IVG dans la constitution : la proposition de loi rejetée au Sénat

IVG dans la constitution : la proposition de loi rejetée au Sénat

Mercredi 19 octobre 2022, les Sénateurs ont rejeté, par 172 voix contre 139, la proposition de loi de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel qui entendait inscrire dans la constitution un « droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et à la contraception ».

Comme cinq autres propositions de lois déposées dans les deux assemblées, cette proposition de loi avait été présentée en réaction à la décision Dobbs vs Jackson de la Cour suprême des Etats-Unis, le 24 juin 2022, qui annulait l’arrêt Roe vs Wade de 1973, supprimant ainsi la reconnaissance d’un « droit à l’avortement » au niveau fédéral.

Le débat

Signée par des membres de différents groupes au Sénat, la proposition de loi entendait renforcer la protection du « droit à l’avortement » en l’intégrant dans la Constitution française, afin de rendre plus difficile une éventuelle remise en question à l’avenir. La proposition de loi a reçu le soutien d’Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux.

Lors du débat, Agnès Canayer, sénatrice Les Républicains (LR) de Seine Maritime et rapporteur de la commission des lois, a pointé l’inutilité et l’inefficacité de cette proposition de loi. Selon elle, « l’inscription de l’IVG dénaturerait l’esprit de la Constitution et ouvrirait la boîte de Pandore. » Il s’agit de ne pas faire de la Constitution un « catalogue de droits », au risque de porter atteinte au « rôle protecteur de la norme suprême ». La sénatrice a rappelé que la Constitution ne pouvait être modifiée que pour certaines raisons bien identifiées. Or, l’inscription du droit à l’IVG ne pourrait être justifiée, selon elle, par aucune de ces raisons. Une autre sénatrice LR, Muriel Jourda, a tenu à mettre en garde contre le risque de légiférer « en réaction » et en abordant la question « par la fenêtre étroite de l’émotion ».

La différence de situation entre la France et les Etats-Unis a également été rappelée lors des débats, dans la mesure où la France n’est pas un Etat fédéral. La décision de la Cour suprême américaine répondait à la question de savoir si la législation sur l’avortement devait relever de l’Etat fédéral ou des Etats fédérés, et a jugé qu’il appartenait désormais aux Etats fédérés de légiférer sur l’avortement.

D’autres propositions à l’Assemblée nationale

A la date où cette proposition de loi est examinée au Sénat, l’examen de deux autres textes visant à constitutionnaliser l’IVG est déjà prévu à l’Assemblée nationale. Le 24 novembre, les députés examineront la proposition de loi de La France Insoumise (LFI) dans le cadre de la niche parlementaire de ce groupe. Quelques jours plus tard, c’est la proposition de loi de la députée Aurore Bergé (Renaissance), soutenue par le parti présidentiel, qui sera examinée dans la semaine du 28 novembre, et qui devrait être examinée en commission des lois dès le 9 novembre.

Pas moins de 6 propositions de lois ont été déposées pour constitutionnaliser l’IVG. Pourtant, à ce jour, il n’existe pas de consensus sur l’endroit où il faudrait ajouter cette disposition dans la constitution (ajout d’un article 66-2 ou inscription dans l’article 1er ou 34), ni sur sa rédaction, ce qui montre bien les difficultés que pose cette constitutionnalisation.

Lors de son intervention, Eric Dupont-Moretti a d’ores et déjà annoncé que le Gouvernement soutiendrait chacune des initiatives parlementaires pour constitutionnaliser le droit à l’IVG.

