Intérioriser pour reconstruire

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Suite aux premiers mariages célébrés entre personnes de même sexe, Tugdual Derville, porte-parole de la Manif pour tous et Délégué général d’Alliance VITA, répond aux questions de Frédéric AIMARD.

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Tugdual Derville
Délégué général d’Alliance VITA

> Quel est votre état d’esprit alors que sont désormais célébrés en mairie des mariages entre personnes de même sexe ?

Ce mot « mariage », je le mets pour le moment entre guillemets. Derrière les beaux sentiments et l’émotion sincère que suscitent ces cérémonies, elles participent d’une grande illusion. Elles sapent au grand jour la fécondité de l’altérité sexuelle, l’un des repères les plus précieux fondant toute humanité, et j’en suis donc triste.

Mais je ne me départirai pas d’un esprit paisible. Nous sommes entrés dans une résistance intérieure paisible. C’est le sens de ces guillemets dictés par ma conscience. Gardons notre liberté de penser et de nous exprimer. Le mariage qui nous tient à cœur doit rester l’engagement public et fidèle qui relie un homme et une femme. Et nous devons continuer à nous battre contre cette loi, car une injustice légale n’en est que plus injuste.

> Croyez-vous encore à la victoire quand les apparences sont à la défaite ?

Quand je dis que « la victoire est en nous », ce n’est pas une figure de style. Ne restons pas focalisés sur un court terme aux apparences trompeuses… En réaction à la loi Taubira, une promesse mystérieuse a surgi cette année de l’âme de la France. Tout commence. Bien sûr, l’abrogation de cette loi injuste reste à revendiquer fermement, et avec lucidité. Car nous savons bien que, dans une société en quête de repères, la loi « démocratiquement votée » a pour beaucoup valeur de précepte religieux. Avec les foules indécises et errantes, nos élites tendent à dériver dans le sens du vent… Les prochaines campagnes électorales nous permettront de mesurer les convictions réelles des leaders politiques qui ont soutenu notre mouvement… Nous serons attentifs à leurs engagements et nous verrons s’ils résistent à l’idéologie de la loi Taubira ou s’ils lui cèdent comme ils avaient cédé à l’irruption de la théorie du genre à l’école…

> Que ferez-vous si le mariage homosexuel s’installe durablement ?

Il nous faudra décider si nous abandonnons ce mot « mariage » et cette institution désormais dénaturée pour en choisir d’autres… Le mariage civil que nous connaissions a été vidé de son sens. S’il s’installe, nous allons voir fleurir des revendications transgressives qui le démontreront.

Il faudra peut-être nous démarier symboliquement. Quand un bateau prend gravement l’eau par le fond, l’équipage doit choisir entre les pompes et les chaloupes… Il lui faut peser deux risques : perdre le navire qu’il aurait pu sauver… ou couler avec ! N’oublions pas non plus que la ligne de front ultime, c’est le mariage religieux. Peut-être devra-t-on le libérer du carcan d’un mariage civil préalable, à partir du moment où cette institution aura perdu son sens…

> Vous faites la promotion d’un courant d’écologie hu­maine destiné à envisager l’avenir : le temps des manifestations serait-il révolu ?

Pas du tout ! Le gouvernement fait tout pour décourager notre mouvement en intimidant les manifestants par un harcèlement policier… S’il craint que les manifestations ne perdurent, c’est qu’elles doivent perdurer. D’autant que ses velléités de mettre la main sur la jeunesse par l’école — et contre les parents — ont été démasquées.

Je suis persuadé que la Manif pour tous reste le meilleur outil pour contrer tous ensemble l’idéologie du genre. Il faut se réjouir aussi du foisonnement d’initiatives accompagnant ce mouvement, à l’image des Veilleurs. L’écologie humaine qui émerge s’inscrit dans une logique complémentaire : il est essentiel d’enraciner intellectuellement un courant de pensée pour bâtir une alternative altruiste à l’idéologie individualiste qui a conduit à la loi Taubira. Il nous faut à la fois résister au quotidien, intérioriser cette résistance et reconstruire sur le long terme.

