[CP] – IVG dans la Constitution : un déni d’humanité

[CP] – IVG dans la Constitution : un déni d’humanité

COMMUNIQUE DE PRESSE – 04 mars 2024

IVG dans la Constitution : un déni d’humanité

En constitutionalisant l’avortement comme une liberté garantie, sans aucun garde-fou et sans prendre en considération les situations qui pourraient être évitées, le gouvernement et les parlementaires font preuve d’une absence totale d’humanité. Comment penser que le « pays des droits de l’homme » s’honore en passant sous silence que notre humanité commence au tout début de l’existence ?

Malgré l’instrumentalisation politicienne indécente de cette question douloureuse, malgré les questions persistantes autour de la clause de conscience spécifique des soignants et autour de l’avènement d’un droit opposable à l’avortement, l’Assemblée nationale et le Sénat ont fait le choix de graver l’IVG dans le marbre de la Constitution.

Près de 50 ans se sont écoulés depuis la loi de dépénalisation de l’avortement en 1975, 50 ans au cours desquels toutes les dispositions prévues initialement pour accompagner et informer les femmes ont été progressivement supprimées.  Au fil des années, on est passé de la possibilité de l’IVG, « pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme », à un droit à l’avortement, revendiqué « sans contrainte ».  L’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution marque une étape supplémentaire et hautement symbolique vers la banalisation d’un acte qui met la vie humaine en jeu.

 

Une réalité invisibilisée

En 2022, 234 300 avortements ont été réalisés avec un taux de recours à un niveau jamais atteint auparavant de 16,9 pour mille femmes en âge de procréer. En 2020, une étude de la Drees révélait que c’étaient les femmes aux revenus les plus faibles qui avaient davantage recours à l’IVG. On sait aussi que 85% des grossesses imprévues pendant les études se terminent par une IVG et que les 20-29 ans concentrent les plus forts taux d’IVG (26,9 ‰ parmi les 20-24 ans et 28,6 ‰ parmi les 25-29 ans). En outre des études récentes montrent des liens entre les violences conjugales et les interruptions volontaires de grossesse à répétition.

En France, le lien entre IVG et violences demeure cependant peu exploré : très peu de médecins posent systématiquement la question des violences aux femmes réalisant une IVG [1]. Or, on sait que pour 40 % des 201 000 femmes concernées chaque année par les violences du conjoint, celles-ci ont débuté à la première grossesse.

 

Une liberté sous pressions

Confirmant ces données, Alliance VITA, qui accompagne des femmes depuis plus de 20 ans, constate que nombre de femmes confrontées à des grossesses inattendues se tournent vers l’IVG à contrecœur, très souvent sous les pressions masculines, mais aussi de l’entourage ou pour des raisons économiques. Notre expérience montre que toutes les femmes n’avortent pas « librement et par choix » mais par défaut d’alternative et de sécurité. Face à ces réalités qui ne semblent guère émouvoir les pouvoirs publics, la constitutionnalisation d’une liberté d’avorter parait bien déconnectée.

Même constitutionnalisé, l’avortement, jamais anodin, ne devrait pas s’imposer comme une fatalité.

Nous demandons depuis des années une étude approfondie sur les causes et les conséquences de l’avortement. Proposer une politique de prévention est plus que jamais nécessaire.

Face au déni du politique, et afin de libérer la parole des femmes, nous préparons une campagne de sensibilisation sur les liens entre l’IVG et les pressions, violences et discriminations faites aux femmes au début de la grossesse.

 

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Urgence pour l’hôpital

Urgence pour l’hôpital

Dégradation des hôpitaux français

A l’occasion des cérémonies de vœux, E. Macron s’est adressé dans un long discours aux personnels de santé depuis le Centre Hospitalier Sud-Francilien, à Corbeil-Essonnes. Le secteur de la santé, et en particulier de l’hôpital ne cesse d’inquiéter les Français. Les articles se succèdent sur les tensions à l’hôpital : crise des urgences, inquiétude sur la pédiatrie, crise prolongée pour la psychiatrie,  dont la misère est dénoncée depuis de nombreuses années…

La dégradation du service de l’hôpital n’est d’ailleurs pas seulement une question de capacité à soigner aujourd’hui, mais également pour demain. Une tribune avait alerté en novembre sur la réduction en euros réels (c’est-à-dire en tenant compte du niveau de l’inflation) pour le budget hospitalier 2023. En effet, la hausse prévue de 4.1% pour ce budget ne permet pas de compenser une inflation qui a augmenté de 5.9% sur 1 an, selon l‘INSEE. Les carences actuelles et l’attractivité des métiers du soin pour demain sont en jeu.

Une mesure phare : la fin de la tarification à l’acte ?

Dans ce contexte, les annonces du président de la République se déploient sur plusieurs axes. E Macron a annoncé d’ailleurs qu’il faudra une décennie pour parvenir à des changements en profondeur et qu’il faudra vivre “dans une situation qui va plutôt se dégrader en termes d’offre médicale” selon ses propres termes, dans les années à venir.

Mesure phare, la fin de la méthode de tarification, dite T2A serait actée dans le prochain PLFSS (le budget de la Sécurité Sociale voté par le Parlement), qui sera discuté à l’automne 2023.  Ce mode de tarification à l’acte pour les hôpitaux, instauré en 2004, s’est révélé à l’usage source de distorsions, par exemple, l’absence de prise en compte de la situation du patient (âge, précarité, maladies chroniques…). En 2018, déjà, l’Exécutif avait prévu de plafonner à 50% la part de la T2A dans le financement des établissements. Si elle a effectivement baissé, la part tarifée à l’activité n’est pas passée sous la barre des 50% : elle représentait 67,3% des financements des établissements de santé par l’Assurance maladie en 2021. Le discours de vœux mentionne qu’ “il faut qu’il y ait une part structurante de la rémunération qui repose sur des objectifs de santé publique qu’on négocie à l’échelle d’un territoire“. Le système dessiné dans ce grand trait devra être précisé plus tard.

Des “chantiers” seront ouverts. Ainsi, le redéploiement entre personnel administratif et de santé, l’embauche d’assistants médicaux, pour passer de 4000 à 10000, “d’ici la fin de l’année prochaine“. Pour les 600,000 patients souffrant de maladies chroniques sans médecin traitant, E Macron a évoqué un accès à une “équipe traitante” faite de ” coalitions d’acteurs qu’on aura identifiées et structurées à l’échelle d’un territoire et d’une équipe“.

