Suicide assisté en Oregon : les dérapages inéluctables du “modèle”

Suicide assisté en Oregon : les dérapages inéluctables du “modèle”

Croissance du suicide assisté en Oregon

Une étude rétrospective sur 25 ans de pratique du suicide assisté en Oregon (Etat américain) montre une croissance continue de cet acte depuis 25 ans et une interprétation extensive des critères d’application.

Evolution de la pratique « médicale » du suicide assisté en Oregon

Depuis 25 ans, 2 454 personnes sont décédées du suicide assisté en Oregon, passant de 16 en 1998 à 278 en 2022. Cela représente 0,6% des décès. Comparativement à la population en France, cela reviendrait à près de 4000 suicides par an. L’âge moyen des patients suicidés se situe à 72,5 ans.

Toutes les personnes ayant reçu une ordonnance en vue d’un suicide assisté en Oregon ne finissent pas nécessairement par s’en servir. Cependant, il y a un manque de données quant aux raisons de cette non utilisation : soit les personnes sont décédées de leur maladie, soit elles ont renoncé au suicide assisté.

Aucune information n’est fournie sur les produits achetés et non consommés.  La proportion de décès suivant la prise d’un produit létal prescrit comparée avec le nombre de prescriptions est passé de 58% dans la première décennie consécutive à la légalisation à 67% ces 5 dernières années.

Une évolution des critères d’éligibilité et des procédés qui laissent perplexes

Enfin les raisons économiques sont en progression. L’inquiétude du coût des traitements qui pousse parfois à les refuser et à demander le suicide assisté atteint 8,1% en 2021. Les auteurs ont aussi noté une évolution des catégories sociales des patients depuis 2008 à partir des assurances médicales qui sont un indicateur du niveau de vie aux Etas-Unis.

En moyenne 65% des candidats au suicide détenaient une assurance médicale privée jusqu’en 2008.  La tendance s’est ensuite totalement inversée : 79,5% des patients qui demandent le suicide assisté sont souscripteurs d’une assurance publique dont Medicaid qui est octroyée aux personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ces indications mériteraient une étude plus approfondie dans la mesure où la part de Medicaid dans la catégorie des assurances publiques n’a pu être déterminée.

 
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Quels moyens pour les soins palliatifs en 2024 ?

Quels moyens pour les soins palliatifs en 2024 ?

La question des moyens alloués pour les soins palliatifs en 2024 se pose après l’adoption sans vote du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSSau moyen du 49.3 Et cette question se pose avec encore plus d’acuité dans le contexte de l’élaboration d’un projet de loi qui pourrait légaliser l’euthanasie et le suicide assisté. Si le calendrier de ce projet de loi reste soumis à des aléas politiques, une première rédaction a en effet circulé dans certains médias mentionnant la légalisation du suicide assisté dans les termes suivants : « l’administration de la substance létale serait effectuée par la personne elle-même ».

 

Une priorité annoncée pour les soins palliatifs

La priorité au développement des soins palliatifs a été affirmée par Emmanuel Macron lors de son discours aux membres de la Convention Citoyenne organisée par le CESE sur la fin de vie, en avril 2023Je crois qu’une solution unanimement préconisée doit être maintenant rigoureusement mise en œuvre. Il nous faut mieux faire appliquer la loi Claeys-Leonetti, comme le souligne aussi très bien la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale. Nous avons en la matière une obligation d’assurer l’universalité de l’accès aux soins palliatifs, de diffuser et d’enrichir notre culture palliative et de rénover la politique de l’accompagnement du deuil”.

De cette forte affirmation, le dossier de presse du PLFSS s’est fait l’écho. En page 16 d’un document en comportant 56, un paragraphe titre “S’engager dans la rénovation et le renforcement de la filière palliative“. Reprenant l’engagement du président de la République, le dossier de presse affirme que “Ce PLFSS traduit cette ambition, et, dès fin 2024, des premières avancées majeures seront constatées en faveur du renforcement de la filière palliative : déploiement des filières avec mise en place de l’hospitalisation de jour en soins palliatifs ; couverture de tous les départements par une unité de soins palliatifs ; création de la première unité de soins palliatifs pédiatriques“.

 

Mais une difficulté à mesurer les moyens au service de cette priorité

Le document du PLFSS transmis au Parlement, et détaillant un nombre important de mesures au long de ses 551 pages ne comporte pas de mention des soins palliatifs, ce qui ne parait pas cohérent avec un axe prioritaire. Pour l’anecdote, le mot “soin” apparait 804 fois, le mot “prévention” 208 et le mot “préservatif” 60 fois. Cependant, à la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale, Mme Firmin Le Bodo, en réponse à la question d’un député, M. Philippe Juvin, a déclaré que : “le PLFSS prévoit 20 millions d’euros supplémentaires pour entamer la création d’une filière de prise en charge palliative, conformément à l’instruction donnée aux ARS. C’est l’une des premières briques du développement des soins palliatifs“.

L’information disponible pour suivre les moyens alloués au développement des soins palliatifs n’est pas facilement accessible. Le plan actuel de “Développement des soins palliatifs et accompagnement de la fin de vie” couvre la période 2021-2024 et a été doté de 171 millions au total. Un bilan d’étape sur ce plan avait été publié en 2022 par la ministre en charge, Agnès Firmin Le Bodo, à l’occasion de la journée mondiale des soins palliatifs. Le communiqué de presse mentionnait le montant de 10.1 millions alloués aux régions afin de :

  • Financer des projets dans les départements sans Unité de Soins Palliatifs (USP),
  • Développer l’expertise et la connaissance sur les soins palliatifs dans chaque région.
  • Un communiqué de presse publié en octobre 2023 fait état d’une impulsion et des avancées, mais ne mentionne aucun chiffre.

La Cour des Comptes dans son rapport sur les soins palliatifs a évalué l’ensemble des dépenses pour les soins palliatifs à 1,5 milliard en 2021. Une allocation annuelle d’environ 42 millions (la quote-part de l’enveloppe globale des 171 millions du plan des Soins Palliatifs) représente donc 2.85% d’effort supplémentaire par an.

 

A ce rythme, il n’est pas étonnant que le développement des soins palliatifs reste lent. Le plan de développement 2008-2012 recensait fin 2007 4028 lits de soins palliatifs en établissements de santé et 337 équipes mobiles. Selon le CNSFPV (Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie), le nombre de lits (en USP ou dans d’autres services) atteint 7529 en 2021, et il y a 420 équipes mobiles. Et selon la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs), au moins la moitié des besoins ne sont pas couverts actuellement.

Ces constats de manque de moyens pour les soins palliatifs et de réelle volonté politique, de nombreux acteurs de soins palliatifs le font au quotidien. Récemment un spécialiste investi de longue date dans les soins palliatifs expliquait dans le Quotidien La Croix : « certains services doivent fermer faute de médecins expérimentés ou réduisent le nombre de lits disponibles en raison du manque de personnels soignants. Il est urgent de sécuriser les postes existants et de valoriser ce métier ».

Comment alors penser que la priorité annoncée par le gouvernement pourra être honorée sans des moyens bien supérieurs à ceux mis jusqu’à présent ?

Et comment avancer dans une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté alors que la loi actuelle, qui prévoit un droit aux soins palliatifs pour tous les Français, n’est toujours pas effective ?

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[CP] L’Université de la vie d’Alliance VITA revient en janvier 2024

[CP] L’Université de la vie d’Alliance VITA revient en janvier 2024

COMMUNIQUE DE PRESSE – 16 novembre 2023

L’Université de la vie d’Alliance VITA revient en janvier 2024

 

Cycle de formation aux enjeux bioéthiques créé et animé par Alliance VITA, l’Université de la vie revient en janvier 2024. Au programme, quatre soirées de formation dans plus de 150 villes en France et à l’étranger autour du sujet « Parier sur la vie – est-ce raisonnable ? » : les lundis 15, 22, 29 janvier et 5 février 2024.

Dans un monde en mutation et où l’inquiétude grandit, l’omniprésente tentation de maîtrise devient paralysante. Des jeunes disent ne plus vouloir d’enfants tandis qu’augmente la peur de vieillir. Comment faire, encore, le pari de la vie et de l’avenir ?

