La Cour des Comptes appelle à un renforcement des soins palliatifs

La Cour des Comptes appelle à un renforcement des soins palliatifs

La Cour des Comptes appelle à un renforcement des soins palliatifs

 

Dans un rapport épais de 124 pages, la Cour des Comptes publie un état des lieux des soins palliatifs et appelle à leur renforcement.

Intitulé “Les soins palliatifs, une offre de soins à renforcer”, ce rapport avait été commandé par la présidente de la Commission sociale de l’Assemblée en juillet 2022. Son constat général est en demi-teinte comme le souligne le titre, et il s’articule autour de trois grands axes :

  • une situation générale en amélioration avec des besoins encore largement non pourvus,
  • une politique publique plus volontaire mais une organisation  administrative trop timide,
  • un accès aux soins palliatifs trop centré sur l’hôpital et encore insuffisant en ville.

La Cour des Comptes formule dix recommandations pour améliorer les outils d’évaluation et de suivi de l’offre et des besoins, pour piloter le développement attendu dans les prochaines années, et améliorer l’accès pour les patients.

Les constats sur l’offre actuelle de soins palliatifs

L’accès aux soins palliatifs est un droit, inscrit dans l’article L1110-9 du code de la santé publique. Il comprend le soin et l’accompagnement : “toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement“. Ce droit relève du droit constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la prise en charge de la souffrance étant “un des aspects les plus importants de cette dignité“.

La définition des soins palliatifs établie dans le code de santé publique se retrouve au début du rapport : “soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage“. Les auteurs soulignent également que “le concept de soins palliatifs a ainsi évolué : la notion de phase curative puis palliative d’une maladie s’efface au bénéfice d’une prise en charge coordonnée et adaptée tout au long de la maladie.”

En partant d’une définition canadienne des besoins en soins palliatifs qui s’appuie sur une liste de pathologies, la Cour estime qu’un peu plus de 60% des personnes décédées dans l’année devraient bénéficier de ces soins. Cette estimation est fortement dépendante de la liste des pathologies. Dans une annexe, le rapport utilise trois méthodologies distinctes et obtient des pourcentages entre 62% et 80%.

Selon la Cour, la hausse des besoins à venir viendra essentiellement du vieillissement de la population d’ici à 2050. L’estimation des besoins passerait de 379 000 à 470 000 en 2046.

Pour estimer “l’offre disponible”, les auteurs admettent ne pas avoir les informations adéquates. Cependant, ils affirment que l’offre a augmenté sur les dernières années. Ainsi, à l’hôpital, entre 2013 et 2021, on dénombre environ 1500 lits supplémentaires pour atteindre 7529 lits au total. Les disparités régionales demeurent cependant fortes. Il est plus difficile d’évaluer la situation pour les soins en ville et à domicile.

Au total la dépense publique pour les soins palliatifs est évaluée à 1,5 Milliards d’euros en 2021, en hausse de 25% depuis 2017.

Limites de la politique publique sur les dernières années

Depuis 1999, la loi garantit « le droit à l’accès aux soins palliatifs au sein des institutions sanitaires ou médico-sociales comme à domicile.” Des plans se sont succédés depuis, avec deux périodes non couvertes. Le rapport note que “le plan 2008-2012 a donné une nette impulsion aux soins palliatifs en France, avec trois grands axes : la poursuite du développement de l’offre hospitalière et l’essor des dispositifs extrahospitaliers, l’élaboration d’une politique de formation et de recherche et l’accompagnement offert aux proches“.

Malgré l’ambition affichée par le plan 2015-2018, l’impact a été “modeste”, le rapport pointant un manque d’outils de pilotage, c’est-à-dire des objectifs chiffrés assortis d’un calendrier. Ce manque a une incidence à la fois sur la mise en œuvre et sur la possibilité d’un suivi et d’une évaluation.

Le rapport pointe directement le flou de certains axes du plan : “La mesure 9 attachée à l’axe 3 « développer les soins palliatifs en Ehpad » renvoie, par exemple pour la présence des infirmières de nuit en Ehpad, à un groupe de travail qui « fera des propositions » ou à des « partenariats, des accords ou des outils d’évaluation », une mesure ressemblant davantage à une déclaration de (bonne) intention qu’à un plan d’action… Le rapport qualifie enfin le plan actuel 2021-2024 : il “comporte les mêmes défauts que le plan précédent, sans objectifs qualitatifs et calendaires ». Cette situation semble assez courante.