Sur la question des moyens financiers, un “chantier” doit aussi s’ouvrir pour discuter de la rémunération du travail de nuit et des permanences. E Macron a  évoqué un “nouveau pacte” avec la médecine libérale pour assurer une permanence de la médecine de garde en ville. Par ailleurs, E Macron a également abordé la question de la prévention, soulignant le titre de François Braun : ministre de la Santé et de la Prévention. Le président a déclaré que “tout ce qu’on prévient, c’est évidemment ce qu’on évite de soigner ensuite. Et c’est un investissement rentable pour la Nation et rentable pour la santé collective. On a besoin d’avoir un système qui prévient mieux“.

La situation de l’hôpital en France a fait l’objet de beaucoup d’attention depuis la crise sanitaire traversée ces dernières années. Attention des médias, des politiques et de l’ensemble de la population française, au point qu’une question spécifique sur ce sujet était posée aux deux candidats à l’élection présidentielle lors du débat organisé mercredi 20 avril.

Récemment, le collège de la Haute Autorité de la Santé (HAS), un organe administratif créé en 2004, a publié une lettre ouverte à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements. Le Collège soulignait deux enjeux : les ressources humaines en raison de la pénurie importante de personnel de santé et l’organisation et le mode de financement du système de santé. Il appelait à des réponses urgentes : plus de moyens, développement des téléconsultations, délégation des décisions plus près du terrain…

Sortir des urgences“, c’est aussi le titre d’un épais – 313 pages- rapport du Sénat sur la situation de l’hôpital, publié suite à la demande du groupe LR d’établir une Commission d’enquête.

Cette radiographie de la situation des hôpitaux comporte des chiffres, des analyses et des recommandations. Sans être exhaustif, les éléments suivants méritent d’être partagés.

Les chiffres

La Drees (Direction de la Recherche, des Etudes, de l’évaluation et des statistiques) décompte un peu plus de 3 000 établissements de santé en France en 2020 : 45% sont des établissements publics 22% sont  des établissements privés à but non lucratif  et 33% des établissements privés à but lucratif. La France comprend le plus grand nombre d’hôpitaux par million d’habitants (44,7) parmi les pays européens de taille comparable. En 2019, les effectifs hospitaliers sont supérieurs de 20,4 % à ce qu’ils étaient en 2000, avec cependant un net ralentissement des embauches après 2010. Le nombre de personnels hospitaliers en 2019 n’est supérieur que de 1,7 % à ce qu’il était en 2012. L’activité, elle, n’a pas cessé de croître. Un exemple frappant l’illustre : le nombre de passage aux urgences était de 10.1 millions en 1992, et est passé à 22 millions en 2019.

Concernant la part de personnel administratif, le rapport note que des chiffres du ministère de la Santé estiment sa proportion à 25% du personnel total, mais un rapport de l’OCDE avançait un chiffre de 33.6%. Cacophonie des chiffres qui illustre, selon le rapport, un premier souci : la situation exacte n’est pas bien connue, ce qui ne facilite ni le diagnostic ni la recherche de solutions. Les pénuries de personnel semblent multiples. 5 à10% des postes infirmiers seraient vacants, un tiers des postes de praticiens hospitaliers sont non pourvus dans l’hôpital public. Il manquerait 13% d’aide soignants dans les Ehpad et un tiers de ceux-ci sont sans médecin coordinateur. La baisse du nombre de lits, un indicateur qui a retenu l’attention du public depuis la crise de la Covid, s’expliquerait par des durées raccourcies d’hospitalisation et une situation française plus haute au départ, comparée à la moyenne européenne. Le développement de la chirurgie ambulatoire et la mise en place d’une tarification à l’activité – et non à la durée du séjour- seraient les facteurs contribuant à ces séjours plus courts en hôpital. Ainsi le taux de chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire sans nuit passée à l’hôpital, est passé de 43,3 % en 2010 à 59,4 % en 2020. Un objectif de 70 % avait été fixé pour 2022 mais a été repoussé en raison de la crise sanitaire.

Elément crucial, la perception des soignants sur la situation est fortement dégradée et le Ségur de la Santé ne semble pas avoir, pour le moment, renversé la situation. De nombreuses enquêtes ont détaillé le mal-être voire le “ras-le-bol” des soignants. La commission d’enquête a “entendu beaucoup d’acteurs hospitaliers s’alarmer d’un véritable cercle vicieux : les conditions de travail et le sentiment de perte de sens du métier alimentent des départs, les vacances de postes de soignants augmentent, elles-mêmes accentuant la pression sur les équipes en place et renforçant les raisons de quitter l’hôpital”.

Les analyses

La Commission s’est penchée sur les multiples facteurs contribuant à cette situation dégradée.

Concernant la rémunération, le rapport note qu’en 2006 la rémunération des infirmiers était en France équivalente au salaire moyen dans l’ensemble de l’économie. Elle lui était inférieure de 6 % en 2015. Perte de pouvoir d’achat relatif donc et sentiment pour les infirmiers que leur travail n’est pas reconnu. En comparaison, au niveau de l’OCDE, la rémunération des infirmiers était, à la même date, supérieure de 14 % au salaire moyen de la population.

La facturation à l’activité, nommée T2A, fut un élément clé de la réforme du financement de l’hôpital en 2004. Très souvent désignée comme un point négatif majeur, le rapport nuance la critique. Il reconnaît l’intérêt de cette tarification pour allouer à chaque hôpital un financement cohérent avec son activité mais la Commission pointe les limites de la méthode dès lors que le tarif s’éloigne des coûts réels d’une activité, exemples concrets à l’appui. La pédiatrie hospitalière, la prise en charge de patients vieillissants seraient, selon une médecin interrogée, « assurées par le secteur public car non rémunératrices ».

Un autre mécanisme de financement est en revanche clairement mis en cause par la Commission d’enquête. L’ONDAM (Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie) hospitalier, un élément du dispositif de financement voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la Plfss(loi de financement de la Sécurité Sociale), a servi de variable d’ajustement par rapport à l’ONDAM “soin de villes” afin que l’objectif de plafond de la hausse des dépenses totale soit réalisé. La Cour des Comptes avait déjà dénoncé ce point dans un rapport de 2018.

Les recommandations

Le rapport consacre de nombreuses pages à la situation démographique des professions de santé et détaille des recommandations pour les rendre plus attractives. Revalorisations salariales à poursuivre, formation continue, prise en compte des contraintes fortes pesant sur les soignants en hôpital : permanence jour et nuit, continuité du service… L’intensité du travail dans le secteur hospitalier demeure supérieure à celle observée pour l’ensemble des salariés : « 60 % des salariés du secteur hospitalier rapportent devoir toujours ou souvent se dépêcher, contre 45 % de l’ensemble des salariés ». Un chiffre parmi d’autres : l’indemnité compensatrice du travail de nuit des personnels non médicaux de la FPH depuis 2001 est fixée à 1.07 euro de l’heure.

