Tous génétiquement incorrects – Discours de Tugdual Derville

Devant l’Assemblée nationale, le 11 février 2011

Discours de Tugdual Derville

Délégué Général de l’Alliance pour les Droits de la Vie

 

Chers amis,

La France détient le record du monde du dépistage prénatal (DPN) du handicap suivi d’IMG (interruption médicale de grossesse).

Désormais en France, plus de 96% des fœtus dépistés trisomiques sont avortés, et 100% de certaines pathologies graves.

Les demandes d’IMG se sont multipliées pour des pathologies mineures et curables. On avance la notion de « libre choix des couples », mais peut-on parler de liberté quand la décision est dictée par la peur d’un soutien insuffisant de la société, quand on laisse croire aux familles qu’un handicap est synonyme de malheur ?

La pression sociale va dans le sens de l’exclusion. Le regard de pitié ou de peur exclue. Contrepartie de notre système de santé performant, la quasi-systématisation des diagnostics prénataux est devenue source d’une angoisse inutile pour la plupart des femmes enceintes. Elles le confient quotidiennement à nos services d’écoute. Et les équipes soignantes sont soumises à l’exigence du « bébé zéro défaut » et à la peur des actions judiciaires. De nombreux professionnels de la grossesse et de la naissance ont lancé la même alerte que nous.

Enfin, on occulte le nombre de fœtus qui perdent la vie à cause de 80 000 amniocentèses réalisées chaque année : un record mondial. Pour chaque fœtus trisomique qui sera avorté, on assume plus d’une fausse-couche involontaire d’un fœtus non porteur de l’anomalie !

La technique du DPI (diagnostic préimplantatoire des embryons conçus in vitro suivi d’une sélection) s’est fortement développée en quelques années.

Après la mise à l’écart des embryons porteurs de maladie graves, on a commencé à écarter ceux qui étaient porteurs de gènes prédisposant à certains cancers héréditaires, mais dont on n’est pas certain qu’elles se déclareront. Par « principe de précaution » on trie des êtres humains sans envisager que les progrès de la médecine auraient pu guérir demain ceux qu’on exclue aujourd’hui.

Et le double-dpi (en vue de faire naître ce que certains nomment bébé-médicament) ajoute une étape de plus dans ce tri, en sélectionnant, à l’état embryonnaire, parmi ses frères ou sœurs celui qui sera donneur compatible d’un aîné malade.

En réalité, l’alternative éthique existe : les banques de sang du cordon ombilical pour lesquelles la France a pris du retard et dont nous demandons la généralisation.

 

Peut-on parler d’eugénisme ?

 

Officiellement non. Article 16-4 du Code Civil : « Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. »

 

En réalité oui : « eugénisme de masse » même selon l’artisan des deux premières lois bioéthiques, le professeur Jean-François Mattei. Et l’ensemble des experts en est désormais conscient.

Le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique a lui-même déclaré que la France était « l’un des pays aux monde qui flirtait le plus avec l’eugénisme ». Il faut rappeler que ce concept d’eugénisme est né dans les grandes démocraties occidentales au début du XXe siècle, avec, à partir de 1907 la fondation des sociétés eugénistes. Leur préconisations étaient radicales : stérilisation des délinquants, des asociaux et des malformés. Euthanasies forcées. Il a fallu l’industrialisation de ces préconisations par un régime totalitaire au milieu du siècle pour que le monde prenne conscience de leur horreur.

 

Notre eugénisme n’a plus les mêmes mobiles mais il n’en est pas moins radical : il est « compassionnel » et inconscient. On prétend trier et éliminer pour le bonheur des parents et pour éviter le malheur aux êtres humains qu’on ne laisse pas naître. Mais nous allons dans le mur avec l’explosion et la systématisation des techniques.

 

Nous sommes tous concernés.

 

Il n’existe pas de génotype parfait, ni d’homme idéal ou supérieur. Nous sommes tous vulnérables, défaillants. Nous sommes tous d’ailleurs des « embryons retraités », et de plus en plus rescapés des examens de passage vers la naissance. Car nous sommes tous génétiquement incorrects.