Selon un rapport de l’OCDE, sur 23 pays étudiés, 14 n’ont ni programme ni stratégie. Les auteurs suggèrent que le Royaume Uni et l’Autriche pourraient inspirer la France pour sa stratégie.

Par ailleurs, ces plans ont le défaut de ne pas être inscrits dans la stratégie nationale de santé, et ils ne sont pas articulés avec les autres plans ciblant des pathologies (plan cancer, plan maladie neuro-dégénératives…). Entre autres exemple cités : “le 3ème plan d’amélioration de la prise en charge de la douleur comportait des mesures concernant les soins palliatifs dans les Ehpad, sur la formation des personnels soignants et sur la collaboration entre les différents acteurs. Néanmoins ce plan n’a pas été renouvelé depuis 2010“.

Selon les auteurs, il faudrait aussi un pilotage unique au niveau national en lien avec les Agences Régionales de Santé.

Etudiant la question épineuse du financement, le rapport souligne que “la prise en charge palliative, lorsqu’elle a lieu au bon moment, et de façon suffisamment précoce dans le parcours de soins, mobilise des soins moins onéreux que ceux qui sont prodigués sans soins palliatifs. C’est le résultat de l’analyse de plusieurs études, française et anglaise, aux termes desquelles la notion de sobriété thérapeutique, inhérente aux accompagnements en soins palliatifs, permettrait des parcours significativement moins dispendieux“. Ce résultat souligne la compatibilité, par une approche palliative, de qualité de fin de vie et maîtrise du coût des soins.

La diffusion des directives anticipées, et leur numérisation, est un axe poussé par la Cour des Comptes. Selon la Haute Autorité de la Santé (HAS), 70% des Américains auraient rédigé leurs directives anticipées DA, alors que le pourcentage est inconnu en France, mais probablement très faible.

Concernant l’accompagnement de la fin de vie, le rapport note l’existence dans des pays étrangers (Danemark, Autriche) “dans un registre différent de celui du bénévolat d’écoute, du bénévolat de service“. L’association Visitatio -voisins et soins, de même inspiration, est citée par la Cour.

Les auteurs recommandent le développement de cet “accompagnement non médicalisé aux soins palliatifs” qui “relève, pour une large part, de l’empathie et de la capacité à accompagner, par une présence, par des mots choisis, et par de la bienveillance, le patient souvent apeuré par l’arrivée imminente de la mort. Des bénévoles formés et encadrés peuvent être une source d’apaisement et de généralisation de culture palliative, qui se doit d’être bienveillante. Le ministère de la santé pourrait donc lancer sans tarder, dans le cadre du futur plan 2024-2027, un groupe de travail pour la généralisation du bénévolat à l’accompagnement à la fin de vie“.

Elargir l’accès aux soins palliatifs en dehors de l’hôpital

53% des Français meurent à l’hôpital (chiffre 2018), mais 60% souhaitent mourir chez eux (sondage CNSPFV).

L’offre de soins à domicile et en Ehpad est insuffisante. Environ 150 000 personnes décèdent chaque année dans un Ehpad, et “la prise en charge palliative en Ehpad est l’un des enjeux-clefs pour développer l’accès aux soins palliatifs, mais, de l’avis de l’ensemble des ARS interrogées, les principaux obstacles sont, comme pour les soins de ville, outre la démographie médicale déclinante, à laquelle s’ajoute plus spécifiquement le manque d’infirmière disponibles, surtout la nuit, l’insuffisante formation des aides-soignantes et de l’ensemble du personnel non médical intervenant en Ehpad“.

Le rapport appuie donc les initiatives locales de formation et de coordination entre les équipes mobiles et les Ehpad. Il appelle à un “plan de formation d’envergure pour les professionnels non médicaux“.

Dans sa conclusion, le rapport synthétise ses recommandations pour renforcer l’offre de soins palliatifs et rendre le droit à ces soins effectifs. Une note de bas de page précise qu’en “complément de la réflexion qui s’engage sur le suicide assisté, certaines associations font valoir que si l’offre de soins palliatifs pouvait couvrir complètement les besoins, la demande de suicide assisté serait moindre“. De fait, différentes études ont montré la très faible persistance de demandes lorsque les malades sont pris en charge.

Mais au-delà d’une approche économique de type “offre et demande”, c’est bien le principe de dignité et de droit aux soins qui doit conduire les pouvoirs publics pour la mise en place du plan 2024-2027. Et cette dignité n’est pas compatible avec un projet de légalisation d’une forme de mort administrée.