Depuis 19 ans, l’Université de la vie dresse le panorama des grandes questions bioéthiques du début à la fin de vie pour susciter une réflexion concrète ancrée dans le quotidien, dans l’actualité et la réalité, et pour encourager chacun des participants à comprendre ce qui se passe et à prendre sa place dans la société. Cette année encore, experts et témoins croiseront leurs regards et leurs analyses.

Aux côtés de Blanche Streb, Caroline Roux, Jeanne Bertin-Hugault et Tugdual Derville, interviendront notamment : Raphaëlle de Foucauld, thérapeute| François Bert, fondateur de l’Ecole du discernement | Caroline Brandicourt, porte-parole de Soulager mais pas tuer.

La quatrième soirée, « Parier sur l’avenir », se déroulera cette année en direct autour d’invités exceptionnels.

Informations et inscriptions sur www.universitedelavie.fr

 

Contact presse

Claire-Anne Brulé

+ 33(0)6 67 77 14 80 – contactpresse@alliancevita.org

Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue.

Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue.

Projet européen sur le cerveau humain : 3 questions au Dr Grégoire Hinzelin, neurologue

 

Qu’est-ce que le projet européen sur le cerveau humain ?

Le projet sur le cerveau humain a été lancé au niveau européen fin 2013 pour une durée de 10 ans. Son ambition initiale visait de nombreux axes de recherche, au confluent de plusieurs disciplines : la neurologie, l’informatique médicale, les technologies de l’information et de la communication. En neurologie, l’objectif est d’établir un atlas le plus détaillé possible du cerveau qui permettra des traitements médicaux plus précis.

Une meilleure modélisation du mode de fonctionnement du cerveau est aussi attendue : elle est utile à la fois pour les recherches médicales et dans les technologies qui cherchent à copier ce mode de fonctionnement pour les sciences de l’informatique.

Un des objectifs est par exemple de travailler à une Intelligence Artificielle répliquant le cerveau dans l’espoir d’obtenir des économies d’énergie. On sait en effet que le cerveau est très nettement plus efficace que l’ordinateur dans sa consommation d’énergie pour traiter l’information et calculer. AlphaGo, de DeepMind (filiale de Google) qui a battu en 2016 le meilleur joueur mondial du jeu de go consommait 20,000 watts par jour, quand un cerveau consomme entre 20 et 40 watts !

Le cerveau humain combine à la fois le traitement de l’information et le stockage dans le réseau de neurones, alors que l’ordinateur est conçu en séparant les unités de calcul et de mémoire. Ces recherches pour trouver des solutions éco énergétiques s’appliquent à de nombreuses tâches cognitives : reconnaissance d’images et reconnaissance vocales, mais aussi drones, satellites… Pour reconnaître un chat, un enfant a besoin de 12 itérations, il en faut 15000 actuellement pour une machine IA.

Un autre objectif était d’obtenir un atlas le plus complet possible du cerveau, en trois dimensions, et mis à la disposition des équipes de chercheurs.

Ce projet a bénéficié de 607 millions d’euros de subventions européennes, et de la collaboration de plus de 500 chercheurs dans 19 pays.

 

Quelles sont les réalisations et les avancées de ce projet ?

La cartographie détaillée du cerveau n’a pas changé le modèle de compréhension actuelle de son fonctionnement mais a permis de l’affiner considérablement. Cette cartographie permettra par exemple que les opérations sur des tumeurs du cerveau soient plus précises. De même pour la rééducation cérébrale qui s’appuie sur la plasticité du cerveau.

La mesure de la conscience peut aussi s’affiner. Après des lésions sévères du cerveau, le malade peut être déclaré inconscient, mais ce diagnostic n’est pas toujours correct, car certains patients peuvent être conscients mais incapables de le montrer.

En France, des chercheurs ont mis au point des modèles cérébraux personnalisés de patients épileptiques qui ne répondent pas aux médicaments. De tels modèles de cerveaux virtuels aident à identifier les zones du cerveau où les convulsions apparaissent.

A l’intersection des neurosciences, de la robotique et de l’informatique, un projet comme SpiNNaker cherche à répliquer le fonctionnement du cerveau humain. A la différence des super-ordinateurs, il n’a pas de puissants processeurs de calcul mais des petits processeurs intégrés comme sur les téléphones portables très connectés entre eux pour obtenir le haut degré de connectivité des neurones dans le cerveau. Selon un des directeurs de ce projet, le professeur Steve Furber :

SpiNNaker permet aux utilisateurs d’explorer des hypothèses et des théories sur le fonctionnement du cerveau. Parce que la façon dont le cerveau fonctionne en tant que processeur d’information est encore un mystère pour la science, et c’est l’un des grands défis des neurosciences d’essayer de commencer à utiliser des explications convaincantes sur la façon dont le cerveau fait son travail. Mais jusqu’à ce que de telles explications soient disponibles, la science progresse en proposant des théories et en testant ces théories, et un modèle informatique est un bon moyen de tester une théorie“.

 

Quelles sont les limites de ce type de projet ?

Le rêve de modéliser la pensée reste une utopie qui n’est pas atteignable à l’heure actuelle.

Pour le projet SpiNNaker par exemple, selon son directeur, “même avec un million de processeurs, nous sommes loin d’atteindre l’échelle du cerveau humain complet. De manière optimiste, nous pouvons modéliser l’approche d’environ un pour cent du cerveau humain, ou peut-être 0,1 pour cent“.

Les implants cérébraux dont on parle beaucoup font l’objet de recherches depuis des décennies dans des unités à Grenoble, à Lausanne par exemple. Des résultats sont obtenus mais ces implants nécessitent des précautions : quid des infections ? De la durée de vie ? Du retentissement psychologique de l’implant ?

Il faut distinguer aussi la capacité de réparer et la capacité de prédire. On connait le vieux rêve de détecter les mensonges, ou d’identifier les émotions en surveillant le cerveau. Les expériences actuelles, avec des machines lourdes, pour décrypter les messages du cerveau se font avec le consentement des patients. Il n’est pas possible pour le moment de lire le cerveau contre la volonté d’un patient.

De plus, le mode de fonctionnement du cerveau utilise beaucoup l’oubli, pas uniquement la capacité de stocker de l’information comme un super-ordinateur le fait. Pour qu’une machine se rapproche du cerveau, il faudrait mieux comprendre comment le cerveau oublie.

Enfin, la question du sens reste une question intimement liée à l’humain. Dans une société du tout numérique qui pourrait se profiler, quel est le sens de ces machines qui nous indiqueraient que faire, que choisir, comment nous orienter, sur les routes ou dans la vie ? L’augmentation de la puissance de la machine se fait au risque de la réduction des expériences humaines. Le perfectionnement des machines ne doit pas occulter la singularité de chaque personne humaine, dont le cerveau est d’ailleurs unique.

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Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

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Note d’analyse – 27 janvier 2023

 

Proposition de règlement du Conseil européen relatif à la filiation

La proposition de règlement du Conseil relatif à la compétence, à la loi applicable, à la reconnaissance des décisions et à l’acceptation des actes authentiques en matière de filiation ainsi qu’à la création d’un certificat européen de filiation


 

Le droit de l’Union, tel qu’il est interprété par la Cour de justice de l’Union européenne, prévoit que la filiation établie dans un État membre doit être reconnue dans tous les autres États membres de l’Union européenne (UE) aux fins des droits que tire l’enfant du droit de l’Union, en particulier de ceux relatifs à la libre circulation.

En revanche, les Etats membre ne sont, pour l’heure, pas tenus de reconnaître la filiation établie dans un autre État membre aux fins des droits que tire l’enfant du droit national tels que la succession, les obligations alimentaires, le droit de garde ou le droit des parents d’agir en tant que représentants légaux de l’enfant (pour les questions de scolarité ou de santé).

Dans le but affiché d’imposer aux Etats membres de reconnaître la filiation d’un enfant telle qu’établie dans un autre Etat membre à toutes les fins, la Commission européenne a présenté, le 7 décembre 2022, une proposition de règlement en matière de reconnaissance de filiation entre les Etats membres.