 

En désignant l’un des nôtres comme indigne de vivre, c’est nous-mêmes que nous « renions » selon le mot du pianiste Michel Petrucciani.

 

Et la menace n’a rien de virtuel à partir du moment où la médecine prédictive va permettre de traquer de plus en plus les gènes « défaillants ». La dérive d’un principe de précaution appliqué à l’être humain avant la naissance est susceptible d’écarter de plus en plus de personnes. Le « Meilleur des mondes » n’est pas loin où l’on ne peut même plus procréer librement…

 

Faut-il souligner que chacun d’entre nous peut un jour se retrouver en état de handicap ou de dépendance similaire à ceux que nous désignons comme « indignes de vivre » ?

 

Faut-il, pour prendre conscience de ce que l’humanité perd en écartant ceux qu’elle prétend non conformes, citer les génies qu’on ne laisserait plus naître ?

 

Didier Sicard l’a clairement exprimé dès 2007 :

« Je suis profondément inquiet devant le caractère systématique des dépistages, devant un système de pensée unique, devant le fait que tout ceci soit désormais considéré comme un acquis. Cette évolution et cette radicalité me posent problème. Comment défendre un droit à l’inexistence ? J’ajoute que le dépistage réduit la personne à une caractéristique. C’est ainsi que certains souhaitent que l’on dépiste systématiquement la maladie de Marfan dont souffraient notamment le président Lincoln et Mendelssohn. Aujourd’hui, Mozart, parce qu’il souffrait probablement de la maladie de Gilles de la Tourette, Einstein et son cerveau hypertrophié à gauche, Petrucciani par sa maladie osseuse, seraient considérés comme des déviants indignes de vivre. On ne peut pas ne pas s’inquiéter du refus contemporain grandissant de l’anomalie identifiable par un dépistage. Nous donnons sans arrêt, avec une extraordinaire naïveté, une caution scientifique à ce qui au fond nous dérange. Et nous ne sommes pas très loin des impasses dans lesquelles on a commencé à s’engager à la fin du XIXe siècle pour faire dire à la science qui pouvait vivre et qui ne devait pas vivre. Or l’histoire a amplement montré où pouvaient conduire les entreprises d’exclusion des groupes humains de la cité sur des critères culturels, biologiques, ethniques. » (Le Monde)

 

Et le même Didier Sicard s’est aussi alarmé de la tendance à éliminer selon les risques de survenue d’une maladie, ce qu’il nomme « les zones grises » de notre phénotype. Les professeurs Jacques Testard, Israël Nisand et bien d’autres ont également évoqué la réalité de notre eugénisme. Et le Premier ministre lui-même s’est interrogé récemment à son propos.

 

Nous leur disons : la prise de conscience, c’est bien. Mais il faut passer aux actes. Et c’est ce que nous demandons aux députés. Il faut agir vite parce que, demain, les tests sur le sang maternel permettront de déceler très tôt des accidents génétiques qui donneront lieu à des IVG de panique, aux conséquences désastreuses.

 

Plutôt que d’inscrire dans la loi la proposition systématique du DPN à toutes les femmes, il faudrait valoriser les exemples de personnes handicapées qui ont pris toute leur place dans la société. Plutôt que de supprimer les fœtus atteints, comme Claire, ici présente, de spina-bifida, ou de Trisomie 21 (comme la fille de notre président, le docteur Xavier Mirabel ou celle d’Henri de Soos, ici présent) ou de toute autre affection, en abandonnant progressivement tout effort de recherche sur ces pathologies, il faudrait intensifier les recherches pour soigner et guérir. Plutôt que d’applaudir le double-DPI, il faudrait systématiser le recueil du sang du cordon ombilical. Plutôt que d’élargir les dérogations à la recherche sur l’embryon, alors que ces recherches n’ont strictement rien donné au plan thérapeutique dans le monde entier, il faudrait encourager et financer les recherche sur les cellules non embryonnaires qui elles, ont fait la preuve de leurs performances thérapeutiques. Plutôt que de dériver vers le fantasme du bébé zéro défaut, il faudrait reconnaitre que nous sommes tous interdépendants les uns des autres, et accueillir chaque être humain comme précieux. Car le sort que nous réservons aux plus vulnérables, mesure notre degré de civilisation. Et je veux remercier ici, notre ami Gilbert, champion de France de Boccia, qui est venu manifester qu’un handicap n’empêche pas d’exprimer des talents, à commencer par une force de cœur époustouflante. Oui, il n’appartient pas à l’homme d’accorder des brevets d’humanité ! L’Alliance pour les Droits de la Vie souhaite aujourd’hui remercier les parlementaires qui ont courageusement proposé des amendements en ce sens, comme les 25 000 signataires de la pétition que nous avons lancée il y a dix jours les y encouragent. Je vous remercie.

