Etats généraux de la Bioéthique : Tugdual Derville invité de KTO

Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA, était l’invité d’Olivier de Keranflec’h, dans l’émission « À la Source »  du 9 janvier 2018, pour nous expliquer les enjeux des Etats généraux de la Bioéthique qui seront lancés le 18 janvier prochain.
 


[Voir l’interview de Tugdual Derville à partir de 17:43 mn.] Quelques verbatim issus de l’émission :
« Nous n’approuvons pas qu’on révise sans cesse les lois de bioéthique. A chaque fois qu’on supprime une digue, c’est la digue suivante qui est fragilisée. Nous sommes donc prudents par rapport à cette espèce de débat continu : il oublie les principes fondamentaux que sont pour nous le respect de la vie et le respect de la dignité du plus fragile. »
« De nouveaux sujets émergent : l’intelligence artificielle, le Big Data, avec des avancées peut-être pour notre santé, mais aussi des menaces pour notre liberté : il est normal qu’on en discute. »
« À Alliance VITA, nous aimerions poser les sujets qui sont prégnants à nos yeux pour l’avenir de notre société : la lutte contre l’infertilité, les repères d’écologie humaine qui sont absolument nécessaires sur ces sujets, souvent occultés, au profit de revendications de quelques-uns. On parle beaucoup en ce moment de prétendue « PMA pour toutes », ce qui revient à autoriser, à encourager même, la conception d’enfants privés totalement de repères paternels avec des donneurs anonymes de gamètes. Nous y sommes hostiles et nous allons tout faire pour qu’on prenne en compte l’intérêt du plus fragile, de l’enfant, qui est au cœur de notre motivation à VITA. Car on risque de passer vers un droit à l’enfant, ce qui serait gravissime. »
« Ce débat peut aussi être un leurre. On agite les choses mais le dernier mot sera au politique. Nous allons quand même jouer le jeu du débat même si nous savons tous que c’est le Président qui va trancher. »
« Aujourd’hui, certains débats sont largement incohérents : d’un côté, on va vanter la gestation corporelle dans le cadre d’une fécondation in vitro ; mais, dans le cadre de la prétendue “gestation par autrui”, on va dévaloriser cette même gestation en disant que c’est la prétendue « mère d’intention » qui compte. On tord la réalité parce que le désir n’est plus régulé. »
« Nos désirs sont puissants et doivent être entendus, mais la loi est là pour réguler ces désirs, et empêcher que les plus fragiles en fassent les frais. Il faut des avocats pour les sans voix sinon c’est la loi du plus fort dans un univers extrêmement individualiste, libertaire et ultra-libéral. Le risque est aujourd’hui pour la France de basculer dans le grand marché de la procréation et de ne plus considérer le plus petit, le commencement de l’être humain, qui est un être humain lui-même, comme l’un des nôtres. »

Sondage et bioéthique : le grand écart

Sondage et bioéthique : le grand écart

sondage

A quelques mois d’intervalle, des sondages sur le sujet de l’ouverture de la PMA avec donneur aux femmes seules ou en couple de même sexe affichent des résultats totalement opposés.

Dans le sondage IFOP publié le 3 janvier 2018, la question posée est la suivante : « Seriez-vous favorable à ce que les femmes célibataires ou les couples de femmes homosexuelles désirant un enfant puissent avoir recours à l’insémination artificielle (ce que l’on appelle aussi PMA) pour avoir un enfant ? » 60% des Français se disent favorables à la PMA pour des couples de femmes et 57% pour des femmes seules.

Dans le sondage OpinionWay de septembre 2017, la question est différente : « Selon vous, l’Etat doit-il garantir aux enfants conçus grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP) le droit d’avoir un père et une mère ? » 72 % des Français estiment que l’Etat doit garantir aux enfants nés par PMA le droit d’avoir un père et une mère.

L’on voit ainsi que la manière de poser les questions influe largement sur les réponses. Dans la première question, « l’intérêt de l’enfant est occulté » souligne Tugdual Derville, délégué général d’Alliance VITA. Celui des hommes également, réduits à leurs gamètes.