Les principaux éléments de la proposition sont les suivants :

  • la désignation de la juridiction compétente : la proposition détermine les juridictions des États membres compétentes pour statuer sur les questions de filiation ;
  • la désignation de la loi applicable : le règlement prévoit que la loi applicable à l’établissement de la filiation devra être celle de l’État dans lequel « la personne qui accouche »[1] a sa résidence habituelle. Lorsque cette règle donne lieu à l’établissement de la filiation par rapport à un seul des parents, d’autres options sont prévues pour garantir que la filiation puisse être établie par rapport à chacun des deux parents ;
  • les règles de reconnaissance de la filiation : la proposition prévoit la reconnaissance systématique des décisions de justice et des actes authentiques établissant la filiation ou attestant l’établissement de la filiation. Le règlement prévoit que la filiation établie dans un État membre devra être reconnue dans tous les autres États membres, sans procédure spéciale ;
  • la création d’un certificat européen de filiation : les enfants (ou leurs représentants légaux) pourront demander ce certificat à l’État membre qui a établi la filiation et choisir de l’utiliser pour prouver leur filiation dans tous les autres États membres. La Commission propose un modèle harmonisé, commun à l’ensemble de l’UE. L’utilisation du certificat sera facultative pour les familles, mais celles-ci auront le droit de le demander et de le faire accepter dans toute l’UE.

Force est toutefois de constater que, en l’état, cette proposition de règlement contrevient aux principes d’attribution (I.) et de proportionnalité (II.) fixés par les traités de l’Union.

 

I. Sur la violation du principe d’attribution

 

Prévu par l’article 5 du Traité sur l’Union Européenne (TUE), le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’UE et implique que celle-ci n’agisse que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent.

Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités relève de la seule compétence des États membres.

Ainsi, en vertu des traités de l’Union européenne, le droit matériel de la famille, y compris le statut juridique des personnes, relève de la compétence exclusive des Etats membres.
Cette exclusivité souffre une seule exception, prévue par l’article 81 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), aux termes duquel :

« Par dérogation au paragraphe 2, les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière sont établies par le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale. Celui-ci statue à l’unanimité, après consultation du Parlement européen.
Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision déterminant les aspects du droit de la famille ayant une incidence transfrontière susceptibles de faire l’objet d’actes adoptés selon la procédure législative ordinaire. »

Toutefois, comme le rappelle elle-même la Commission européenne, ces mesures ne peuvent consister en une harmonisation du droit matériel des Etats membres en ce qui concerne l’établissement de la filiation d’une personne [2].

Or, c’est précisément l’objet de la proposition de règlement du 7 décembre 2022, qui impose à chaque Etat membre de reconnaître tout acte d’établissement de filiation émanant d’un autre Etat membre.

La proposition va jusqu’à mettre en place un certificat européen de filiation, qui ferait l’objet d’une procédure identique dans tous les Etats membres (procédure fixée par l’annexe V de la proposition) et constituerait « un document valable pour l’inscription de la filiation dans le registre pertinent d’un Etat membre »[3].

En forçant de la sorte la reconnaissance par un Etat membre A de la filiation établie conformément aux règles nationales de droit de la famille d’un Etat membre B aux fins des droits tirés de la filiation en vigueur dans l’Etat membre A, la Commission européenne gomme les différences entre les règles de fond des Etats membres relatives à l’établissement de la filiation et les prive ainsi d’effet utile.

Elle outrepasse donc largement le cadre de l’exception prévue à l’article 81 du TFUE et s’octroie une compétence réglementaire qu’elle ne possède pas.
En tout état de cause, à supposer que la Commission européenne soit compétente en la matière, les mesures proposées sont disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

II. Sur la violation du principe de proportionnalité

Le principe de proportionnalité exige que le contenu et la forme de l’action de l’UE n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif des traités[4].
Comme chaque institution européenne, la Commission est tenue de veiller, de manière continue, au respect de ce principe[5].

Or, la présente proposition excède manifestement ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs dès lors qu’elle contrevient aux principes fondamentaux du droit français de la filiation (A.) et est incompatible avec notre ordre public national (B.).

A. Sur la violation des principes fondamentaux du droit français de la filiation

Alliance Vita n’ignore pas qu’un certain nombre de pays membres de l’Union européenne, comme la Belgique, la Roumanie, les Pays-Bas, Chypre, la Grèce ou encore le Portugal, autorisent, ou du moins n’interdisent pas, la gestation pour autrui (GPA).

L’ordre juridique interne de certains de ces pays prévoit la reconnaissance de la filiation de l’enfant issue de la GPA à l’égard de ses seuls « parents d’intention », soit le couple commanditaire, et non à l’égard de la mère porteuse, qui a accouché de l’enfant. C’est notamment le cas du Portugal, de la Grèce et de Chypre.

Or, ce type de filiation est parfaitement incompatible avec le droit civil français, qui exige que la mère d’un enfant soit celle qui en a accouché[6].

L’exigence de transcription automatique par la France de ces filiations, pourtant incompatibles avec les principes fondamentaux de son droit civil, apparaît ainsi comme une atteinte disproportionnée à sa souveraineté et à sa compétence exclusive en la matière.

Plus grave encore, cette exigence porte également atteinte à l’ordre public français, dès lors que le détournement des règles de filiation maternelle est sanctionné par notre code pénal.

B. Sur l’atteinte à l’ordre public français

Le chapitre VII du code pénal français, portant sur les atteintes aux mineurs et à la famille, sanctionne les atteintes à la filiation au moyen de plusieurs délits.
D’une part, l’article 227-12 du code pénal sanctionne :

« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Le fait, dans un but lucratif, de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. »

D’autre part, l’article 227-13 du code pénal prévoit que :

« La substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
La tentative est punie des mêmes peines. »

Comme indiqué précédemment, ces délits ont principalement pour objet d’empêcher tout détournement des règles de la filiation maternelle.

Le délit de « substitution volontaire » et de « simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant » vise précisément la tentative, par le couple commanditaire d’une GPA, de transcription en France des actes civils étrangers de l’enfant issu de la GPA7.

Partant, la transcription en droit interne de la filiation d’un enfant né d’une GPA à l’égard du couple commanditaire, telle qu’elle est exigée par la proposition de la Commission européenne, reviendrait précisément à commettre « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant », infraction passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Par ailleurs, l’imposition d’une reconnaissance systématique, dans n’importe quel pays membre, de la filiation à l’égard du couple commanditaire d’une GPA revient à encourager cette pratique, qui constitue pourtant un délit pénal sanctionné par l’article 227-12 du code pénal français.

En l’état, la proposition de la Commission revient donc à entériner et à systématiser la commission de deux délits, portant ainsi une atteinte manifeste à l’ordre public français.
Plus globalement, ce règlement serait contraire au principe d’attribution et de proportionnalité en outrepassant les compétences attribuées à l’UE.

 

[1] Article 17 de la proposition de règlement

[2] Page 6 de la proposition de règlement

[3] Article 53 de la proposition de règlement

[4] Article 5 du TUE

[5] Article 1 du Protocole sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité

[6] Articles 311-25 et 332 du code civil

[7] TGI Créteil, ord. 30 septembre 2004

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Note d’analyse : Proposition de règlement européen sur la filiation

Parlement européen : vote en commission d’une proposition controversée sur la filiation

Parlement européen : vote en commission d’une proposition controversée sur les actes de filiation

 

La commission des affaires juridiques du parlement européen a voté le 7 novembre 2023 en faveur de la proposition de règlement initiée par la Commission européenne relative à la reconnaissance des actes de filiation entre pays de l’Union européenne.

En 2021, en réponse à la consultation de la Commission européenne, Alliance VITA a émis un avis qui mettait en garde contre une systématisation des reconnaissances de filiations au sein de l’UE en maintenant le principe de subsidiarité des Etats en la matière.

Dans une note d’analyse publiée en janvier 2023 à destination des parlementaires et de la Commission, Alliance VITA a analysé la manière dont cette proposition contrevenait aux attributions fixées par le traité de l’Union et à l’ordre public français en ce qui concerne la GPA. En effet le code pénal français sanctionne les atteintes à la filiation relative à la maternité de substitution.