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Place à la reconstruction : une année de résistance qui marque le début d’un grand réveil

Au lendemain du vote « définitif », par l’Assemblée nationale, du projet de loi Taubira, se pose l’avenir  du grand mouvement social qu’il a provoqué. Tugdual Derville répond aux questions de Frédéric AIMARD.

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Tugdual Derville
Délégué général d’Alliance VITA

> La loi Taubira, validée par le Conseil constitutionnel, a aussitôt été promulguée par le président de la République : manifester le 26 mai 2013 encore a-t-il un sens ?

Plus que jamais. Et je crois que beaucoup de ceux qui se sont mobilisés depuis près de dix mois le per­çoivent : c’est maintenant que nous devons faire la preuve de notre ténacité. Notre force, c’est de ne pas nous situer dans une perspective de victoire ou de défaite liée aux apparences, mais de défendre la justice pour tous et pour toujours.

> Que répondez-vous à ceux qui vous disent que vous ne respectez pas un vote démocratique ?

Imaginons seulement que le législateur français ait décidé de légaliser la peine de mort, ou l’exclusion d’une minorité ethnique (il pourrait se référer à certains sondages d’opinion…) : trouverait-on illégitime que des Français se lèvent en masse pour protester ? Ce serait au contraire le moment de le faire, au nom de l’altruisme, et d’entrer en résistance humanitaire.

Pensons aussi au temps où l’abolition de l’esclavage semblait à la plupart des Occidentaux d’une telle absurdité économique et anthropologique que Napoléon Ier avait choisi d’annuler cette abolition. Il a fallu attendre Victor Schœlcher… L’histoire de l’humanité l’a montré : nous avons tous besoin de sentinelles pour humaniser notre regard sur les plus vulnérables !

Je ne prétends aucunement ici que la loi Taubira est comparable à tous ces exemples, mais je pose la question de notre rapport à l’injustice. Devrions-nous épouser, avec le prétendu « mariage pour tous » l’idéologie qui a conduit à ce vote ? Si nous défendions notre propre intérêt, il faudrait peut-être respecter le vote de la représentation nationale… Mais  nous défendons un principe de justice supérieur à la loi d’un Parlement : ce principe concerne l’humanité tout entière, parce qu’aucun être humain ne mérite d’être privé délibérément de toute référence paternelle ou maternelle.

> Ce dimanche 26 mai sera-t-il, malgré tout, la conclusion d’une grande année de mobilisation ?

Je pense que nous devons concevoir cette année de résistance comme le début magnifique d’un grand réveil. Ce mouvement social historique a libéré la parole et la pensée de beaucoup. A mes yeux, ceux qui nous gouvernent n’ont encore vu qu’un galop d’essai ! Le moment est en effet venu de nous rassembler, de réfléchir et de nous organiser pour sauver la démocratie contre elle-même.

En osant saper les fondements même de l’anthropologie, en portant atteinte à l’intérêt des générations futures, la démocratie s’est abîmée. Mais ce qui s’est passé pendant l’année scolaire 2012-2013 résonne comme une promesse.

> Le gouvernement table sur l’effondrement de la mobilisation puisqu’il a accéléré le calendrier législatif pour cela…

Je crois qu’il est vraiment dépassé : Monsieur Valls a osé prétendre que les débordements des casseurs du Trocadéro, en marge de la célébration du titre de football du Paris-Saint-Germain, étaient liés à la Manif pour tous ! C’est qu’il n’a pas compris grand-chose à ce qui s’est réveillé en France, « grâce » à la loi Taubira, et nous fait désormais « veiller » un peu partout de façon non-violente… Tant mieux après tout, car la force de notre mouvement doit beaucoup à la fermeture de l’exécutif qui l’a mis à l’épreuve…

La loi instaurant le mariage entre personnes de même sexe reste bien sûr catastrophique, et j’en suis triste pour la France, mais ce que pareille injustice a fait naître comme prise de conscience pourrait se révéler plus précieux encore pour le bien commun que ce que cette loi lui fait perdre. Cette prise de conscience nous offre la chance de poser ensemble les fondements de l’écologie humaine comme réponse urgente aux défis biotechnologiques de demain.