Le même sondage IFOP publié le 3 janvier 2018 par La Croix fait état de 64% des sondés favorables à la GPA. Quand on sait quelles graves atteintes aux droits de l’homme représente le système des mères porteuses, il est urgent d’informer largement et de créer les conditions d’un vrai débat, pour revenir à la raison, dans l’intérêt des enfants et des femmes.

Ce n’est pas sans rappeler les écarts considérables des résultats de sondage sur la fin de vie et l’euthanasie, dénoncés dans une émission d’Envoyé Spécial en avril 2017 qui analyse longuement la manière dont les questions peuvent être biaisées.

En matière bioéthique, « la réalité, pourtant, est plus subtile et les questions sont toujours plus compliquées qu’elles paraissent de prime abord », souligne le professeur de droit Jean-René Binet dans une tribune intitulée « Les sondages ne peuvent pas faire la loi ».

Les Etats généraux de la bioéthique, qui vont s’ouvrir le 18 janvier prochain, seront-ils à la hauteur des enjeux humanitaires ? Alliance VITA s’engage à apporter son expertise et à faire valoir la voix des plus fragiles, avec comme priorité la protection de la vie et de la dignité humaines.

Inès, 14 ans, dans le coma : le Conseil d’Etat valide la position de l’hôpital pour un arrêt des traitements

Inès, 14 ans, dans le coma : le Conseil d’Etat valide la position de l’hôpital pour un arrêt des traitements

coma

Le 5 janvier 2018, le Conseil d’Etat a jugé que l’hôpital de Nancy avait raison de vouloir mettre fin à l’assistance respiratoire dont bénéficie une jeune fille de 14 ans, Inès, vivant dans un état végétatif persistant depuis 6 mois.

Le porte-parole du Conseil d’Etat a déclaré : « Le juge des référés, saisi en urgence, estime que la décision des médecins répond aux exigences prévues par la loi et il a en conséquence rejeté l’appel des parents. Il appartient donc désormais au médecin en charge de l’enfant d’apprécier si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée ».

Les faits

Le 22 juin 2017, la jeune fille a fait à son domicile un arrêt cardiaque, en lien avec la maladie neuromusculaire rare dont elle souffre, une myasthénie auto-immune. Réanimée par les secours et conduite au CHRU de Nancy, elle demeure depuis cette date inconsciente, dans un état stabilisé grâce à une respiration artificielle et une alimentation par sonde gastrique.

A l’issue d’une réunion le 21 juillet, dans le cadre de la procédure collégiale prévue par la loi Claeys-Leonetti pour arrêter des traitements d’une personne qui ne peut plus s’exprimer, le médecin responsable a décidé l’arrêt de la ventilation mécanique et l’extubation d’Inès, considérant qu’elle était désormais dans une situation d’obstination déraisonnable. Il était cependant convenu de ne pas appliquer la décision si les parents s’y opposaient.

Informés par un courrier du 3 août, les parents ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy le 11 septembre. Trois jours plus tard, ce dernier a suspendu l’exécution de la décision médicale et a ordonné une expertise médicale, menée par un collège d’experts composé de deux neuro-pédiatres et un chef de service de réanimation pédiatrique.

Le rapport d’expertise, remis le 17 novembre, a conclu qu’Inès était plongée « dans un état végétatif persistant » et qu’elle « n’a pas et n’aura plus jamais la capacité d’établir le moindre contact » avec ses proches.

Le 7 décembre, le tribunal administratif de Nancy, au vu des conclusions du rapport d’expertise et après avoir auditionné les parents et le représentant du CHRU, a jugé que la décision d’arrêt de l’assistance respiratoire d’Inès était légitime. Les parents ont alors fait appel de ce jugement de référé devant le Conseil d’Etat, qui s’est réuni le 28 décembre dernier pour une audience publique afin d’entendre les positions des deux parties.