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Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

Journée des défunts : la mort, fin incontournable de toute vie

 

Il est d’usage de se rappeler les êtres chers qui nous ont quittés, d’aller fleurir leur tombe ou de se retrouver en famille pour évoquer leur souvenir. Il s’agit là d’une des rares incursions de la mort dans notre quotidien occidental qui semble vouloir la cacher. Or la mort nous concerne tous et face à elle, nous sommes tous égaux.

L’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), qui milite en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, a décidé de profiter de ce jour pour pousser ses revendications, arguant que les Français « n’en peuvent plus d’attendre » une loi autorisant la mort provoquée.

Comment donner à la mort sa juste place ?

 

Le paradoxe de la mort dans la modernité  

Dans les films, les jeux vidéo, l’imaginaire culturel et fictif, la mort est partout. Et pourtant dans les rites funéraires aujourd’hui, sa réalité est réduite à la portion congrue : on ne veille plus les corps, l’incinération est souvent privilégiée à l’inhumation, les proches sont moins présents autour du défunt… On privilégie également l’emploi de verbes considérés comme plus doux : « partir », « quitter » pour évoquer le décès comme une sorte d’endormissement indolore. La mort d’une personne confine désormais à l’intime, on ne traverse plus la ville en procession, on ne porte plus le deuil ; tout se passe comme si, à l’échelon de la société, la mort devait être cachée.

Le philosophe Michel Foucauld analyse le passage à l’époque moderne comme le passage d’une société du “faire mourir et laisser vivre” à une société du “faire vivre et laisser mourir. Selon lui, notre société moderne est une société où le pouvoir vise à organiser la vie et la santé des sujets, et où la mort devient l’intime par excellence. Le concept d’autonomie devient dominant, dans un contexte libéral où chacun veut pouvoir décider de son propre sort.

Notre société semble considérer que la mort est le dernier instant de décision de notre vie, l’occasion d’exercer une maîtrise toujours plus grande. Ainsi les tenants de la mort provoquée parlent souvent d’une loi « de liberté » ou encore « du libre choix » lorsqu’ils évoquent la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. Pure idéologie ou irrationnelle pulsion de mort ?

Certains semblent presque avoir peur de mourir de façon naturelle avant que la loi ne leur permette de le faire dans un cadre médical !

Ainsi voit-on des personnes en bonne santé comme Jacqueline Jencquel (qui s’est finalement donné la mort en 2022) se faire les porte-parole de la mort provoquée, alors qu’aucune affection médicale sérieuse ne paraît justifier le passage à l’acte. Elles semblent appeler de leurs vœux une nouvelle société du « faire mourir », où l’Etat et la société organiseraient la mort des citoyens, dans un retournement de leur désir de maîtrise.

Derrière l’invocation d’un « droit individuel » et d’un « choix personnel », la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté concernerait en réalité toute la société, chargée d’organiser et de mettre en œuvre ce nouveau « droit ».

 

Journée des défunts : ne pas masquer la mort mais savoir la montrer 

Le fantasme d’une mort douce, « consentie, sereine et digne », porte en lui le paradoxe évoqué plus haut. On appelle la mort provoquée de ses vœux, on la rend omniprésente en l’invoquant comme le droit ultime dans la vie de chacun mais on souhaite dans le même temps l’aseptiser, la rendre pour ainsi dire neutre en la médicalisant.

L’image d’Epinal, apparue récemment, de la personne mourant par euthanasie une coupe de champagne à la main, le sourire aux lèvres pour elle et ses proches, nie cette réalité fondamentale : la mort est toujours un drame, car elle s’oppose à l’instinct de survie en tout homme, car elle laisse un trou béant dans le cœur des proches.

La mort par euthanasie ou suicide assisté est en fait plus brutale encore : on pense par exemple à cet Américain ayant appris via Facebook que ses deux sœurs (en bonne santé) étaient allées se suicider en Suisse. L’incompréhension devant un tel choix augmente la douleur des proches.

L’aseptisation et la médicalisation de la mort mènent à des drames humains. L’épidémie de covid-19 a privé un grand nombre de personnes des rites de deuil qu’ils auraient dû vivre.

Pour des raisons sanitaires, de nombreuses familles n’ont pas eu la possibilité de visiter une dernière fois leur proche, de veiller son corps ou même de voir sa dépouille, enveloppée dans un sac pour éviter la contagion. Orphelins de père traumatisés par cette situation, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont ont lancé le collectif « Tenir ta main » pour dénoncer de graves reculs éthiques et anthropologiques, et militent désormais pour un « droit de visite aux patients dans tous les établissements de santé ».

Ne pas avoir le droit de voir la dépouille de son proche, c’est être privé d’une étape essentielle pour faire son deuil. En tant que civilisation, c’est aussi un retour en arrière : « On est devenus humains au moment où on a su enterrer nos morts », rappelle Stéphanie Bataille dans une émission en mars 2021.

Si les rites funéraires permettent de voir la mort en face, il est essentiel également de pouvoir mettre des mots sur ce drame intime. Ainsi les membres d’Alliance VITA sont-ils allés en 2014 à la rencontre des Français dans la rue, en leur proposant des « conversations essentielles » sur la manière dont ils avaient vécu la mort d’un proche.

Les personnes qui le souhaitaient pouvaient se confier et échanger sur ce que la mort d’un proche leur avait « appris de la vie » : la richesse de derniers moments avec une grand-mère, ou au contraire le regret de ne pas avoir été présent pour un père… autant de révélateurs de ce que la fin d’une vie est toujours la vie, jusqu’au bout.

 

Accompagner les vivants jusqu’à leur mort  

Aujourd’hui, les progrès médicaux et les innovations thérapeutiques ont profondément modifié notre rapport à la mort et les modalités du décès. Un quart des personnes seulement meurent chez elles, ce qui signifie que la majorité des décès a lieu dans un cadre médicalisé ou du moins institutionnalisé (maison de retraite…). Les progrès de la réanimation et de la chimiothérapie ont fait augmenter l’espérance de vie, ce qui est évidemment positif.

Toutefois, le risque est désormais que l’on considère que la médecine doit régir toute fin de vie. La loi Leonetti de 2005 et celle de 2016 relatives aux droits des malades et des personnes en fin de vie encadrent la tentation de l’acharnement thérapeutique en disposant que « les actes mentionnés […] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable […] lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés… ».

Au fond, vouloir prolonger obstinément la vie ou y mettre fin sont les deux faces d’une même médaille : un désir de toute-puissance, de maîtrise totale de la vie humaine, qui peut venir du corps médical ou de la personne elle-même.

Heureusement, la France s’est engagée depuis plusieurs dizaines d’années maintenant dans une autre voie : celle de l’accompagnement et des soins palliatifs, qui consistent à soulager les souffrances en prenant en compte toutes les dimensions de la personne, lorsque sa guérison n’est plus possible. Une des associations de bénévoles a pris pour nom la devise « Jusqu’à la mort, accompagner la vie ».

Donner sa juste place à la mort nous rendra plus humains, car la mort fait partie intégrante de la vie. A l’heure où certains voudraient médicaliser et provoquer la mort, nous appelons à ne pas la masquer ni la provoquer mais bien à la regarder et à en parler.

Tout le monde est digne, même dans la maladie, même dans la mort. Vivre et mourir dignement, cela passe par la réponse aux vraies demandes des Français : pouvoir être soignés et soulagés, pas être euthanasiés. En ce 2 novembre, honorons les défunts qui nous sont chers en apprenant à redonner sa juste place à la mort dans nos vies.

 

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Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

Le Canada bat le triste record du nombre d’euthanasies

 

Santé Canada vient de publier son 4ème rapport annuel sur l’Aide médicale à mourir (AMM). Englobant euthanasie et suicide assisté, l’AMM représente 4,1% des décès en 2022, atteignant un record depuis sa légalisation.