 

Ce que nous demandons

 

Plutôt que d’inscrire dans la loi la proposition systématique du DPN à toutes les femmes, il faudrait valoriser les exemples de personnes handicapées qui ont pris toute leur place dans la société.

 

Plutôt que de supprimer les fœtus atteints, comme Claire, ici présente, de spina-bifida, ou de Trisomie 21 (comme la fille de notre président, le docteur Xavier Mirabel ou celle d’Henri de Soos, ici présent) ou de toute autre affection, en abandonnant progressivement tout effort de recherche sur ces pathologies, il faudrait intensifier les recherches pour soigner et guérir.

 

Plutôt que d’applaudir le double-DPI, il faudrait systématiser le recueil du sang du cordon ombilical.

 

Plutôt que d’élargir les dérogations à la recherche sur l’embryon, alors que ces recherches n’ont strictement rien donné au plan thérapeutique dans le monde entier, il faudrait encourager et financer les recherche sur les cellules non embryonnaires qui elles, ont fait la preuve de leurs performances thérapeutiques.

 

Plutôt que de dériver vers le fantasme du bébé zéro défaut, il faudrait reconnaitre que nous sommes tous interdépendants les uns des autres, et accueillir chaque être humain comme précieux. Car le sort que nous réservons aux plus vulnérables, mesure notre degré de civilisation. Et je veux remercier ici, notre ami Gilbert, champion de France de Boccia, qui est venu manifester qu’un handicap n’empêche pas d’exprimer des talents, à commencer par une force de cœur époustouflante.

 

Oui, il n’appartient pas à l’homme d’accorder des brevets d’humanité !

 

L’Alliance pour les Droits de la Vie souhaite aujourd’hui remercier les parlementaires qui ont courageusement proposé des amendements en ce sens, comme les 25 000 signataires de la pétition que nous avons lancée il y a dix jours les y encouragent.

 

Je vous remercie.

Ce qu’on ne dit pas sur le "bébé-médicament"

Ce qu’on ne dit pas sur le "bébé-médicament"

Bioéthique. Après l’annonce de la naissance du premier “bébé du double espoir” français.

 

A quelques jours de l’ouverture du débat sur la bioéthique, le 26 janvier, naissait le premier bébé-médicament à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart. Le petit Umut-Talha, (“Notre espoir” en turc), pourrait sauver, à l’aide d’une greffe de cellule, sa sœur atteinte d’une maladie génétique grave. Une “première” qui suscite des débats éthiques. Analyse de Tugdual Derville, délégué général de l’Alliance pour les Droits de la vie.

Que vous inspire l’annonce de cette première médicale ? Bien sûr, les images d’un nouveau-né et d’une famille qui espère la guérison de sa grande sœur sont touchantes et on a presque l’impression que c’est incontestable. Or justement, c’est d’abord à l’évidence un grand coup publicitaire et médiatique. À la veille du débat bioéthique au parlement, on a médiatisé cette naissance, utilisé le registre de l’émotion, en exploitant la souffrance de la famille touchée par la maladie. Tout en réclamant une dérèglementation des pratiques…

Pourtant, il ne s’agit plus de souffrance mais d’espoir pour la famille… Nous constatons qu’il y a eu une instrumentalisation de cette histoire : elle nous est présentée comme un conte de fée miraculeux, mais on cache qu’il y a eu dix tentatives pour dix autres familles, qui ont échoué ; on cache aussi qu’à l’occasion de ces dix tentatives, plusieurs centaines d’embryons ont été conçus, triés, implantés pour certains, avec des fausses couches, et détruits.