Pourtant, plusieurs juristes spécialistes du droit constitutionnel ont exprimé leurs réserves sur cette constitutionnalisation. Ainsi, dans un entretien au journal La Croix, le professeur Bertrand Mathieu a indiqué dès le mois de juin que l’avortement n’est pas un droit fondamental, et que la reconnaissance d’un véritable « droit à l’avortement » aboutirait à reconnaître à la femme « un droit absolu sur la vie du fœtus » alors que jusqu’à présent celui-ci a toujours bénéficié d’une protection constitutionnelle, menaçant ainsi « l’équilibre » établi par la loi dépénalisant l’IVG de 1975. Dans un entretien au Figaro publié le 18 octobre, Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, s’interroge : « Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle veulent-ils une IVG complètement libre jusqu’au neuvième mois? On espère que non, même si leur texte y conduit tout droit. ».

Ce débat intervient au moment où les derniers chiffres de l’IVG publiés par la DREES en septembre indiquent que non seulement le nombre d’IVG en France est stable d’une année sur l’autre, « autour de 225 000 par an », mais aussi que « le taux global de recours à l’IVG tend à augmenter » et atteint 15,5 IVG pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans en 2021.

L’IVG, un droit ?

Pour Alliance VITA, se concentrer sur le « droit » à l’avortement, c’est occulter les vrais enjeux de l’IVG aujourd’hui. Pour Caroline Roux, directrice générale adjointe, « à force de considérer l’avortement uniquement comme un droit, on cache les pressions – voire les violences psychiques – qui y conduisent dans nombre de cas » (Tribune La Croix, 28 juin 2022). Des raisons économiques peuvent également jouer un rôle, puisqu’un rapport de la DREES de 2020 révélait que les femmes aux revenus les plus faibles avortent plus souvent. Finalement, l’IVG apparaît de plus en plus comme un marqueur d’inégalités sociales. On peut s’étonner que dans les débats au Sénat, pas un mot n’ait été prononcé sur la prévention et l’accompagnement des femmes en situation précaire.

Sondages sur la fin de vie : l’opinion contre la réalité ?

Sondages sur la fin de vie : l’opinion contre la réalité ?

Dans le cadre du débat sur la fin de vie et alors que la convention citoyenne se penchera sur la question à partir du 9 décembre, deux sondages ont été publiés permettant de mesurer l’opinion des français et la réalité de terrain.

Sondage IFOP/ADMD sur les perceptions des français.

Dans le prolongement des nombreux sondages commandités régulièrement par l’ADMD, le dernier mené par l’IFOP, intitulé “le regard des français sur la fin de vie” est une photographie instantanée de l’opinion générale de la population à partir d’un échantillonnage statistique représentatif. Concernant les attentes par rapport à la convention citoyenne menée sous l’égide du CESE, 78% des français “encouragent un changement avec la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté”. 22% encouragent le maintien de la légalisation actuelle. Il faut noter que les pourcentages diffèrent entre hommes et femmes : 72% des hommes et 84% des femmes se prononcent pour l’option de légalisation. Les jeunes sont moins enclins (74%) que les personnes au-dessus de 35 ans : 80% de soutien. Le sondage interroge également le niveau de confiance des français envers un médecin qui se dirait favorable à l’euthanasie. A cette question de portée générale, les français font “tout à fait” (29%) ou “plutôt” (50%) confiance. Cette donnée peut être rapprochée du niveau général d’estime que les français accordent aux médecins. Ainsi, dans un sondage publié fin 2020 pendant la crise de la Covid, 92% des français faisaient confiance aux médecins. Dans le débat actuel, il ressort également du sondage que les français perçoivent l’euthanasie ou le suicide assisté comme des soins de fin de vie. Le sondage ne pose pas la question de l’euthanasie en termes de priorité pour les français. Un sondage récent de l’IPSOS pour la Fondation Jean Jaurès n’a pas mesuré ce point, mais les trois priorités citées restent le pouvoir d’achat, la protection de l’environnement et l’avenir du système social.

L’enquête de la SFAP auprès des acteurs de la fin de vie.