La situation du Canada est particulièrement alarmante quand on considère que la première loi date de 2016. En 6 ans, ce pays affiche le pourcentage le plus élevé de décès par euthanasie/suicide assisté parmi ceux qui ont légalisé une mort administrée.

 

Des chiffres en hausse et des critères d’éligibilité extensifs au Canada

En 2022, 13 241 cas d’euthanasie ont été déclarés soit un taux de croissance de 31,2 % par rapport à 2021. L’assistance au suicide demeure très exceptionnelle : moins de 7 personnes se sont « autoadministrés » des produits mortels.

La principale affection médicale est le cancer (63,0 %) : les troubles neurologiques atteignent 12,6 % dont 9% pour démence. Au total, 22,6 % des personnes étaient signalées par les praticiens dans le groupe « autre affection » ou « comorbidités multiples ».

« Un quart des personnes atteintes de ces affections étaient atteintes de fragilité (25,0 %). Les autres affections les plus courantes étaient le diabète (11,9 %), les douleurs chroniques (8,0 %) et les maladies auto-immunes (5,0 %). Un certain nombre de personnes étaient atteintes d’arthrose, d’ostéoporose, de fractures, de perte de vision et d’audition et de dysphagie et faisaient des chutes fréquentes. »

Comme le note une étude parue 2022, les critères d’éligibilité se sont considérablement assouplis depuis 2016.

Les sources de souffrance les plus souvent citées sont « la perte de la capacité à participer à des activités significatives (86,3 %), suivie de la perte de la capacité à accomplir les activités de la vie quotidienne (81,9 %) et du contrôle inadéquat de la douleur ou de l’inquiétude au sujet du contrôle de la douleur (59,2 %) ».

Enfin 35,1% des patients citent le fait d’être une charge pour l’entourage – famille, amis ou aidants – et 17,1% l’isolement ou la solitude comme souffrance conduisant à demander l’euthanasie. Ces constats ne peuvent qu’interroger la société tout entière sur le rapport à la vulnérabilité et aux solidarités intergénérationnelles.

Diversité des lieux et des praticiens pourvoyeurs d’euthanasie

Près de 40% des euthanasies ont lieu à domicile, 30,5 % à l’hôpital et 20,8 % en soins palliatifs. Près de 70 % des praticiens assurant l’euthanasie sont des médecins de famille ce qui correspond au médecin généraliste en France, 9,4 % des infirmiers, 8% des soignants de soins palliatifs. Viennent ensuite différentes spécialités oncologues, anesthésistes, urgentistes etc. et pour 0,8% des psychiatres.

Votée en 2021, l’extension de l’AMM aux personnes souffrant de maladies mentales a vu son application repoussée au 17 mars 2024 en raison notamment de la difficulté à distinguer tendances suicidaires et problèmes de santé mentale susceptible de justifier une demande d’AMM. Pour le psychiatre John Maher, spécialiste des maladies mentales et rédacteur en chef du Journal of Ethics in Mental Health « L’AMM sape profondément des décennies d’efforts de prévention du suicide. »

Doublement des euthanasies sans pronostic de mort prévisible

La loi révisée en 2021 a étendu les critères d’éligibilité à l’AMM aux personnes handicapées souffrant d’une maladie « grave et incurable » sans pronostic de mort prévisible.

463 personnes ont été euthanasiées alors que leur « mort naturelle n’était pas raisonnablement prévisible », soit le double de l’année précédente où ce critère a été rendu légal. Pour la moitié d’entre elles, leurs affections étaient de nature « neurologique ».

Parmi elles, 34,8 % ont reçu des soins palliatifs et 53,8 % ont eu besoin de services de soutien aux personnes handicapées. Plusieurs situations de patients candidats à l’euthanasie parce qu’ils ne parvenaient pas à obtenir des aides adaptées faute de moyens financiers suffisants, ont été médiatisées ces deux dernières années. Des experts de l’ONU ont tiré la sonnette d’alarme dans une déclaration commune à propos de la loi canadienne : « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ».

Une hausse alarmante des euthanasies au Québec

Les plus grands nombres d’administration de l’euthanasie ont lieu au Québec (4801), en Ontario (3934) et en Colombie Britannique (2515). Le Québec et la Colombie-Britannique ont connu le pourcentage le plus élevé de décès par euthanasie (6,6 % et 5,5 % respectivement).

Devant la hausse de près de 46% de l’AMM au Québec, la ministre québecoise Sonia Bélanger, responsable des Aînés et déléguée à la Santé, a demandé des explications au Collège des médecins. Elle lui demande de contrôler les médecins qui ont provoqué la mort de 23 patients qui ne répondaient pas à tous les critères de la loi.

Déjà en septembre dernier, la Commission sur les soins fin de vie avait enjoint les médecins, à suivre la loi avec plus de rigueur. En effet une étude scientifique parue en août 2023 sur le site des Presses universitaires de Cambridge alertait sur les graves lacunes du dispositif d’euthanasie. Les auteurs y dénonçaient le déficit de surveillance et de contrôle du régime canadien.

Nota : Les chiffres indiqués plus bas sont issus du rapport de l’ensemble du Canada sur 2022. Les liens avec des articles parus dans la presse du Québec montrent des variations, car le Québec a simultanément publié son propre rapport annuel d’activités sur une période légèrement décalée du 1er avril 2022 au 31 mars 2023.

L’AMM impacte le développement des soins palliatifs et plus globalement l’ensemble de la société

Au Canada, l’AMM est présentée aux patients même s’ils ne la demandent pas, comme une « option thérapeutique ».

Depuis quelques années, plusieurs études montrent le manque de développement des soins palliatifs. La Société canadienne des médecins de soins palliatifs souligne que seulement 15% des personnes qui en auraient besoin y ont accès. Est pointé également un déficit de praticiens spécialistes de la douleur.

En 2022, 19,6% des canadiens euthanasiés n’ont pas reçu de soins palliatifs.

Un rapport publié fin octobre 2023 par la Société canadienne du cancer (SCC), insiste sur le sous-équipement grandissant « en soins palliatifs de qualité aux personnes atteintes de maladies évolutives comme le cancer, en particulier dans les maisons de soins palliatifs, qui comptent peu de lits et sont dispersées ». Pour assurer des soins palliatifs de qualité, le Canada devrait disposer de 7 lits pour 100 000 habitants. Or le rapport montre que le pays n’en dispose que de 3,97.

« Depuis la légalisation de la mort provoquée, |le Canada] a perdu 10 places dans les classements internationaux » souligne la présidente de la SFAP (Société française d’accompagnement en soins palliatifs). En revanche la mort provoquée a été intériorisée comme une nouvelle norme.

La légalisation de l’AMM aboutit à une évolution inquiétante des mentalités : un sondage de l’Institut Research co. datant de mai 2023 sur la loi fédérale canadienne révèle que 73% des sondés disent approuver la loi actuelle et 20% approuvent l’euthanasie sans condition ; quand on mentionne des situations spécifiques relatives à la situation économique, 28% se disent favorables à étendre les critères à des personnes en raison de leur statut de sans-abri et 27% en raison de leur pauvreté.

La traite des êtres humains, un phénomène en augmentation en France

La traite des êtres humains, un phénomène en augmentation en France

Le 12 octobre 2023 est parue la 7ème édition de l’enquête annuelle « La traite des êtres humains en France – le profil des victimes accompagnées par les associations en 2022 ».

Ce rapport a été publié conjointement par la MIPROF (Mission Ministérielle pour la Protection des Femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains) et le SSMI (Service Statistique ministériel de la sécurité intérieure).

Il vient compléter l’analyse du SSMI. (« La traite et l’exploitation des êtres humains en 2022 : une approche par les données administratives ») qui montre un phénomène en augmentation.

 

La traite des êtres humains, un phénomène criminel international complexe

La traite des êtres humains est un « processus par lequel les personnes sont placées ou maintenues dans une situation d’exploitation à des fins économiques ». Contraire à la dignité de la personne humaine, la traite des êtres humains comprend notamment le proxénétisme, le travail forcé ainsi que les délits et la mendicité forcés.