Comment s’effectue le tri de ces embryons ? Les embryons conçus sont triés selon ce qu’on appelle le double DPI (diagnostique préimplantatoire), c’est-à-dire selon deux critères : ils doivent être indemnes de l’infection qu’on veut soigner, et compatibles immunologiquement avec le frère ou la sœur malade. On aboutit à la naissance d’un bébé, pour laquelle on se réjouit, bien sûr, mais de telle manière qu’il a fallu créer et trier de nombreux êtres humains dans toutes sortes de tentatives. Pour les autres bébés-médicaments qu’on a essayé de “créer” ainsi, ce ne sont pas des bébés du double espoir, mais au contraire des faux espoirs qu’on a entretenus pour les familles… On a joué avec elles aux apprentis sorciers.

Le bébé qui vient de naître n’est-il pas, en l’occurrence, le “bébé du double espoir”, puisque les parents célèbrent en même temps la naissance du bébé et la possible guérison de sa grande sœur ? Cela semble effectivement le cas. Mais on ne peut pas taire l’instrumentalisation de sa vie, de son existence, dès sa conception. Ce petit bébé est conçu avec une lourde mission : il n’est pas forcément conçu pour lui-même, même si on peut espérer qu’il sera vraiment accueilli et choyé, il est conçu pour sauver. Et qu’il y parvienne ou pas, cela fait peser sur lui quelque chose qui n’est pas de l’ordre du respect de sa dignité. A partir du moment où on conçoit un être humain pour une action spécifique, où est la place de sa vrai dignité ? Quelles questions va-t-il légitimement se poser lorsque petit à petit il comprendra qu’il n’a pas été voulu pour lui-même mais pour un autre ? Et il le comprend sûrement, parce que la psychologie des tout-petits est extrêmement fine.

Est-on sûr que le bébé va permettre de sauver sa sœur ? A 90 %, puisque le bébé est immuno-compatible avec elle. Il ne reste qu’à espérer, et nous l’espérons bien sûr, que la greffe marche. C’est d’ailleurs assez curieux d’avoir tant parlé de cette première avant de savoir si la grande sœur avait bien été guérie ou non… Et que dira-t-on si l’espoir est déçu ?

Peut-on parler d’eugénisme ? Derrière cette naissance, que nous saluons bien sûr comme toute naissance, l’eugénisme n’est pas sous-jacent mais bien réel, dans la mesure où il s’agit de trier des êtres humains selon la mission qu’on veut leur donner. Il faut se rappeler que nous avons tous été des embryons, et qu’il y a un continuum entre l’embryon et nous-mêmes ; par chance, personne ne s’est arrogé le droit de nous trier, de nous jeter ou de nous détruire. L’embryon ne va pas se plaindre, c’est sûr, on ne l’entendra pas, il n’exprimera pas d’émotion… mais la science n’est pas digne d’elle-même lorsqu’elle se permet de s’exercer aux dépens d’un être humain.

A-t-on une alternative pour guérir un grand-frère ou une grande sœur malade ? Oui, car non seulement la disposition de la loi bioéthique du 6 août 2004, qui permet ce système de bébé-médicament, a provoqué un basculement éthique grave, mais encore elle est inutile. C’est le sang du cordon ombilical du nouveau-né qu’on a prélevé pour pouvoir faire une greffe et, on peut l’espérer, sauver son grand frère. Or, avec les banques de cordon ombilical qui sont encore insuffisamment développées en France, on peut très vraisemblablement trouver un donneur immuno-compatible avec le grand frère ou la grande sœur… c’est une question d’organisation. Et nous dénonçons, à l’Alliance pour les Droits de la Vie, le retard de la France en matière de prélèvement du sang du cordon alors qu’on a 820 000 naissances par an.