> Vous-même avez été épinglé sur le « mur des homophobes » d’Act up… Comment réagissez-vous ?

A titre personnel, ça n’a pas grande importance : nous devons tous nous méfier des réactions que dicte le « nombril » ; mais j’aimerais mettre en garde ceux que la compulsion victimaire conduit à désigner des boucs émissaires à leur souffrance. Prophétiser la haine ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Soit l’homophobie relève de l’injure ou de la discrimination injuste en raison de l’orientation sexuelle : c’est alors un vrai délit à combattre ; soit — et c’est l’avis de SOS homophobie — tout opposant au mariage et à l’adoption pour deux personnes de même sexe est homophobe — fût-il homosexuel lui-même ! — et l’accusation d’homophobie relève de l’entrave à la liberté de penser et de s’exprimer. Établir sur ce sujet un délit d’opinion est grave. Act up et ses amis prennent d’énormes risques vis-à-vis de l’homophobie en noyant sa définition : ils alimentent l’homophobie tout en empêchant qu’on la combatte. C’est un comble pour une association qui en a fait son cheval de bataille. Peu de politiques et de médias osent dénoncer un tel totalitarisme.

> Mais ne craignez-vous pas justement que vous ne puissiez plus rien dire sur ce sujet ?

L’histoire des polices de la pensée montre qu’elles ne sont jamais aussi brutales que quand les régimes qui les portent sont aux abois. C’est bien sûr d’une grande violence d’attribuer à ses adversaires une étiquette infamante, comme l’a encore fait à mon endroit Maître Caroline Mécary, l’avocate d’Act up, en rediffusant ma photo siglée « homophobe » avec la mention : « Nous n’oublierons jamais ». Tenter d’imposer à l’innocent une « conscience malheureuse » c’est l’étape ultime de la dialectique marxiste. Mais cela ne doit pas nous intimider. C’est bien l’enjeu de ces prochaines années que d’oser dire ce qu’on veut nous interdire de penser.

> Comment voyez-vous ces années à venir ?

Il me semble que cette année 2012-2013 sera charnière. Elle arrive après des décennies d’attaques de plus en plus blessantes contre la famille, mais aussi en réponse à un grand désir, une grande attente, une grande Espérance qui couvaient… Tant de personnes — notamment de chrétiens — espéraient une prise de conscience, un réveil unitaire, l’engagement des jeunes… Tant les ont demandés, dans le secret de leur cœur. Mais combien espéraient vraiment pareils événements ?

Ce réveil est arrivé alors que beaucoup n’imaginaient pas y assister de leur vivant. C’est pourquoi les explications trop humaines me laissent sur ma faim. Sur la base de cet immense mouvement social, tout devient possible. Je ne saurais dire quoi, ni comment, mais des barrières sont tombées, des ponts ont été construits, des consciences se sont forgées, les nouvelles générations se sont engagées… Les projets de reconstruction naîtront tout naturellement.

> Un Mai 68 à l’envers ?

La fiévreuse révolution de mai 1968 a inauguré un enchaînement libéral-libertaire dont la loi Taubira est l’exemple type. Mais les derniers flux des grandes marées descendantes croisent ceux de la marée montante. En réponse à l’individualisme hérité de 1968, je souhaite que 2013 ouvre le temps de l’interdépendance.

La culture de la toute-puissance, brutale, qui prétend affranchir l’homme des limites que constituent le corps (y compris l’altérité sexuelle), le temps et la mort, devra faire place à la culture de la vulnérabilité, paisible, qui place l’être humain le plus fragile — c’est-à-dire potentiellement chacun de nous — au cœur de la société.

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Euthanasie : scandale à l’hôpital

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La justice a ordonné que l’hôpital de Reims reprenne l’alimen­tation d’un homme que  l’équipe médicale avait cessé d’alimenter depuis 30 jours, dans l’intention de provoquer sa mort.