C’est un phénomène difficile à connaître et à endiguer parce qu’il est international et que les victimes sont très souvent sous emprise de réseaux d’exploiteurs, sans oser ni pouvoir porter plainte. C’est pourquoi le nombre de victimes enregistrées par les services de police et de gendarmerie ne sont que la partie visible de l’iceberg.

Par ailleurs, comme l’indique l’analyse du SSMI, les outils digitaux décuplent les possibilités des exploiteurs et complexifient le travail de recherches des services répressifs :

“les services opérationnels et les associations constatent que le numérique et les réseaux sociaux sont de plus en plus utilisés par les exploiteurs (pour le recrutement, le transport, la logistique, la mise en relation avec les clients, etc.), ce qui rend l’exploitation à des fins sexuelles davantage « ubérisée», donc moins visible. ” (La traite des êtres humains en France, le profil des victimes accompagnées par des associations en 2022, p.4)

 

Traite des êtres humains : 12% d’augmentation en 2022

Le rapport du SSMI révèle qu’en 2022, le nombre de victimes de traite ou d’exploitation des êtres humains enregistré par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 12% par rapport à l’année 2021.

Parmi les différentes formes d’exploitation, seul le proxénétisme a reculé de 5%, c’est-à-dire le fait de tirer profit de la prostitution, l’exploitation par la mendicité a augmenté de 45% et celle par le travail de 55% en 2022 : une forme de traite qui touche majoritairement les hommes.

 

Traite des êtres humains et exploitation : les femmes et les enfants d’abord

Les femmes et les mineurs constituent la grande majorité des victimes de traite et d’exploitation : on compte 67% de femmes et un quart de mineurs en 2022.

D’après le SSMI, les mineurs sont davantage victimes de mendicité forcée et d’exploitation par le travail. Fait inquiétant, l’âge moyen des mineurs victimes est en baisse puisque la part des victimes ayant moins de 15 ans enregistre une hausse de 210 % par rapport à l’année 2021.

Les jeunes garçons sont plus touchés que les jeunes filles “une hausse plus prononcée des jeunes garçons victimes (+ 161 %), bien que le nombre de jeunes filles victimes progresse aussi (+ 58 %).”

Les associations interrogées par la MIPROF ont constaté que la plupart de ces mineurs ont un contexte familial complexe avec des événements traumatiques ce qui les a rendus vulnérables aux exploiteurs.

« Ils sont facilement recrutés, exploités et harcelés via les réseaux sociaux. Une grande partie se trouve en situation addictive préoccupante (stupéfiants, psychotropes), qui correspond à une stratégie d’exploitation sophistiquée. » (La traite des êtres humains en France, le profil des victimes accompagnées en 2022, p. 9)

 

Traite des êtres humains et exploitation : les chiffres des associations accompagnant les victimes

En 2022, 2994 victimes ont été accompagnées par 72 associations. 82 % d’entre elles sont des femmes et 16% des mineurs, une augmentation de 97% par rapport à l’année 2021.

Le rapport de l’enquête montre que parmi ces victimes

  • 76% étaient victimes d’exploitation sexuelle,
  • 15% d’exploitation par le travail,
  • 7% contraintes à commettre des délits, (forcer une personne à commettre des crimes et délits en vue d’en récolter les gains, délits de vols, délit relatif aux stupéfiants)
  • 2% à la mendicité forcée,
  • 1% à d’autres formes d’exploitation.

 

Les guerres, les flux migratoires et les réseaux sociaux sont trois grands facteurs d’accroissement de la traite des êtres humains et de leur exploitation d’après le SSMI qui précise que ce phénomène « risque en outre de s’aggraver dans les années à venir. »

Nourrie entre autres par la consommation croissante de pornographie et le harcèlement sur les réseaux sociaux, la traite des êtres humains reste un sujet très préoccupant.

En octobre 2023, un « projet de position » du parlement européen  concernant la révision de la directive européenne 2011/36/UE sur la lutte contre la traite des êtres humains a été adopté. Les eurodéputés souhaitent donner plus de moyens aux services répressifs de l’Union européenne pour agir contre la traite d’êtres humains et assurer un meilleur soutien aux victimes. Ils ont ajouté trois pratiques à prendre en compte au titre de la traite la gestation pour autrui à des fins d’exploitation reproductive, l’adoption illégale et le mariage forcé. La transcription de ces mesures dans la directive révisée est aujourd’hui dans les mains du Conseil de l’Union européenne.

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Les dérives de l’euthanasie et du suicide assisté : focus sur quatre législations à l’étranger

Les dérives de l’euthanasie et du suicide assisté : focus sur quatre législations à l’étranger

I) EN BELGIQUE

La loi qui a dépénalisé l’euthanasie sous certaines conditions a été votée en 2002.

 

1. Les données statistiques

  • Selon les chiffres communiqués par la Commission fédérale de contrôle, le nombre d’euthanasies officiellement recensées est passé de 235 en 2003 à 2966 en 2022. Les euthanasies déclarées ont ainsi plus que décuplé en vingt ans, une évolution qui tranche radicalement avec l’argument fourni en 2002 selon lequel l’euthanasie devait être seulement permise dans des situations exceptionnelles.
  • Une étude parue en 2018 dans le Journal of Pain and Symptom Management (JPSM) relève que 25 à 35 % des euthanasies pratiquées en Flandre n’auraient pas été déclarées à la Commission fédérale de contrôle.

 

2. La législation

  • En 2014, le Parlement belge a élargi l’accès à l’euthanasie pour les mineurs (sans âge minimum) dotés de la capacité de discernement et dont la mort est prévue à brève échéance. Dans une lettre ouverte, 200 pédiatres ont appelé à repousser cette mesure qui ne répondait à aucune nécessité pratique sur le terrain ; ils se positionnaient au contraire pour le soulagement de la douleur des enfants en fin de vie par les soins palliatifs. Les membres du Congrès international des soins palliatifs pédiatriques ont appelé le gouvernement belge à reconsidérer cette décision. Quatre euthanasies sur mineurs ont été déclarées depuis 2014.
  • En mars 2020, la loi euthanasie a été modifiée pour obliger tous les établissements de soins (hôpitaux ou maisons de retraite) à accepter la pratique de l’euthanasie en leurs murs. La loi contraint également désormais les médecins qui refusent de pratiquer une euthanasie (pour des motifs médicaux ou de conscience) à renvoyer le patient vers un autre médecin.
  • Plusieurs nouvelles extensions de la loi sont actuellement envisagées : des propositions de loi ont été déposées en 2019 pour autoriser l’accès à l’euthanasie aux personnes souffrant de démence, y compris lorsque celles-ci ne sont plus capables de consentir à leur propre mort. Certains politiques souhaitent également que la « fatigue de vivre » soit reprise comme critère d’accès à l’euthanasie.

 

3. Des lacunes dans l’application de la loi

  • Une étude parue en janvier 2021 dans le Journal of Medicine and Philosophy souligne de larges lacunes dans la loi euthanasie et son application, et dans le contrôle de sa pratique. Les trois auteurs belges mentionnent en particulier le caractère subjectif de la dimension inapaisable de la souffrance et de la dimension incurable de la maladie. L’euthanasie peut ainsi être pratiquée même dans le cas où le patient refuse un traitement pouvant le soulager ou le soigner. Sont également pointés l’absence de contrôle effectif de la Commission fédérale de contrôle ainsi que le caractère non contraignant de l’avis du ou des médecins consultés par le médecin effectuant l’euthanasie.
  • Régulièrement dans les déclarations d’euthanasie figurent désormais les « polypathologies ». Cette notion vise l’addition de conditions telles que la baisse de la vue ou de l’audition, la polyarthrite ou l’incontinence. En 2022, les polypathologies comptaient pour 19,6 % de l’ensemble des euthanasies et pour près de la moitié des euthanasies sur les patients qui ne sont pas en fin de vie.