Face à ces perceptions, une autre approche est proposée par la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de Soins palliatifs). Dans une enquête menée par OpinionWay et publiée dans Marianne, la SFAP a recueilli les avis et les analyses d’un échantillon d’acteurs de la fin de vie. Au total, 1009 acteurs de soins (médecins, Infirmières Diplômée d’Etat, psychologues…) et 326 bénévoles ont répondu à un questionnaire disponible de fin août à mi-septembre. Le détail de ce “sondage OpinionWay pour la SFAP” est disponible sur internet. 52% des personnes sondées sont membres de la SFAP, les autres non, ce qui permet d’avoir une base plus large d’avis.

Plusieurs lignes fortes en ressortent.

Sur la question préalable de la connaissance du cadre législatif actuel, les acteurs des soins de fin de vie connaissent de façon précise (74%) ou dans les grandes lignes (25%) le cadre actuel de la loi Claeys-Leonetti. 87% des médecins le connaissent ainsi de façon précise, une donnée à la fois pertinente et rassurante. Il aurait été intéressant pour le sondage IFOP/ADMD de savoir ce que les Français en général en connaissent avant de leur demander de s’exprimer sur des souhaits d’évolutions.  Le sondage OpinionWay montre également que les pourcentages sont très proches pour les bénévoles. Connaisseurs du cadre législatif actuel, les acteurs de soins en sont satisfaits à 90%, 61% “tout à fait” et 29% “plutôt”.

Abordant ensuite la question d’une évolution législative, le constat global est un avis défavorable de ces experts de la fin de vie sur “une loi instaurant une mort intentionnellement provoquée”. 85% des acteurs de soins et 82% des bénévoles y sont défavorables. Ils sont dans la même proportion à considérer que “donner la mort intentionnellement provoquée ne peut pas être considérée comme un soin“. Une ligne de conduite que la SFAP, avec 9 autres associations, a répété à l’occasion de la publication de l’avis du CCNE.

Le questionnaire comporte une série de questions sur des modalités envisageables en cas de légalisation d’une forme de mort administrée. 30% ne souhaitent pas ou ne savent pas répondre. 26% privilégieraient une mise à disposition d’une substance létale aux personnes qui le demandent, sur le “modèle” de la législation de l’Etat de l’Oregon. 2% envisageraient une euthanasie administrée par un soignant.

Enfin, tous les acteurs de soins et les bénévoles estiment qu’un changement de loi auraient des impacts importants parmi les équipes de soins palliatifs : tensions et division (75%), risque de démission (70%) sont les deux risques les plus cités. 34% des acteurs de soin pourraient être conduits à quitter leur poste actuel. Dans le contexte d’un système de santé très fragilisé, cette réponse est significative et mérite réflexion pour les pouvoirs publics.

Changer de perspective.

Ainsi, pour les professionnels comme pour les bénévoles engagés dans le soin et l’accompagnement des personnes en fin de vie, le regard sur la loi actuelle et les impacts d’une évolution est radicalement différent de la perception de la population. Leur expertise et leur expérience méritent d’être écoutées et prises en compte dans les débats actuels.

Un regard “de loin” et « à froid » sur la fin de vie peut changer au contact de la réalité de la maladie. Un témoignage poignant publié dans le Figaro récemment l’atteste. Atteint de SLA (Sclérose Latérale Amyotrophique), ce patient envisageait auparavant l’euthanasie qu’il voit maintenant comme une “décision radicale et trop rapide“. Pris en charge et accompagné au centre Jeanne Garnier, il témoigne avoir changé de perspective : “chaque jour n’est pas une fête, mais chaque instant a sa valeur“.

 

Congélation des embryons, un risque plus important pour les grossesses

Congélation des embryons, un risque plus important pour les grossesses

La question de l’impact possible des méthodes de procréation artificielle, comme la fécondation in vitro (FIV) sur la grossesse et sur la santé de l’enfant à naître est régulièrement interrogée.

Concernant la santé de la femme enceinte, une revue spécialisée, Hypertension, vient de publier une étude sur le lien entre le risque d’hypertension artérielle et de prééclampsie pendant la grossesse et la congélation embryonnaire. Un risque sérieux qui peut mettre en péril la vie de la mère et de l’enfant.