C’est une terrifiante histoire qui se déroule au CHU Sébastopol de Reims. Elle concerne Vincent Lambert, un homme de 37 ans qui y est durablement alité, à cause des séquelles d’un grave accident de la circulation survenu il y a plus de 4 ans et demi. Après avoir traversé une période de coma profond, l’homme se trouve depuis de longs mois dans un état intermédiaire dit « paucirelationnel ». C’est-à-dire qu’il alterne les moments de sommeil et les phases de « réveil » durant lesquelles il est en mesure de réagir aux stimuli, notamment de ses proches, de les suivre du regard, de sourire ou de manifester une émotion, mais sans s’exprimer de façon explicite.

Vivant sans le support d’aucun traitement médical, ni d’aucune aide respiratoire, l’homme était nourri et hydraté par sonde gastrique. Or, voilà que, sans prévenir ses parents — mais vraisemblablement avec l’accord d’autres proches très éprouvés par cette situation — l’équipe médicale a cessé le 10 avril 2013 d’alimenter le patient, tout en réduisant considérablement son hydratation. Le mobile de cet arrêt est sans équivoque : provoquer la mort.

Alertés le 26 avril 2013, au hasard d’une visite, de ce changement qu’ils avaient refusé lorsqu’on le leur avait suggéré, ses parents ont immédiatement protesté, mais n’ont pu obtenir gain de cause auprès de l’équipe médicale, le chef de service se réfugiant derrière une « décision collégiale ». Ils se sont donc résolus à saisir le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le 8 mai, d’une requête en référé « contre la décision du Centre hospitalier universitaire de Reims de provoquer la mort de Vincent Lambert par suppression de son alimentation depuis le 10 avril 2013 ».

Le tribunal administratif leur a donné droit, ordonnant le 10 mai que l’alimentation du patient soit immédiatement reprise. Une première en France qui pourrait avoir d’importantes conséquences. La situation ressemble à la controverse ayant accompagné, aux États-Unis, la fin de vie de Terri Schiavo. La jeune femme était décédée le 27 mars 2005 après treize jours d’agonie suivie en direct par tous les médias : sa sonde alimentaire avait été retirée sur ordre d’un tribunal, après dix ans de batailles judiciaires entre ses parents et son mari. Le Vatican avait aussitôt condamné cette mort administrée.

Depuis le vote de la loi Leonetti sur la fin de vie, obtenu  à l’unanimité à l’Assemblée nationale, on sait qu’un courant de pensée a choisi de l’interpréter dans un sens euthanasique, sans l’expliciter. L’exposé des motifs de la loi prétend que l’alimentation et l’hydratation sont des traitements (alors que, comme les soins d’hygiène, ce sont des soins de base toujours dus aux patients, sauf nécessité médicale) ; or, la loi confirme que des traitements médicaux doivent être interrompus s’ils s’avèrent disproportionnés et peuvent l’être s’ils sont refusés… Des équipes médicales ont donc prôné et mis en pratique l’arrêt d’alimentation et d’hydratation à visée euthanasique, éventuellement assorti d’une sédation terminale qui permet de masquer les symptômes de l’agonie.

Le docteur Xavier Mirabel, président d’Alliance VITA, dénonce dans cette pratique « l’euthanasie à la française » (cf. revue Liberté Politique, n°39, 2007). Les promoteurs de l’euthanasie la récusent désormais volontiers alors qu’ils n’ont pas hésité à la soutenir (cf. La Bataille de l’euthanasie, Salvator, 2012). Ils l’affirment « inhumaine ». C’est devenu pour eux un argument-clé pour promouvoir l’euthanasie par injection létale, plus expéditive.

Le scandale de l’interprétation abusive de la loi fin de vie éclate en France aujourd’hui, avec un patient qu’on veut faire mourir à l’insu de ses parents, alors qu’il n’a rien demandé. Et dans un contexte où l’on a découvert, grâce au neurologue Steven Laureys, du Coma Science Group de l’université de Liège, que les personnes en situation qu’on prétend « végétative » perçoivent souvent bien davantage leur environnement qu’on ne pouvait le penser.

On a même pu montrer que beaucoup trouvent des raisons de vivre, malgré leur immense dépendance. Selon plusieurs de ses proches, Vincent Lambert se rend compte de leur présence à son chevet. Il pleure actuellement beaucoup lors des visites. Nul ne sait s’il se remettra de ce que des soignants ont cru devoir lui imposer.