La Commission souhaite aussi que les visites à domicile pour des soins non programmés soient de nouveau développées.  Le nombre de visites à domicile a été divisé par trois en 20 ans : 71 440 000 visites à domicile recensées en 1997, 24 443 000 seulement en 2016. Une tarification inadaptée pèse en défaveur de ces visites à domicile de la part des médecins.

Enfin, l’Hospitalisation à domicile (HAD) est aussi un secteur à favoriser pour désengorger le secteur hospitalier. Portée par près de 300 structures, mais peu connue, elle s’est développée ces dernières années, représentant plus de 5 % des capacités d’hospitalisation. Elle semble bien adaptée à certaines situations, comme les soins palliatifs ou des soins à des patients lourdement dépendants.

Les rapports, les articles se sont multipliés sur la “crise de l’hôpital” depuis plusieurs années, et la crise sanitaire a servi de détonateur pour desserrer un carcan budgétaire et administratif pesant sur les hôpitaux. Mais les difficultés demeurent en bonne partie et le vieillissement attendu de la population pourrait aggraver les tensions faute de décisions fortes. La santé et un bon système de soins constituent une attente top-prioritaire des Français pour le quinquennat qui va s’ouvrir prochainement.

 

Prendre soin des soignants, une urgence de santé publique

Prendre soin des soignants, une urgence de santé publique

iAu début de cette nouvelle année, la situation des professionnels comme celle du système de santé reste préoccupante. Les chiffres publiés pour l’année 2022 semblent même indiquer que l’état de santé des soignants s’est aggravé.

Des chiffres préoccupants en 2023 sur l’état des soignants

En effet, en janvier 2021, 97,3% des professionnels de santé estimaient qu’ils rencontraient des difficultés à l’origine de souffrance au travail. En 2022, selon une enquête menée entre août et septembre par le collectif Santé en danger, 98,4% l’affirment et 77.9 % d’entre eux déclarent avoir déjà été diagnostiqués en burn-out.

En ce début d’année 2023, de nombreux services sont surchargés, certains d’entre eux sont même fermés la nuit pour manque de personnel.

Autre donnée inquiétante, le taux de suicide chez les internes est 3 fois plus élevé que dans le reste de la population française.

Et les démissions continuent de s’accélérer : 71,3% des professionnels de santé envisagent une reconversion professionnelle, alors qu’ils étaient 67,1% en 2021.

98.2% des professionnels de santé interrogés estiment que la souffrance au travail a augmenté au cours des deux dernières années. Les causes invoquées sont:

  • le manque de reconnaissance (75,2 %),
  • le manque de personnel (73.8 %),
  • l’augmentation de la cadence de travail (56.6 %),
  • l’accroissement des tâches administratives (52.8 %)
  • ou encore un manque de sens (44.9 %).

Bien sûr, les démissions et les burn-out touchent les services hospitaliers de façon inégale. Le service des urgences est particulièrement impacté : 90% des soignants des urgences de l’hôpital de Pontoise (Val-d’Oise) ont ainsi déposé le 9 janvier 2023 des arrêts maladie pour alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail, information très reprise par les médias.

St Avold, 36 sur 38 infirmiers des urgences sont également en arrêt maladie pour épuisement, et les urgences fermées à partir de 19h à cause du manque de personnel.

Quant au CHRU de Brest, il a donné son préavis de grève pour le 12 janvier 2023. Une soignante de Brest a pointé une logique économique court-termiste.

L’une des conséquences principales de ces situations d’épuisement est la perte de sens : les soignants n’ont plus le temps de soulager réellement leurs patients. Le sujet du tri, évoqué dans la presse pendant la crise de la Covid 19,  pourrait être une conséquence dramatique de ces tensions à l’hôpital.
 

Pour faire face aux causes de leur souffrance au travail, les soignants interrogés par le collectif Santé en danger demandent considération (79,4%) et écoute (74,9%).

Alliance VITA, consciente de cette situation, propose depuis 2021 un service d’écoute confidentiel et anonyme, Thadeo.

Prendre soin des soignants est un facteur de santé publique à ne pas négliger. Pour comprendre les difficultés actuelles du système de santé, en particulier le manque de soignants, l’état de santé de ceux qui sont en première ligne, leur bien-être au travail doit intéresser les décideurs mais aussi la population qui bénéficie de leurs soins.

Quelques signaux faibles pointant vers une dégradation de la situation sanitaire chez les soignants ont paru dans la presse sur les dernières années. Ainsi, un drame lors d’un accouchement mettait en lumière la question de l’addiction chez certains médecins. Une étude menée par l’IFOP avant l’épidémie de la COVID pour la Mutuelle du Médecin faisait ressortir quelques chiffres inquiétants : plus d’un praticien libéral sur deux se disait concerné par un risque cardio-vasculaire. 34% des généralistes se déclaraient insatisfaits de leur situation professionnelle (un chiffre au-dessus de la moyenne des Français qui se situait à 25%), et 15% des généralistes libéraux indiquaient avoir pris des antidépresseurs au cours des 5 dernières années.

La santé mentale des médecins libéraux s’est-elle dégradé avec la Covid ?

Une étude publiée dans la presse récemment s’est penché sur la question de l’impact de l’épidémie sur la santé mentale des médecins libéraux en France.

Le contexte avant l’épidémie était particulièrement tendu : manque d’effectifs, vieillissement de la population médicale, lourdeur de la charge administrative, attentes plus importantes de la population sur la santé, budget de la Sécurité Sociale contraint par l’ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie). De nombreuses enquêtes ont révélé l’impact négatif sur la population générale de l’épidémie de Covid et les difficultés qu’elle a générées. Ciblant les médecins libéraux, l’étude a recueilli le ressenti de 1992 médecins libéraux en France. Les symptômes de souffrance psychologique sont mentionnés dans des proportions importantes. Ainsi, 46% disent souffrir d’insomnie, 59% de symptômes anxieux et 27% de symptômes dépressifs. Au cours de la dernière année, 31% déclaraient avoir pris des médicaments psychotropes et 28% avaient augmenté leur consommation de tabac ou d’alcool.  Ces résultats recoupent d’autres donnéesrecueillies sur la France. En plus des facteurs cités plus haut, la violence à laquelle des médecins sont confrontés ajoute un poids de stress. L’observatoire de la sécurité des médecins recense un peu plus de 1000 déclarations d’incidents (1050) par an sur les dernières années. Un chiffre en hausse puisque la moyenne sur les années 2005-2015 s’établit à 757 (+38%).