 

4. L’euthanasie de patients souffrant de dépression

  • On dénombre chaque année plusieurs cas d’euthanasie de patients souffrant de dépression, alors même que l’appréciation du caractère définitivement incurable de la dépression fait débat d’un point de vue scientifique. Dans une tribune parue en 2018, 150 médecins belges ont d’ailleurs ouvertement remis en cause la pratique de l’euthanasie sur les personnes souffrant de troubles psychiques, du fait notamment de ses effets contre-productifs sur la prévention du suicide et sur l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques.
  • Entre autres exemples, Tine Nys, jeune femme souffrant de dépression, est ainsi décédée par euthanasie en 2010 à l’âge de 38 ans. En dépit du non-respect de plusieurs conditions légales, notamment concernant l’indépendance du médecin consulté et la déclaration d’euthanasie par le médecin, la Commission fédérale de contrôle a considéré que l’euthanasie ne posait aucun problème. En janvier 2020, la Cour d’assises de Gand a finalement acquitté le médecin ayant pratiqué l’euthanasie, au bénéfice du doute.
  • Une enquête médiatique de la RTBF dans l’émission #Investigation a révélé qu’une jeune de 23 ans souffrant de dépression depuis l’adolescence, présente à l’aéroport de Bruxelles quand eut lieu l’attentat terroriste du 22 mars 2016 a été euthanasiée le 7 mai 2022. Selon un neurologue impliqué sur ce dossier : « l’euthanasie n’aurait pas dû avoir lieu car d’autres propositions de soins avec été formulées à la jeune femme ». D’autres affaires d’euthanasies psychiatriques ont fait polémique début 2023, une concerne une femme condamnée pour avoir tué ses 5 enfants et l’autre une femme victime d’un viol quelques années auparavant.

 

5. Alerte sur l’euthanasie pour raisons économiques

  • Dans son témoignage livré au média flamand Nieuwsblad en septembre 2023, Shanna, 38 ans, a révélé qu’elle souffrait du syndrome d’Ehlers-Danlos et qu’elle avait demandé l’euthanasie en raison d’un système social « défaillant ». Elle alertait sur les discriminations économiques qui ont déjà fait une autre victime, Joke Mariman, atteinte du même syndrome, qui a été euthanasiée par manque de soutien.

 

6. Condamnation de la CEDH

  • En 2022, la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) a condamné la Belgique dans une affaire où des enfants remettaient en question l’euthanasie de leur mère dépressive : la Cour a jugé que le système de contrôle établi en l’espèce n’offrait pas de garantie suffisante. En effet, le médecin qui a pratiqué l’euthanasie sur la mère du requérant siégeait dans la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie.
II) AUX PAYS-BAS

 

L’euthanasie a été dépénalisée en 2001 sous certaines conditions strictes, pour les majeurs et les mineurs de plus de douze ans.

 

1. Les données statistiques

  • Selon le rapport annuel 2022 des commissions régionales de contrôle néerlandaises (Regionale Toetsingcommissies Euthanasie, RTE), le nombre d’euthanasies officiellement recensées est passé de 1882 en 2002 à 8720 en 2022, soit 5,1% du nombre des décès.
  • Pour la grande majorité il s’agit d’euthanasies (8501 pour 186 suicides assistés). Le rapport de 2022 signale que 33 cas résultent de la combinaison des deux, «lorsque, dans le cas d’un suicide assisté, les patients absorbent la potion donnée par le médecin, mais ne décèdent pas dans le laps de temps convenu. »
  • Le rapport de 2022 fait état de 379 cas d’euthanasie pratiquée pour des polypathologies gériatriques, 115 pour des troubles psychiatriques, 282 chez des personnes présentant une démence légère et 6 pour des personnes « démentes » qui ne sont plus capables de s’exprimer sur une demande d’euthanasie (sur directives). Tous ces cas sont à plus de 30% de progression par rapport à 2019.
  • Selon une étude du Centre Intégral du Cancer néerlandais (IKNL), les soins apportés aux patients en phase terminale ne sont pas appropriés. Chaque année, 1700 cas de sédations en fin de vie relèveraient d’une pratique inadéquate pouvant cacher des euthanasies.

 

2. Les pressions pour élargir les possibilités d’euthanasie ou de suicide assisté

  • A travers le Protocole de Groningen, élaboré en 2004 par le Professeur Verhaegen, les Pays-Bas autorisent de facto l’euthanasie sur les nouveau-nés atteints d’une maladie grave et incurable pouvant mener à des souffrances insupportables.
  • Le 14 avril 2023, le ministre néerlandais de la santé Ernst Kuipers a annoncé dans une lettre au parlement la dépénalisation prochaine du recours à l’euthanasie pour les enfants entre 1 et 12 ans. Cette dépénalisation se fera par un règlement ministériel et non pas par voie législative. Le gouvernement prévoit de modifier un règlement existant concernant les avortements tardifs et l’arrêt de vie des nouveau-nés en ligne avec le protocole de Groningen. Ce projet est contesté par plusieurs instances médicales et juridiques.
  • Une proposition de loi pour autoriser le suicide assisté à partir de 75 ans pour « vie accomplie » a été déposée en 2020 en dehors de toute condition médicale[5]. Le débat public sur cet élargissement est toujours en cours.

 

3. L’euthanasie des personnes souffrant de troubles psychiques

  • En 2016, un médecin gériatre a euthanasié une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer sans son consentement effectif au moment de l’acte, en versant préalablement un sédatif dans son café, à son insu. La patiente avait rempli une directive anticipée d’euthanasie mais se débattait au moment de l’injection létale. Le médecin et la famille l’ont retenue de force. Les tribunaux néerlandais ont considéré qu’aucune infraction n’avait été commise.
  • Dans la dernière version de leur Code des bonnes pratiques publié en 2020, les commissions de contrôle néerlandaises autorisent désormais explicitement le médecin confronté à cette situation à administrer une sédation au patient à son insu, afin d’éviter toute résistance au moment de l’injection létale.

 

4. Une interpellation du Comité des Droits de l’homme de l’ONU

  • Le Comité des droits de l’homme de l’ONU s’est inquiété, en juillet 2009, du nombre élevé de cas d’euthanasies et de suicides assistés. Il a demandé instamment aux Pays-Bas de réviser leur législation afin de se mettre en conformité avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.
  • Dans son rapport périodique suivant, adopté en 2019, le Comité des Droits de l’Homme réitère sa demande de garanties supplémentaires quant au respect des critères d’accès à l’euthanasie, et demande en particulier la mise sur pied d’un comité chargé d’un contrôle ex ante, avant que la demande d’euthanasie du patient soit acceptée.

III) EN SUISSE

 

1. Droit en vigueur

  • L’article 115 du code pénal interdit l’assistance au suicide pour un motif intéressé, mais tolère de facto l’aide au suicide, médicale ou non, en l’absence de mobile « égoïste ».
  • Cette brèche a conduit certaines associations à organiser des services payants d’organisation du suicide assisté sur le territoire suisse, y compris pour des non-résidents. Pour les résidents suisses, adhérents aux associations, le coût du recours au suicide assisté est inclus dans leur adhésion, sauf lorsque leur adhésion est inférieure à un an. Dans ce cas, il faut compter quelques centaines d’euros. Pour les non-résidents, les sommes varient de 7 000 à 11 000 €.
  • Face à l’augmentation constante du nombre de cas de suicides assistés, le Conseil fédéral et le Parlement ont décidé, en 2011 et 2012, de ne pas réglementer de manière spécifique l’aide au suicide, préférant maintenir cette tolérance de fait afin d’éviter d’encourager davantage le recours au suicide assisté.
  • Depuis 2010, le nombre de suicides assistés a néanmoins triplé, en 10 ans, passant de 352 en 2010 à 1251 décès en 2020.
  • En l’absence de réglementation fédérale, les associations organisant le suicide assisté déterminent elles-mêmes les critères de santé qu’elles jugent nécessaires pour l’accès au suicide assisté. L’association Exit accepte ainsi désormais d’intervenir auprès de toute personne âgée atteintes de polypathologies liées à l’âge.
  • Certains cantons ont adopté des dispositions spécifiques en la matière. Ainsi, les cantons de Vaud et de Neuchâtel contraignent les institutions d’intérêt public (hôpitaux, maisons de retraite) à accepter les suicides assistés dans leurs murs, sous peine de perdre leur financement public.