Le médecin s’est, quant à lui, montré décidé à reprendre à zéro le processus collégial interdisciplinaire pour stopper l’alimentation et provoquer sa mort.

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Mariage gay : et maintenant ?

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Au moment du vote « définitif », par l’Assemblée nationale, du projet de loi Taubira, se pose la question de l’avenir du grand mouvement social qu’il a suscité.

Quelle fut la différence entre la dernière manifestation du dimanche 21 avril et les autres ?

Ce fut une manifestation régionale, décidée à la hâte, à cause de l’accélération paniquée de l’exécutif. Elle a tenu ses promesses : d’abord, elle a été, de l’avis même de la police, nettement plus nombreuse que celle, comparable car régionale aussi, du 17 novembre 2012, et aussi plus variée dans ses participants. Ensuite, alors que le ministre de l’Intérieur avait pris le risque de prédire la haine, l’homophobie et la violence, allant jusqu’à évoquer le régime de Vichy pour nous décrire comme des « factieux », elle a été particulièrement paisible. Et c’est même l’entrée dans le grand silence de la non-violence intérieure qui a marqué ces derniers jours, avec l’émergence du mouvement des Veilleurs, dans toute la France. Tout cela atteste la pérennité de notre mouvement, mais aussi son approfondissement. Le temps n’est plus seulement à la protestation agitée dans la rue, même si le 26 mai, jour de la fête des mères devra être une magnifique manifestation ; il est aussi à la contre-proposition intellectuelle et politique. Un mouvement nouveau, que d’aucun voudraient vite enterrer, est en train de naître…

Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de « libérer l’homophobie ordinaire » ?

Ils jettent de l’huile sur le feu. SOS homophobie m’a clairement dit, sur France Culture, que s’opposer à ce projet de loi était intrinsèquement homophobe, et que même nos amis homosexuels, porte-parole de la Manif pour tous, dont ils partagent avec nous les banderoles de tête, sont homophobes ! Alors, évidemment, il y a de quoi prendre peur, quand on prétend que des millions de personnes sont prêtes à s’en prendre aux personnes homosexuelles ! Fort heureusement, il n’en est rien en réalité. Et les faits divers qui sont mis en exergue n’ont rien à voir avec notre mouvement. Une attaque de skinhead avait déjà été perpétrée, l’an dernier, contre l’établissement homosexuel de Lille qui en a été à nouveau victime… Cela avait fait moins de bruit… Pourquoi ?

Il y a tout de même des accusations et des menaces contre des élus qui soutiennent ce projet…

Oui, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, en a été victime le 22 avril, comme l’ont été également des opposants au projet de loi. Nous devons tous condamner toute forme d’exaction et d’intimidations. Je condamne fermement toute menace contre quiconque, et je suis stupéfait de la façon dont elles sont relayées à sens unique. Sur les conseils de mon avocat, j’ai été obligé de me rendre à la gendarmerie samedi soir pour signaler les menaces de mort, signées, datées, publiques et réitérées que je venais de recevoir via Twitter. Un jeune homme à visage découvert y affirme d’abord : « On l’aura votre peau, vous brulerez sur le bûcher de la haine ». Alors que je l’appelle au calme, il réitère, toujours en s’adressant à moi : « Puisque personne ne s’oppose à vous, je vais le faire demain et en force !!! Le sang coulera ! » Un ministre de l’Intérieur qui aspire à devenir homme d’Etat s’honorerait à dénoncer toutes les violences et toutes les menaces mais aussi à exprimer des signes de respect pour l’exemplarité non-violente de notre mouvement. Quel est le bilan, en termes de voitures brûlées, de vitrines cassées et d’agents de la force publique blessés ? Nul. Quel contraste avec les mouvements quasi-insurrectionnels que les gouvernements successifs doivent affronter ici ou là, lors de mouvements protestataires mais beaucoup plus dangereux pour l’ordre public, alors qu’ils sont bien moins nombreux ! Notre puissance est celle de la paix intérieure.

Comment comptez-vous transformer cette puissance, malgré la défaite ?