Une opportunité pour améliorer la relation soignants-soignés ?

Quelques mesures ont été prises pour prendre en charge ce problème : un numéro vert a été mis en place par le Conseil National de l’Ordre des Médecins en 2018, et il existe quelques structures d’écoute et d’entraide. Il ne semble pas que ces dispositifs ont pu couvrir l’ensemble des besoins et des questions, amplifiés par l’épidémie de Covid. Les résultats de l’enquête citée ci-dessus l’attestent. Si les associations professionnelles et les pouvoirs publics doivent être en première ligne pour répondre à ce problème, il concerne l’ensemble de notre pays. L’attractivité des professions de santé est un enjeu fort dans le contexte actuel où le système de santé français est en surtension comme en témoignent les nombreux articles de la presse sur ce sujet. Sur les 4 dernières années, le solde entre les entrées et les sorties pour la profession de médecin est négatif à 7500, soit 3.5% des médecins en activité. Les réponses de type administratives, par exemple la question des statuts et des conditions d’exercice, ne peuvent suffire quand il s’agit de problèmes humains.

C’est en effet l’occasion d’élargir la réflexion sur la relation soignants-soignés et de ne pas l’enfermer dans une simple demande de prestation de santé, de consommateurs à producteurs. La fragilité mise en lumière dans ces études est commune aux soignés comme aux soignants. Le soin n’est pas un service banal, mais un lieu de relations humaines complexes où la compétence et la technique ne peuvent effacer le besoin de respect et d’écoute réciproques.

Avec son service d’écoute Thadeo à destination des soignants, Alliance VITA entend également apporter sa contribution pour un meilleur être des soignants.

 

Estimation et analyse des demandes d’euthanasie en France

Estimation et analyse des demandes d’euthanasie en France

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Estimation et analyse des demandes d’euthanasies en France

 

Introduction et objectifs

Dans le débat actuel sur la fin de vie, les demandes persistantes d’euthanasies sont fréquemment invoquées pour justifier sa légalisation. Dans son avis 139, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) lui-même s’appuie sur une étude pour justifier son revirement sur l’euthanasie et le suicide assisté.

L’objet de cette note d’analyse est d’étudier l’évolution entre 2012 et 2022 de l’estimation et de la compréhension des demandes d’euthanasie en France à partir d’études scientifiques fréquemment citées dans le débat.

I. Quelle est la réalité chiffrée de la demande persistante d’euthanasies en France hors et au sein des services de soins palliatifs ? (Les demandes persistantes sont des demandes répétées dans la durée par le patient lui-même)

 

1) Une estimation basée sur l’ensemble des décès – Enquête de l’INED “ La fin de vie en France”

L’enquête “La fin de vie en France” a été réalisée pour la première fois par l’INED en 2010 et n’a pas été actualisée depuis. 14 080 questionnaires comprenant 40 questions fermées ont été envoyés à 11 828 médecins certificateurs. 5 217 questionnaires ont été reçus en retour, soit un taux global de participation de 40 % ce qui est considéré comme suffisamment représentatif. Seuls 4723 questionnaires remplis ont été considérés comme exploitables.

Dans l’analyse de l’enquête [1], “selon les médecins enquêtés, 16 % des personnes décédées ont exprimé à un moment ou à un autre le souhait d’accélérer leur mort, mais les demandes explicites d’euthanasie restent extrêmement rares en France : elles concernent 1,8 % des décès, soit 44 personnes sur un échantillon d’environ 2 200 personnes ayant fait l’objet d’une décision médicale en fin de vie.”

Cette enquête déclarative menée auprès des soignants ne mesure pas l’évolution et la persistance de la demande d’euthanasie au cours du temps.

2) Des estimations de requêtes au sein des centres de soins palliatifs

L’article de Guirimand et al [3, 2014] s’appuie sur une méthodologie différente de celle de l’enquête de l’INED. Les souhaits de mort anticipée et les demandes explicites d’euthanasie sont recueillis à partir des notes consignées par les soignants (les infirmières, les psychomotriciens, psychologues, thérapeutes) dans les dossiers des patients admis à l’hôpital en soins palliatifs.

L’approche quantitative se base sur la récupération des notes concernant les patients admis au sein de la maison médicale Jeanne Garnier (81 lits) en 2010 et 2011 soit 2157 patients qui sont restés en moyenne 13 jours dans l’hôpital. Au total 33 024 observations médicales et 195 862 observations paramédicales ont été étudiées ce qui donne un échantillon très large d’observations croisées.

Deux statisticiens ont ensuite analysé ces notes pour évaluer le type de “souhait à mourir” et les ont classés en trois catégories : “Requête d’euthanasie”, “Pensées suicidaires” et “Autres souhaits de mourir”. La catégorie “requête d’euthanasie” nécessite que la requête émane du patient et exclut toutes les requêtes faites par les membres de la famille. Le terme de “pensées suicidaires” renvoie à l’expression de l’intention de mourir de ses propres mains.

La catégorie “autres souhaits de mourir” inclut toutes les demandes de raccourcir la vie, qu’il s’agisse de passer le temps rapidement ou de mourir rapidement sans requérir explicitement l’aide d’une tierce personne. L’article n’indique pas une mesure de performance de l’algorithme de classification notamment l‘évaluation du risque de mauvaise classification. Habituellement, cette mesure de performance peut prendre la forme d’une matrice de confusion avec des vrais/faux positifs et de vrais/faux négatifs.

1
âge et durée de séjour en soins palliatifs
3
statut marital des patients en soins palliatifs
types de maladies
6
Figures 1-a / 1-e: Caractéristiques des patients ayant émis un souhait de mourir en centre de soins palliatifs issues de [3]

Sur les 2157 patients étudiés dans cet hôpital de soins palliatifs, 9% (195) ont exprimé un souhait de mourir dont 3% (61) ont exprimé une requête d’euthanasie initiale, 1% (15) des pensées suicidaires et les 6% restant (119) d’autres souhaits de mourir. Ces 195 patients étaient principalement des patientes (65%), leur durée de séjour était significativement plus élevée (24 jours en médiane) et leur consommation d’anxiolytiques (88% au lieu de 66%) et d’antidépresseurs (55% au lieu de 36%) était plus élevée que les autres résidents du centre de soins palliatifs.