 

2. Des dérives notables

  • Des scandales ont éclaté avec l’euthanasie de personnes dépressives ou que l’on pouvait guérir. Une étude parue dans le Journal of Medical Ethics en 2014 révèle que, sur la période 2008-2012, 34 % des personnes qui ont eu recours au suicide assisté par l’intermédiaire d’une de ces associations ne souffraient pas d’une maladie mortelle.
  • En septembre 2015, une Anglaise de 75 ans, ne souffrant d’aucun problème de santé sérieux, a eu recours à un suicide assisté dans une clinique suisse.
  • En novembre 2016, deux frères ont saisi le tribunal civil de Genève pour empêcher le suicide assisté de leur troisième frère par l’association Exit. Celui-ci, qui est finalement passé à l’acte, souffrait d’une dépression.
  • La possibilité d’un accès au suicide assisté pour les détenus a été ouverte en 2018, avec le cas de Peter Vogt, condamné en 1996 à dix ans de réclusion pour de multiples viols, avant d’être interné à vie. En 2018, il a contacté l’association Exit pour recevoir une aide au suicide. En conséquence, les autorités judiciaires et de police ont adopté en février 2020 un accord de principe sur l’extension du suicide assisté aux détenus.
  • En février 2022, un Américain a appris par la presse que ses deux sœurs de 54 et 49 ans vivant en Arizona, toutes deux en bonne santé, avaient mis fin ensemble à leurs jours en Suisse en payant 11 000 dollars chacune à l’association Pegasos.
  • En 2019, un article du journal Neue Zürcher Zeitung (NZZ) s’est intéressé à la fortune amassée par l’association Exit. Le total de ses actifs a triplé en cinq ans, passant de 9,4 millions de francs suisses en 2013 à 29 millions. Ces chiffres suscitent des interrogations sur le développement d’un business de la mort.
IV) AU CANADA

 

1. La législation

  • En 2016, le Canada a dépénalisé « l’aide médicale à mourir », euphémisme pour désigner l’euthanasie, à savoir le fait, pour un médecin, de mettre volontairement fin à la vie du patient à sa demande.
  • La loi canadienne prévoit que l’euthanasie ne peut être réalisée que sur des personnes majeures « affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes et intolérables ». L’affection dont souffre la personne doit être incurable et mener au « déclin avancé et irréversible de ses capacités » et au fait que « sa mort naturelle soit devenue raisonnablement prévisible ».
  • En 2021, la loi a été modifiée avec l’élargissement à des personnes qui ne sont pas en fin de vie, aux personnes handicapées physiques. Les délais de réflexion de dix jours sont supprimés dans le cas où la mort naturelle est considérée comme « raisonnablement prévisible » (demande et euthanasie le même jour). La loi englobe également le cas d’inconscience du patient qui a fait une déclaration anticipée en ce sens et dont la mort est raisonnablement prévisible, ou lorsque l’injection létale qu’il s’est lui-même administrée a échoué.
  • Une loi particulière au Québec a été votée en juin 2023, le projet de loi 11, pour s’aligner sur la loi fédérale : elle a été fortement contestée par plusieurs associations de personnes handicapées. En outre, cette loi contraint les centres de soins palliatifs à pratiquer l’euthanasie.
  • Déjà, en 2021, un centre de soins palliatifs avait dû fermer en Colombie-Britannique en raison de son refus de pratiquer l’euthanasie (alors qu’un hôpital situé à deux pas pratiquait l’euthanasie).
  • La possibilité d’élargir l’euthanasie aux personnes atteintes d’une maladie mentale prévue par la loi fédérale de 2021 a été repoussée à mars 2024 devant les difficultés à trouver des critères « acceptables ».

 

2. Les données statistiques

  • En l’espace de six années (2016-2022), le nombre d’euthanasies a crû fortement, passant de 1 018 à 13 241 décès soit 4,1 % des décès canadiens. Cela représente 6,6 % des décès au Québec, soit 4 801 cas, en augmentation de 46 % en un an.
  • La nature de la souffrance invoquée par le patient qui demande l’euthanasie est, dans 86 % des cas, liée à une perte d’autonomie. Plus d’un tiers des demandeurs mentionnent également comme motif le fait d’être une charge pour sa famille ou ses proches.
  • Un sondage sur la loi fédérale canadienne publié en mai 2023 par l’Institut Research Co. révèle une évolution alarmante des mentalités. 73 % des sondés disent approuver la loi actuelle et 20 % approuvent l’euthanasie sans condition ; quand on mentionne des situations spécifiques relatives à la situation économique, 28 % se disent favorables à étendre les critères à des personnes en raison de leur statut de sans-abri et 27 % en raison de leur pauvreté.

 

3. Des euthanasies pour motif économique

  • Depuis l’extension de la loi en 2021, les médias rapportent des cas troublants d’euthanasie alors que des personnes handicapées ou malades souhaiteraient continuer à vivre. Ce sont notamment des personnes en situation de précarité ou privées de prise en charge adéquate qui sont conduites à ces demandes, n’ayant pas d’autre issue.
  • Ainsi, début octobre 2022, le quotidien CBC News rapportait l’histoire douloureuse d’une jeune femme du Manitoba, atteinte de SLA, qui s’est résolue à demander l’euthanasie par manque d’aide à domicile. Elle supportait son état même s’il se détériorait progressivement et aurait souhaité vivre plus longtemps.
  • En août 2022, l’agence de presse AP News rapportait le cas de Sean Tagert, euthanasié en août 2019 à 41 ans. Atteint de SLA, il n’avait pas obtenu du gouvernement les soins 24 heures sur 24 dont il avait besoin, seules 16 heures étant financées. Il restait donc à sa charge huit heures par jour. Il n’a pas pu collecter suffisamment d’argent pour financer le matériel médical nécessaire à son maintien à domicile.

 

La mise en garde de l’ONU contre l’euthanasie

Dans une déclaration commune publiée le 25 janvier 2021, trois experts internationaux de l’ONU ont alerté sur le chemin emprunté par plusieurs pays vers la légalisation de l’euthanasie pour les personnes handicapées. « Le handicap ne devrait jamais être une raison pour mettre fin à une vie ».

Le Rapporteur spécial sur les droits des personnes handicapées, le Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme ainsi que l’expert indépendant sur les droits des personnes âgées insistaient sur le fait que l’aide médicale au suicide – ou l’euthanasie –, même lorsqu’elle est limitée aux personnes en fin de vie ou en maladie terminale, peut conduire les personnes handicapées ou âgées à vouloir mettre fin à leur vie prématurément.

Cette prise de position importante est intervenue au moment où le Parlement du Canada élargissait l’accès à l’euthanasie aux personnes qui ne sont pas en fin de vie, y compris les personnes qui vivent avec un handicap ou qui sont atteintes d’une affection, par exemple suite à un accident de voiture ou du travail. Si la loi canadienne prévoit des conditions médicales et procédurales visant à éviter les abus, une telle initiative peut laisser entendre aux personnes concernées que leur vie ne vaut potentiellement pas ou plus la peine d’être vécue. Parmi les autres pays ayant dépénalisé l’euthanasie, la Belgique et les Pays-Bas ont également ouvert l’accès à l’euthanasie aux personnes souffrant d’un handicap sévère.

Dans leur déclaration de janvier 2021, les trois experts indépendants rappelaient que le handicap, loin d’être un poids ou un défaut de la personne, est avant tout « un aspect universel de la condition humaine ». Ceux-ci notaient par ailleurs que « la proportion de personnes en situation de handicap frappées par la pauvreté est sensiblement plus élevée » que celle du reste de la population, et qu’une « protection sociale insuffisante pourrait d’autant plus rapidement mener ces personnes à vouloir mettre fin à leur vie, par désespoir ».

Les experts exprimaient ainsi leur inquiétude quant au manque de prise en compte de la voix des personnes handicapées dans ce type de réforme législative, celle-ci touchant directement à leur « droit à la vie ».

Selon ces experts de l’ONU, « en aucun cas le droit ne devrait considérer comme une décision raisonnable le fait, pour l’Etat, d’aider une personne handicapée qui n’est pas en train de mourir à mettre fin à ses jours ».

Octobre 2023