Cette étude est basée sur les données médicales de plusieurs pays nordiques (Danemark, Norvège et Suède) sur une période de 27 ans. Elle inclut un nombre considérable de grossesses : 4,5 millions, parmi lesquelles, 4,4 millions de grossesses survenues naturellement au sein des couples, 18 000 après des fécondations in vitro incluant l’étape de congélation embryonnaire et 78 000 après FIV mais sans congélation – les embryons dits frais ayant été implantés peu de temps après la fécondation.

Il apparaît que le risque de complications de la grossesse liées à l’hypertension artérielle est plus élevé après un transfert d’embryons congelés (7.4%) que lors de grossesses naturelles (4,3%). Ce risque après transfert d’embryon frais (5,9%) est plus proche de celui des grossesses conçues naturellement.

Les données montrent également que les grossesses après FIV seraient plus fréquemment prématurées : 6,6 % pour les FIV avec embryons congelés et 8,1 % avec embryons frais par rapport aux grossesses conçues naturellement (5%).

Ces données vont dans le même sens qu’une étude française de 2021, menée sur 70 000 grossesses qui révélait également un risque plus élevé de prééclampsie et d’hypertension artérielle lors de transferts d’embryons congelés.

Pour le principal auteur de l’étude, le Dr Sindre H. Petersen, titulaire d’un doctorat à l’Université norvégienne des sciences et de la technologie de Trondheim : “Nos résultats soulignent qu’un examen attentif de tous les avantages et des risques potentiels est nécessaire avant de congeler tous les embryons en routine dans la pratique clinique.” En effet, cette pratique est de plus en plus courante dans le monde entier. Certains médecins ne font même plus de transfert d’embryons frais et congèlent systématiquement tous les embryons, ce qu’on appelle l’approche « freeze-all », déplore le Dr Petersen.

En revanche, le lien de cause à effet entre congélation et hypertension n’est pas clairement identifié ni identifiable par l’étude mise en place. D’après des spécialistes, cela pourrait être lié aux protocoles de préparation de l’utérus au transfert de l’embryon qui peinent à mimer ce qui se passe dans une grossesse naturelle, en particulier avec le développement du corps jaune, produisant de la progestérone, une hormone nécessaire au bon déroulement de la grossesse. Pour le Dr Aimee Eyvazzadeh, endocrinologue de la reproduction basée à San Francisco, interrogée par CNN : « Il y a une chose qui n’est pas claire : cela vient-il de la procédure même de congélation de l’embryon ou du protocole utilisé ? La plupart des médecins spécialistes de la FIV pensent, sur la base d’études et de preuves récentes, qu’il s’agit en fait du protocole médicamenteux, et non de la procédure de FIV“. Pour elle, « cette nouvelle étude est très importante. Toute personne s’occupant de personnes enceintes après une FIV devrait prêter une attention extrême à cette étude. De plus en plus d’études montrent ce que les médecins spécialistes de la FIV savent déjà, à savoir que la FIV après un transfert d’embryons congelés peut augmenter le risque de pré-éclampsie“.

En effet, ces risques sont connus, plus encore lorsque l’embryon est issu de l’ovocyte d’une autre femme, comme dans le cas des FIV avec don d’ovocyte et dans les gestations par autrui.

Euthanasie : la Cour Européenne des Droits de l’Homme constate une violation au droit dans un cas belge

Euthanasie : la Cour Européenne des Droits de l’Homme constate une violation au droit dans un cas belge

Le 4 octobre dernier, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a rendu un jugement dans une affaire opposant un citoyen belge, M. Tom Mortier au Royaume de Belgique, sur l’euthanasie pratiquée sur sa mère le 19 avril 2012. Agée de 64 ans et souffrant de dépression chronique diagnostiquée depuis environ quarante ans, cette dernière a été euthanasiée sans que ni son fils, le plaignant, ni sa fille ne soient au courant. La Cour précise que la présente affaire ne porte pas sur l’existence ou non d’un droit à l’euthanasie, mais qu’elle porte sur la compatibilité de l’euthanasie telle qu’elle a été pratiquée à l’égard de la mère du requérant avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Les faits