Un article récent publié en 2022 [4] par Leboul et al (avec une partie des auteurs de l’étude réalisée au sein de la maison médicale Jeanne Garnier [3] associés à des acteurs du CHU de Besançon) s’appuie sur une recherche effectuée pendant un an dans 11 unités de soins palliatifs dont 5 en Bourgogne Franche Comté et 5 en Région Parisienne avec une capacité de 151 lits d’accueil au total (ces 151 lits représenteraient approximativement 4000 patients en prenant en compte le taux d’occupation des lits de la Maison Médicale Jeanne Garnier de 26,6 patients par an/lit selon l’étude Guirimand et al citée plus haut[3]).

Ainsi, par rapport à cette étude [3] de 2014, l’enquête actualisée et étendue Leboul [4] au sein de la maison Jeanne Garnier et du CHU de Besançon de 2022, montre des demandes d’euthanasie initiales plus faibles : 31 contre 61 en 2014 pour un nombre de lits presque deux fois plus important (151 lits en 2022 v/s 81 lits représentant 2157 patients en 2014). Si on regarde l’indicateur des demandes d’euthanasie par patient et par lit, celui-ci est passé de 61/81 (0,75) à 31/151 (0,21) ce qui rend encore plus rares les demandes initiales.

Si on applique le même taux d’occupation des lits de la maison Jeanne Garnier c’est-à-dire 26.6 par lit par an, alors on obtient une estimation de 0,7% demandes d’euthanasie parmi les patients en soins palliatifs. (Plus basse que les 3% estimées dans l’étude précédente.)

Parmi les 31 patients qui ont fait une demande d’euthanasie, 18 ont participé à l’étude Leboul et al, les 13 autres n’ont pas été retenus en raison de leurs capacités physiques ou cliniques ou de leur refus de participer. 9 d’entre eux ont pu réaliser les deux entretiens successifs (les autres étant décédés ou en incapacité de réaliser le deuxième entretien). Les caractéristiques de ces patients sont similaires à celles de [3] avec une majorité de femmes demandant l’euthanasie, pour la plupart atteintes de cancer.

7
distribution des âges
9
Figures 4-a/4-b/4-c: Caractéristiques des 18 patients ayant fait une demande d’euthanasie dans les services de soins palliatifs de Bourgogne Franche Comté et d’Ile de France (issue de [4])

3) Estimation du maintien des demandes d’euthanasie

Dans l’étude Guirimand [3], parmi les 61 demandes d’euthanasie recueillies initialement par les soignants (51% de médecins, 39% d’infirmières et 7% de psychologues), seulement 6 (10%) ont persévéré dans leurs requêtes en répétant leur demande d’euthanasie (représentant donc 0,3% des patients en soins palliatifs). Le reste de l’étude se focalise ensuite sur ces 6 patients uniquement de façon qualitative. In fine, seuls deux patients ont maintenu leur demande d’euthanasie jusqu’à leur décès.

L’article Ferrand et al [2,2012] est basé sur une enquête adressée durant l’année 2010 aux soignants de centres de soins palliatifs. Parmi les 789 services contactés, 352 (45 %) ont envoyé des données sur les demandes d’accélération de la mort dans leurs services (ce taux de réponse ne donne cependant aucune indication sur le nombre de patients totaux dans les unités répondantes).

Parmi ces requêtes d’accélération de la mort (dont 68,9% sont considérés comme des “souhaits clairs” d’euthanasies), un tiers (37%) sont persistantes, 28% disparaissent et 24% sont fluctuantes. Nous notons une différence significative entre celles, d’une part, venant des patients (34%) et des proches (39%) et celles, d’autre part, du personnel soignant qui sont très persistantes (53,1%).

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Figure 2: Persistance des requêtes initiales de hâter la mort issue de [2]

L’étude Leboul [4] permet également de regarder l’évolution de la demande d’euthanasie (maintien, arrêt, ambivalence) au gré des évènements, du vécu et des interactions. […].. Selon les auteurs « Le sentiment d’ambivalence, intrinsèque au désir de mort, peut masquer et nuancer le jeu des pulsions de vie et de mort. La réaction des soignants et leur accueil de la demande jouent aussi sur le fait d’exprimer à nouveau la demande et la forme rhétorique employée. Nous avons constaté leurs variations suite aux interactions avec des soignants et des proches et suite aux évènements liés à la maladie ».

Sur les 26 situations récoltées à partir des questionnaires venant des 31 patients qui ont fait une demande d’euthanasie, 10 sont considérées comme non persistantes par le soignant remplissant le questionnaire, 9 sont considérées comme persistantes. (6 définitions de l’évolution ne sont pas renseignées suite à un décès trop rapide et 1 donnée manquante).

La très récente étude Trimaille [5] se focalise particulièrement sur la sociologie des personnes demandant une euthanasie ou un suicide assisté avec un focus particulier sur la persistance des demandes et les caractéristiques spécifiques de cette persistance. EpiDESA2 est une étude prospective et multicentrique qui s’est déroulée de janvier à décembre 2017 en Bourgogne Franche Comté (2,8 millions d’habitants) auprès des 30 000 professionnels de santé à travers une large campagne de communication.

Le premier questionnaire permettait de recueillir les données socio-démographiques du patient, le contexte et la formulation mot pour mot de la demande.

Le second questionnaire était rempli dans les deux jours suivant la demande, avec un membre de l’Équipe mobile ou du Réseau de soins palliatifs (27 services mobiles ou fixes de soins palliatifs; les données de ressources disponibles de la région sont bien documentées), pour recueillir des renseignements sur l’état de santé physique, le niveau d’autonomie, d’indépendance, la situation familiale, sociale et psychique du patient. Le troisième questionnaire était complété une semaine après la première formulation, pour collecter des informations sur le contexte et les raisons de réitération ou non de la demande.

Les professionnels ont signalé 146 demandes d’euthanasie ou de suicide assisté sur une année.

Sur ces 146 demandes, 14 n’ont pas été retenues car elles ne correspondaient pas aux critères définis : demande formulée de manière explicite par un patient majeur, n’ayant pas de trouble neurocognitif, en fin de vie du fait d’une maladie grave, évoluée et incurable ou du fait de polypathologie gériatrique.

67 demandes ont été exclues pour d’autres raisons (l’accord de participation du patient n’a pas pu être recueilli (38) ; le patient a été perdu de vue (12) ; le patient est décédé (9) ; le patient a refusé de participer à l’étude (7) ; le questionnaire n’a pas été rempli (1)).

Finalement, 65 demandes ont été intégrées dans l’étude au jour 1. Dix patients ont été exclus entre le jour 1 et le jour 2 en raison de questionnaires incomplets ou de décès ce qui donne 55 demandes dont la sociologie et les symptômes médicaux ont été étudiés en profondeur.