 

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Un manque crucial de moyens face au défi du grand âge selon une enquête VITA

Un manque crucial de moyens face au défi du grand âge selon une enquête VITA

Un manque crucial de moyens face au défi du grand âge selon une enquête VITA

 

Au moyen d’entretiens conduits par ses volontaires auprès de 125 professionnels et bénévoles dans une quarantaine de départements, Alliance VITA a mené une enquête de terrain auprès des acteurs du grand âge. Si des progrès ont été accomplis dans la formation, la sensibilisation, l’information et la coordination ces dernières années, une grande partie de ces acteurs observent un manque de plus en plus criant de personnel dans le secteur.

Dans la même lignée que l’enquête menée auprès d’acteurs en soins palliatifs, les volontaires d’Alliance VITA ont conduit des entretiens individuels auprès d’acteurs variés du grand âge entre novembre 2022 et février 2023, afin de recueillir leurs perceptions sur l’état actuel de l’accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie dans leurs départements.

Au total, 125 acteurs du grand âge ont été interrogés, exerçant dans différentes structures et différentes professions : médecins généralistes, gériatres, professionnels de l’aide à domicile, personnels d’EHPAD, membres d’associations…Seuls 13 % estiment que les personnes âgées en perte d’autonomie peuvent être accompagnées de façon satisfaisante dans leur ville ou leur département. Ils sont 45 % à penser le contraire et 35 % d’entre eux sont partagés.

Ces professionnels et bénévoles ont été interrogés sur ce qui a progressé et sur ce qui s’est dégradé selon eux dans l’accompagnement et la prise en charge des personnes âgées depuis cinq ans.

Des progrès dans l’information et la formation

71 % des personnes rencontrées voient des progrès dans la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie.

Que ce soit en EHPAD, en milieu hospitalier ou dans l’aide à domicile, plusieurs personnes notent des progrès dans la formation du personnel soignant, qui permet selon elles un meilleur accompagnement de la fin de vie. Plusieurs constatent aussi une meilleure sensibilisation, une prise de conscience.

Des structures ont été créées pour informer les familles et mettre en relation les différents acteurs. Les Centres locaux d’Information et de Coordination gérontologique (CLIC) fournissent aux personnes âgées et à leurs familles conseils et orientation. Créés en 2019, les dispositifs d’appui à la coordination des parcours complexes (DAC) intègrent plusieurs dispositifs de coordination. La coopération entre les différents acteurs locaux a progressé.

Un maintien plus long des personnes dépendantes à domicile

Plusieurs sondés saluent également la possibilité de maintenir plus longtemps les personnes âgées à domicile, grâce notamment aux progrès de l’hospitalisation à domicile et les dispositifs de soutien déployés pour permettre aux personnes de rester chez elles (revalorisation de l’APA, augmentation de la rémunération des aides à domicile). Des solutions de répit ont également été fournies aux aidants.

Un manque criant de personnel

Malgré les progrès constatés, 87 % des professionnels et bénévoles interrogés ont vu des choses régresser depuis cinq ans. Le constat le plus partagé est la pénurie de plus en plus criante de personnel. Cette pénurie est observée aussi bien dans le secteur de l’aide à domicile que dans les EHPAD. Le manque de médecins est également déploré.

Liée au vieillissement de population, cette pénurie est aussi due au manque d’attractivité des métiers du grand âge, souvent mal rémunérés et avec des horaires qui peuvent être contraignants (travail le soir et le week-end…). Certains regrettent aussi un manque de reconnaissance de ces métiers. Plusieurs professionnels signalent un fort taux d’absentéisme, des arrêts maladie fréquents, une difficulté à recruter et à pérenniser des personnes dans ces métiers…Cela peut conduire parfois à recruter du personnel non qualifié.

Le manque de personnel a provoqué une dégradation des conditions de travail pour tous les soignants du secteur, qui voient leur propre charge de travail augmenter. Quand on les interroge sur leur quotidien, plusieurs regrettent de ne pas pouvoir passer plus de temps avec les patients et les familles. Ils déplorent également la part importante du temps prise par des procédures administratives.

Les effets néfastes de la pandémie de COVID

La COVID est régulièrement citée comme ayant eu des conséquences néfastes pour la prise en charge des personnes âgées. En particulier, de nouvelles procédures au sein des EHPAD et la limitation des visites renforcent l’isolement des personnes âgées. Malgré la fin de la pandémie, les limitations se poursuivent. La pandémie a également contribué à décourager les personnels soignants et à aggraver encore la pénurie. Certains observent chez les soignants une perte de sens de leur travail.