Pourquoi ne parle-t-on pas de cette alternative ? Au fond, il s’agit d’une sorte de rapt médiatique, réussi par le professeur Frydman qui s’est trouvé sur pratiquement toutes les chaînes de radio et de télévision sans contradicteur. Et s’il a dit qu’il y avait eu deux embryons implantés, et que celui qui n’était pas immuno-compatible avec la grande sœur n’avait pas survécu, il a fait silence sur le nombre réel d’embryons qu’il a fallu concevoir (ses déclarations ont d’ailleurs varié sur ce sujet) ; de la même manière, il fait silence sur les alternatives éthiques au double DPI. Or c’est une dérive très grave : on met en avant la lourde souffrance humaine d’une famille, comme un paravent pour légitimer les nouvelles transgressions. L’opinion publique est anesthésiée par une présentation édulcorée.

Propos recueillis par Marine Allabatre

Valeurs Actuelles, 09/02/2011

Euthanasie : Victoire d’étape

Euthanasie : Victoire d’étape

Euthanasie : Victoire d’étape

 

Le Sénat a rejeté, le mardi 25 janvier 2011, la proposition de loi « fusionnée » visant à légaliser l’euthanasie. Que retenir de cette décision ? Comment analyser la manœuvre du lobby pro-euthanasie ? Comment les leaders politiques se sont-ils positionnés ? Le rapport de forces a-t-il changé ? Les médias ont-ils évolué ? Quatre hypothèses.

1/ L’ADMD est-elle allée « trop loin » ?

Pour certains, le président de l’ADMD, Jean-Luc Romero, en aurait « trop fait ». C’était son idée d’obtenir une majorité sénatoriale gauche-droite grâce au réseau des parlementaires adhérant à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. On lui doit aussi la fusion des propositions socialistes, communiste et, surtout, UMP, celle d’Alain Foucher. La présidente de la commission des affaires sociales, la centriste Muguette Dini, qui a organisé cette fusion, est très officiellement membre du comité de parrainage de l’ADMD, de même que Jean-Pierre Godefroy, auteur socialiste de la proposition principale…

Jean-Luc Romero croyait-il la partie gagnée ? Il a multiplié les déclarations médiatiques véhémentes, jusqu’à l’imprudence. Lors de son audition parlementaire, les sénateurs ont pu être choqués lorsqu’il a confié la raison pour laquelle il n’était pas certain de demander l’euthanasie s’il se trouvait en fin de vie : il pourrait demander la mort s’il se retrouvait seul, pas s’il était amoureux ! De quoi donner du crédit à ceux qui avaient pointé l’arbitraire du critère de « souffrance psychique » inscrit dans l’objet de la loi. Comment aider les désespérés, si le désespoir donne droit à la mort ?

Devant l’agitation de Jean-Luc Romero, l’agacement de Jean-Pierre Godefroy était perceptible en public, et patent en privé. L’instabilité politique du conseiller régional d’Île-de-France, qui a migré en quelques années du RPR à la gauche en passant par le centre, et son aptitude à mélanger les genres en amalgamant la « cause homosexuelle » et son histoire personnelle à la revendication de l’euthanasie en font un partenaire ingérable.

Mais surtout, derrière les cas-limite montés en épingle, il ne fait pas de doute que c’est le suicide médicalement assisté comme ultime liberté, assorti d’une réelle aversion pour la vulnérabilité qui dessine l’idéologie des promoteurs de l’euthanasie.

2/ Des leaders politiques mieux éclairés

L’incertitude fut longtemps réelle sur l’issue du scrutin, surtout après le vote du 18 janvier de la commission des affaires sociales adoptant son texte, par 25 membres contre 19 et deux abstentions. À partir de ce moment, Gérard Larcher, ne cachait plus son inquiétude. À quelques jours du débat en séance, il prenait « personnellement » position contre le texte même si, en qualité de président du Sénat, il respectera la coutume en s’abstenant.

Le 25 janvier, c’est pourtant la sagesse qui a pris le dessus. D’abord retournement de situation en commission des affaires sociales où la mobilisation des UMP qui avait fait défaut le 18 leur a permis de vider de sa substance l’article 1er de la loi. Un résultat qui a fait croire un peu tôt que tout était joué. Or, tout demeurait possible en séance.