Envisageant une euthanasie, Mme De Troyer, mère du requérant, contacte en septembre 2011 le professeur Wim Distelmans, suite au refus de son médecin généraliste de l’accompagner. Mme De Troyer était également suivie par un psychiatre depuis de nombreuses années. Dans les mois qui suivent, la patiente a été reçue à plusieurs reprises par le professeur qui l’a adressée également à deux psychiatres successivement. Le 14 février, la patiente fait une requête formelle d’euthanasie et le même jour, une psychiatre rédige un rapport concluant à la recevabilité de la requête. Le 17 février, un autre médecin examine la patiente et donne un avis positif à la demande. Les trois médecins, chiffre requis par la procédure dans les cas de maladie psychique, sont membres de l’association flamande LEIF (LevensEinde InformatieForum, Forum d’Information sur la Fin de Vie) qui milite en faveur de l’euthanasie. Durant les différents entretiens, plusieurs médecins ont conseillé à la patiente de reprendre contact avec ses deux enfants. Elle avait envoyé un email à ses deux enfants le 31 janvier pour les informer de sa demande d’euthanasie. Celle-ci est exécutée le 19 avril par le professeur Distelmans, qui a eu plusieurs entretiens avec Mme De Troyer dans les semaines précédentes. Le lendemain, l’hôpital informe le fils, Tom Mortier, du décès de sa mère.

Le 20 juin, la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, co-présidée par le professeur, examine le document de déclaration d’enregistrement de l’euthanasie reçue le 20 juin et rédigée par le même professeur. La commission conclut que la procédure a été effectuée selon les termes de la loi.

Après quelques démarches du fils auprès du médecin, M Mortier dépose une première plainte en avril 2014 contre X auprès du procureur du Roi. Entretemps, il a introduit en parallèle une première requête auprès de la Cour européenne en octobre 2014, jugée irrecevable car les voies de recours internes, en Belgique, ne sont pas toutes épuisées. Sa plainte est classée sans suite en mai 2017 par le procureur belge et Tom Mortier introduit une nouvelle requête auprès de la Cour Européenne en novembre 2017. En mai 2019, les autorités judiciaires belges ouvrent une deuxième enquête pénale, clôturée en décembre 2020, la Chambre estimant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre.

Le jugement de la CEDH

Le jugement de la Cour porte sur la compatibilité de l’euthanasie pratiquée avec deux articles de la convention. D’une part, avec l’article 2 sur le “droit à la vie”, et d’autre part avec l’article 8 sur le “droit au respect à la vie privée et familiale”. L’avis récent du CCNE, se référait également à ces deux articles dans sa courte analyse juridique. La Cour a rappelé sa jurisprudence précédente. Il n’existe pas de droit à mourir avec l’aide d’un tiers ou de l’Etat, mais selon la majorité des juges, la convention et en particulier l’article 2 n’interdit pas en soi la possibilité de pratiquer l’euthanasie dans un cadre légal. On peut noter qu’un juge, dissident sur ce point avec la majorité, considère que l’euthanasie est déjà une violation de l’article 2. Dans son opinion, il souligne que l’euthanasie n’est pas citée expressément comme exception au droit à la vie, ce que les Etat signataires auraient pu faire lors de la rédaction de la Convention s’ils avaient souhaité ouvrir un droit à l’euthanasie. Sur le fond, le but de l’euthanasie est de mettre fin à la vie, alors que le but de l’article 2 est “de la préserver et de la protéger“. Une lecture de l’article 2 introduisant des exceptions comme l’euthanasie “ne laisserait aucune place à l’obligation positive faite aux États membres de préserver la vie humaine, qui figure parmi les déclarations et les développements les plus importants de la jurisprudence de la Cour. La protection offerte par l’article 2 doit être globale plutôt que fragmentaire, et l’article 2 doit être lu d’une manière cohérente, propre à garantir une protection effective du droit à la vie quelle que soit la menace“. Dit autrement, pour ce juge, l’article 2 l’emporte sur l’article 8 “droit au respect à la vie privée”, car “privé de sa vie, son bien le plus cher et le plus précieux, un individu ne peut exercer aucun autre de ses droits fondamentaux ou en jouir, et ces droits se trouvent alors vidés de leur substance“.