Je vois plutôt dans notre mouvement  la promesse d’une victoire. Celle d’un projet de société plaçant l’être humain le plus vulnérable comme priorité dans tous les domaines : la politique, l’économie, l’éducation, la bioéthique, l’environnement, le dialogue Nord-Sud etc. Je pense que l’idéologie du genre ne serait pas entrée si facilement à l’école (c’était sous le précédent gouvernement) dans le contexte actuel décomplexé. Derrière les banderoles de la Manif pour tous, comme derrière les barricades de mai 68, s’opèrent des rencontres improbables et prometteuses, se noue une « conscientisation » des plus jeunes aux défis de notre temps, naissent des vocations associatives et politiques… Notre mouvement social a généré sa propre force. Et c’est magnifique de voir que les manifestants ne se contentent pas de « commenter » ce qui se passe dans la société, ils sont prêts à s’impliquer, à changer leur propre mode de vie… Avec Pierre-Yves Gomez et Gilles Hériard Dubreuil, nous voyons l’écologie humaine, qu’on peut aussi nommer l’écologie de l’homme, comme un projet généreux, capable de répondre à la défaite des postures libérales-libertaires individualistes. Ce forum interdisciplinaire contribuera à prolonger le magnifique mouvement social qui continue de naître, en répondant aux défis technologiques qui menacent l’essence de l’homme. Peu importe que la plupart des politiques, focalisés sur les rapports d’intérêt, n’aient aucune compréhension de ce qui se passe, pour le moment. Et spécialement le gouvernement actuel qui a visiblement beaucoup de mal avec la vérité et avec l’amour. Un seul exemple : quand madame Bertinotti nous assène que” l’accouchement ne fait pas la mère”. Que tous les idéologues reviennent plutôt au réel, en s’émerveillant que l’altérité sexuelle soit à la source de chaque vie.

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Ce mariage forcé nous renforce

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Le processus de vote de la loi Taubira a été soudain accéléré en vue d’un vote définitif dès le mardi 23 avril. Panique au gouvernement ?

Propos recueillis par Frédéric Aimard

Comment interprétez-vous cette accélération ?

Elle intervient dans la droite ligne de l’ensemble du processus. C’est un projet de loi de toute-puissance sur le fond, marqué, sur la forme, par la volonté d’escamoter le débat, à l’image du slogan trompeur « mariage pour tous ». Erwan Binet, son rapporteur à l’Assemblée nationale, a assumé ses auditions sélectives en affirmant que nous n’avions « pas d’argument de fond » ; son alter ego au Sénat, Jean-Pierre Michel, a refusé de nous auditionner au motif que nous étions « les pires des homophobes ». Entre-temps, les quelque 700 000 signatures de la plus grande pétition jamais organisée en France ont été écartées d’un revers de main. Un dérisoire vote à main levée a clos la séquence sénatoriale. Et voilà que la majorité embraye sur la seconde lecture à l’Assemblée…

Le pouvoir imagine peut-être provoquer l’extinction de notre mouvement en bâclant la fin de la procédure… Mais à chaque fois que l’exécutif a tenté de nous étouffer, il a surtout provoqué la croissance de ce mouvement, dont il avait suscité l’émergence par sa promesse électorale insensée.

Ne craignez-vous pas cependant une lassitude de l’opinion tout autant qu’un épuisement des manifestants ?

Au contraire, plus les jours passent, plus les Français se demandent dans quelle impasse leur président s’est engagé. Les sondages d’opinion évoluent chaque mois dans le sens d’un rejet croissant et désormais très majoritaire de cette loi.

L’efficacité de notre travail d’explication sur le terrain est en train de payer. Nous sommes en effet en mesure de démontrer que, par un jeu de dominos, ce prétendu « mariage pour tous » aboutirait à vider le mariage de son sens profond, tout en encourageant un marché des êtres humains sur commande : pour un prix de 100 000 dollars pièce, l’enfant conçu par GPA et PMA, selon la révélation du Figaro du 11 avril !