Précisons que, cette nuit-là, les députés favorables à la « proposition de loi relative à l’assistance médicale pour mourir » n’ont cessé de nier qu’il s’agissait de légaliser l’euthanasie, mais la lecture du texte ne laisse pas de doute… Ce sont, à l’arrivée, 172 voix contre 143 qui ont adopté, à 3 heures du matin le 26 janvier, ce nouvel article, aboutissant, de facto, au rejet de la proposition de loi.

Finalement, 21 centristes sur 29 ont rejeté l’euthanasie laissant seules leurs collègues Muguette Dini et Valérie Létard. Et seuls trois UMP ont voté l’euthanasie : Alain Fouché, Christian Demuynck et André Villiers, trois autres s’abstenant : Catherine Procaccia, Sylvie Goychavent et Dominique Braye, tandis que les 141 autres rejetaient le texte.

La gauche restait presque unanime, à l’exception de Virginie Klès (PS) qui s’est opposée à l’euthanasie, de deux autres socialistes, qui se sont abstenus (Samia Ghali et Claude Jeannerot) de même que quatre communistes (Nicole Borvo Cohen-Seat, Michelle Demessine, Évelyne Didier et Gélita Hoarau).

Quant au groupe des radicaux qui réunit des sénateurs de gauche et de droite, il est resté partagé. À titre d’exemple, Jean-Pierre Chevènement a voté l’euthanasie, mais ni Jean-Marie Bockel, ni Gilbert Barbier, l’un des leaders de l’opposition à ce texte. Parmi les non-inscrits Sylvie Desmarescaux avait fait projeter à ses collègues le récent film Les yeux ouverts (tourné dans une maison médicale de soins palliatifs) la veille de l’examen du texte auquel elle s’est logiquement opposée comme Bruno Retailleau, Philippe Darniche et Alex Türk.

À l’image de Marie-Thérèse Hermange (UMP) et de Gilbert Barbier (radical), quelques sénateurs très mobilisés ont su entraîner les hésitants par une expertise pointue. Plusieurs parlementaires se sont exprimés avec force contre le texte comme Jean-Louis Lorrain (UMP), André Lardeux (UMP), Bruno Retailleau (non inscrit), Anne-Marie Paillé (Nouveau Centre) ou Bernadette Dupont (UMP).

Au-delà de ce résultat, certains auteurs ou signataires des propositions de loi avaient fini par avouer, en marge de leurs interventions médiatiques, ne pas être si certains que cela de leur pertinence. Cette proposition avait pour objet, avouaient-ils, de « faire avancer le débat », un débat qui, toujours à les entendre, n’était « pas mûr ». Les derniers jours, les voix de ténors des deux camps ont contribué à solidifier les indécis.

À gauche, le sénateur Robert Badinter, artisan de l’abolition de la peine de mort et considéré comme une autorité morale, s’est élevé contre le texte, même s’il n’a pas participé au vote. Ségolène Royal a aussi affiché une nouvelle fois sa différence en émettant « de grandes réserves sur la légalisation de l’euthanasie ». À droite, une tribune du Premier ministre avait été publiée dans Le Monde du 25 janvier qui en avait fait son titre principal.

L’engagement de François Fillon estimant à propos du « droit de donner la mort » que « cette limite ne doit pas être franchie » a certainement compté pour les UMP.

3/ Un nouveau rapport de forces

Les parlementaires ont aussi pu mesurer la mobilisation des adversaires du projet hors du monde politique.

Certes, les sénateurs sont « à part » en raison de l’indépendance que leur confère leur mode de désignation (scrutin de listes et grands électeurs). Mais le Sénat est aussi réputé pour sa sagesse en matière d’expertise législative : mettre à bas le fragile équilibre du système de santé par un dispositif d’« autorisation de tuer » nécessitant une complexe procédure administrative, des garde-fous toujours difficiles à réguler, et des commissions de contrôle a posteriori… tout cela avait de quoi inspirer la méfiance.