Quarante demandes ont été formulées au sein d’un établissement de santé (16 en CHU et 24 en hôpital local), 7 en EHPAD, 7 en cabinet libéral et 1 au domicile du patient. Trente-deux des 55 patients bénéficiaient d’une prise en charge palliative (9 en USP –unité de soins palliatifs-, 19 par une EMSP-équipe mobile de soins palliatifs- ou RSP-réseau de soins palliatifs- et 4 par l’intermédiaire d’un LISP-lits identifiés de soins palliatifs-, d’un gériatre ou d’un médecin généraliste).

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type demande
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Figures 5: comparaison des caractéristiques socio-économiques et symptômes entre les demandes persistantes et non persistantes selon [5]

Concernant la réitération des demandes au bout d’une semaine, dix patients sont exclus entre le jour 2 et le jour 7 en raison du décès soit au final 45 demandes suivies jusqu’au bout du protocole. Ainsi, parmi les 45 demandes d’euthanasie ou de suicide assisté initiales, 22 disparaissent (49%) contre 23 qui sont réitérées (51%).

Les patients qui ont réitéré leur demande ont une moyenne d’âge plus élevée (81 ans contre 75 ans), sont moins entourés 14/23 (61 %) et 22 des 23 patients disent avoir plus de difficultés à gérer leur perte d’autonomie.

En outre, les comparaisons des caractéristiques socio-économiques montrent que:

  • Les hommes maintiennent plus leur demande d’euthanasie que les femmes,
  • Les artisans, commerçants, chefs d’entreprise sont deux fois plus représentés dans les demandes réitérées.

Les caractéristiques cliniques (figures 5) ne montrent pas de différences significatives hormis dans 3 cas de figure :

  • On compte beaucoup plus de patients dont les symptômes se sont dégradés dans les derniers mois parmi les demandes qui disparaissent que parmi les demandes maintenues. Cette surreprésentation peut signifier que la dynamique de dégradation influence l’expression initiale de la demande d’euthanasie mais une fois passée cette expression, l’adaptation des traitements palliatifs permet de rétablir une stabilité des symptômes.
  • Les symptômes douloureux sont légèrement plus importants pour les demandes maintenues que pour les demandes abandonnées.
  • Les maladies neurologiques sont plus représentées dans les demandes maintenues que dans les demandes abandonnées.

Conclusion

Selon ces études, les demandes initiales d’euthanasie restent faibles en France (1,8% des décès et entre 0,7% et 3% des patients en soins palliatifs).

Les demandes persistantes sont encore plus faibles puisque les études montrent qu’entre 50% et 90% des demandes initiales ne persistent pas dans le temps.

II.Quelles sont les raisons et les motivations de ces demandes d’euthanasie ?

Après avoir estimé le nombre de demandes d’euthanasie initiales et persistantes, nous proposons d’analyser le contexte médical, les conditions de la maladie ainsi que les raisons et motivations de ces demandes.

1) La situation clinique des personnes demandant une accélération de la mort

L’étude Ferrand [2, 2012] (soutenue financièrement en particulier par la SFAP) a permis d’identifier 783 cas de requête pour accélérer la mort1 dont 476 venaient des patients, 258 de la famille ou des amis proches et 49 de l’équipe de soignants.

Parmi les 476 demandes d’accélération de la mort exprimées par les patients :

  • 79,4% des patients exprimant cette demande étaient atteints de cancer.
  • D’après les soignants, 13,9% des patients qui demandent d’accélérer la mort souffraient d’un syndrome dépressif en cours.
  • 82,4% des patients demandant une accélération de la mort ont vu soit un psychologue ou un psychiatre “ce qui peut laisser des doutes sur la capacité à prendre des décisions importantes sur sa fin de vie.”

Lorsque la demande est exprimée par le patient, les symptômes cliniques principaux (>40%) sont la souffrance physique contrôlée (55,3%), les difficultés d’alimentation (54,6%), les difficultés motrices (46%). 5% souffrent de manière incontrôlée.

Parmi les 258 demandes d’accélération de la mort exprimées par les proches, les principaux symptômes cliniques évoqués sont les difficultés d’alimentation (81,4%), les difficultés de communication (67,4%), les difficultés d’excrétion (67,4%) et les déficiences motrices (65,1%). Les douleurs incontrôlées ne sont citées que par 1,9% des proches.

Parmi les 49 demandes d’accélération de la mort exprimées par les soignants, les principaux symptômes cliniques évoqués sont les difficultés d’alimentation (79,6%), les déficiences motrices (73,5%), les difficultés d’excrétion (67,4%) et les difficultés de communication (63,3%). Les douleurs incontrôlées ne sont pas citées du tout.

2a
Figures 2-a : Symptômes cliniques du patient, parmi les patients exprimant une demande pour accélérer la mort, issus de [2]

L‘importance des symptômes évoqués par les groupes de personnes demandant une accélération de la mort (patients, proches, personnels soignants) n’est pas uniforme :

  • Les troubles cognitifs et de communication sont davantage (respectivement 5 et 4 fois plus) mentionnés par les proches et le personnel médical que par les patients ainsi que les difficultés d’excrétion (2 fois plus) et les difficultés d’alimentation (1,5 fois plus).
  • La douleur incontrôlée est peu citée par les patients (5%). Elle n’est pas perçue de la même manière par les proches ou les soignants. Ces derniers ne la mentionnent pas du tout.

2) Les motivations de la requête d’accélération de la mort

Dans l’étude Ferrand [2], le contexte de la demande se fait souvent après l’annonce de la maladie ou à la suite d’un ou plusieurs épisodes sévères sur l’évolution de la maladie (plusieurs choix possibles dans l’enquête) :

  • 39,7% après l’annonce de l’entrée en phase terminale
  • 25% en apprenant le diagnostic
  • 18,1% après un épisode sévère
  • 60,5% après plusieurs épisodes sévères

Lorsque la demande est exprimée par le patient, les motifs principaux (>40%) sont la culpabilité d’être un fardeau pour sa famille (51,3%), la peur de donner une image intolérable de soi-même (49,8%), une vie inutile (42,6%) et la peur d’une souffrance insoutenable (41,2%)

Lorsque la demande est exprimée par les proches, les motifs principaux concernent la peur de donner une image intolérable de soi-même (49,2%), une vie inutile (42,6%), la peur de la douleur insoutenable (37,2%), la culpabilité d’être un poids pour sa famille (36,8%).

Lorsque la demande est exprimée par le corps médical, les motifs principaux concernent la peur de donner une image intolérable de soi-même (51%), la culpabilité d’être un poids pour sa famille (40,8%), la peur de la mort (38,8%), et la peur de la douleur insoutenable (37,2%).