La majorité cependant a voté à 5 contre 2 qu’il n’y avait pas violation de l’article 2 “à raison du cadre législatif relatif aux actes préalables à l’euthanasie” ni violation du même article “à raison des conditions dans lesquelles l’euthanasie de la mère du requérant a été pratiquée“. Selon la Cour, la dépénalisation de l’euthanasie peut être compatible avec l’article 2 si elle est “encadrée par la mise en place de garanties adéquates et suffisantes visant à éviter les abus et, ainsi, à assurer le respect du droit à la vie“. La Cour explicite trois conditions de compatibilité :

  1. L’existence dans le droit et la pratique d’un cadre législatif relatif aux actes préalables à l’euthanasie
  2. Le respect du cadre législatif établi dans chaque cas d’euthanasie
  3.  L’’existence d’un contrôle, dans le cas belge a posteriori, avec une enquête adéquate, approfondie et indépendante.

A ce titre, et à l’unanimité, la Cour dit “qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention à raison des défaillances du contrôle a posteriori de l’euthanasie pratiquée“. Elle a noté que la première enquête pénale avait duré plus de 3 ans “alors qu’aucun devoir d’enquête ne semble avoir été entrepris par le procureur du Roi. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas contesté le manque d’effectivité de cette première enquête“. Par ailleurs “tenant compte du rôle crucial joué par la Commission dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie, la Cour estime que le système de contrôle établi en l’espèce n’assurait pas son indépendance, et cela indépendamment de l’influence réelle qu’a éventuellement eue le professeur D. sur la décision prise par la Commission en l’espèce“.

Enfin, la Cour a rejeté la demande de Tom Mortier sur la violation de l’article 8, estimant que son droit à la vie privée et familiale n’avait pas été violée par l’euthanasie de sa mère. Dans son jugement, elle estime que les médecins ont fait ce qui était raisonnable, au regard de la loi et de leur devoir de confidentialité, pour l’inciter à contacter ses enfants.

Conflit d’intérêt et autonomie : la dissidence d’une juge.

Dans l’opinion “en partie concordante et en partie dissidente” la juge Maria Elosegui, s’est penchée attentivement sur deux aspects de l’affaire : le potentiel conflit d’intérêt entre les médecins et le patient et la question de l’autonomie du patient. La juge commence par rappeler, en citant une étude, que dans la relation médecin/patient, il y a une asymétrie car les patients “demandent de l’aide dans une situation de nécessité, en se fiant à l’intégrité morale et à la compétence des professionnels de santé“. Cet état doit conduire le législateur à renforcer la prévention d’un conflit d’intérêt au niveau du médecin. La juge exprime ensuite son opinion, argumentée sur l’analyse détaillée du cas jugé, estimant que “non seulement il y a eu des défaillances dans le contrôle a posteriori de l’euthanasie, mais aussi que les règles régissant le fonctionnement de la commission n’offrent pas les garanties et garde-fous requis par l’article 2 de la Convention, et que ce mode de fonctionnement ne peut pas être considéré comme relevant de la marge d’appréciation des États“. Concernant l’insuffisance du dispositif belge, plusieurs faits sont cités dans son opinion. Le rapport de 2012 de la Commission de contrôle établit que sur ses 4 médecins francophones membres, 3 sont au conseil d’administration de l’ADMD (association pour le droit de mourir dans la dignité), et que sur les 4 médecins néerlandophones, 2 sont au conseil de la LEIF. Dans l’affaire jugée, selon le gouvernement, la commission a voté à l’unanimité l’approbation de cette euthanasie, alors que le médecin l’ayant pratiquée a participé au vote. Plus troublant, l’expert médical désigné par le juge d’instruction a constaté “qu’il n’y avait pas une seule pièce dans le dossier concernant la déclaration de l’euthanasie soumise à la commission, ni concernant son évaluation par celle-ci “, et pour autant “le procureur a estimé que l’euthanasie de la mère du requérant avait respecté les conditions prescrites par la loi“. L’indépendance des trois médecins, membres de la LEIF, association militante pour l’euthanasie et qui est présidée par le docteur Distelmans, est également questionnable.