En conclusion, l’enquête menée par Alliance VITA auprès d’acteurs du terrain du grand âge dans différents départements souligne l’urgence de mettre en place des moyens conséquents pour prendre soin de nos aînés, alors que le secteur manque cruellement de personnel et que les conditions de travail se dégradent.

Le Ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, Jean-Christophe Combe, a promis une réforme du Grand Âge dont le détail des mesures doit être présenté en juin 2023. Encore faut-il que cette réforme soit à la hauteur des enjeux immenses de ce secteur.

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L’euthanasie en Belgique en hausse continuelle

L’euthanasie en Belgique en hausse continuelle

L’euthanasie en Belgique en hausse continuelle

 

La Commission fédérale de Contrôle et d’Évaluation de l’Euthanasie a publié récemment deux types de rapports : les statistiques de l’euthanasie pour 2022 révélant des chiffres en hausse continuelle et le rapport bisannuel 2020-2021 qui analyse de manière plus détaillée l’évolution des cas d’euthanasie.

Poursuite de la hausse du nombre d’euthanasies en Belgique

2 966 euthanasies ont été pratiquées sur les 116 500* décès de l’année 2022, soit un nombre record depuis la légalisation en 2002, en augmentation de 9,9% par rapport à l’année précédente.

Cela représente 2,5% des décès. La Commission de contrôle reconnait qu’elle « n’a pas la possibilité d’évaluer la proportion du nombre d’euthanasies déclarées par rapport au nombre d’euthanasies réellement pratiquées. » Des études scientifiques évaluent de 25 à 35% le nombre d’euthanasies non déclarées qu’il conviendrait d’ajouter au chiffre officiel. (JPSM, 2018).

Les actes d’euthanasie demeurent majoritairement supérieurs en Flandre (70,4%) par rapport à la Wallonie (29,6%) même si ce pourcentage évolue à la hausse dans la partie francophone. Le rapport était de 75% -25% sur la période 2020 -2021.

La proportion des décès non prévus à brève échéance représente 17% des euthanasies en 2022 contre 14% sur la période 2020-2021.

Contrairement à ce qui est annoncé par certains promoteurs de l’euthanasie, le nombre de patients étrangers ayant recours à l’euthanasie demeure faible : 61 patients étrangers dont 53 français.

Une interprétation extensive de la loi sur l’euthanasie

L’Institut européen de bioéthique a effectué une analyse détaillée des raisons invoquées pour l’euthanasie. On y constate une interprétation extensive de la loi notamment concernant les souffrances psychiques et psychiatriques, ce qui a été également soulevé dans une étude récente. Comme le souligne l’Institut européen de bioéthique :

« Le constat dressé par les auteurs est d’autant plus interpellant que l’objectif du législateur de 2002, en dépénalisant l’euthanasie, était de mettre fin aux euthanasies clandestines et de limiter l’euthanasie à des cas exceptionnels. Ces deux objectifs restent cependant bien loin de la réalité. »

 

 

Décryptage : discours d’Emmanuel Macron à l’issue de la Convention citoyenne sur la fin de vie

Décryptage : discours d’Emmanuel Macron à l’issue de la Convention citoyenne sur la fin de vie

Le 3 avril dernier, Emmanuel Macron a prononcé un discours sur la fin de vie pour annoncer la préparation d’un “modèle français”.

Reçus à l’Elysée au lendemain de la clôture de leurs travaux, les membres de la Convention citoyenne ont écouté un long discours faisant l’éloge de leur parcours délibératif et dessinant les prochaines étapes. Le président de la République a repris à son compte les deux volets des débats et des conclusions de la Convention citoyenne : développement des soins palliatifs et convergence sur “l’aide active à mourir”.

“Participer à la formation de la décision collective”

Evoquant le risque de “rouille démocratique”, le discours d’Emmanuel Macron a fait plusieurs fois l’éloge des travaux de la Convention citoyenne. Qualifiée “d’innovation démocratique“, les mérites de la Convention seraient à la fois d’être une enceinte pour que “se joue toute la complexité du débat” et un lieu qui “apaise parce qu’elle est une enceinte de scrupules, de travail, de pure aventure intellectuelle et éthique“. Sans remplacer le processus parlementaire, dont “la légitimité de son pouvoir est un pilier de notre démocratie”, la convention aurait donc la vertu de “préparer” et même “permettre” la délibération parlementaire.