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Figure 2-b : Perceptions du patient, parmi les patients exprimant une demande pour accélérer la mort, issues de [2]

Les trois principaux motifs de demandes d’accélération de la mort chez les patients sont liés à la perception de leur image et de la qualité de leur vie relationnelle :

  1. Culpabilité d’être un fardeau pour sa famille et ses amis
  2. Peur de présenter une image intolérable de soi-même
  3. Vie inutile

Ces facteurs d’ordre psychologique et relationnel demandent une prise en charge adéquate de l’environnement familial, amical et médical.

3) Focus sur une approche nouvelle basée sur des entretiens directs qui donnent la parole aux patients qui font une demande d’euthanasie

Un article récent publié en 2022 [4] par Leboul et al (avec une partie des mêmes auteurs de la maison médicale Jeanne Garnier [3] associés à des acteurs du CHU de Besançon) permet d’enrichir cette approche qualitative pour mieux comprendre en profondeur les demandes d’euthanasie. La collecte de données a été réalisée auprès des patients et pas des soignants ce qui rend cette étude unique.

Deux entretiens approfondis d’une quarantaine de minutes ont été réalisés à une semaine d’intervalle. Grâce à ce procédé de “recherche utilisateur” (procédé utilisé en marketing par exemple), 15 entretiens riches permettent d’obtenir suffisamment d’informations.

Ainsi, cinq catégories de raisons ressortent des entretiens avec les patients justifiant selon eux leur demande d’euthanasie.

Le premier thème confirme les résultats de l’étude précédente sur les motifs des patients [2]. Si la douleur physique après des épisodes aigus des maladies constitue un motif important, on note aussi un appel des patients à reconnaitre une souffrance existentielle insupportable. Cette catégorie inclut :

  • La détresse psychologique de voir son corps et ses fonctions se détériorer, la perte de contrôle de sa vie
  • Les sentiments de solitude liés à la désespérance qu’ils ne peuvent pas partager, un sentiment d’inutilité auprès des autres, la difficulté à communiquer…
  • L’angoisse projective de souffrir dans le futur juste avant la mort notamment en faisant référence à des épisodes traumatiques vécus par des proches souffrant à l’approche de leur fin de vie

En donnant la parole aux patients, cette étude fait ressortir également quatre nouvelles catégories de raisons :

  • Un encouragement à changer d’approche clinique. En effet, parmi ceux qui ont pu avoir les deux entretiens, les patients ont exprimé avoir vu un changement d’attitude du personnel soignant après avoir exprimé une demande d’euthanasie et se sont sentis rassurés par la capacité des soignants à gérer la souffrance physique et les symptômes. Les patients ont aussi investi les relations avec les soignants et témoignent que cette attention accrue a pu leur faire changer de point de vue sur l’urgence de mettre un terme à leur vie.
  • Une réaffirmation de la liberté par rapport aux contraintes médicales. Les déclarations des patients révèlent une recherche de contrôle du moment et des conditions de leur mort afin de se libérer de la mainmise des professions médicales sur leur maladie. Les patients réclament de prendre leurs décisions pour eux-mêmes enracinées dans une philosophie de vie basée sur la liberté et l’autonomie. Ils mettent en avant leur capacité à se battre face à l’adversité.
  • Une capacité à imaginer un futur désirable pour soi-même. Les patients se projettent eux-mêmes dans un futur où ils seront soulagés de toutes les souffrances du présent. Ils souhaitent avoir la capacité à investir le temps restant en prenant un certain plaisir à vivre (refaire des activités qui leur plaisent par exemple). Enfin, ce temps permet de déclencher des discussions avec leurs proches.
  • Le test de la possibilité de transgresser l’interdit de l’euthanasie. En faisant cette demande, ces patients souhaitent vérifier si l’euthanasie pourrait être pratiquée. Lors du second entretien, des patients testent aussi la possibilité de la faisabilité du suicide assisté comme alternative à la demande d’euthanasie.

L’étude conclut que l’adoption d’une attitude d’écoute des unités de soins palliatifs face à ces demandes permet de créer un espace de discussion à même de favoriser l’interaction avec le patient au lieu de répondre à cette demande d’euthanasie par une solution irréversible.

 

CONCLUSIONS

Selon les résultats de la première partie de l’étude :

  • Les demandes initiales d’euthanasie restent faibles en France (1,8% des décès et entre 0,7% et 3% des patients en soins palliatifs).
  • Les demandes persistantes sont encore plus faibles puisque les études montrent qu’entre 50% et 90% des demandes initiales ne persistent pas dans le temps.

Dans la deuxième partie, une étude plus qualitative des demandes d’euthanasie montre que :

  • Les demandes d’euthanasie sont très peu motivées par la douleur incontrôlée (seulement 5% des cas), mais majoritairement motivées par la perception de la perte de dignité et la peur d’être un poids pour la société ou les proches.
  • L’existence de demandes d’euthanasie émanant de médecins et de proches peut interroger sur les pressions éventuelles subies par les patients (enquête Ferrand).
  • Certaines motivations exprimées par les patients sont bien identifiées par les soignants comme l‘anticipation de la souffrance et le sentiment de solitude. En revanche, lorsqu’ils sont directement interrogés, les patients disent le besoin de retrouver une marge de manœuvre sur les choix médicaux. Ils cherchent également des interactions plus importantes et un rééquilibrage de la relation avec les soignants.

 

[1] 2012, Pennec Sophie, Monnier Alain, Pontone Silvia, Aubry Régis. 2012. Les décisions médicales en fin de vie en France. Population & Sociétés, 494, 4 p. https://www.cairn.info/revue-population-et-societes-2012-10-page-1.htm

 

[2] 2012, Ferrand E, Dreyfus JF, Chastrusse M, Ellien F, Lemaire F, Fischler M. Evolution of requests to hasten death among patients managed by palliative care teams in France: a multicentre cross-sectional survey (DemandE). Eur J Cancer. 2012 Feb;48(3):368-76. doi: 10.1016/j.ejca.2011.09.020. Epub 2011 Oct 28. PMID: 22036873. https://www.ejcancer.com/article/S0959-8049(11)00733-7/fulltext ; en Français: L’enquête multicentrique DemandE, Médecine Palliative : Soins de Support – Accompagnement – Éthique, Volume 11, Issue 3, 2012, Pages 121-132, ISSN 1636-6522, https://doi.org/10.1016/j.medpal.2011.12.005. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1636652212000037

 