Enfin, la juge souligne l’importance de ne pas faire primer l’autonomie sur les autres principes de la bioéthique : bienfaisance, non-malfaisance et justice. Par ailleurs, l’autonomie s’entend selon plusieurs acceptions et la dimension relationnelle ne peut être ignorée. Dans le cas d’une personne fragilisée par une maladie psychique, le risque n’est pas nul de constater des abus liés à une conception faussée de l’autonomie. La juge note que “Par le passé, la famille prenait des décisions sans tenir compte de la volonté du patient ou sans consulter celui-ci. De nos jours, à l’inverse, nous sommes témoins d’autres types de risques d’atteinte au respect de la dignité et des droits des patients, le premier étant de laisser à nouveau une personne sans défense et vulnérable seule entre les mains du médecin, en l’isolant de sa famille et de ses amis“.

Ainsi, les carences du cadre belge et de son contrôle, mises en lumière dans ce cas concret, fragilisent l’avis rendu par la Cour qu’une dépénalisation de l’euthanasie est possible sous condition d’un cadre législatif et d’une pratique maitrisée. De plus il est possible que ce cas ne soit que la partie immergée de l’iceberg. Comme le constatait le requérant, “sur les douze mille affaires examinées par la commission (de contrôle), une seule une a été communiquée au parquet“.

 

Cas litigieux d’euthanasie au Canada: l’inquiétude d’experts des droits de l’homme et des personnes handicapées

Cas litigieux d’euthanasie au Canada: l’inquiétude d’experts des droits de l’homme et des personnes handicapées

Début octobre 2022, le quotidien CBC news rapportait l’histoire douloureuse d’une jeune femme du Manitoba, atteinte de SLA qui s’est résolue à demander l’euthanasie par manque d’aide à domicile. Elle supportait son état même s’il se détériorait progressivement et aurait souhaité vivre plus longtemps. Nancy Hansen, professeur à l’Université du Manitoba, spécialisé dans les études sur le handicap, s’inquiète quant à elle de la manière dont l’euthanasie est proposée aux personnes confrontées au handicap.

Déjà au mois d’août dernier, l’agence de presse APNewsn (AP) relayait l’inquiétude d’experts qui s’alarment des conséquences de la loi canadienne sur l’euthanasie sur le droit des personnes handicapées. Dans un long dossier, plusieurs cas sont rapportés de personnes handicapées conduites à l’euthanasie. Alan Nichols un homme de 61 ans avec des antécédents de dépression avait été hospitalisé en 2019 en raison de ses troubles suicidaires. Un mois après il était euthanasié. La raison invoquée était sa « perte de l’ouïe ». Sa famille a porté plainte contre cette « mise à mort ». L’hôpital affirme qu’Alan Nichols a fait une demande valide d’euthanasie et que, conformément à la vie privée du patient, il n’était pas obligé d’informer les proches ou de les inclure dans les discussions sur le traitement.