Les voix d’experts du monde médical et associatif ont pesé, notamment celles issues du mouvement des soins palliatifs. Avec ses 13 000 signataires, l’appel du collectif Plus digne la vie, coordonné par Emmanuel Hirsch, a rassemblé une vaste liste de personnalités capables de contrer celle affichée par l’ADMD sur son site.

On retrouve par exemple dans le comité d’honneur de Plus digne la vie des médecins médiatiques comme Marcel Ruffo et Israël Nisand, le prix Nobel de la paix Elie Wiesel et des politiques de sensibilités variées, de Jean-Frédéric Poisson (UMP-PCD) à Michel Vaxès (PC), en passant par Bernard Debré, également professeur de médecine (UMP)…

La pétition « Stop à l’euthanasie » de l’Alliance pour les Droits de la Vie a, quant à elle, recueilli 56 000 signatures. Un record. En manifestant symboliquement la réalité de l’euthanasie par 700 gisants étendus dans leurs linceuls blancs au pied du Sénat, l’association, qui avait au préalable rencontré 50 sénateurs face à face, a voulu montrer l’engrenage contenu dans la proposition de loi : on commence par des personnes fragiles en raison de leur âge ou de leur handicap, mais c’est toute la société qui est concernée.

Être présent, à proximité immédiate de l’événement, c’est-à-dire dans son temps et dans son lieu avec des images fortes, permet d’offrir l’illustration d’une cause. C’est la raison des 30 « happenings » du 14 janvier en régions et de celui, spectaculaire, du 25 à Paris. En France, c’est dans la rue que se mesurent encore les rapports de forces, ou plus exactement de motivation.

Ainsi, la puissance et la crédibilité des opposants à l’euthanasie ont été mieux saisies par les observateurs de ce débat. Si les sondages d’opinion mesurent l’avis spontané des Français sur un sujet, compris de façon plus ou moins confuse, ils aident rarement à rendre compte de leur degré d’engagement pour une cause…

En lien avec la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), le sondage de Plus digne la vie, publié quelques jours avant le débat, a rétabli l’équilibre : c’est le développement des soins palliatifs que les Français préfèrent (à 60%), à la légalisation de l’euthanasie (38%), et cette dernière même est vue par une majorité (52%) comme un danger potentiel de dérive… Sans compter qu’on découvre l’ignorance des même Français sur la loi fin de vie puisque 68% ne savent pas que notre droit proscrit l’acharnement thérapeutique.

Du coup l’Ordre des médecins a publié à son tour son opposition au texte alors qu’on pouvait le sentir flottant après l’affaire Sébire. Chantal Sébire, souffrant d’un spectaculaire cancer du visage, s’est suicidée en 2008 après avoir revendiqué l’euthanasie mais aussi après avoir refusé, tour à tour, les soins curatifs et palliatifs. Depuis, aucune affaire médiatique de « cas emblématique » n’a défrayé la chronique… si on excepte les scandales des euthanasies à l’étranger, notamment en Suisse avec l’association Dignitas.

4/ Vers un rééquilibrage médiatique ?

Pendant les jours qui ont précédé le vote, les tribunes dans la presse écrite de psychologues ou de médecins mais aussi d’autorités morales (citons les cardinaux André Vingt-Trois et Philippe Barbarin) qui ont permis d’alimenter le débat en arguments de raison, au-delà des slogans toujours réducteurs.

La séquence de deux minutes du journal de 20 heures de TF1 dédiée au débat du soir, le 25 janvier, est peut-être emblématique d’un revirement. Certes, on voit encore Marie Humbert évoquer les jeunes qui, ressemblant à son fils, attendraient l’euthanasie (elle continue de les assimiler de façon scandaleuse à « des légumes »).