La position de l’hôpital 

Le chef du service de réanimation pédiatrique, dans son courrier du 3 août, explique ainsi sa position : « L’histoire, l’examen clinique, les résultats de l’imagerie, les électroencéphalographies sont un faisceau concordant témoignant d’une possibilité d’amélioration ou de guérison quasi nulle, selon les données actuelles de la science. »

Lors de l’audience au Conseil d’Etat, ce médecin a exprimé combien sa mission était difficile mais qu’il pensait agir en conscience : « C’est terrible, je suis médecin mais je suis aussi un homme, un père, c’est une situation douloureuse, je vis quotidiennement avec les parents, c’est terrible pour nous de prendre une telle décisionNotre seul but, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. (…) Les experts concordants ont estimé qu’une obstination serait déraisonnable. Je ne suis pas devin mais les données actuelles de la science ne laissent pas d’espoir. »

L’avocat de l’hôpital a cependant confirmé, en application de la décision récente du Conseil constitutionnel (QPC du 2 juin 2017) selon laquelle la décision médicale ne pouvait pas être mise en œuvre avant que les proches puissent exercer un recours judiciaire : « Les parents pourront encore saisir la Cour européenne des droits de l’homme et l’hôpital ne fera rien tant que toutes les voies de recours n’auront pas été épuisées ».

La position des parents

Les parents d’Inès s’opposent depuis le début à la décision médicale de procéder à l’arrêt du respirateur qui contribue à maintenir leur enfant en vie. Leur confiance dans l’équipe médicale aurait été mise à mal, à cause d’une communication insuffisante et de l’absence d’accompagnement psychologique, ce que conteste l’hôpital.

Devant les juges du Conseil d’Etat, la mère d’Inès a affirmé : « Il n’est pas certain qu’elle ne puisse pas se réveiller. Son père, sa sœur, son frère sont contre, on ne peut passer outre l’accord des parents ».De son côté, l’avocat des parents considère que la nouvelle question de principe que pose cette situation est liée au fait qu’Inès est mineure : « La justice peut-elle passer outre la volonté des parents alors qu’ils sont les représentants légaux de leurs enfants mineurs ? Pour moi, ce n’est pas possible. Sauf à saisir un juge des enfants pour qu’il leur retire l’autorité parentale ».

Le Conseil d’Etat, dans son ordonnance du 5 janvier 2017, n’a pas retenu ce dernier argument et considère que « l’accord des parents ne constitue pas un préalable indispensable ». Sur le fond de l’affaire, pour analyser si la situation d’Inès pouvait être considérée comme une obstination déraisonnable, les juges ont globalement pris appui sur les mêmes critères de droit et de fait que ceux utilisés pour statuer sur le cas de Vincent Lambert, en juin 2014.

Droit de la bioéthique : un manuel pédagogique et éclairant

Droit de la bioéthique : un manuel pédagogique et éclairant

droit de la bioéthique
A quelques jours du lancement des Etats généraux de la bioéthique, Jean-René Binet, professeur de droit civil à l’Université de Rennes, spécialiste du droit de la famille et de bioéthique, vient de publier le manuel Droit de la bioéthique.
Cet ouvrage est le fruit de nombreuses années d’enseignement de la bioéthique, comme le souligne son auteur. Il s’attache à présenter l’historique du système normatif singulier élaboré par la France, en soulignant les sources de ce droit et la manière dont il s’applique et s’articule avec les textes internationaux.
La singularité des lois bioéthiques en France est leur caractère expérimental et révisable depuis 1994. « Le recours à la méthode expérimentale est destiné à conjurer le risque d’inadaptation de la loi, en obligeant le législateur à réviser la loi à échéance programmée et après en avoir examiné le bilan d’application. Toutefois, la méthode induit une fâcheuse fragilisation des principes posés par la loi et conduit à une consolidation corrélative des exceptions », explique l’auteur.
Ce livre représente un outil de formation précieux pour tous ceux qui souhaitent prendre part aux débats bioéthiques qui auront lieu dans toute la France entre janvier et juin 2018.
________________________________________
Droit de la bioéthique, Jean-René Binet, ed LGDJ

Cassation : préjudice reconnu pour un enfant à naître privé de père accidentellement

Cassation : préjudice reconnu pour un enfant à naître privé de père accidentellement

decespere

La Cour de cassation, par un arrêt du 14 décembre 2017, a reconnu qu’un enfant peut demander réparation du préjudice subi du fait de la mort accidentelle de son père, survenu alors qu’il était conçu et non encore né.