“Donner une place à la voix minoritaire”

Les votes de la Convention citoyenne ont largement appuyé une forme de légalisation de la mort administrée. Tout en reconnaissant qu’ “au moment du vote, le fait majoritaire peut donner le sentiment qu’il écrase les voix minoritaires”, Emmanuel Macron a estimé que le rapport a donné une place au dissensus. La méthode de la Convention a permis de faire émerger des voix majoritaires tout en respectant les voix minoritaires. Comment ? “En leur donnant une place et en leur permettant de cheminer à côté, en les entendant, en leur donnant leur place dans la délibération, puis en les reconnaissant dans le travail”. Le discours ne précise pas si cette voix minoritaire sera intégrée dans les choix à venir. Le process d’écoute et de cheminement de citoyens est présenté en soi comme un résultat. Il s’est construit “un modèle français d’éthique de la discussion, une éthique de la discussion organisée par une institution de la République et incarnée par des citoyens engagés“.

Ce modèle a dégagé un résultat : “Vous y avez apporté des réponses claires, vous vous êtes forgé une conviction propre. Vous vous êtes prononcés aux trois-quarts pour une aide active à mourir, sous ses formes différentes, du suicide assisté, avec exception d’euthanasie ou des deux au libre choix de la personne concernée“.

Allant plus loin, le discours fait paraitre en filigrane une acceptation des résultats de la Convention :

Vos réponses sont importantes parce qu’elles traduisent une forme de vérité qui ne peut qu’interpeller. Comme il y a une volonté générale qui dépasse la somme de toutes les volontés particulières, voilà une conviction générale, au sens où elle est celle formée, forgée au-delà de la conviction de chacun. Celle-ci est non le produit d’une somme de perception, mais elle est le fruit d’une délibération. Elle est un ouvrage même de réflexion. Et je le dis clairement, cette expression de la Convention porte en elle une exigence et une attente, c’est celle d’un modèle français de la fin de vie. Nous y répondrons.

L’esquisse du “modèle français” de la fin de vie

Un des éléments forts du discours est logiquement l’annonce d’un projet de loi sur la fin de vie élaboré d’ici la fin de l’été. Mais il évite de tracer des contours trop net en parlant de “co-construction” entre le gouvernement, le Parlement, et “en lien avec toutes les parties prenantes“. Les parties prenantes ne sont pas nommées : les soignants seront-ils interrogés particulièrement ?

En parallèle, le discours mentionne le besoin de trouver “les bons mots“, mission confiée à Erik Orsenna, pour pouvoir “ainsi, à travers cette maturation, permettre, je le souhaite, je le crois, de tracer un nouveau jalon vers ce modèle français de la fin de vie“.

Premier volet de ce modèle, les soins palliatifs dont la Convention a souligné l’importance. Emmanuel Macron a repris cette urgence à son compte : “Je crois qu’une solution unanimement préconisée doit être maintenant rigoureusement mise en œuvre. Il nous faut mieux faire appliquer la loi Claeys-Leonetti, comme le souligne aussi très bien la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale. Nous avons en la matière une obligation d’assurer l’universalité de l’accès aux soins palliatifs, de diffuser et d’enrichir notre culture palliative et de rénover la politique de l’accompagnement du deuil.”

En conséquence, un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs est annoncé.

Sur la question de la mort administrée, euthanasie ou suicide assisté, des “lignes rouges” paraissent “utilement encadrer l’hypothèse d’un modèle français de la fin de vie, et constitue notre point de départ.”

Les lignes citées sont le discernement et “l’expression de la volonté libre et éclairée”, la condition médicale présentant un caractère de souffrance réfractaire, d’incurabilité, “voire l’engagement du pronostic vital”. Sont mentionnées également le besoin de procédures, le refus d’ouvrir cette possibilité aux mineurs, et l’attention au fait que “jamais une aide active à mourir, ne devrait, ne devra être réalisée, pour un motif social pour répondre à l’isolement qui parfois peut culpabiliser un malade qui se sait condamné à terme et voudrait en hâte programmer l’issue, afin de ne pas être une charge pour les siens et pour la société”.