Mais des images de la scénographie de l’Alliance pour les Droits de la Vie ouvrent le reportage avec les propos du docteur Xavier Mirabel estimant que le débat sur la dépendance mérite une autre réponse que l’euthanasie, puis c’est au tour du docteur Devalois de plaider pour les soins palliatifs. Et surtout, la séquence se termine sur les dérives observées dans les rares pays qui ont déjà légalisé l’euthanasie, avec la mention d’un rappel à l’ordre de la commission des droits de l’homme de l’ONU sur ce sujet. On est loin de l’inéluctabilité de l’euthanasie telle qu’avancée par ses militants.

La situation reste fragile, et l’on peut s’attendre à de nouvelles offensives proeuthanasie. Sans doute la précipitation et l’outrance de l’ADMD a-t-elle, jusqu’à maintenant, joué en sa défaveur, musclant par son harcèlement la résistance dialectique des parlementaires et contribuant à organiser la résistance du monde des soins palliatifs et de multiples personnalités. Dans ce type de débat, selon l’adage « malheur aux vaincus » la position qui gagne entraîne une bonne part des indécis, qui sont la majorité silencieuse ou ignorante.

La Belgique et la Hollande sur lesquelles se sont appuyés les auteurs de la proposition de loi connaissant de graves dérives, leur statut de précurseurs pourrait se muer en triste exception.

Quant au défi culturel, il reste entier. La culture de la vulnérabilité qui englobe les soins palliatifs nécessite un engagement de tous : un solide investissement de l’État, de nouvelles évolutions dans la pratique médicale, davantage d’engagement bénévole et, finalement, un changement de regard sur les personnes dépendantes.

En savoir plus sur la législation fin de vie en France.

Veillée d’armes avant le débat sur l’euthanasie

Veillée d’armes avant le débat sur l’euthanasie

Alliance VITA : le nouveau nom de l’Alliance pour les Droits de la Vie

 

Comment va tourner le débat du mardi 25 janvier au Sénat sur l’euthanasie ? Tout dépend de la présence, au moment du vote, des sénateurs UMP hostiles à cette perspective.

Les militants pro-euthanasie espèrent un vote historique. A l’image de Muguette Dini, la présidente centriste de la Commission des Affaires Sociales, qui a organisé la fusion de la proposition socialiste avec d’autres, dont celle du sénateur UMP Alain Fouché.

Dans une tribune publiée dans Le Figaro du 14 janvier, monseigneur Vingt-Trois s’est élevé contre « ce qu’il faut bien appeler un ‘permis de tuer’ » en rappelant que « la manière dont elle traite les plus vulnérables » mesure la « qualité d’une civilisation ».

L’Alliance pour les Droits de la Vie a pour sa part organisé le même jour vingt-huit manifestations symboliques en Province. Elle a rencontré cinquante de sénateurs de toutes sensibilités et écrit à vingt mille maires, pour les alerter. Sa pétition « Stop à l’euthanasie » va dépasser sur Internet les 50 000 signatures.

Le sondage commandité par la société française d’accompagnement et de soins palliatif révèle que 60% des Français préfèrent le développement des soins palliatifs à la légalisation de l’euthanasie.

La situation des pays où elle est advenue n’a rien de rassurant : des dérives à répétition montrent dans quel engrenage fait entrer l’euthanasie légale. Déjà, de nombreux médecins généralistes belges, mal formés aux soins palliatifs, motivent leurs euthanasies par des douleurs physiques qu’ont aurait pu soulager. Des Hollandais âgés ont migré dans les zones allemandes frontalières, craignant qu’on abuse un jour de leur vulnérabilité. L’association suisse Dignitas a organisé le suicide de personnes psychiquement malades ou dépressives, et aucunement en fin de vie. Là où l’euthanasie est légale se répand aussi l’euthanasie clandestine, qui s’affranchit de la paperasserie impliquée par la procédure officielle… Une fois le tabou tombé, certains semblent tout s’autoriser. De quoi s’inquiéter pour les personnes incapables de s’exprimer et dont la dépendance pèse sur l’entourage ou les institutions médicales.

Comment évoluerait le système de santé français, fondé sur la confiance entre soignants et soignés, à partir du moment où les premiers pourraient administrer la mort aux seconds ? Grave menace pour les personnes dépendantes quand on méprise la vulnérabilité humaine au lieu de l’accueillir.