Ce que le gouvernement n’a pas encore compris, c’est que notre mouvement de résistance génère sa propre force : chaque personne ralliée peut devenir un média à elle toute seule (via les réseaux sociaux sur Internet) dès lors qu’elle s’engage, se forme, argumente… Les rencontres que nous faisons au cœur de nos manifestations et en marge de nos meetings sont marquées par la mixité sociale et la diversité. Je vois naître une nouvelle génération de Français qui s’impliqueront durablement pour le bien commun et la paix sociale.

Pourtant, le gouvernement et les médias parlent de radicalisation et de violence. Que leur répondez-vous ?

Le pouvoir joue avec le feu. Normalement, un mouvement social de l’ampleur du nôtre — inédit par sa vitesse d’émergence, son mobile altruiste et, désormais, sa ténacité — devrait recevoir une marque de respect. Ne serait-ce que par prudence politique. D’autres hommes d’État auraient eu à cœur de nous donner des signes d’apaisement, voire des garanties par rapport à ce que nous décrivons comme perspective inéluctable liée à ce projet… Or, c’est exactement l’inverse qui se passe.

L’erreur des promoteurs du projet, c’est de tout analyser en termes de rapports d’intérêt, sans voir que ce sont ceux qui n’ont rien de personnel à défendre qui sont les plus déterminés.

Jusqu’à devenir dangereux pour l’ordre public ?

N’exagérons pas… À ma connaissance, il n’y a heureusement eu ni voiture brûlée, ni vitrine brisée, ni barricade enflammée… Comment le pouvoir peut-il nous faire passer pour de virulents homophobes, alors que des personnalités homosexuelles défilent dans nos rangs ? Nous ne sommes pas dupes du piège qui nous est tendu : on veut d’abord nous présenter comme hostiles à une catégorie de personnes, celles qui sont concernées par l’homosexualité, et cela peut effectivement les insécuriser… Ensuite, on amalgame à notre mouvement des faits divers qui n’ont rien à voir avec l’opposition à la loi Taubira. Enfin, on met en avant quelques groupuscules douteux bien identifiés, à ne pas confondre avec l’agitation de jeunes qui sortent légèrement des clous, sans porter toutefois atteinte ni aux biens ni aux personnes… Après avoir laissé en liberté les Femen récidivistes, qui avaient investi à demi-nues la cathédrale Notre-Dame en vociférant, le ministre de l’Intérieur a fait le choix de placer en garde à vue 67 jeunes qui avaient déployé leurs tentes sur une place publique… Le signal est explicite.

La non-violence est notre plus bel atout. Dans une société démocratique qui demeure attachée à la liberté d’expression, la colère et l’écœurement peuvent parfaitement s’exprimer de façon paisible. C’est une idéologie, et non des personnes, que nous avons comme adversaire.

En se débarrassant aussi vite de ce texte, le gouvernement ne va-t-il pas, tout de même, démobiliser une bonne partie de votre mouvement ?

Je n’en crois rien. La libération des esprits a commencé. La conscience profonde que nous avons de l’injustice de ce projet et de ses conséquences en cascade est irrépressible. Le mois de mai verra fleurir d’immenses manifestations au service de l’humanité de demain. Peu importe que ceux qui nous gouvernent en soient stupéfaits : l’essentiel est que la conscience de devoir défendre l’homme contre lui-même ait progressé de façon fulgurante…

C’est une priorité à décliner dans de multiples domaines, dans l’esprit de ce courant d’écologie humaine dont nous avons annoncé la naissance, avec l’économiste Pierre-Yves Gomez et le spécialiste des crises environnementales du long terme Gilles Hériard Dubreuil.

Prochaines échéances ?

Du côté de la Manif pour tous, ce sont des rendez-vous quotidiens à proximité de l’Assemblée nationale jusqu’au moment du vote, qui devrait intervenir le mardi 23 avril. Est également lancée une mobilisation d’ampleur régionale le dimanche 21 avril à Paris, en attendant celle du 5 mai, avec, en perspective, la date importante du 26 mai… Dans le même temps, je travaille en profondeur sur cette thématique de l’écologie humaine, avec des intellectuels de premier plan. Il est en effet essentiel de concilier la résistance au jour le jour et la proposition positive, construite sur le long terme.]]>