Au total, une nouvelle séquence s’ouvre avec la préparation d’un projet de loi sur la fin de vie selon un modèle français qui reste à définir. Le discours tente une synthèse “en même temps” entre soins palliatifs et ouverture d’une forme d’euthanasie et, ou de suicide assisté. Un exercice de juxtaposition que d’autres pays ont déjà tenté, sans succès. Comme l’indiquait Theo Boer dans une tribune de décembre :

Si le système le plus encadré et le mieux contrôlé au monde (ie les Pays Bas) ne peut garantir que l’aide à mourir reste un dernier recours, pourquoi la France y arriverait-elle mieux ?“.

 

 

Appel à une pause des développements en Intelligence Artificielle : qu’en penser ?

Appel à une pause des développements en Intelligence Artificielle : qu’en penser ?

Un appel a été lancé par une organisation non gouvernementale américaine “Future of Life Institute” (FLI) pour faire une pause dans les développements en Intelligence Artificielle.

Qui lance cet appel?

Un institut sous influence…

Cet institut d’influence et de lobbying (Think Tank) créé en 2015 s’est donné l’objectif d’évaluer les technologies transformantes qui peuvent potentiellement avoir des risques “extrêmes” à grande échelle pour l’humanité. 4 risques majeurs sont étudiés : l’intelligence artificielle, les biotechnologies, les armes nucléaires et le changement climatique. Il agit concrètement par du lobbying auprès des institutions nationales et internationales (Etats Unis, Union Européenne, ONU…), par la diffusion d’information et de formations, par le financement de recherches et enfin par l’organisation d’évènements et de conférences. Selon le registre de transparence de l’Union Européenne, le financement (relativement faible) de cet institut en 2021 se montait à 4 millions d’euros dont l’essentiel (3,5 millions) provenait de dons de la fondation Musk détenue par Elon Musk. La même année, cet institut a livré des recommandations sur l’AI Act qui prévoit une réglementation européenne sur les systèmes d’IA.

En 2015, lors de son lancement, le think tank a commencé par définir ses objectifs sur l’intelligence artificielle (version en Français). Il entendait s’attaquer à ce qu’il appelle les mythes les plus courants à son sujet tels que : “Nous avons encore le temps avant que la super intelligence devienne réalité”, “l’IA peut devenir malfaisante”, “l’IA peut développer une forme de conscience”, “l’IA ne peut pas contrôler les humains”, “les machines ne possèdent pas d’objectifs”…   En 2017, il a organisé  une conférence sur les bénéfices de l’Intelligence Artificielle. Elle a réuni un panel de leaders du numérique dont Ray Kurzweil (Google), Demis Hassabis (DeepMind),  Jaan Tallinn (Skype) pour échanger sur des scénarios autour de l’avènement de cette “super-intelligence”. Cette conférence qui s’est tenue à Asilomar en Californie a donné lieu à une déclaration de principes sur l’intelligence artificielle auto-proclamés les “Principes d’Asilomar”. Toutes les réflexions de cette conférence se fondent sur la présupposition qu’une “super intelligence”, plus puissante que l’intelligence humaine, va voir le jour à un certain moment. Pourtant, de nombreuses questions sont soulevées dans les domaines scientifique (l’article de Nature de 2020 ou l’ouvrage  collectif du groupement de recherche en Intelligence Artificielle du CNRS en France) et philosophique : qu’est-ce que l’intelligence ? L’intelligence se réduit-elle à des tâches à accomplir? Quelle place pour l’intelligence émotionnelle, relationnelle, corporelle et même spirituelle?

Pour cet Institut, les interrogations portent davantage sur l’horizon auquel cette super intelligence verra le jour et sur la vitesse à laquelle la société réussira à s’adapter face à cet avènement. L’appel à la pause dans le développement n’est donc pas nouveau, il est dans la continuité de ses activités précédentes.

…des signatures non contrôlées

Concernant les signataires de cet appel, aucun contrôle n’est effectué sur leur rôle ou leur profession. Revendiquant à son lancement en mars 2023, 1000 signatures de leaders du monde du numérique (chercheurs, professeurs, patrons de start-ups…), il recueillait environ 3300 signatures au 3 Avril 2023 et 20000 au 11 Avril 2023 ce qui est plutôt faible à l’échelle mondiale.

Pourquoi cet appel intervient juste après l’arrivée de Chat GPT ?