Le père était décédé, en 2008, en mission pour son entreprise. Son épouse était enceinte et ils étaient parents d’un enfant d’un an. Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale des Vosges avait jugé que l’accident était dû « à une faute inexcusable de l’employeur ». L’épouse avait obtenu réparation de son préjudice et de celui des enfants sur décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale. L’employeur, qui admet le préjudice de l’enfant aîné, déjà né au moment de l’accident, a contesté qu’un préjudice puisse être également déclaré pour l’enfant né après l’accident.

La Cour d’appel de Nancy a donné raison à l’employeur (arrêt du 23 avril 2014), avec l’argument suivant : « Un enfant encore à naître lorsque s’est produit le fait générateur, s’il est légitime à invoquer son droit de succession ou un droit issu d’un contrat dont il est bénéficiaire, ne peut prétendre à réparation d’un préjudice dû à la rupture brutale d’une communauté de vie avec son père, préjudice qui est, par nature, inexistant. C’est donc à tort que les premiers juges ont affirmé que la vie quotidienne [de l’enfant cadet] a basculé le jour de la mort de son père, confondant manifestement ainsi le sort des deux enfants, qu’il convenait pourtant de distinguer.(…) En l’espèce, la date de l’existence du dommage dont il est demandé réparation pour le cadet des enfants du couple est postérieure à celle de l’accident à l’origine de ce dommage et du dommage de la victime principale. En définitive, c’est la naissance de l’enfant qui constitue en l’espèce la cause adéquate de son préjudice, sans laquelle ce préjudice n’aurait pu apparaître, et qui s’intercale entre l’accident et la survenance de l’affection » de l’enfant.

L’épouse a alors formé un pourvoi en cassation : dans un arrêt du 10 septembre 2015, la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy, statuant que l’une des parties n’avait pas été convoquée à l’audience des débats.

La Cour de cassation a renvoyé la décision sur le fond  à la Cour d’appel de Metz. Celle-ci, à l’inverse de la Cour d’appel de Nancy, a reconnu dans un arrêt du 29 septembre 2016 qu’il y a préjudice pour l’enfant cadet : « Il n’est pas contesté par l’appelante que M. G X souffre de l’absence définitive de son père, qu’il ne connaîtra jamais qu’au travers des récits des tiers. Cette souffrance constitue un préjudice moral, de même qu’entre dans le préjudice moral de sa mère le fait qu’elle était enceinte au moment de l’accident et qu’elle allait devoir élever seule ses deux enfants et non sa seule fille aînée. L’élément causal du préjudice moral de M. G X est l’accident du 9 septembre 2008 qui a généré directement l’absence de son père, peu avant sa naissance. Ce préjudice moral actuel doit être réparé. »

Suite à cette nouvelle décision, la société d’assurance de l’employeur a formé à son tour un pourvoi en cassation. C’est ce dernier pourvoi que la Cour de cassation vient de rejeter. L’arrêt dispose : « Attendu que, dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu ; qu’ayant estimé que l’enfant  souffrait de l’absence définitive de son père décédé dans l’accident, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’un préjudice moral ainsi que le lien de causalité entre le décès accidentel de son père et ce préjudice ».

Dans une dépêche, l’AFP souligne  la nouveauté de ce jugement : « Un enfant né après le décès accidentel de son père a le droit de faire valoir un préjudice moral et d’être indemnisé. La Cour de cassation considère désormais qu’il existe un préjudice pour cet enfant, en lien direct avec l’accident, ce qu’elle excluait jusqu’à présent. L’enfant souffre de l’absence définitive de son père, qu’il ne connaîtra jamais qu’au travers de récits de tiers, ce qui est un préjudice moral, a expliqué la Cour d’appel dont l’arrêt a été approuvé.  Dans cette affaire, il était par ailleurs difficile de faire une différence entre cet enfant et son frère aîné, âgé d’à peine un an au moment du décès du père, explique un magistrat de la Cour. En appliquant une autre solution, un seul aurait été indemnisé parce qu’il était né alors que les deux enfants subissaient en réalité le même dommage. »

En reconnaissant que « le décès d’un père en si bas âge est incontestablement de nature à avoir des répercussions psychologiques importantes sur ces deux enfants », la Cour de cassation a logiquement conclu que « dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation de ce préjudice causé alors qu’il était conçu