorité des personnes très âgées sur le sens et le valeur de leur vie pour les autres. Un peu plus tôt dans les échanges, les soignants avaient partagé leur expériences des demandes de mourir exprimées dans les services. Anastasia Choveau, infirmière, parle de l’importance de l’écoute et de l’accueil des personnes qui expriment ces demandes. « Ils ont le droit de verbaliser cette demande, ils ont le droit d’exprimer leur ressenti, et déjà d’être entendu dans cette demande, c’est très important, et ensuite, de réfléchir à ce qui motive cette demande. » Les soignants partagent un constat : très souvent, cette demande se transforme. Pour le Professeur Annane, l’expression « j’en ai assez » est toujours conjoncturelle, elle exprime une souffrance qui n’est pas soulagée.

Finalement, pour le docteur Julie Paquereau, si la loi devait évoluer pour légaliser l’euthanasie, « le risque serait qu’on se retrouve, par manque de moyens, à mettre en place des aides actives à mourir, alors qu’il y aurait d’autres options possibles, et en particulier un accompagnement plus adapté. »

10 enjeux prioritaires pour les prochaines sessions de la Convention citoyenne sur la fin de vie

Après ces tables rondes, les membres de la Convention citoyenne ont poursuivi leur réflexion l’après-midi au sein de groupes de travail afin de définir des enjeux prioritaires sur lesquels ils travailleront lors des prochaines sessions. Au total 21 enjeux prioritaires ont été définis.

A l’issue de la session, après un vote, les citoyens se sont ainsi accordés sur ces dix enjeux prioritaires, par ordre de priorité :

  • les moyens humains et financiers pour une pleine application de la loi Claeys-Leonetti de 2016
  • l’obligation légale de mettre à disposition des moyens financiers et humains adaptés et suffisants, de former et d’obliger à l’implantation de professionnels de santé sur l’ensemble du territoire et dans tous les établissements
  • la formation initiale et continue des personnels médicaux, paramédicaux et accompagnants
  • l’information du grand public
  • l’égalité d’accès effective et réelle aux soins palliatifs
  • l’aide active à mourir: suicide assisté et euthanasie
  • les exceptions acceptables/nécessaires à la loi Claeys-Leonetti
  • l’économie de la fin de vie/la mort
  • les limites des soins palliatifs
  • le traitement de l’aide active à mourir pour les formes extrêmes de souffrance psychique (psychiatrique)

A partir de janvier, Claire Thoury, présidente du Comité de gouvernance de la Convention citoyenne, a annoncé la fin de la phase d’appropriation pour entrer dans une phase de délibération et de controverse. Plusieurs citoyens ont exprimé manquer encore d’éléments d’appropriation. Parmi ces manques, la nécessité d’entendre des acteurs internationaux avec des regards différents, des approches spirituelles non religieuses, et aussi des patients.  On leur a assuré qu’ils pourraient demander des auditions spécifiques…

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