L’appel mentionne ChatGPT dès son introduction : “Nous appelons les laboratoires de l’IA à faire une pause immédiate pendant au moins 6 mois dans l’entrainement des systèmes d’IA plus puissant que GPT-4″. L’appel se positionne d’emblée en réaction aux développements récents du “Chatbot” ChatGPT (notamment sa dernière version GPT-4) dont les limites et l’approche ont déjà été décrits dans un précédent article. L’appel assimile ChatGPT à une intelligence artificielle générale (donc proche d’une intelligence humaine) alors que ce modèle n’est pas fiable (réponses fausses, incohérentes voire imaginées) et que ses sources ne sont ni référencées ni authentifiées (comme indiqué par Laurence Devillers, professeure d’informatique appliquée aux sciences-sociales à la Sorbonne dans l’émission de France Inter).

“Les systèmes d’IA contemporains deviennent désormais des concurrents aux humains pour les tâches générales”.

Cette déclaration s’appuie uniquement sur deux références qui survalorisent les développements les plus récents de OpenAI, la société créatrice de ChatGPT : la première est un article publié par  OpenAI et qui n’est pas considéré comme une publication scientifique et la seconde est un article pas encore publié  par des chercheurs de Microsoft (qui a massivement investi dans OpenAI). L’assimilation par Microsoft de ChatGPT à un prémice de l’Intelligence Artificielle Généralisée (AGI) constitue d’ailleurs le discours commercial de cette société qui fait partie des co-signataires initiaux de l’appel afin de faire croire à une révolution.  Or, plusieurs voix de chercheurs comme Yann Lecun,  AI director de Méta ex Facebook et qui n’a pas signé l’appel ou la chercheuse française Chloé Clavel, Professeure associée en informatique affective à Telecom ParisTech, indiquent qu’il ne s’agit en rien d’une révolution technologique et que la nouveauté réside dans son accessibilité au grand public.

Cet appel semble faire partie d’un plan de communication bien organisé pour valoriser ce qui a été développé récemment dans ce domaine et attirer toujours plus de capitaux. Rappelons les liens initiaux très forts entre Elon Musk et OpenAI dont il est l’un des co-fondateurs. Cet appel s’inscrit aussi dans la bataille commerciale lancée entre les différents géants du numérique : Google (avec BARD), Microsoft dont le premier “Chatbot” Tay avait dérapé avec des propos racistes sur Twitter et qui a plus récemment investi dans OpenAI, Amazon (Alexia), Apple (Siri) ou Facebook, qui développe ses propres chatbot. En demandant une pause, Elon Musk tente-t-il de rattraper son retard face aux annonces des concurrents de Twitter? Tout en soutenant l’appel à la pause, Elon Musk vient en effet d’annoncer des investissements massifs dans l’IA pour Twitter.

Quels risques majeurs pour l’humanité justifient un tel signal d’alarme ?

Le premier risque pointé par l’appel est celui de la manipulation généralisée avec l’inflation des fake news automatiques : “Devrions nous laisser les machines inonder nos canaux d’information de propagande et de contrevérité ?”  Sam Altman, patron d’OpenAI, concepteur de chatGPT, a lui-même reconnu être « un petit peu effrayé » par sa création si elle était utilisée pour de «la désinformation à grande échelle ou des cyberattaques ». «La société a besoin de temps pour s’adapter», avait-il déclaré à ABCNews mi-mars (article de Libération).

Le second risque est le suivant : “Devrions nous automatiser tous les métiers, y compris ceux dans lesquels nous nous accomplissons ?”. Cette vision alarmiste nécessite une prise de recul ainsi qu’une analyse plus fine des impacts pour l’emploi et de l’usage de l’outil dans différents secteurs (voir notre précédent article sur le sujet). Les prédictions de réalisation rapide de ces transformations qui justifient l’urgence d’un moratoire de 6 mois sont en complète contradiction avec le rythme des transformations majeures de l’économie lesquelles se produisent  beaucoup plus lentement  comme l’indique cet édito des Echos.

Les autres risques mentionnés relèvent de la science-fiction : “Devrions nous développer des esprits non humains qui pourraient éventuellement être plus nombreux, plus intelligents, nous rendre obsolètes et nous remplacer ?”, ““Devrions nous risquer de perdre le contrôle de notre civilisation ?”. Ils surfent sur les peurs de remplacements des tâches humaines voire de l’humain lui-même sans justification. Ces affirmations alimentent le mythe de la création d’esprits non humains plus intelligents.

Quels sont les risques majeurs non mentionnés dans cet appel ?

Plusieurs risques beaucoup plus concrets et à court terme ne sont pas mentionnés dans cet appel.