Le témoignage de Roger Foley est également saisissant. Cet homme de 45 ans, hospitalisé à London, en Ontario souffrait d’une maladie dégénérative. Alarmé que les membres du personnel mentionnent la possibilité de l’euthanasie, il a commencé à enregistrer secrètement certaines de leurs conversations. Dans un enregistrement obtenu par l’AP, le directeur de l’éthique de l’hôpital a déclaré à Foley que son séjour à l’hôpital coûterait ” 1 500 dollars par jour”. A la question de savoir quel était le plan pour ses soins de longue durée, le directeur « éthique » s’est borné à répondre que sa mission personnelle était uniquement de lui présenter « la possibilité, d’avoir recours à l’aide à mourir.” Or M.Foley a déclaré qu’il n’avait jamais mentionné l’euthanasie auparavant. L’hôpital s’est alors défaussé derrière l’absence d’interdiction pour le personnel de soulever la question. Le patient a ensuite interpellé en 2020 les députés de la commission Justice et Droits de l’Homme depuis son lit d’hôpital via Zoom. Il les a exhortés à ne pas étendre davantage la législation sur l’aide médicale à mourir, et a dénoncé le fait que « l’aide médicale à mourir est plus facile d’accès que des mesures de soutien sûres et appropriées pour vivre ».

L’enquête fait également mention des canadiens qui demandent l’euthanasie pour des raisons financières. Avant d’être euthanasié en août 2019 à 41 ans, Sean Tagert avait du mal à obtenir les soins 24 heures sur 24 dont il avait besoin. Atteint de SLA, le gouvernement ne couvrait que 16 heures de soins quotidien. Il supportait financièrement les huit heures restantes. Finalement il n’a pas pu collecter suffisamment d’argent pour financer le matériel médical spécialisé dont il avait besoin.

Heidi Janz, professeure auxiliaire adjointe en éthique des personnes handicapées à l’Université de l’Alberta, a déclaré qu'”une personne handicapée au Canada doit franchir tellement d’obstacles pour obtenir du soutien que cela peut souvent suffire à faire pencher la balance” et  la conduire à l’euthanasie. Un professeur à l’Université de la Colombie-Britannique, M Stainton souligne qu’aucune province ou territoire ne fournit un revenu de prestations d’invalidité supérieur au seuil de pauvreté. Dans certaines régions, il atteint 850 $ CA (662 $) par mois – moins de la moitié du montant que le gouvernement a fourni aux personnes incapables de travailler pendant la pandémie de COVID-19.

Contrairement aux rares pays qui ont légalisé l’euthanasie comme la Belgique ou les Pays-Bas, le Canada ne s’est pas doté de commission de contrôle que ce soit a priori ou a posteriori pour examiner les cas litigieux. D’autre part, les patients canadiens ne sont pas tenus d’avoir épuisé toutes les alternatives de traitement. L’enquête souligne encore que l’association canadienne des professionnels de santé qui pratiquent l’euthanasie demande aux médecins et aux infirmiers d’informer les patients qu’ils sont éligibles à l’euthanasie même s’ils ne l’ont pas demandé.

Alors que le Canada examine la possibilité d’étendre l’accès à l’euthanasie en 2023 aux personnes atteintes par des maladies mentales, des défenseurs de personnes handicapée et des droits de l’homme affirment que le système mérite maintenant un examen plus approfondi. L’euthanasie « ne peut pas être une pratique par défaut en raison du manquement du Canada à ses obligations en matière de droits de la personne », a déclaré Marie-Claude Landry, présidente de la Commission des droits de la personne. Cette dernière partage la “grave préoccupation” exprimée l’année dernière par trois experts des droits de l’homme de l’ONU, dans une déclaration commune à propos de la loi canadienne : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ». Ces experts notent par ailleurs que « la proportion de personnes en situation de handicap frappées par la pauvreté est sensiblement plus élevée » que celle du reste de la population, et qu’une « protection sociale insuffisante pourrait d’autant plus rapidement mener ces personnes à vouloir mettre fin à leur vie, par désespoir ».

 

Ils ont souligné que la loi canadienne sur l’euthanasie avait un «impact discriminatoire» sur les personnes handicapées et était incompatible avec les obligations du Canada de respecter les normes internationales en matière de droits de la personne.