[3] 2014, Guirimand F, Dubois E, Laporte L, Richard J-F, Leboul D. Death wishes and explicit requests for euthanasia in a palliative care hospital: an analysis of patients files, November 2014, BMC Palliative Care 13(1):53 https://bmcpalliatcare.biomedcentral.com/articles/10.1186/1472-684X-13-53

 

[4] 2022, Leboul D, Bousquet A, Chassagne A, Mathieu-Ricot F, Ridley A, Cretin E, Guirimand F, Aubry R. Understanding why patients request euthanasia when it is illegal: a qualitative study in palliative care units on the personal and practical impact of euthanasia requests, January 2022, Palliative Care & Social Practice, https://www.researchgate.net/publication/357738825_Understanding_why_patients_request_euthanasia_when_it_is_illegal_a_qualitative_study_in_palliative_care_units_on_the_personal_and_practical_impact_of_euthanasia_requests ;

en Français, Étude DESA Demandes d’Euthanasie et de Suicide Assisté Étude prospective, multicentrique et qualitative RAPPORT DE RECHERCHE 2014 – 2017, 2018, https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=18356 https://www.jeanne-garnier.org/wp-content/uploads/2022/10/Comprendre-les-Demandes-deuthanasie-de-patients-en-USP-25-oct-2022.pdf

 

[5] Hélène Trimaille, Florence Mathieu-Nicot, Morgane Bondier, Aurélie Godard-Marceau, Régis Aubry, Lionel Pazart, Aline Chassagne, Évolution des demandes d’euthanasie ou de suicide assisté selon les professionnels de santé, Médecine Palliative, 2022, ISSN 1636-6522, https://doi.org/10.1016/j.medpal.2022.09.003, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1636652222000836

Filiation et libre circulation en Europe : vigilance

Filiation et libre circulation en Europe : vigilance

Filiation et libre circulation en Europe : vigilance

La Commission européenne a initié en 2020 une procédure de proposition de règlement (initiative) visant « à ce que la parentalité, telle qu’établie dans un pays de l’Union européenne (UE), soit reconnue dans toute l’UE de manière à ce que les droits des enfants soient maintenus dans des situations transfrontières, en particulier lorsque leur famille voyage ou se déplace à l’intérieur de l’UE. » La Commission dans sa consultation des associations et des citoyens précise que l’initiative ne vise pas à harmoniser les législations nationales relatives à l’établissement de la parentalité.

En effet l’établissement de la filiation est de la compétence nationale de chaque état. Cependant une récente décision de la Cour européenne de justice pourrait sembler contourner quelque peu cette approche au nom de la liberté de circulation au sein de l’UE, sans pour autant imposer à un Etat membre la reconnaissance de filiation qu’il n’entend pas établir.

Ce jugement concerne une affaire relative à un différend concernant deux femmes mariées selon la loi espagnole -l’une bulgare et l’autre résidente de Gibraltar – et un enfant né en Espagne, pays qui a établi l’acte de naissance les inscrivant comme deux mères. Selon la loi espagnole, un enfant ne peut obtenir la nationalité de ce pays si aucun des parents n’est espagnol. En revanche la loi bulgare octroie de facto la nationalité bulgare si l’un des parents est de nationalité bulgare.

Mais la Bulgarie ne reconnaissant pas les mariages de personnes de même sexe,  son administration n’a pas pu transcrire l’acte de naissance lors de la demande de papiers d’identité. D’où la difficulté d’établir des papiers d’identité pour l’enfant. Dans sa décision, la Cour a enjoint les autorités bulgares « à délivrer une carte d’identité ou un passeport bulgare, indiquant son nom patronymique tel qu’il résulte de l’acte de naissance établi par les autorités espagnoles, indépendamment de l’établissement d’un nouvel acte de naissance ».

La Cour a précisé qu’un tel document, seul ou associé à un document délivré par l’État membre d’accueil, doit permettre à « un enfant d’exercer son droit de libre circulation, avec chacune de ses deux mères, dont le statut de parents de cet enfant a été établi par l’État membre d’accueil » se référant à la directive  relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Il en ressort que si des différences d’attribution de la filiation existent entre Etats membres, il demeure essentiel que les litiges soient appréciés au cas par cas.

Alliance VITA a émis un avis en réponse à la consultation de la Commission européenne qui met en garde sur une systématisation des reconnaissances de filiations au sein de l’UE en maintenant le principe de subsidiarité des états en la matière. Une telle procédure pourraient mettre en danger les enfants eux-mêmes dans un contexte tendu de croissance d’un « marché de la procréation » et de risque de trafic d’êtres humains.

« Il importe en outre de prêter une attention particulière aux graves dangers que comporte la pratique de la gestation pour autrui (GPA, ou maternité de substitution) sur le plan de l’intérêt supérieur de l’enfant et des droits fondamentaux de la femme, s’agissant en particulier de son exploitation.

L’imposition d’une reconnaissance systématique de la parentalité issue d’une GPA par l’UE vis-à-vis d’un État membre, que cette parentalité ait été initialement reconnue dans un autre État membre ou dans un pays tiers, conduirait à ce que la GPA se voit de facto encouragée et juridiquement acceptée, en dépit des graves atteintes aux droits fondamentaux qu’implique cette pratique ».

Le 7 décembre 2022, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement en matière de reconnaissance de filiation entre les Etats membres. Uniquement en anglais, le texte va être publié dans les différentes langues de l’Union européenne sous peu. Plusieurs éléments doivent être questionnés.

  • L’intitulé de ce règlement fait référence à la parentalité qui n’est pas un élément juridique au lieu d’utiliser l’expression de filiation.
  • Obligation serait faite aux pays de l’Union de reconnaître des filiations établies à l’étranger, y compris pour des pratiques interdites dans la plupart des états membres comme la gestation par autrui. Si la régulation n’entend pas intervenir dans les législations nationales, elle impose clairement les effets de pratiques prohibées.
  • L’établissement d’un certificat européen de « parentalité » affaiblirait les états notamment en matière de lutte contre le trafic des êtres humains.

 

Une analyse approfondie va être conduite par Alliance VITA et transmise à la Commission avant le 8 février 2023.

Pour aboutir, ce type de régulation nécessite d’être approuvée par le Parlement européen et un vote à l’unanimité au Conseil européen (art. 81-3- Traité du fonctionnement de l’Union européenne). Le prétexte de la liberté de mouvement au sein de l’Union européenne ne doit pas masquer l’ingérence qu’elle constituerait pour les Etats en matière de filiation et de sécurisation des droits de l’enfant.

 

Voir tous nos articles sur les droits de l’enfant.

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