Ainsi en est-il de l’utilisation incontrôlée des données personnelles de ces nouveaux systèmes d’IA. La version gratuite de ChatGPT a été testée en à peine 2 mois par 100 millions d’utilisateurs mieux que les réseaux sociaux tels que Tiktok qui avait dû attendre 9 mois. ChatGPT est un énorme aspirateur à données personnelles en demandant de fournir un e-mail ainsi qu’un numéro de téléphone. Comme cela avait été mentionné précédemment, ChatGPT ne respecte aucune des dispositions de la réglementation européenne sur les données personnelles (RGPD). Ainsi, fin mars 2023, l’Italie a été le premier pays à l’interdire pour non-respect de cette réglementation.

Ainsi en est-il aussi de la polarisation et du renforcement des opinions causés par ce type d’outils de recommandation.  Ils proposent des contenus influençant le comportement comme le font tous les réseaux sociaux tels Youtube, Twitter, Tiktok, Instagram…(voir le documentaire “Derrière nos écrans de fumée”). Les algorithmes d’IA sont accusés de jouer un rôle dans le passage à l’acte de personnes souffrant de dépression. Ainsi l’OCDE a réalisé une revue récente des cas d’influence des algorithmes de recommandations sur le comportement. Le rapport mentionne notamment le cas de Molly qui s’est  suicidée à force de consulter son réseau social . Ce phénomène devenu massif apparaît désormais dans les statistiques nationales américaines de suicide avec, depuis l’introduction des réseaux sociaux en 2009, l’augmentation de 70% du  taux de suicide chez les femmes âgées de 15 à 19 ans et de 151% chez les  jeunes filles âgées de 10 à 14 ans. Plus spécifiquement liée à l’influence des Chatbot, en Mars 2023, on notera l’implication d’un robot conversationel (Eliza) dans le suicide d’un père de famille belge. Ce dernier est entré dans une spirale de dépression en interrogeant le chatbot à propos du dérèglement climatique et de ses conséquences catastrophiques. Au lieu de prévenir le suicide, le robot n’a fait que renforcer la personne dépressive dans ses convictions. Dans les échanges retrouvés après son décès, sa femme a constaté qu’Eliza ne se permettait jamais de contredire son mari, mais au contraire appuyait ses plaintes et encourageait ses angoisses.

Quelles sont les mesures proposées par l’appel ?

  • “Nous appelons les laboratoires de l’IA à faire une pause immédiate pendant au moins 6 mois dans l’entrainement des systèmes d’IA plus puissant que GPT-4″

La première mesure qui consiste en un moratoire de 6 mois de tous développements et entrainements de modèles d’Intelligence Artificielle est non seulement non justifiée mais surtout complètement impossible à mettre en œuvre tant les développements de l’IA sont conduits par des acteurs privés et publics de toutes tailles à travers le monde, qui sont maitres du rythme de leurs développements en l’absence de régulations au niveau américain et a fortiori internationale.

  • “La recherche et le développement de l’IA devraient être recentrés sur la fabrication des systèmes puissants et à la pointe de la technologie d’aujourd’hui plus précis, sûrs, interprétables, transparents, robustes, alignés, dignes de confiance et loyaux.”

Ces propositions qui semblent raisonnables ne sont pas nouvelles et n’apportent rien aux recommandations portées notamment par l’Union Européenne qui propose de développer une IA de confiance licite, éthique et robuste. Ceci requiert de la traçabilité, de l’explicabilité ainsi que de la robustesse. Les propositions européennes vont plus loin que cet appel en demandant une supervision humaine, une protection des données personnelles, des objectifs de bien-être sociaux et environnementaux, de non-discrimination…

  • “En parallèle, les développeurs d’IA doivent travailler avec les décideurs politiques pour accélérer considérablement le développement de systèmes de gouvernance de l’IA robustes. Celles-ci doivent au minimum inclure : (…) un financement public solide pour la recherche technique sur la sécurité de l’IA ;”

On notera que les décideurs politiques n’ont pas attendu cet appel pour financer des projets autour de l’IA de confiance notamment en France avec des projets de recherche  collaboratifs entre industriels et académiques soutenus par l’état sur l’IA de confiance en France.

Pour conclure, ces mesures proposées sont pour partie irréalistes, insuffisantes ou peu ambitieuses par rapport aux défis de l’IA et aux bénéfices attendus par la société. Des personnes privées aussi impliquées dans le développement de ces systèmes d’IA sont-elles les mieux placées pour appeler à une régulation ? Plus fondamentalement, peut-on confier à des acteurs privés le soin de de s’auto réguler et de construire leur propre éthique ?